N° 186
Septembre

http://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Septembre 2018
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
http://www.seybouse.info/
Création de M. Bonemaint
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Écusson de Bône généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
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EDITO
  Le temps de la reprise   

         Après le repos estival, La Seybouse fait sa rentrée comme les jeunes écoliers avec un été qui a été particulièrement chaud et long. J'espère que vous en avez largement profité.
         En septembre… On aura encore du soleil plein la vue et des souvenirs de vacances qui tourneront en boucle dans la tête.

        Ce temps de vacances vécu un peu autrement, où l'on a refait le monde, où l'on a pris le temps de se reposer et de faire des petites folies, où l'on a réfléchi sur sa situation personnelle et sur celle du pays et l'on a pris des résolutions.
         Face à ces résolutions, le retour à la réalité avec ses actualités brûlantes nous revient en pleine figure, avec de nouveaux obstacles à prendre en compte dans les plans qu'on a échafaudés. Augmentation de ceci et de cela, suppression de ceci et de cela dans un contexte économique choisi par Jupiter. Bref ce n'est pas la joie, il va falloir encore se serrer la ceinture pour choyer les envahisseurs et parmi eux de possibles futurs assassins de nos enfants.

        Moi, ce qui me choque le plus, c'est que la majorité des français si prompts à nous haïr, à vouloir nous rejeter à la mer en 1962, et plus de 50 ans après encore à nous le faire sentir ; et face aux situations actuelles, que sont les attentats, assassinats, les violences (plus de 1000 chaque jour), les insultes et toutes sortes de délits, ces français ne bronchent pas alors que nos communautés de Pieds-Noirs et Harkis n'ont pas fait le millionième de ces ignominies.

        Les Français de 1962 n'ont pas eu de sacrifices à faire pour aider nos communautés expatriées d'Algérie. Il n'y a pas eu d'aides comme l'on distribue généreusement et à profusion actuellement et pourtant, pourtant nous nous sommes intégrés pacifiquement et avons contribués à relancer l'économie du pays qui était en mauvaise posture. Ceci n'est pas de la politique, c'est de la mémoire dont nos enfants devront sans cesse se remémorer pour leur avenir.

        Ce mois-ci, vous aurez une Seybouse où l'eau a beaucoup coulée pour produire une énergie mémorielle dont le lecteur aura de quoi s'abreuver.

        A vos écrans, à vos souris, profitez et partagez, l'ensemble de l'équipe vous remercie du fond du cœur pour vos milliers de lectures et vous souhaite une bonne rentrée.
         Amicalement votre.
Jean Pierre Bartolini          
        Diobône,
        A tchao.


Reflexion - Méditation
Envoyé Par M. Hugues Jolivet

Excellent sujet de méditation !?
Hugues JOLIVET             
15 Août 2018             




" Profession du père et de la mère ? "...

     C'était, à l'école primaire, la question habituelle posée par nos instituteurs dans l'interrogatoire du premier jour de classe. A Guelma, en Algérie, je répondais que mon père était " colon " et que ma mère était à la maison. La profession des parents constitue toujours une part de notre identité et lorsqu'une fille ou un garçon confessait " une première rencontre ", la première curiosité des parents portait souvent sur la profession des parents …" Et que font ses parents ? "
     Exilé en France, on m'interrogea, au cours d'un dîner professionnel, sur le métier de mon père. Je répondis avec une fierté provocatrice : " Mon père était colon ". La réaction que je suscitai me donna alors l'impression que je venais de lâcher une obscénité…

     En Algérie, on était boulanger, cafetier, fonctionnaire ou colon et jamais personne ne trouvait que cette dénomination des agriculteurs fût péjorative… Il y avait dans ce terme la richesse d'une histoire, le poids des souffrances et parfois des drames qui marquèrent la colonisation. Etre colon, c'était se réclamer d'une tradition de travail et de courage. C'était s'inscrire dans la lignée de gens chassés de leur patrie par la misère qui avaient relevé le défi de faire pousser du blé, de la vigne ou du tabac sur des terres abandonnées où ne poussaient que des ronces et du maquis. Etre colon, c'était comme aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Argentine ou en Israël, créer de la richesse sur des terres arides, c'était relever le défi de la réussite contre les difficultés conjuguées de la sécheresse, des sauterelles, des orages qui couchaient les épis, du feu dans les moissons, des cours du blé qui s'effondraient et des investissements aléatoires gagés sur des emprunts contraignants…

     Les années difficiles étaient les plus fréquentes. Je me souviens de l'air sombre de mon père et des larmes de ma mère quand le travail d'une année était anéanti par des orages dévastateurs ou la sécheresse qui craquelait les terres. Encouragés par le succès ou accablés par les revers, les colons continuaient à défricher et à labourer avec obstination et ce qu'ils avaient gagné, ils ne le devaient qu'à leur ardeur au travail. Le colon que j'ai le mieux connu n'a pas eu le loisir de faire de longues études. A l'heure où les enfants de France entraient en classe, lui, vendait le lait de la ferme aux habitants de la ville et, avant ses devoirs du soir, il devait rentrer les troupeaux et aider sa mère et ses sœurs à la traite des chèvres. Son école la plus habituelle n'avait ni pupitre ni tableau et ses compagnons de jeux parlaient l'arabe. Il fit son apprentissage loin des écoles techniques au contact de la terre, des champs et des animaux qui formaient son espace le plus familier. Il économisa sou après sou et acheta sa première terre, avec son frère, en empruntant à taux fort. Il ne connut ni la semaine des quarante heures ni les congés payés. Sa vie fut rythmée par les saisons.

     Lorsque les hivers étaient rigoureux sur La Mahouna qui dominait Guelma, il se trouvait parfois contraint par la neige à demander l'hospitalité aux ouvriers de sa ferme. Le printemps, il guettait les pluies à la ponctualité fantaisiste. L'été, il redoutait les orages qui couchaient les blés et moisissaient les graines. Rien n'était jamais acquis et jusqu'aux battages, il devait craindre les vols de sauterelles, le feu dans les moissons, la maladie du charbon qui gangrenait les épis… Quand la récolte de blé était livrée aux " docks coopératifs de Guelma ", il restait encore à cueillir les feuilles de tabac, à les faire sécher et à les conditionner… avant de les livrer à la Tabacoop de Bône.

     Il ne connaissait pas le plaisir des congés payés mais goûtait au bonheur d'une bouillabaisse partagée avec sa famille sur une plage de Bône ou aux apéritifs du soir avec ses amis. Il aimait la chasse qui constituait moins un sport qu'un temps de convivialité. Il cultivait l'affection de ses nombreux frères et cousins, l'amitié de ses amis chrétiens, juifs ou musulmans. Il était respecté des ouvriers qui travaillaient avec lui car il était juste et bon.
     Quand les fellaghas firent régner la terreur, c'est à ces mêmes ouvriers qu'il devra, par deux fois, d'avoir la vie sauve. Pour lui avoir témoigné des signes de trop grande amitié, Ahmed, le gérant de sa ferme de la Mahouna, finira égorgé sur la route… Comme tous les colons de Guelma, et plus encore, comme tous ceux qui avaient dû, dès l'enfance, vivre dans la proximité des arabes, il en connaissait la langue, les traditions, les sensibilités, les codes de bienséance, les rites, les habitudes. Il savait ce qu'il fallait dire ou faire. Partagé dès l'enfance entre le " maltais " que parlaient ses parents et l'arabe de ses camarades, il peinait parfois à trouver le mot français dont il possédait pourtant la version arabe. Il s'était naturellement imprégné de cette mentalité particulière qui dicte les paroles et commande les actes par une intuition inspirée d'une fréquentation habituelle et familière.

     La proximité et parfois la promiscuité des arabes avaient fini par imposer à toute sa famille ce regard particulier de ceux qui, venus de cultures, de mœurs, de religions et de langues différentes savent trouver les convergences et les valeurs qui scellent l'estime. Son esprit s'était enrichi du partage de toutes cultures de la Méditerranée. Il manifestait autant d'aisance dans ses rapports avec les ouvriers arabes de la campagne, qu'avec ses amis de la ville, ses compagnons de chasse ou ses collègues du conseil municipal. Il secourait les pauvres avec la même discrétion et la même spontanéité que sa mère et ses sœurs qui soignaient les femmes arabes malades ou les assistaient quand elles accouchaient. Ses relations avec ses ouvriers furent toujours respectueuses des personnes et même marquées de l'estime accordée au travail bien fait, à la peine d'un métier difficile, à la reconnaissance des mérites de chacun. Il ne connaissait ni la violence ni la haine et manifesta une rare humanité dans des circonstances particulièrement dramatiques.

     Lorsqu'en 1945, éclata l'insurrection et que Guelma fut encerclée, il prit sa part à la défense de la ville et eut l'imprudence de se laisser photographier. Quarante ans plus tard, pour illustrer des faits qui se déroulaient à Sétif, à 300 kilomètres, sa photo apparut sur les écrans de télévision avec ce commentaire odieux : " Les milices civiles ne firent pas de quartier… " Un de ses frères fut massacré à coups de hache, dans une ferme éloignée.
     Quand la ville fut libérée, deux inspecteurs de police vinrent rechercher les responsables de l'assassinat de dizaines de français et d'européens. Mon père leur servit de guide et d'interprète. Ils identifièrent le meurtrier de mon oncle. L'un d'eux tendit son revolver à mon père pour qu'il fasse justice. Il repoussa l'arme, bien incapable du geste auquel on l'invitait. A la même époque, au temps de l'épuration des collaborateurs de Vichy, beaucoup de valeureux résistants n'eurent pas cette noblesse...

     Quand éclata la guerre d'Algérie, les colons isolés dans leurs fermes payèrent un lourd tribut au terrorisme. Leurs fermes furent brûlées, leurs moissons incendiées, leurs troupeaux abattus, leur matériel saccagé. Comme en 1945, ils constituèrent les principales victimes des fellaghas et chacun se souvient de ces colons, de leurs épouses et de leurs enfants victimes d'atrocités indicibles avant d'être tués. Ces victimes de la torture des fellaghas ne feront jamais l'objet des accents de révolte qui secouent les intellectuels français sur les chaînes de télévision.
     
     En matière de torture, la presse française manifeste une sélectivité révélatrice de sa subjectivité et de sa partialité et sans doute aussi révélatrice d'une opinion publique française plus sensible au sort des poseurs de bombes et des égorgeurs d'enfants. Ces victimes furent les derniers martyrs de cette race de colons qui laissèrent assez de sueur et sang sur leurs terres pour revendiquer la légitimité de leurs propriétés. Mon père traversa cette période avec une sérénité proche du fatalisme. Il pensait que le pire n'est jamais certain et le meilleur, toujours probable. Il était d'un naturel confiant et croyait à la parole donnée. Il crut au Général de Gaulle quand il promit que l'Algérie resterait française.

     Plus tard, il crut aux engagements de la France à Evian et devant l'évidence de l'inéluctable, il crut encore que la vie serait possible dans une Algérie indépendante. Au soir de sa vie, il aurait pu confier ses terres à ses enfants et donner libre cours à sa passion de la chasse. " Le vent de l'Histoire " l'a chassé de son pays et réduit à néant un demi-siècle de travail. . Il eut la sagesse de ne jamais se plaindre, de ne jamais jeter d'anathème sur personne mais de trouver dans son exil, le bonheur apaisé des joies familiales. Sa mort fut précédée du silence d'une longue aphasie. Dans son silence, cet exilé qui ne souriait plus, dût repasser en boucle, le film de son existence si bien remplie et de l'injustice d'un sort qu'il n'avait pas mérité. Combien sont partis, enfermés dans le silence et le douloureux constat d'une fin de vie volée. Combien se sont tus et ont emporté avec eux l'insoupçonnable richesse du récit de leur vie.

     Combien auraient préféré au bavardage imbécile de censeurs malhonnêtes prétentieux et ignorants, l'exil sur une autre terre qui n'aurait pas ajouté à la déchirure du déracinement, le dédain arrogant de gens qui croient pouvoir tout connaître de 130 ans de la vie d'un peuple. L'histoire de ce colon, mon père, n'est pas singulière. Le souvenir des mes oncles, de leurs cousins, de leurs amis colons me renvoie l'image d'hommes rudes à la tâche, honnêtes et généreux qui ne surent " faire suer… " que leur chemise et ne durent leur réussite qu'à la ténacité de leurs efforts, à la modestie de leur existence et à leur esprit d'entreprise. Se trouvera-t-il un jour un historien capable de restituer l'histoire superbe de ces agriculteurs d'Algérie qu'on appelait " colons " ?

     Se trouvera-t-il un intellectuel courageux, à contre courant des réquisitoires à la mode, pour retracer les souffrances et les drames de ces miséreux venus du monde méditerranéen et de France pour faire pousser du blé et de la vigne dans des maquis de ronces et de chardons ?
     La France saura-t-elle rendre hommage à ces pionniers de la conquête du sud, comme les américains parlent de leur " Conquête de l'Ouest " ? La plupart sont morts, avant que ne se déchaîne la vague des procès médiatiques qui, à travers la mise en accusation du colonialisme, jettent sur leur mémoire une ombre insupportable. Mon admiration pour tous ces colons que j'ai connus et aimés n'en est que plus ardente. Le 23 mars de cette année 2003, mon père aurait eu cent ans. Je veux lui dédier ce témoignage public d'affection et d'admiration A un âge où le vrai se décante de l'illusoire et de l'artificiel, grandit en moi l'inaltérable fierté d'être son fils,
     LE FILS D'UN COLON D'ALGERIE.

      Publié le 29 Janvier 2010
Par, M. Guy Bezzina - 6, rue Saint Louis à Guelma
Mémoires d'ailleurs et pensées d'aujourd'hui


PHOTOS de M. PIERRE ROUSSEAU
Envoyés par son fils Jean Jacques


1ère Toute la famille et celle de Hamouda ( 2é à/p de la gauche).
La maison construite à l'initiative de mon Père.

Photo de M. Pierre Rousseau
2ème Mon père et hamouda derrière ce tracteur à chenilles pour défoncer la dure terre de Kabylie. Le rendement étant beaucoup plus pauvre que dans la Marne (...) mon père a monté une entreprise de machines agricoles pour exécuter les travaux dans tout le secteur de Laperrine (Ben Haroun) et Dral El Mizane. Nous travaillions souvent la nuit à cause de la chaleur .... Puis moi avec ma soeur et Boualem mon ami de jeux au travers le djebel à dos de mulet.

La 3éme Mon Gand-Père et nos autres parents de Aumale.


La 4éme Je suis avec Hamouda, 96 ans, et arrieres petits enfants lors de mon séjour en 1985. Que d'émotions à ce pèlérinage.




LE MUTILE N° 54 du 2 juin 1918 (Gallica)

VERS LE PASSE
Les Grottes de Birmandreis
        
        La clémence de la température nous conviant à la promenade nous sommes allés visiter, l'autre dimanche, les Grottes de Birmandreis ou M. Leblanc de Prébois à bien voulu nous recevoir avec une cordialité qui nous a vivement touché.

        Il faudrait une étude longue, parce que approfondie, pour exposer la curiosité entière de ces vestiges des temps barbares ; notre place étant mesurée, forcé nous est d'être bref.

        La façade de ces grottes se présente en un amphithéâtre d'ornements au caractère architectural d'église. Au sommet un aigle aux ailes déployées ; au centre la tentation d'Eve qui ne mesure pas moins de 3 mètres 60,en bas une série d'allégories de moindre envergure, mais non de moindre intérêt.

        La grotte principale a 90 mètres carrés de superficie. Quatre énormes colonnes supportent les plafonds. Dans son large contour des infractuosités ont été pratiquées dans lesquelles doivent être exposées des stèles de, marbre, glorifiant les soldats de toutes religions morts ou blessés depuis 1914.

        Un marbre portant l'inscription arabe suivante : "Gloire aux Musulmans, blessés pendant la guerre" est déjà exposé et. sans oser dire qu'il est d'un heureux effet dans ces galeries souterraines, nous devons applaudir à la touchante pensée qui a présidé à son érection.

        Une autre grotte de plein-pied constitue une petite chapelle, Une seconde a l'un de ses côtés garni de sculptures allégoriques, parmi lesquelles nous avons particulièrement admiré les deux louves Romaines, allaitant Romulus et Remus, l'annonciation, Adam et Eve chassés du Paradis-Terrestre, un apôtre en prière etc.

        Au rez-de-chaussée, une autre grotte encore, dans laquelle, à tort ou à raison un élève de Poris est occupé à sculpter un monument de hautes dimensions : la France recevant dans ses bras maternels la Lorraine et l'Alsace. Ce travail d'un caractère artistique réel et qui atteste un patriotisme vibrant est dédié à la mémoire du Général Gallieni.

        Les grottes de Birmandreis qui servaient de porcheries il y a deux ans encore, grâce à M. de Prébois, qui y est allé de ses deniers personnels, de quoi nous le félicitons avec admiration, offrent un but de pèlerinage que ne manqueront pas de faire tous ceux que l'archéologie sait encore intéresser.

C. M. R.                 



La nationalité dans le monde arabe
des années 1830 aux années 1960
Autorisé par Mme Véronique Litaudon
Les nationalités en mouvement :
Les Etats face aux migrants

Des "hermaphrodites de nationalité" ? (1)
Colonisation maritime en Algérie et naturalisation
des marins-pêcheurs italiens de Bône (Annaba)
des années 1860 à 1914

"Hermaphrodites" in terms of nationality: Maritime colonization in Algeria and the naturalization of Italian fishermen in Bône (Annaba) from the 1860s to 1914

Hugo Vermeren p. 135-154
https://journals.openedition.org/remmm/9065?lang=en

              L'histoire de la colonisation maritime de l'Algérie au XIXe siècle met en évidence la dialectique permanente à laquelle est confrontée la puissance coloniale française face au monopole italien dans le domaine de la pêche et de la navigation. Auxiliaires de la conquête militaire et piliers de l'industrie halieutique, les marins-pêcheurs italiens sont alors considérés comme des éléments indispensables au peuplement des villes portuaires comme Bône. A partir des années 1860, la mise en correspondance du sol et du privilège national, censée favoriser leur naturalisation et leur sédentarisation, contribue surtout au développement d'un trafic d'identité pour contourner des règlements de plus en plus restrictifs. Accusés de monnayer leur naturalisation en échange de promesses de vote, les pêcheurs naturalisés se retrouvent au cœur de la crise politique qui frappe l'Algérie à la fin du XIXe siècle et voient leur statut de citoyen reconsidéré.


              1 La question (1) de la nationalité dans l'Empire colonial français a intéressé de nombreux chercheurs qui ont surtout mis en avant l'élaboration d'une nationalité spécifique pour les populations colonisées (Vidal, 2014 ; Urban, 2010). Dans le cas algérien, qui a servi de modèle aux autres territoires de l'empire, Patrick Weil (2005 : 352), puis Laure Blévis (2004), ont montré comment, en séparant la nationalité de la citoyenneté, l'État français avait confiné les Algériens musulmans au statut de " sujet ", les privant des droits politiques. Un nombre plus limité d'études ont interrogé l'évolution du statut des étrangers non-français qui se sont implantés en Algérie tout au long du XIXe siècle. Si, en situation coloniale, " le couple français-étranger cède la place au couple citoyen-sujet dans l'organisation fondamentale des sociétés " (Merle, 2003 : 2), on aurait tort de croire que le premier s'efface ou se confond stricto-sensu à la configuration métropolitaine.

              2 Ni nationaux de la puissance coloniale, ni colonisés, ces " étrangers blancs " (Singaravélou, 2013 : 126) ont formé une sorte d'entre-deux que la France a cherché tant bien que mal à assimiler (Noiriel, 2007 : 89). En Algérie, les grandes lignes de la politique d'assimilation menée à l'égard des étrangers peuvent se lire à travers deux mesures phares : la simplification de la procédure de naturalisation par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et l'application de la loi métropolitaine du 26 juin 1889 qui réintroduit le jus solis (Blévis, 2012). Pour les historiens qui se sont intéressés aux populations européennes de l'Algérie, cette politique d'ouverture de la nationalité a été guidée par des considérations d'ordre démographique (2). L'objectif était de renverser le déséquilibre entre une population française peu nombreuse et une population étrangère qui ne cessait de croître, cela afin d'éviter un risque " autonomiste latent " (Blévis, 2012 : 217).

              3 Si cette appréciation vaut pour la loi de 1889, alors qu'une forte immigration d'Italiens et d'Espagnols s'était enclenchée au début des années 1870 (3), elle est moins pertinente pour le sénatus-consulte de 1865. Les débats qui précèdent son adoption par le Sénat révèlent à quel point la question démographique y est secondaire (4). Plutôt que l'ambition de fondre les étrangers dans l'ensemble français, la nationalité a d'abord été pensée comme un moyen de régler la question du statut des étrangers et de reconsidérer les concessions qui leur avaient été accordées dans les premiers temps de la période coloniale. Conçu à l'origine comme un moyen de sécuriser la conquête, le lien entre le droit de possession et l'appartenance nationale des individus a été repensé au cours des années 1860. En effet, le sénatus-consulte de 1865 coïncide à la fois avec la grande réforme foncière du 22 avril 1863 (Guignard, 2010) (5) et avec le décret du 1er juin 1864 refondant le statut de la pêche et de ses acteurs. Autrement dit, ce n'est que lorsque la terre et l'eau furent envisagés comme des propriétés domaniales exclusives que la place des étrangers dans le projet colonial de la France dut être repensée (6).

              4 Pour le cas italien, au cœur de cet article, la nouvelle orientation donnée à la colonisation de l'Algérie à la fin du Second Empire est d'autant plus intéressante que le jeune État italien cherche à consolider ses positions en Méditerranée tout en renforçant ses liens avec les sujets des anciens royaumes installés hors des nouvelles frontières. Première destination africaine de l'émigration italienne jusqu'en 1893 (7), l'Algérie accueille dès la fin des années 1860, une population croissante d'ouvriers et surtout de pêcheurs en provenance des régions méridionales. La sauvegarde des intérêts italiens dans la région passe par le maintien des prérogatives dans le domaine de la pêche et de la navigation mais s'entrechoque avec l'affirmation croissante de la souveraineté française sur sa colonie.

              5 En rappelant l'évolution de la réglementation maritime sur les côtes algériennes au cours du XIXe siècle, cet article veut montrer comment fut appliquée à l'Algérie une forme de " nationalisme territorial " (Tran, 1980 : 36) qui modifia en profondeur la hiérarchie des statuts personnels au sein de la société coloniale. La mise en correspondance des ressources maritimes et du privilège national imposa aux pêcheurs italiens de se faire naturaliser français. En réduisant les conditions d'acquisition de la nationalité, le sénatus-consulte de 1865 facilitait cette démarche mais il dénaturait aussi, aux yeux de beaucoup, le caractère rituel de cette faveur accordée par l'État. Dans le contexte tumultueux et xénophobe de la crise séparatiste des années 1890, le sentiment d'appartenance des pêcheurs naturalisés à leur patrie d'origine fut violemment attaqué et leur statut de citoyen remis en cause. Pour les pêcheurs italiens naturalisés et leur famille, très nombreux dans certaines villes du littoral, l'obtention de la nationalité freina plus qu'elle aiguillonna leur intégration dans la société locale.

              6 Afin de mieux cerner le jeu d'échelle des appartenances nationale et locale, notre étude porte sur Bône, important centre de pêche du littoral oriental. Première ville italienne de la colonie (8), Bône est au début du XXe siècle la quatrième ville d'Algérie tant du point de vue du peuplement (plus de 40 000 habitants soit quatre fois plus qu'en 1861) que du point de vue économique. Sa prospérité s'est construite autour de l'activité portuaire tournée vers l'exportation des richesses minières du Constantinois et des ressources agricoles et forestières de son arrondissement. Mais l'expansion et le peuplement de la ville tout au long du XIXe siècle furent surtout liés au développement de l'industrie halieutique, en particulier de la pêche du corail. La longue histoire qui lie Bône à cette activité aide à comprendre comment cette ville est devenue le premier espace d'implantation italienne de la colonie et dessine l'histoire de l'autre colonisation, la colonisation maritime (9).

Territorialisation et nationalisation
de la pêche algérienne (1832-1888)

              7 Si, dans les deux premières décennies de la présence française, les modalités d'occupation et de colonisation du territoire algérien sont demeurées incertaines (Blais, 2012), le gouvernement royal fixa cependant rapidement l'organisation maritime de ses " possessions françaises dans le nord de l'Afrique ". Il s'empressa de réglementer les conditions de cabotage et de pêche sur les côtes algériennes. L'enjeu était de taille puisqu'il s'agissait de sécuriser le commerce et la navigation et de garantir la souveraineté française sur l'exploitation des ressources halieutiques contre des concurrents européens déjà bien implantés dans la région. Un retour sur cette législation montre que le protectionnisme des premières décennies d'occupation, en partie hérité de l'ancien régime des concessions, évolue peu à peu vers une nationalisation totale des biens de production et des acteurs maritimes.

              8 Depuis plusieurs siècles déjà, la France, la Grande-Bretagne et les puissances italiennes se disputaient la lucrative pêche du corail qui s'effectuait chaque année le long de la côte joignant Bône à l'île tunisienne de Tabarka. Entre le XVIe et le milieu du XVIIIe siècle, plusieurs pêcheries avaient été installées en différents points du rivage par des négociants marseillais et génois (Gourdin, 2008). À partir de 1741, la France avait obtenu le monopole de l'exploitation du corail confié à la Compagnie Royale d'Afrique (Lopez, 2013). Des négociants basés à Livourne, à Torre del Greco, et dans une moindre mesure à Gênes, constituaient les pôles concurrents de Marseille. Ils armaient plusieurs dizaines de navires pour les campagnes de pêche et possédaient d'importantes manufactures, certaines comptant plusieurs centaines d'ouvriers (Miège, 1980 : 150). Au fur et à mesure que la zone était délaissée par les navires français, les Italiens s'imposèrent comme les maîtres de la pêche du corail dans la région (10).

              9 Le début de la conquête française, en particulier la prise de Bône (27 mars 1832), marquaient une rupture. Le 31 mars 1832, l'ancien système des monopoles fut remplacé par un régime de préférence nationale inspiré du " libéralisme internationaliste " naissant (Todd, 2008 : 241) (11). L'apanage de la Compagnie Royale d'Afrique fut supprimé et les navires battant sous pavillon étranger soumis au paiement d'un droit de patente relativement élevé (12).
              Cependant, entre 1832 et 1837, en moyenne neuf navires français seulement rejoignaient le littoral contre 131 navires italiens (13). À l'inefficacité d'une telle mesure s'ajoutait l'indignation des corailleurs italiens et de leurs consuls qui obtinrent en 1844 une révision du permis de pêche (14). La France n'envisageait pas d'interdire la pêche et le bornage aux étrangers. Dans le cadre de la guerre de conquête, les corailleurs italiens, familiers des voies de mer et des littoraux, s'étaient imposés très vite comme des auxiliaires indispensables aux yeux des autorités militaires et civiles. Courtisés par l'armée pour assurer le transport des vivres destinées au ravitaillement des troupes, ils servaient également d'interprètes et de messagers quand ils n'étaient pas des contrebandiers fournissant la résistance autochtone en poudre et en armes (Fettah, 2001 : 158).

              10 Après la création du service maritime de l'Algérie par l'ordonnance royale du 10 août 1834, Jean-Jacques Baude, fervent partisan du peuplement, insista sur le besoin de s'appuyer sur la " marine italienne " pour développer la colonisation du Tell algérien (Baude, 1835). Baude s'était convaincu que " par la multiplicité de leurs relations sur la côte d'Afrique, les Italiens [étaient] plus en mesure que les émigrants d'aucune autre nation d'y contracter des engagements durables " (Baude, 1841 : 258). Son ambition était de faire de Bône la capitale du corail en Méditerranée en lieu et place de Torre del Greco et de Livourne. Il proposait d'y créer une " caisse des corailleurs " pouvant avancer des fonds sur dépôt et implanter une colonie maritime indépendante du marché italien. Mais les propositions soumises par le premier théoricien de la colonisation maritime en Algérie ne furent pas retenues par le gouvernement Soult (1840-1847) auquel l'idée ne plaisait guère de favoriser l'implantation de ressortissants de puissances étrangères concurrentes sur un territoire qui n'était pas encore totalement conquis. Il préféra encourager la fondation de villages de pêcheurs métropolitains à Guyotville (1845), à Fouka (1846) ou encore à Sidi-Ferruch (1848), qui se soldèrent toutes par un échec (Bernard, 1903) (15).

              11 En 1852, le sous-commissaire de la Marine à Alger relança l'idée de créer en Algérie un village sur le modèle de Torre del Greco (16). L'emplacement de Bône, où était déjà installé un petit groupe de patrons-corailleurs italiens, restait privilégié. Fouque réclamait notamment l'inscription maritime de onze patrons corailleurs et de cinquante membres d'équipage installés à Bône depuis les années 1830. En élargissant les bénéfices du régime de l'inscription maritime aux marins étrangers résidant en Algérie, il espérait inciter un plus grand nombre de corailleurs à s'y sédentariser (17). Comme Baude, Fouque se confronta à l'immobilisme des autorités parisiennes et à la réticence d'élargir aux étrangers des bénéfices destinés aux nationaux. Les barques sous pavillons italiens continuèrent cependant d'exercer un quasi-monopole sur la pêche du corail (Miège, 1980 : 162).

              12 Le 13 juin 1862, une convention sur la navigation fut signée entre le ministre des Affaires étrangères français Edouard Thouvenel et le jeune royaume italien. Ce dernier obtint du Quai d'Orsay un régime de faveur lui permettant de conserver sa prédominance sur la pêche et la transformation du corail (18).
              L'enquête française sur le commerce et la navigation algérienne menée de 1860 à 1862 avait pourtant conclu que la colonie ne retirait " aucun avantage de la pêche du corail à l'exception de la faible dépense que les marins étrangers font le jour de leur débarquement " (19). L'administration maritime algérienne, qui réclamait d'imposer plus fortement les navires italiens, n'avait pas été entendue par Paris.

              13 Reprenant les principes énoncés par Baude puis Fouque, le ministre de la Marine et des Colonies, Prosper Chasseloup-Laubat, élabora alors un statut de navires dits " francisés " en élargissant l'exemption du droit de patente. Le décret du 1er juin 1864 imposa ce nouveau statut aux barques construites en France ou en Algérie et celles dont l'armateur, quelque soit sa nationalité, justifiait d'une année de résidence (20). Ce statut de navires dits " francisés " n'imposait pas la nationalité comme condition de dégrèvement mais la résidence de courte durée. Il s'inspirait du décret du 7 septembre 1856 sur la marine marchande qui avait créé une " francisation spéciale " ou " francisation coloniale " selon les termes employés dans le texte (21). Ces bateaux, comme leur équipage qui pouvait être entièrement composé d'étrangers, passaient ainsi sous la juridiction française et étaient désormais soumis aux " lois et règlements de police et autres, applicables aux équipages des bateaux français " (22).

              14 Le décret de 1864 fut d'abord mal accueilli par les autorités consulaires italiennes puisqu'il réduisait considérablement leur pouvoir de surveillance et de contrôle des navires. Elles reprochaient à l'administration maritime française de renouveler les cartes d'embarquement délivrées à des individus qui s'étaient soustraits aux obligations militaires (23). Les consuls s'étaient toutefois résolus à reconnaître la souveraineté française, le nouveau régime profitant largement aux corailleurs italiens. En effet, les armateurs italiens francisaient en nombre leurs navires, louant à leurs homologues installés en Algérie des certificats de résidence ou montant sur place des bateaux importés de la péninsule en pièces détachées (Pénissat, 1889 : 23).

Fig 1 : Graphique. Bateaux corailleurs français et italiens participant aux campagnes de pêche sur les côtes algériennes, 1845-1875
(source : Miège, 1980, 162)

              15 Si les corallines italiennes arboraient désormais majoritairement un pavillon français, le montant des prestations perçu par le Gouvernement Général avait considérablement chuté passant de 200 000 francs annuels à 30 000 francs après 1864 (24). En outre, l'industrie de la pêche demeurait aux mains des Italiens dont la majeure partie ne résidait pas dans la colonie. Les bateaux étaient construits en Italie, le produit de la pêche recueilli, exploité, et vendu par les Italiens dans leur patrie d'origine. Ce processus d' " étrangéisation " d'une ressource naturelle était incompatible avec la logique privilégiée depuis 1832. Les élus français d'Algérie, soutenus par le Gouvernement Général, réclamèrent alors au gouvernement parisien des mesures radicales, proposant de transférer le principe de nationalité des biens aux hommes (25). Convoquant le sénatus-consulte de 1865, un premier décret, promulgué le 19 décembre 1876, imposa aux armateurs, aux patrons, ainsi qu'aux trois-quarts de l'équipage des corallines, d'être de nationalité française dès lors que le navire arborait un pavillon français, mais il ne fut jamais appliqué (26).

              16 Au début des années 1880, tandis que les relations franco-italiennes se crispaient autour du contentieux tunisien, une partie de l'opinion italienne appela à réviser le traité de 1862 qui arrivait à son terme en 1882. Après l'avoir prorogé à plusieurs reprises jusqu'au 30 avril 1886, les deux puissances finirent par s'asseoir à la table des négociations. L'Italie réclamait la jouissance intégrale du traitement national des navires italiens cabotant sur les côtes françaises de la Méditerranée, ce qu'avaient fini par accepter les négociateurs français, l'ancien ministre du Commerce Maurice Rouvier et l'ambassadeur de France à Rome, Albert Decrais (Billot, 1905 : 71). À la fin du mois de juin, le parlement italien valida le traité tandis qu'en France, sénateurs et députés en refusèrent la ratification. Arguant un protectionnisme total en faveur des Français et étrangers naturalisés installés dans la colonie, le député de Constantine, Gaston Thomson, plaidait pour une fermeture totale de la pêche algérienne aux non-Français (27) accusant notamment l'État italien de considérer la pêche algérienne du corail comme " une industrie nationale " (28). Finalement, les élus algériens, Gaston Thomson en tête, firent adopter, le 1er mars 1888, l'interdiction de la pêche aux navires étrangers dans une limite de trois miles marins (29). Votée dans le contexte plus large de la " rupture douanière " de 1887-1888, cette loi entrava un peu plus les positions de l'Italie dans la région, celle-ci ayant déjà dû revoir sa position en Tunisie quelques années plus tôt après l'instauration du protectorat français en 1881 (Milza, 1981 : 154).

              17 L'évolution de la législation sur la pêche du corail de 1832 à 1888 pourrait résonner comme un long processus d'intégration des ressources maritimes dans le giron français. Pourtant, la présence italienne amena constamment l'État français à redéfinir les contours de sa souveraineté dans le domaine maritime. Si celle-ci fut très vite promulguée, le recours aux pêcheurs italiens demeura indispensable et imposa, comme en Tunisie (Lewis, 2014), de reconsidérer constamment le statut des biens et des personnes extra nationaux. Le cas de la pêche du corail en Algérie montre ainsi comment la France échoua à s'approprier pleinement les ressources maritimes et leur exploitation. En soumettant les marins-pêcheurs italiens à des conditions de plus en plus restrictives, la territorialisation et la nationalisation de la pêche les encouragèrent à élaborer des stratégies de contournement et contribuèrent notamment à faire de la naturalisation un simple permis de pêche.

Un usage économique de la naturalisation

              18 L'évolution de la législation sur la pêche et la navigation est aisément lisible sur la courbe globale des naturalisations contractées par les Italiens en Algérie. Ces derniers la sollicitent plus que n'importe quelle autre population, à l'exception, à certaines périodes, des Allemands dans le contexte délicat de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 (Di Costanzo, 2001 : 163) (30). Entre 1866, date à laquelle entre en vigueur le sénatus-consulte de 1865, et 1898, 7 822 Italiens sont naturalisés par les municipalités algériennes, soit 29% des naturalisations attribuées pour la période, étrangers européens et Algériens musulmans confondus (31). C'est d'avantage que les Allemands (23,5%) et les Espagnols pourtant trois fois plus nombreux (17,5%) (32). Plus d'un tiers des naturalisations concernant les Italiens se font dans les cinq années (1885-1889) qui entourent le rejet de la convention franco-italienne de 1886 et l'adoption de la loi de 1888 interdisant la pêche aux étrangers. 1887 et 1888 représentent les deux années les plus fortes avec respectivement 815 et 855 Italiens naturalisés.

Fig 2 : Graphique. Naturalisations algériennes pour les quatre principaux
groupes européens, 1867-1898 (source : Depoid, 1942 : 125)


Fig 3 : Graphique. Comparaison des naturalisations des Italiens en général
et des Italiens exerçant un métier de la mer à Bône (1867-1998)

              19 À Bône, la courbe évolutive des naturalisations suit la même dynamique. Le recensement que nous avons effectué dans le Bulletin Officiel du Gouvernement Général montre que les gens de mer sont les principaux bénéficiaires de la naturalisation3 (33). Entre 1867 et 1898, sur les 900 Italiens qui acquirent la nationalité française auprès de la municipalité bônoise, 465 exercent un métier de la mer soit 51,6%. Sur ces 465 individus, 421 se déclarent marins, matelots ou pêcheurs, et 22 capitaines, patrons ou armateurs (34).

              20 Malgré l'élan des marins-pêcheurs italiens en faveur de la naturalisation, beaucoup n'optèrent pas pour la nationalité tout en continuant de venir pour chaque saison de pêche. Après 1888, certains armateurs italiens envoyaient encore leurs navires depuis Torre del Greco, Livourne ou la Tunisie au mépris de la législation, subissant parfois la répression de la police maritime algérienne (Léon, 1996 : 59). Les barques étaient alors séquestrées, le matériel confisqué, le patron soumis à une lourde amende. L'équipage, qui invoquait toujours un franchissement accidentel des côtes, était alors contraint de s'en remettre au consul pour négocier une révocation des sanctions (35).
              21 D'autres préféraient user de leurs réseaux pour procéder à des ventes fictives et louer de fausses identités pour leurs matelots avec l'aide d'Italiens naturalisés installés à Bône, créant ainsi, comme le remarquait le commissaire de la Marine algérienne, " une industrie nouvelle, celle d'armateurs qui, au prix même d'une faible rétribution, facilitaient l'exploitation de nos côtes par les étrangers " (Pénissat, 1889 : 23). Ce trafic d'identité, que nous ne pouvons approfondir faute de source (36), profita aux armateurs naturalisés qui employaient sur leurs propres bateaux des saisonniers italiens afin de réduire le coût de la main d'œuvre. En 1907, l'Inspecteur technique des pêches maritimes en Algérie, Jean-Paul Bounhiol, relevait :
                             " La loi accorde actuellement aux armateurs la faculté d'introduire un quart d'étrangers dans la composition de leurs équipages. En réalité, ceux-ci sont en majorité composés d'étrangers affublés de faux état civils, ayant loués leurs livrets à de quelconques naturalisés de la veille. " (Bounhiol, 1907 : 8)

              22 Les livrets évoqués sont ceux de l'Inscription maritime qui constituait à la fois l'état civil et le dossier de carrière de chaque marin (Astorkia, 1987). Ce régime fût institué tardivement en Algérie, par le décret du 12 juillet 1880, pour " mettre un terme aux abus des naturalisations demandées in extremis " (Bonnard, 1902 : 28). En effet, pour les mariniers italiens, la naturalisation était, jusqu'en 1880, un moyen de bénéficier de la caisse des Invalides. Celle-ci garantissait à tout marin français âgé de plus de cinquante ans et réunissant plus de 300 mois de navigation, de bénéficier de la pension de demi-solde, sorte de retraite du marin. Les intendants des ports se plaignaient ainsi que beaucoup de pêcheurs italiens demandaient la naturalisation à un âge tardif dans le seul but d'en jouir. En imposant les charges et les obligations militaires aux enfants des naturalisés prévus par le statut d'inscrit maritime, ils espéraient faire coïncider naturalisation et sédentarisation.

              23 Car parmi ces marins " naturalisés de fraîche date " (37), tous ne résidaient pas durablement dans la colonie continuant leurs allers-retours entre les deux littoraux comme les pêcheurs de poissons bleus (migrateurs) originaires de Trani, petit village du littoral Adriatique au nord de Bari. Très nombreux à Bône à la fin du XIXe siècle, ils formaient une communauté close au sein de laquelle l'endogamie familiale et sociale était très forte (Stéphan, 1914 : 5). Migrant au rythme des déplacements des bancs, ils ne s'installaient jamais bien longtemps près des zones de pêche (38). Beaucoup de pêcheurs habitaient dans les nombreux ports de la Régence tunisienne à Porto Farina, Bizerte, La Goulette. Ils se rendaient à Bône pour la saison de pêche, logeaient chez une connaissance dans le quartier de la Marine ou dormaient directement à bord de leur balancelle (39). Les incessantes pérégrinations des pêcheurs naturalisés étaient vivement dénoncées par l'administration algérienne qui considérait que le décret qui les rattachait à la France n'était pour eux qu' " une formule vide, engageant le présent, nullement l'avenir " (Billiard, 1905 : 277). La procédure de naturalisation était alors au cœur des critiques. Dans les villes où les pêcheurs naturalisés étaient nombreuses comme Bône, les maires et leurs adjoints étaient soupçonnés de brader la nationalité à ces " hermaphrodites de nationalité " (Bonnard, 1902 : 45), accusés de rester liés à leur patrie d'origine.

Les travers de la " naturalisation algérienne "

              24 La " naturalisation algérienne ", appellation utilisée par le personnel du ministère de la Justice pour la distinguer de celle soumise par les étrangers en métropole, résultait d'une procédure singulière. Le décret d'application du 21 avril 1866 avait supprimé l'admission à domicile requise en métropole, réduit la durée de stage (résidence) de dix à trois ans et le droit de sceau de dix à un franc (40). L'administration locale demeurait le principal référent pour le décisionnaire final qu'était le garde des sceaux parisien. Si le dossier franchissait toutes les strates de l'administration, du sous-préfet au ministre de la Justice en passant par le Gouverneur Général, il était rare que le maire soit désavoué par les autorités intermédiaires, toutes se fiant le plus souvent aveuglément aux résultats de l'enquête produite avec le concours de sa police locale (Blévis, 2004 : 430).

              25 En Algérie, les élus municipaux disposaient d'un pouvoir considérable sur la gestion des affaires locales (Guignard, 2010 : 207). Dans l'instruction des dossiers de naturalisation, leur marge de manœuvre était liée à la distance qui les séparait de l'autorité décisionnaire (le ministre de la Justice) et à l'importance de la naturalisation comme instrument de régulation des flux migratoires et de peuplement (Vermeren, 2012). De nombreuses critiques étaient émises sur le respect de la procédure (41). Leur examen révèle que plus d'un sur deux ne contient pas la totalité du matériau nécessaire à sa consignation (42). Cette défaillance peut être liée à un défaut de conservation ou aux manipulations postérieures à l'instruction (43), ce qui n'est pas propre aux " naturalisations algériennes " (Lifshitz-Krams, 2002 : 14), mais elle amène à s'interroger aussi sur un éventuel particularisme algérien dans ce domaine.

              26 Dans de nombreux dossiers, les certificats de virginité pénale fournis par l'autorité consulaire italienne n'ont pas été retrouvés. Ces absences étaient parfois signalées par la municipalité qui portait sur le dossier la mention suivante : " Des renseignements ont été vainement demandés aux autorités italiennes sur le compte du postulant ". L'absence d'actes de naissances ou de mariage, pourtant indispensables pour prouver légalement l'identité des candidats, est plus surprenante. Sur demande du consul, ceux-ci devaient être tirés des registres paroissiaux et communaux après 1865 (44) puis traduits par un interprète membre de la chancellerie consulaire afin d'être intégrés au dossier. Comment interpréter le silence de l'administration consulaire ? Celle-ci ne parvenait-elle pas à réunir dans les temps les documents exigés ? Ou bien s'y refusait-t-elle ?

              27 Les correspondances diplomatiques montrent que les consuls s'agaçaient de la politique de naturalisation menée à l'égard des pêcheurs italiens, en particulier à la fin des années 1880 où celles-ci deviennent conséquentes. Ils soulignaient l'acharnement et les " séductions en tout genre " des autorités municipales pour pousser leurs nationaux à solliciter la nationalité française (45). D'un autre côté, l'instruction de dossiers lacunaires peut être attribuée à un certain laxisme ou une certaine tolérance de l'autorité supérieure de la colonie. Quel intérêt pour le maire d'entraver une demande alors même que le Gouvernement Général souhaitait hâter la naturalisation d'un plus grand nombre d'étrangers ? L'autorité municipale joignait même bien souvent des pièces subsidiaires, principalement des lettres d'appui rédigées de la main du maire ou d'une personnalité politique de choix. Si les lettres de recommandations existaient aussi en métropole, elles concernaient jusqu'à six fois plus de dossiers en Algérie (46). Ces pratiques témoignent du jeu des relations au niveau local dans le déroulement de la procédure et laisse entrevoir que la naturalisation pût être en Algérie un faire-valoir sur lequel l'administration locale avait une emprise presque totale.

              28 À Bône, les dénonciations d'abus concernant la procédure de naturalisation se multiplièrent après la loi de 1888 adoptée l'année même de l'accession d'un Italien d'origine à la municipalité, Jérôme Bertagna. Ce dernier, qui avait pour réputation de savoir " obtenir rapidement la naturalisation des Italiens " (47), dirigea la mairie bônoise comme candidat opportuniste jusqu'en 1903, mandat au cours duquel il élabora un vaste réseau de clientèles électoral au centre duquel les pêcheurs italiens naturalisés jouaient un rôle déterminant (Guignard, 2010 : 190). Les dossiers de protestation aux élections législatives transmises à la Chambre des députés donnent une idée très précise du vaste empire financier construit par Bertagna et des acteurs, de leur rôle, et du fonctionnement du système de fraude électorale qui lui assurait la mainmise sur l'issue des élections. Tous les moyens étaient employés : abus de pouvoir, trafic de cartes et de listes électorales, corruption massive d'électeurs, pressions administratives et patronales, bourrage d'urnes et bien d'autres stratagèmes.

              29 Jérôme Bertagna et son frère Dominique possédaient de puissants intérêts dans l'ensemble de l'arrondissement qui leur permettaient de maintenir une emprise sur les principaux secteurs de la vie économique : le commerce et la construction, l'agriculture et les forêts, mais surtout la pêche et la navigation (Prochaska, 1988). La proximité des frères Bertagna avec la classe maritime italienne était liée à la fonction de courtier en marchandises au port exercée par Jérôme Bertagna au début des années 1870, ainsi qu'à son implication dans les projets de construction de la grande darse au cours des années 1880. Interrogé par les parlementaires métropolitains en 1898 lors de la grande enquête sur les fraudes électorales dans la circonscription de Bône, Dominique Bertagna avançait ainsi :
                             " J'ai beaucoup d'autorité sur les pêcheurs, les marins, les ouvriers du port ; je vis au milieu d'eux ; je parle leur langage ; j'en emploie beaucoup [...] Lorsqu'une élection a lieu, ils viennent toujours me demander conseil, me déclarer qu'ils voteront pour mon candidat. " (Guignard, 2008 : 411)

              30 Pour la plupart pauvres et analphabètes, les pêcheurs naturalisés avaient la réputation d'être facilement corruptibles et de vouer aux Bertagna une fidélité aveugle (Stéphan, 1914 : 2) (48). Le 28 mai 1898, le Comité de Bône contre l'élection de Gaston Thomson, député du Constantinois de 1877 à 1932 et allié des Bertagna, adressa un long réquisitoire à la chambre des députés. Ses représentants condamnaient " la facilité déplorable " avec laquelle la France avait ouvert la citoyenneté :
                             " […] à une foule de pêcheurs napolitains et siciliens […] qui ne logent même pas à terre, qui vivent dans leurs barques, qui s'en retournent en pays natal pendant une bonne partie de l'année, qui - chose incroyable, mais cependant bien des fois signalée à notre ministre de la marine - restent inscrits sur les contrôles de la flotte italienne, ces gens, disons-nous, ne s'intéressent pas à vrai dire, à nos affaires politiques ou municipales. " (49)

              31 Si aucune élection législative ne fut jamais annulée, la multiplication des plaintes mettant en cause les pêcheurs naturalisés renforcèrent l'idée selon laquelle ils monnayaient leur vote en échange de la naturalisation et n'attachaient aucune valeur à l'exercice de leurs droits politiques.

              32 En 1899, les députés radicaux-antijuifs sortis vainqueurs des élections de mai 1898, soumirent un projet de loi exigeant l'abrogation de l'article 3 du Sénatus-consulte de 1865 qui permettait aux étrangers de solliciter la naturalisation (50). Intitulé " Proposition de loi rapportant les décrets de naturalisation accordés aux pêcheurs étrangers du littoral algérien ", le texte, incriminait les " pêcheurs napolitains […] Français d'étiquette ". Il s'appuyait sur un article du Réveil Bônois de 1895 dans lequel était blâmé le procédé frauduleux par lequel les marins italiens obtenaient à Bône la naturalisation. Le projet exigeait que " les décrets de naturalisation accordés aux étrangers qui exercent la profession de pêcheur sur les côtes de l'Algérie soient déclarés nuls et de nul effet " (51). Citant un rapport dans lequel le consul général de France à Naples affirmait que les naturalisations étaient considérées " comme nulles par la loi italienne et exigeait d'eux la conscription malgré qu'ils aient déjà servis sous les drapeaux français " (52), ils pensaient faire plier l'opinion métropolitaine particulièrement inquiète de la crise séparatiste qui touchait alors l'Algérie.

              33 Jamais adopté, le projet de loi de 1899 avait été rédigé dans un contexte très particulier de xénophobie à l'encontre des étrangers et des Français d'ascendance étrangère qui composent alors la majorité de la population européenne de la colonie. Durant le gouvernement d'Édouard Laferrière (1898-1900), les ouvriers étrangers subissent une politique d'exclusion qui se traduit par l'instauration de quotas ouvriers et une très nette augmentation des expulsions (53). Les étrangers naturalisés sont désignés comme les responsables de la crise qui frappe l'Algérie, présentée par Didier Guignard comme un ensemble de " crises concomitantes " économiques et politiques (Guignard, 2012). Cette période de troubles, qui atteint son apogée en 1898 avec la victoire des députés radicaux-antijuifs aux législatives, a pu être présentée comme un moment fondateur de l'identité de la population française d'Algérie (Zack, 2002 : 159). Elle fut surtout un moment de désunion.

              34 Décidé à réformer l'organisation administrative de la colonie, Edouard Laferrière promulgua, le 23 août 1898, un décret créant les Délégations financières, accordant l'autonomie budgétaire revendiquée de longue date par le colonat français. Les modalités électorales innovaient en ce sens qu'elles instauraient pour la première fois une distinction entre Français selon leur ascendance. Le texte initial prévoyait que cette nouvelle assemblée soit dirigée par un conseil à trois collèges élus chacun par trois catégories d'électeurs tous âgés de plus de 25 ans : les colons, les non-colons, les " indigènes musulmans ". Pour les deux premiers collèges, les élections étaient réservées, sous certaines conditions, aux seuls Français de naissance. Une circulaire confidentielle signée Henri de Peyerimhoff, alors chef de cabinet du Gouverneur, enjoignit de " considérer comme étrangers les citoyens nés en territoire français d'un père étranger, si douze ans ne se [sont] pas écoulés depuis leur vingt-deuxième année " (Bouveresse, 2008 : t.1, 94). Autrement dit, selon le décret du 23 août 1898, les Français naturalisés et les fils d'étrangers devenus Français par le biais de la loi de 1889 ne pouvaient participer à la première élection pour cette assemblée censée représenter l'ensemble des citoyens et sujets français d'Algérie.

              35 Si, comme en métropole, un stage de dix ans avait été établi en 1889 pour les naturalisés par décret aux élections législatives (Weil, 2005 : 370), jamais une exclusion liée aux modalités d'acquisition de la nationalité n'avait était envisagée pour des élections locales. Satisfaction était ainsi donnée aux revendications de tous ceux qui reconnaissaient que l'assimilation politique et sociale des fils d'étrangers habitant l'Algérie restait incomplète. La population maritime italienne naturalisée était spécifiquement visée en raison notamment du maintien supposé de liens avec leur patrie d'origine, de traditions culturelles et religieuses très marquées et d'un taux de scolarisation très faible de leurs enfants. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que l'industrie halieutique algérienne se trouvait dans un état alarmant (Bounhiol, 1921), les pêcheurs italiens naturalisés continuaient d'incarner le contre-modèle de l'assimilation voulu par la République. La stigmatisation des pêcheurs naturalisés primitifs, vivant en monde clos sur un modèle tribal, pour lesquels la naturalisation n'avait en rien rompu les liens supposés avec leur patrie d'origine, perdura ainsi dans les discours jusqu'à la fin des années 1930.

Conclusion
              36 En fin de compte, l'histoire de la colonisation maritime invite à repenser le récit de la construction de la francité en Algérie. Déjà parce qu'elle bouscule l'image d'une nationalisation planifiée du territoire colonisé et de ses ressources naturelles. Comme le montre Julia Clancy-Smith pour la Tunisie (2011 : 343), les stratégies de contournement des règlements de la pêche élaborées par la population maritime italienne mettent en évidence le caractère d'improvisation constante de la puissance coloniale pour maîtriser son domaine maritime et la perméabilité des frontières matérielles et immatérielles qu'elle tente d'imposer aux individus. Si elle a pu être présentée à l'époque comme une réussite parce qu'elle accroissait le nombre des demandes de naturalisation (Démontès et Mandeville, 1900), l'application de la préférence nationale à la pêche produit aussi des effets pernicieux. Non seulement elle encourage la fraude, l'emploi illégal de marins étrangers et le trafic d'identité, mais elle entraîne aussi la dégradation de l'industrie halieutique au fil des décennies en privilégiant une politique de contrôle et de répression.

              37 Plus encore, le rejet des pêcheurs italiens naturalisés à la fin du XIXe siècle montre que l'acquisition de la nationalité ne peut être considérée comme " un critère évident d'intégration " (Schor, 1996 : 116) et encore moins comme une garantie du respect par la République du statut a priori indivisible de citoyen. Ainsi, l'ouverture de la nationalité en Algérie n'a nullement découlé sur une fusion immédiate des Français d'Algérie. L'auto-désignation " Algériens ", qui émergea au moment de la crise de fin de siècle comme une forme de dissidence à l'encontre de la métropole, bien qu'interprétée par l'historiographie comme la marque d'un sentiment d'appartenance commune des Français d'Algérie, n'incluait pas de facto l'ensemble des nationaux. Se structurant surtout autour d'un lieu de naissance commun, l'Algérie, elle pouvait exclure autant les sujets algériens musulmans, les Français de métropole d'immigration récente et les étrangers nés hors d'Algérie, dont une large frange était alors des pêcheurs italiens naturalisés.

Véronique Litaudon
Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) Cnrs-AMU Service des publications.
https://journals.openedition.org/remmm/2570

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Notes
              1 Bonnard, 1902 : 45.
              2 C'est l'interprétation qu'en fait Charles-Robert Ageron (1979 : 119). Dans les deux décennies suivantes, le défrichement par nationalité des différentes immigrations espagnole (Jordi, 1986), italienne (Crespo, 2000), maltaise (Donato, 1985), allemande et suisse (Di Costanzo, 2001), alsacienne-lorraine (Fisher, 1999) n'a pas dérogé à cette lecture.
              3 Si la présence étrangère est déjà forte au début de la période coloniale, l'immigration étrangère ne devient conséquente qu'au tournant des années 1870 (Vermeren, 2012).
              4 Ces débats, particulièrement intenses dans les quinze jours qui précèdent l'adoption du texte, ont beaucoup été étudiés pour ce qui est des Algériens musulmans et juifs, et moins pour les étrangers.
              5 Le sénatus-consulte de 1863 marque le début de la " dislocation " de la propriété indigène et de la " colonisation officielle " qui se poursuit dans les premières décennies de la Troisième République.
              6 Un premier projet de loi de naturalisation des étrangers formulé en 1846 avait été soumis à la fin de la Monarchie de Juillet mais n'avait pas abouti (Sessions, 2002).
              7 De 1876 à 1893, en moyenne, 1 652 émigrants déclarent se rendre chaque année en Algérie tandis que 766 seulement déclarent rejoindre la Tunisie. Ces chiffres, tirés de l'Annuario statistico del l'emigrazione italiana, ne prennent pas en compte l'émigration clandestine, particulièrement importante vers ces deux régions (Clancy-Smith, 2011).
              8 La colonie italienne de Bône (1 647 en 1852, 3 746 en 1872, 7 840 en 1906) est la plus importante d'Algérie jusqu'aux années 1920.
              9 Grande absente de l'histoire de la colonisation de l'Algérie, cette question ne figure ni dans l'ouvrage référence de Charles-André Julien (1964), ni dans les synthèses postérieures sur l'histoire de la colonisation de l'Algérie qui se sont toutes focalisées sur l'occupation des terres et la colonisation agricole.
              10 Entre 1817 et 1826, la moyenne de bateaux français sur la " côte du corail " ne dépassa pas 12% (Miège, 1980 : 151).
              11 Selon D. Todd, le " libéralisme internationaliste " ou " nationalisme de marché " constitue la première forme de protectionnisme économique porté dès 1830 en France par les libéraux tels Adolphe Thiers.
              12 Moniteur Algérien du 2 avril 1832, arrêté du 31 mars 1832. Le texte imposait à tout navire cabotant sur le littoral de se munir d'un permis de pêche moyennant le paiement d'un droit. Ce droit avait été élargi à tout le littoral tunisien après la signature du traité du 24 octobre 1832.
              13 Ministère de la Guerre, Tableau de la situation des établissements français dans l'Algérie, Paris, Imprimerie Royale, février 1838, p. 357.
              14 L'ordonnance du 9 novembre 1844 fixa la taxe à 800 francs pour l'année entière.
              15 Les trois projets, trop coûteux aux vues des résultats, ne furent pas poursuivis.
              16 ANOM, F80/1558, rapport du sous-commissaire de la Marine à Alger au GGA, 8 mai 1852.
              17 Le régime de l'Inscription maritime permettait aux marins de bénéficier d'une sorte d'assurance vie en cas de décès ou de disparition en mer et d'une retraite par l'intermédiaire de la Caisse des Invalides.
              18 Bulletin Officiel du Gouvernement Général de l'Algérie (BOGGA), 1863, convention franco-italienne du 13 juin 1862. L'article 14 stipulait que le " droit de pêche imposé actuellement aux pêcheurs de corail italiens sur l'Algérie sera réduit de moitié ".
              19 Enquête sur le commerce et la navigation en Algérie, Alger, Bastide, 1863, p. 114.
              20 BOGGA, 1864, décret du 1er juin 1864, articles 2 et 3. Comme le mentionne l'article 3, pour être exonéré, l'armateur devait engager soit un mousse, soit un novice de 16 à 18 ans, soit deux matelots, résidant depuis au moins un an en Algérie.
              21 La " francisation coloniale " donnait le droit de naviguer librement sur les seules côtes de l'Algérie. L'article 1 du décret du 7 septembre 1856 donnait la possibilité aux armateurs étrangers ayant élu résidence en Algérie de naviguer sous pavillon français et d'être par conséquent exonéré du droit de patente. Ils devaient en revanche s'affranchir d'un droit d'importation de 40 francs par tonneau de jauge (BOGGA, 1856, décret du 7 septembre 1856).
              22 BOGGA, 1864, décret du 1er juin 1864, article 5.
              3 Archivio Storico Diplomatico del Ministero degli Affari Esteri (ASDMAE), Scritture del Ministero degli Affari Esteri del Regno d'Italia (1861-1887), busta 854, rapport du consul général d'Alger au ministre des Affaires Etrangères, 30 septembre 1863.
              24 Journal Officiel (JtO), Chambre des députés, débats parlementaires, séance du 13 juillet 1886, p. 1472.
              25 ANOM, procès-verbaux du conseil de Gouvernement, séance du 22 juillet 1875.
              26 BOGGA, 1876, décret du 19 décembre 1876.
              27 JO, séance du 13 juillet 1886.
              28 Ibid. Il s'appuie ici sur la déposition transmise par le vice-consul de Bône à la Commission d'enquête parlementaire italienne sur la Marine marchande réalisée en 1881 et 1882 dans laquelle les représentants consulaires appelaient le gouvernement à sauvegarder par tous les moyens la liberté de cabotage et de pêche. Voir le second volume de l'Inchiesta parlamentare sulla Marina mercantile (1881-1882). Riassunti dell'Inchiesta orale e scritta, Roma, Tipografia Eredi Botta, 1882.
              29 BOGGA, 1888, loi du 1er mars 1888.
              30 Le chiffre élevé des naturalisations allemandes tient du fait qu'il intègre les Alsaciens-lorrains jusqu'en 1893.
              31 ANOM, 1001, recensements Généraux du Gouvernement Général de l'Algérie.
              32 En 1886, le GGA recensait 144 530 Espagnols sur l'ensemble des trois départements contre 44 315 Italiens.
              33 Chaque décret de naturalisation émis par le ministère de la Justice était publié dans le BOGGA avec les nom, prénom, date et lieu de naissance, de chaque étranger naturalisé.
              34 La distinction entre le simple marin et le patron comme entre le marin et le pêcheur n'était pas systématiquement établie par l'administration algérienne. Les listes nominatives de recensements comme les actes d'état civil laissent apparaître le flou qui entoure ces catégories maritimes.
              35 ASDMAE, Seria A (1888-1891), Algeria, busta 1890. Le carton contient plusieurs affaires du même ordre.
              36 Les archives de l'Inscription maritime de Bône (1882-1951) ont été versées par le dépôt de Paimpol au Service Historique de la Défense de Toulon au début de l'année 2013 et sont en cours de classement.
              37 L'expression est communément employée à l'époque pour désigner les pêcheurs naturalisés d'origine italienne.
              38 Les riches armateurs tranesi possédaient des moyens financiers considérables leur permettant d'équiper les balancelles pour des saisons s'étalant sur plusieurs années. Les hommes partaient alors avec leur famille et s'installaient dans les ports aussi longtemps que durait leur activité (Gangemi, 2007 : 197).
              39 Parmi les 228 Italiens naturalisés exerçant le métier de marin-pêcheur et recensés sur la liste électorale de 1905, plus de la moitié habitaient le quartier de la marine. Une douzaine de familles tranesi déclaraient leur résidence " à bord de la balancelle n°… ".
              40 BOGGA, 1866, décret du 21 avril 1866.
              41 Outre les critiques xénophobes, le favoritisme des élus locaux envers les étrangers était souvent visé lorsqu'il s'agissait de dénoncer les moyens mis en œuvre pour faire échouer les demandes de naturalisation des Algériens.
              42 Dans le cadre de notre thèse, nous avons consulté 154 dossiers de " naturalisations algériennes " conservées aux Archives Nationales. Ils ont été déposés entre 1867 et 1930 (83% d'entre eux ont été instruits avant 1914) et concernent exclusivement des Italiens nés dans la Péninsule, naturalisés par une municipalité algérienne et ayant résidé à Bône. L'échantillon aléatoire (Excel) est tiré d'une base de données réalisée à partir de trois listes électorales (1905, 1919, 1931) retrouvées aux Archives de l'Assemblées Communale et Populaire d'Annaba et contenant au total 854 individus. Les informations tirées des dossiers de naturalisation ont été complétées par les actes d'état civil (ANOM) afin de reconstituer les itinéraires migratoires, professionnels et résidentiels des Italiens naturalisés et de leur parenté.
              43 Le dossier était parfois extrait plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années après sa constitution, pour en retirer un document ou être actualisé.
              44 L'état civil italien est institué sur le modèle français par le décret royal du 15 novembre 1865.
              45 ASDMAE, Serie A (1888-1891), Algeria, busta 1890 : dans Le naturalizzazioni in Algeria (mai 1887), Lugi Testa, vice-consul de Bône, s'inquiétait de la déperdition causée à la patrie italienne par le mouvement des naturalisations et souhaitait trouver les " remèdes ou au moins les moyens pour modérer " cet élan.
              46 Dans l'entre-deux-guerres, pour les Bouches-du-Rhône, Linda Guerry compte un peu moins d'un dossier sur dix recommandé (8% sur 335 dossiers). Pour le Rhône, Jean-Charles Bonnet en dénombre 3% sur 357 dossiers. Dans notre échantillon, près d'un dossier sur cinq est appuyé par une lettre de recommandation (17% sur 254 dossiers) (Guerry, 2013 : 218) (Bonnet, 1977).
              47 AN, C//5366, Elections du 8 mai 1898, lettre d'Amédée Bengin au maire de Randon, 11 juin 1898.
              48 Déplorant la misère des pêcheurs naturalisés, le directeur de l'Inscription maritime de Bône Jean Stéphan estimait qu'un inscrit sur deux était analphabète.
              49 AN, C//5366, Protestation du Comité de Bône contre l'élection de Thomson, 28 mai 1898, par Rouyer, Béguin, Pajot et Nègre.
              50 L'article 3 est celui qui permet aux étrangers résidant depuis trois années de soumettre une demande de naturalisation.
              51 Proposition de loi n°635, Session de 1899, Chambre des députés, Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1899.
              52 Le texte du consul reproduit n'est ni daté, ni signé. Nous n'avons jamais trouvé d'indications laissant croire que l'État italien exigeait des Italiens naturalisés français qu'ils exercent leur service en Italie, du moins avant l'arrivée de Mussolini au pouvoir en 1922. La loi italienne n'introduisit le principe de la double nationalité qu'en 1912.
              53 Le nombre annuel d'expulsions d'étrangers passe de 392 en 1895 à 718 en 1898. Entre 1898 et 1900, 1896 décisions d'expulsion sont prononcées au total. 26% concernent des Italiens. ANOM, 1001, Recensements du Gouvernement Général de l'Algérie.

Références
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CRI DU COEUR
Du Président de VERITAS
Envoyé par Monsieur Alain ALGUDO -- 28 août 2018
Présentation

       Aujourd'hui à l'orée d'une douloureuse décision pour l'avenir de VERITAS et notre revue, en ces moments chargés d'émotions, je prends l'initiative de vous communiquer l'émouvant cri du cœur de son président à ceux de sa génération. Puisse chacun d'entre vous le répercuter à vos enfants :

       " Je lance aujourd'hui un appel solennel aux enfants des Français d'Algérie.... ouvrez les yeux sur le mal qu'on a fait à vos parents... on ne s'est pas contenté de les chasser de leur pays, de leurs demeures, de leurs souvenirs, de leurs certitudes... on a eu peur de leurs dépositions de proscrits car ils sont les derniers témoins d'un abominable déni de justice...
       Alors de victimes, on en a fait des coupables, et la France actuelle pour préserver un mythe, s'agenouille aujourd'hui devant l'ennemi d'hier pour reconnaître les fautes que les Français n'ont pas commises...
       Méfions-nous du politiquement correct, méfions-nous de ces films à vocation commerciale qui ne dévoilent qu'une partie tronquée, dénaturée, de l'œuvre Française en Algérie, car vos descendants pourraient croire que là est la vérité...
       Et vous, enfants de Pieds-Noirs, levez-vous !!! Empêchez vos parents de s'enliser dans une agonie sans fin... Prenez à votre charge, orgueilleusement, la mémoire de l'œuvre accomplie, et jetez-la à la face de ceux qui la dénigrent, car cette œuvre était extraordinaire, éblouissante, admirable !
       Si vous avez le courage et la volonté d'agir ainsi, la mémoire de l'Algérie Française ne se perdra pas... au contraire, elle se bonifiera au cours des générations, et, dans les champs de la mémoire, les moissons seront belles parce que vos semailles auront été bien faites !! "
Le 28 août 2018, P.o       
Alain ALGUDO              
Vice-Président              


Hachakoum
Envoyé par M. Pierre

         Algériepatriotique, s’il vous plait, laissez passer cette blague. Ce n’est qu’une blague racontée par les algériens du temps de Boumediène.

         Devant un magasin d’Alger du temps de Boumediène, il y a une longue chaîne de clients qui attendent. Ils ont entendu dire qu’on va vendre quelque chose, ils ne savent même pas quoi, peut-être du sucre, ou de l’huile ou du savon, n’importe quoi est bon. A cette époque ça se faisait, on attendait sans savoir ce qu’on pouvait acheter, et j’en suis témoin.
         Donc au milieu de la chaîne il y a un jeune qui a envie de péter hachakoum. Il essaye de se retenir comme il peut mais c’est trop difficile. Il ne veut pas perdre sa place et essaye coûte que coûte de ne pas se « lâcher » mais finalement il décide que c’est trop, il ne peut pas se retenir, alors il se met à courir pour péter loin des gens. En le voyant courir, ils se disent, « tiens, ce gars doit sûrement savoir où il y a quelque chose d’intéressant à acheter ya l’khawa ! Suivons-le ! » et ils se mettent tous à courir après lui. Le pauvre jeune homme redouble de vitesse, mais la foule dérrière lui fait de même et le rattrappe. Finalement, il se dit que la seule chose qu’il puisse faire est de s’arrêter et de péter, tant pis pour la h’chouma si tout le monde l’entend. Alors il s’arrête et lâche un tonnerre vrombissant, à faire trembler les vitres à un kilomètre à la ronde, presque à lui déchirer son pantalon.

         La foule s’arrête tout sec, et plusieurs personnes lui demandent à l’unisson : « Ouine chrit elloubia ya khou ?!! » (Où as-tu acheté les haricots ?!!)


ANNALES ALGERIENNES
Tome 1
2ème partie
LIVRE III
Mœurs des Arabes.

               Les idées dominantes d'un peuple, formulées en actes extérieurs, politiques ou sociaux, sont ce qui constitue ses mœurs. Pour bien étudier les mœurs d'un peuple, il faut analyser ceux de ses actes qui se présentent les premiers à l'observation, remonter aux idées qu'ils formulent, et redescendre ensuite par le moyen de ces idées, à l'examen d'actes d'une analyse moins facile. Après cela on doit classer ses observations par ordre d'idées, de manière à pouvoir conclure de ce que fait un peuple dans telle circonstance, ce qu'il fera dans telle autre.

              Plusieurs écueils sont à éviter dans les études de mœurs. Le premier est celui où viennent ordinairement échouer les observateurs étrangers aux études philosophiques. Il consiste en une fausse disposition de l'esprit, qui nous porte à nous exagérer les différences morales qui existent entre les diverses races d'hommes. Préoccupé de l'idée que ce qu'il va voir ne doit ressembler en rien à ce qu'il a vu ailleurs, l'observateur engagé dans cette fausse route, tire souvent, pour le fond, des conséquences hasardées sur quelque dissemblance de forme, et prête à tout un peuple des idées étranges sur des sujets où il est presque toujours d'accord avec le reste de l'humanité.
              D'autres observateurs, que l'on peut appeler microscopiques, ne voient que les différences extérieures des habitudes les plus indifférentes de la vie. Après avoir passé plusieurs années au milieu d'un peuple, ils ignorent encore complètement quelle est la marche générale de ses idées, sur quelle base réelle s'appuient ses préjugés, et par quel moyen rationnel on peut les combattre.

              Mais en revanche, ils savent parfaitement par quels mets il commence ses repas, dans quel ordre il procède à sa toilette, quel est le genou qu'il met en terre dans ses prières, et autres faits aussi futiles. Ces observateurs microscopiques ont en général une haute opinion d'eux-mêmes ; et comme leurs relations, qui sont à la portée des intelligences les plus vulgaires, offrent de temps à autre quelque intérêt de curiosité, il n'est pas rare qu'ils la fassent partager à des esprits paresseux et superficiels.
              Enfin il y a des observateurs qui, par légèreté d'esprit, concluent toujours du particulier au général, semblables à cet anglais qui passant en poste à Fontainebleau, écrivit sur ses tablettes que dans cette ville toutes les femmes étaient rousses et acariâtres, parce qu'il en vit une de cette couleur qui querellait son mari.

              Dans ce que nous allons dire des Arabes de la régence d'Alger, nous chercherons, autant que possible, à éviter ces écueils.
              On regarde généralement comme un trait caractéristique de l'organisation morale des Arabes un attachement non raisonné, mais absolu, aux anciennes coutumes. Ils sont encore, dit-on, ce qu'ils étaient au temps d'Abraham, et rien n'annonce que l'avenir puisse amener le moindre changement dans leur manière d'être.
              Cette assertion est erronée ; car chaque fois que les Arabes ont pu améliorer leur position, ils n'ont pas hésité à le faire. En Espagne, où ils trouvèrent à cultiver une terre fertile, sous la protection de lois équitables et d'un gouvernement régulier, ils abandonnèrent leurs habitudes nomades, et se fixèrent au sol par des habitations et des intérêts permanents. Il en fut de même en Afrique lorsque les circonstances le leur permirent. Quoiqu'ils aient toujours préféré, il est vrai, le séjour des campagnes à celui des villes, de nombreuses et florissantes cités s'établirent sous leur domination, ou furent restaurés par eux. Plusieurs familles arabes s'y mêlèrent, comme nous l'avons déjà dit, aux Maures qui en formaient la principale population ; mais lorsque le gouvernement devint tyrannique, lorsque surtout il cessa d'être national, ils retournèrent à leurs tentes, parce qu'ils ont dans le caractère assez de dignité pour préférer l'indépendance au bien-être physique.

              L'amour des Arabes pour la vie des champs leur est commun avec tous les peuples véritablement jaloux de leur liberté. Dans tous les pays où ce sentiment domine, les campagnes sont couvertes d'habitations. Je citerai la Suisse pour exemple, et certes, personne ne fera aux nobles enfants de cette contrée le reproche d'être en arrière de la civilisation. C'est dans les campagnes que l'homme jouit de toute la plénitude de son existence, et surtout de cette indépendance du foyer domestique, qui est la plus précieuse de toutes. Les devoirs religieux, qui sont une des causes qui rapprochent les hommes des centres de population, sont peu gênants à cet égard pour les Musulmans Le Coran ne leur fait une obligation de la fréquentation des Mosquées qu'autant qu'elles se trouvent dans le voisinage de leurs habitations.
              Ces habitations sont généralement des tentes pour les Arabes; mais cependant sur plusieurs points, et principalement dans la province d'Alger, ce sont des maisons en pierres ou des cabanes en torchis, qui valent bien les chaumières de beaucoup de nos paysans. En parcourant le pays, on rencontre fréquemment des ruines de vastes et belles constructions, qui ont dû être les centres de riches exploitations agricoles, détruites par les guerres intestines, ou par les fautes d'une déplorable administration. On y voit aussi les tristes cadavres de ces cités qui s'éteignirent successivement lorsque le sceptre sortit d'Ismaël.

              Notre arrivée en Afrique a puissamment contribué à dépeupler les villes qui existaient encore à cette époque. Dans la province d'Oran, qui en possédait un grand nombre, les Arabes s'étant révoltés contre les Turcs qui s'y trouvaient, la guerre et le désordre y pénétrèrent avec leur escorte obligée de cruautés et de dévastations. A Mascara, où les Turcs furent ou chassés ou égorgés, plusieurs édifices furent détruits, entre autres le palais des anciens Beys , qui était fort beau. Depuis l'administration d'Abd-el-Kader, qui y règne en ce moment, cette ville commence à réparer ses pertes ; Mais à Tlemcen, où les Turcs et les Kouloughlis occupent encore le Méchouar, la guerre continue et a fait fuir beaucoup d'habitants. Arzew, dont les habitants s'étaient déclarés pour nous, et que nous abandonnâmes à la fureur de nos ennemis communs, a été entièrement détruite; Mostaganem, que le Kaïd Ibrahim et ses Turcs occupèrent longtemps en notre nom, vit ses beaux faubourgs sacrifiés aux besoins de la défense ; les nombreuses maisons de campagne qui couvraient le pays à plus de 2 lieues à la ronde furent aussi presque entièrement démolies.
              Dans la province d'Alger, les dévastations commises par nos troupes, et par nos prétendus Colons, aux portes mêmes de la capitale, sont connues de tout le monde, et nous ne reviendrons pas sur ce pénible sujet. Blida, à peine remise du terrible tremblement de terre qui en renversa une partie en 1826, fut, comme nous l'avons dit, saccagée par l'armée française, en 1830.
              Dans le beylik de Constantine, les cruautés d'Ahmed-Bey ont forcé plusieurs habitants à quitter le chef-lieu ; mais ils sont allés grossir la population de Zamora ou celle de Tugurth. Enfin, notre présence à Bougie en a éloigné tous les Indigènes.
              On voit donc, que par un fâcheux concours de circonstances, dont plusieurs, il est vrai, ont été indépendantes de notre volonté, l'invasion française a dû rendre à un grand nombre de familles Maures ou Arabes, les habitudes nomades qu'elles avaient abandonnées et dans lesquelles nous sommes si disposés à voir un obstacle à tout progrès. On estime à 10,000 le nombre de ces familles émigrées des villes dans l'intérieur.

              Les hommes qui ne tiennent au sol que par le moins de liens possibles, sont ceux qui certainement offrent le moins de prise à la tyrannie. Aussi, est-ce leur amour dominant pour l'indépendance qui pousse les Arabes à cette existence errante qui fut celle de leurs pères, mais qu'ils abandonnent lorsqu'ils peuvent espérer trouver dans un autre genre de vie la même dose de liberté. Cette réflexion n'est point faite au sujet de la liberté politique, telle que nous l'entendons en Europe, mais de cette liberté sociale qui est de tous les instants, et qui consiste à éloigner l'homme du contact trop fréquent des lois et des règles d'une police souvent gênante et tracassière. C'est cette liberté que l'Arabe va chercher sous sa tente ; mais elle lui paraîtrait bien plus douce, s'il pouvait la trouver dans de bonnes maisons où ne viendrait pas loger avec lui la crainte des exactions d'un gouvernement avide ou des attaques d'un ennemi puissant.
              On ne peut être démenti, ni par l'histoire, ni par les faits du moment, en avançant que c'est moins par goût exclusif pour la vie nomade, que par les inconvénients dont elle les affranchit, que les Arabes paraissent tenir si fortement à ce genre d'existence. Quelquefois aussi elle est le résultat de la nature de leurs occupations; ainsi les peuplades qui se consacrent plus particulièrement aux soins des troupeaux, sont nomades par la spécialité de leur industrie. Mais ceci n'est point particulier aux Arabes, car on trouve de ces nomades dans plusieurs contrées de l'Europe, surtout en Espagne, et même en France.

              Au reste, dans la régence d'Alger, c'est au-delà des chaînes de l'Atlas qu'il faut aller chercher les véritables Nomades errant à leur choix dans de vastes étendues de pays. Dans les vallées de l'Atlas, et surtout dans les plaines du bord de la mer, les tribus ont des territoires distincts et leurs changements de domicile ne s'opèrent que dans des limites resserrées, à moins de quelque danger imminent, auquel cas elles émigrent au loin, sûres de trouver partout de la terre et de l'eau.
              Dans la plaine de la Métidja, qui nous intéresse plus particulièrement, on trouve d'assez beaux villages fixes, appelés Djemaa, dont quelques habitations sont en pierre, et dont les autres, que l'on appelle Gourbis, sont ces cabanes en torchis dont nous avons parlé plus haut ; on appelle Haouchs les agglomérations de populations inférieures aux Djemâa. Ces Haouchs et Djemâa, sont en général bien situés, entourés de jardins et de beaux arbres qui cri rendent le séjour fort agréable. Entre les villages et les Haouchs ou fermes, qui par leurs dispositions et souvent leur construction rappellent nos hameaux d'Europe ; on rencontre par-ci par-là quelques tentes qui réveillent les idées que dans nos préventions Européennes nous nous formons de l'Afrique en général. Les réunions de tentes forment des douars ; mais ce n'est pas dans la province d'Alger que le voyageur peut prendre une idée exacte de ces sortes de campements il faut les voir dans les vastes plaines de la province d'Oran, dans la partie méridionale de celle de Constantine, et surtout dans le Sahara où aucun des Français établis dans la Régence n'a encore pénétré. Ces douars sont formés de tentes en tissu de poil de chameau noir ou brun, et disposé en cercle de manière à laisser dans le centre un grand espace vide, où l'on enferme la nuit les troupeaux, pour peu que l'on ait sujet de craindre les voleurs ou les animaux de proie. Les chevaux sont entravés à des cordes tendues auprès de chaque tente; les armes et les selles sont toujours prêtes et sous la main, de sorte qu'en moins de cinq minutes, tout le douar peut être à cheval. En cas d'alerte, pendant que les guerriers sont ainsi sous les armes, les tentes et les bagages sont pliés et chargés sur les chameaux et sur les mules par les femmes, les enfants et les vieillards ; et rien n'égale la promptitude avec laquelle toute la peuplade est en marche pour fuir le danger, si elle ne se sent pas de force à le braver.

              En temps de paix, l'existence intérieure des Arabes, tant dans leurs villages fixes que dans leurs douars, diffère peu de celle de nos campagnards, si ce n'est qu'elle est moins occupée, parce qu'en général ils demandent moins à la terre. On est porté généralement à voir partout des différences notables entre nous et les Arabes. Une étude réfléchie fait reconnaître que ces différences ne portent que sur des objets de peu d'importance, sur des détails de ménage, sur quelques habitudes du corps, et surtout sur le costume que tout le monde connaît maintenant, et que par cette raison il est inutile de décrire.
              Les Arabes sont en général doux pour leurs femmes, tendres pour leurs enfants, bienveillants pour leurs serviteurs, et très polis entre eux. Ils remplissent avec exactitude tous les devoirs de la vie sociale, ce qui rend leur commerce agréable. Ceux que leur position met un peu au-dessus du commun, sont remarquables par le choix et la délicatesse de leurs expressions dans leurs relations de politesse, et ne seraient certainement déplacés dans aucun salon, indépendamment de l'étrangeté qui les y ferait admettre comme objets de curiosité. A la paix qui fut faite avec les Hadjoutes, au mois de mai 1834, le Kaïd de cette tribu vint à Alger, où il n'avait pas paru depuis longtemps, et fut reçu avec distinction par le général Voirol qui l'engagea à dîner. Il ne parut nullement étonné de ce monde nouveau où il se trouvait transporté pour la première fois, et vit de suite le rôle qu'il devait jouer. Lorsqu'on vint annoncer qu'on était servi, il offrit son bras à la maîtresse de la maison. Pendant le dîner, le général lui ayant demandé combien il avait de femmes, il répondit qu'il en avait trois, mais que s'il avait été assez heureux pour en trouver une aussi accomplie que madame Voirol, il n'en aurait jamais eu d'autre. Ce compliment est certainement des plus gracieux, et démontre une grande délicatesse de sentiments.

              L'existence des femmes est loin d'être aussi malheureuse chez les Arabes, et même chez les Maures, qu'on le croit en Europe. Les lois et les usages du pays leur accordent des droits indépendants des caprices de leurs maris, et dont elles usent largement. Aussitôt qu'une dispute conjugale prend un caractère un peu sérieux, la femme menace de l'intervention de la justice, qui est presque toujours pour elle. Aussi, en Barbarie, comme en France, c'est le beau sexe qui tient ordinairement le sceptre du ménage. Ce sceptre est rarement partagé, car il n'y a que peu de maris qui, comme le Kaïd des Hadjoutes, profitent du bénéfice de polygamie. La plupart se contentent d'une seule femme, dont ils sont encore plus souvent les serviteurs soumis que les maîtres, tout comme dans les contrées de l'Europe.
              Les lois rendent les liens conjugaux assez faciles à dénouer ; mais comme on ne peut renvoyer une femme sans lui faire quelques avantages pécuniaires, les répudiations sont peu fréquentes. Les divorces, par consentement mutuel, le sont beaucoup plus : il n'est pas rare de rencontrer des femmes qui ont passé dans les bras de deux ou trois maris encore existants. La femme peut aussi provoquer le divorce, et cela pour des faits qui nous paraîtraient fort extraordinaires. En 1834, le Cadi reçut une demande de séparation d'une femme qui se plaignait que l'organisation de son mari lui rendait trop douloureuse la soumission aux devoirs conjugaux ; le compatissant Cadi, après s'être assuré qu'en effet les formes gigantesques du mari étaient peu en harmonie avec la complexion faible et délicate de la femme, qui n'avait que quatorze ans, prononça le divorce.

              Ce n'est guère que dans les villes que l'usage soumet les femmes à la gênante obligation de ne paraître que voilées ; dans la campagne, ce rigorisme n'existe pas, ou du moins n'existe que rarement, surtout à mesure qu'on s'éloigne de la capitale. Quoiqu'il soit prescrit par le Coran, les Arabes d'Espagne s'en étaient affranchis, puisqu'on a vu à Séville des femmes professer des cours publics de belles-lettres et de sciences. Il paraît que cette tolérance passa des Andalous aux Arabes d'Afrique, qui, dans les campagnes, cachent peu leurs femmes, bien qu'ils en soient assez jaloux. On s'exagère cependant généralement les effets de cette jalousie, dont les résultats sont tragiques quelquefois, il est vrai, mais pas plus souvent que chez nous. Au reste, les maris Africains sont soumis comme tous les autres aux calamités conjugales. Les douars renferment autant d'intrigues amoureuses que nos villes et nos villages d'Europe. Sans entrer dans plus de détails sur ce sujet où l'on trouvera peut-être que je me suis déjà arrêté trop longtemps ; on peut dire, au résumé, en ceci comme dans tout le reste, que tous les hommes ont les mêmes passions, et trouvent toujours à peu près les mêmes moyens de les satisfaire.
              Les Arabes ne manquent ni de délicatesse ni de décence dans leurs amours. Le cynisme, cet enfant grossier et malsain des peuples caducs, est mal reçu parmi eux : ils rougissent souvent comme de jeunes filles à des conversations trop communes parmi nous, et dans lesquelles ils ne s'engagent jamais qu'avec répugnance. Cependant, malgré ce voile de pudeur et de charité, ils ne sont point complètement étrangers à de condamnables écarts ; mais les exemples en sont rares.

              Une femme, de l'ombrage, de l'eau courante, et comme accessoires un peu de tabac et de café, résument toutes les idées de jouissances sensuelles des Arabes. Ils sont assez indifférents pour tout le reste, aussi sont-ils généralement sobres et peu soucieux des aisances de la mollesse.
              Quoique les Arabes aient peu de besoins, ils sont assez avides d'argent, et aiment beaucoup à thésauriser. Cela tient à leur vie errante et à leur organisation politique, les richesses monétaires étant les plus faciles à transporter et à cacher au besoin. Ils ne sont pas toujours de très bonne foi dans leurs transactions commerciales, surtout avec les Européens : ils craignent toujours de ne pas avoir fait d'assez bonnes conditions dans leurs marchés avec eux, de sorte que lorsqu'ils voient qu'on leur accorde sans objection les prix qu'ils demandent, ils se rétractent, disent qu'ils se sont trompés, et en exigent de plus élevés. Cependant ils sont encore bien moins âpres au gain que les marchands européens qui se sont établis à Alger. La vérité me force de dire que dans cette ville, l'avidité mercantile est en rapport direct avec la civilisation.

              Malgré la rapacité qu'on leur reproche, les Arabes exercent gratuitement et avec beaucoup de grandeur, les devoirs de l'hospitalité; ils ont hérité cette vertu de leurs ancêtres. Tout étranger qui se présente chez eux en ami, est bien reçu, sans acception de race ni de religion. Plusieurs officiers ont éprouvé bien souvent les effets de cette hospitalité qu'ils ont toujours trouvée empressée et affectueuse, soit lorsqu'ils ont paru chez les Arabes avec un caractère officiel et les souvenirs de quelques services rendus, soit lorsqu'ils ont parcouru comme simples voyageurs des contrées éloignées où ils étaient entièrement inconnus. Les soins de l'hospitalité sont les seuls, et l'on avouera que c'est bien assez, que les Arabes rendent gratuitement. Si l'on a besoin en outre d'un guide, d'une monture ou de toute autre chose, il faut payer comme partout, et même assez largement. On tombe alors assez souvent entre les mains de gens avides, qui indépendamment du prix convenu, trouvent mille moyens de vous soutirer de petits présents. Lorsqu'ils ont affaire à des Européens, ils y mettent d'autant moins de retenue, qu'ils les supposent tout cousus d'or.
              Les différences de rang sont assez marquées chez les Arabes. L'illustration de la naissance y donne droit aux plus grands égards ; l'homme d'une naissance illustre est celui qui compte parmi ses ancêtres une longue suite de guerriers ou de Marabouts. C'est la double noblesse de l'épée et du sanctuaire, bien concevable chez des peuples qui ont toujours les armes à la main, et dont les principes religieux sont dans toute leur verdeur. Ils font peu de cas des marchands de profession, et, chose assez curieuse, ils se servent comme nous de l'expression d'épicier ou marchand de poivre, pour désigner un homme dont les habitudes, les goûts et les idées ne dépassent pas le comptoir. Les guerriers et les Marabouts forment dans chaque tribu l'ordre des Grands : c'est l'expression consacrée. Ces grands, comme les grands de tous les pays, sont assez disposés à se prévaloir de leur position, et le peuple, comme tous les peuples, se soumet en murmurant plus ou moins à leur exigence. Au reste, la Grandesse est ouverte à tous ceux qui peuvent avoir un cheval et de borines armes avec le courage de s'en servir avec distinction . Il y a chez les Hadjoutes deux ou trois individus qui n'étaient que de simples rayas ou paysans avant notre arrivée en Afrique, et qui maintenant sont au nombre des personnages les plus influents de la tribu.

              Les Marabouts sont des hommes qui se consacrent entièrement à Dieu, et qui se distinguent par leurs vertus et leurs bonnes œuvres. Ils sont en dehors de la hiérarchie sacerdotale : ce sont des saints vivants, placés par l'opinion entre les hommes et les anges, des vases d'élection qui ont le privilège devoir Dieu en face dans leurs extases. Au reste, quoiqu'il soit difficile de dire précisément ce qu'ils sont, il le serait encore plus de dire ce qu'ils ne sont pas ; car lorsque leur réputation est bien établie, ils exercent sur les fidèles un empire absolu. Toute autorité pâlit devant la leur et, chose remarquable, ils font en général un bon usage de cet immense pouvoir. Il est vrai que s'ils voulaient l'employer dans un but mondain, le prestige de leur sainteté disparaîtrait sur-le-champ, ou du moins s'affaiblirait, et l'on ne verrait plus en eux que des hommes politiques attaquables par les moyens ordinaires.
              La qualité de Marabout est indélébile, et se transmet de père en fils; mais l'influence religieuse qui y est attachée, doit s'acheter à chaque génération par les mêmes vertus et la même piété, sans quoi elle disparaît, et il ne reste plus que le titre. Les vrais Marabouts sont des hommes de bien, très instruits en théologie, en législation, et même en histoire. Amis de la paix, peu fanatiques, et toujours disposés à faire régner la concorde entre les tribus, ils sont certainement dignes de trouver, dans cet autre monde, but de tous leurs désirs, la récompense du bien qu'ils font dans celui-ci. Le plus célèbre Marabout de la province d'Alger, Sidi-Mohammed-Moubareck, vieillard vénérable, connu particulièrement de quelques officiers de l'armée, s'est acquis, dans ses rapports avec nous, le respect et la confiance qu'inspirait partout sa vertu.

              Les Marabouts morts en odeur de sainteté, sont ensevelis en grande pompe. On élève sur leurs tombeaux de petites chapelles, et quelquefois des Mosquées, où les Croyants se rendent en pèlerinage.
              Les arts et les sciences ont disparu de chez les Arabes.

              On ne retrouve quelques traces d'instruction scientifique, que chez les Marabouts du premier rang et les hommes de lois. L'ancien Cadi de Blida, qui est maintenant Cadi d'Alger, a quelques notions des sciences exactes. Je l'ai entendu donner des explications assez justes de plusieurs phénomènes célestes, et j'ai vu qu'il comprenait fort bien nos méthodes d'observations astronomiques, quoiqu'il fût hors d'état de les appliquer. Il possède aussi quelques connaissances physiologiques, et les éléments de la philosophie d'Aristote. C'est aux écoles de Fez, dont il est élève, que ce Cadi a puisé cette teinture des sciences. Il regrette beaucoup sa bibliothèque, qu'il perdit dans le sac de Blida en 1830 : il fit là en effet une perte irréparable, car les livres sont très rares chez les Arabes de la Régence.
              L'instruction élémentaire est pour le moins aussi répandue chez eux que chez nous ; il y a des écoles de lecture et d'écriture dans la plupart des villages et des douars. Les Arabes sont en général très aptes aux travaux de l'esprit et s'y livreraient avec succès si la carrière leur en était ouverte. Ils estiment la science, et rendent parfaitement justice aux Européens à cet égard. Ils disent communément que les Chrétiens savent tout, excepté le chemin du salut. Ils font surtout grand cas des médecins : tous les individus de cette profession sont surs d'être bien accueillis en Afrique.

              Je ne répéterai pas ici ce que l'on trouve partout sur les succès obtenus par les Arabes dans les sciences et la littérature au temps de leur splendeur; car chacun sait qu'ils ont apporté plus d'une pierre à ce majestueux édifice des connaissances humaines, qui s'accroît chaque jour.
              Une suite de révolutions, toutes funestes au progrès, les a replongés dans l'ignorance ; mais si leur intelligence sommeille, il ne faut pas croire que le flambeau en soit éteint ; on s'en aperçoit dans leurs relations politiques, où ils se font remarquer par une grande vigueur de raisonnement : la correspondance arabe, conservée dans les archives du gouvernement, en fournit de nombreuses preuves.

              Partout où les tribus ne sont pas maintenues par l'action directe et vigoureuse d'un gouvernement central, elles se font fréquemment la guerre entre elles, pour des sujets très légers ; mais dans l'intérieur même des tribus, les actes de violence individuelle sont assez rares.
              Le sang coule rarement sous le fer de l'assassin dans ce pays que tant de gens ne croient habité que par des êtres féroces. Dans le cours de 1834 on n'a compté que deux assassinats, commis par des Arabes sur d'autres Arabes, dans les Outhans de Krachna, Beni-Mouça, Beni-Khalil et El-Sebt ; il y eut en outre deux européens assassinés en dehors de nos lignes, mais les coupables furent arrêtés par les Arabes eux-mêmes et livrés à la justice française.

              Les vols furent plus nombreux ; mais en somme il est surprenant qu'il ne se commette pas plus de délits dans un pays où la force publique est presque nulle depuis que nous le gouvernons, ou plutôt que nous sommes censés le gouverner.
              La manière dont les Arabes nous font la guerre, leur a acquis parmi nous une grande réputation de cruauté. On sait qu'ils ne font jamais de prisonniers, et qu'à quelques rares exceptions près, ils égorgent tout ce qui leur tombe entre les mains, même les blessés. Ils se montrèrent tels dès les premiers jours de notre débarquement en Afrique. Mais en cela ils obéissaient aux ordres précis du Dey, qui même avait attaché des récompenses pécuniaires à l'exécution de ces dispositions sanguinaires ; or, je doute qu'il y ait une armée européenne où de pareils ordres ne fussent ponctuellement exécutés, s'il entrait dans la politique d'un général de les donner, tout comme ceux du Dey le furent par les Africains. Une fois que la guerre eut pris un caractère de cruauté, elle le garda même après la chute d'Hussein, car le sang appelle le sang. Je dois dire aussi, avec la franchise dont je me suis fait une loi, que nous sommes loin d'avoir donné aux Arabes des leçons d'humanité. Les massacres de Blida sont déjà connus du lecteur ; il verra dans le second volume de cet ouvrage celui de la malheureuse tribu d'Ouffia, et autres actes condamnables.

              Enfin, chose horrible à dire, deux exemples d'anthropophagie ont été donnés dans le cours de nos guerres avec les Arabes, et ce ne sont pas ces derniers qui s'en sont rendus coupables, j'en ai acquis la triste et déplorable conviction.
              Soyons donc bien persuadés que les atrocités qu'entraîne la guerre à sa suite ne sont étrangères à aucune race, et que souvent, dans cette arène sanglante, les peuples les plus civilisés vont plus loin que les plus sauvages.

              Lorsque les passions sont excitées par la haine d'un joug étranger, par les préjugés religieux, ou par les opinions politiques, le meurtre d'un ennemi devient un besoin et paraît un devoir, même aux hommes doux et modérés dans les temps ordinaires. En France, de bons et paisibles laboureurs, dont la conduite a toujours été irréprochable, ne se faisaient pas plus de scrupule, en 1814 et 1815, d'attendre un Prussien ou un Russe à l'affût, que d'abattre un lièvre, et s'en vantent encore aujourd'hui comme d'une action très méritoire. Dans tous les pays de l'Europe où nous avons porté nos armes dans la période de la république et de l'empire, les assassinats commis sur nos soldats ont été, bien plus nombreux qu'en Afrique, où ces évènements tragiques sont véritablement très rares. Les cruautés, les haines de races, ne prouvent donc pas contre la moralité particulière d'un peuple, puisque ce sont malheureusement des taches communes à toute l'humanité. Le temps viendra, peut-être, où ces haines disparaîtront ainsi que les cruautés où elles entraînent.
              On ne peut se dissimuler que les Musulmans ont en général de l'éloignement pour les Chrétiens. C'est une prévention que ceux qui ne la partagent pas sont souvent obligés de feindre. Mais chez les Arabes, peuple intelligent et impressif, elle s'efface individuellement devant les liens de l'estime ou de l'affection personnelle, et en masse devant les considérations et les passions politiques. Nous avons vu que dans le Maroc un grand nombre de tribus firent longtemps cause commune avec les Portugais, et que ces derniers, si la fortune ne leur avait pas suscité la famille des Chérifs, seraient peut-être parvenus à s'établir paisiblement dans le pays. Dans la province d'Oran, les Espagnols eurent souvent des Arabes pour auxiliaires, et cependant quelle nation avait plus mérité qu'eux la haine des Musulmans ? La tribu des Ghamaras leur était si attachée que lorsqu'ils évacuèrent la ville d'Oran, en 1790, une partie de cette tribu les suivit et alla s'établir à Ceuta, pour continuer à vivre sous leur protection. Enfin, de nos jours, n'avons-nous pas eu de nombreuses preuves rue des alliances intimes peuvent exister entre nous et les Arabes ? Rappelons-nous la conduite loyale des gens de Médéah, et la bonne intelligence qui règne à Bône entre le général d'Uzer et un grand nombre de tribus toujours prêtes à prendre les armes à sa voix, pour défendre notre cause, qui est devenue la leur. A Alger, sous l'administration du général Voirol, 600 cavaliers de diverses tribus marchèrent avec nous contre les Hadjoutes, et la tribu errante des Aribes vint se fixer sur nos terres à la charge du service militaire.

              Tous ces faits prouvent que les répugnances ne sont pas invincibles du côté des Arabes. Elles le sont beaucoup plus chez certains individus de la, race européenne, qui ne sont pas tous cependant en droit d'être fort difficiles en fait de civilisation et de moralité.
              Les préjugés religieux sont moins enracinés chez les Arabes qu'on ne le croit généralement. Quoique attachés à leur croyance, ils sont assez disposés à s'affranchir de certaines pratiques gênantes et sans but ; mais dans ce qu'elle a d'essentiel, leur foi est vive et jeune encore; doit-on leur en faire un reproche ? Non sans doute ; car malheur aux peuples qui ne croient à rien Une chose à remarquer chez eux, c'est que tout acte religieux a droit à leur respect, quel que soit le culte de celui qui s'y livre. Je me suis trouvé sous leurs tentes avec des juifs voyageurs comme moi, et qui faisaient devant eux leurs prières, hérissés de petites cérémonies ridicules et puériles, sans exciter chez leurs hôtes la plus petite marque de désapprobation ou de dédain. S'ils paraissaient étonnés d'une chose, c'était de voir que je n'eusse pas aussi de prières à faire, comme eux et les Juifs ; et j'avoue, qu'humilié de la pensée que cela pouvait leur donner une mauvaise opinion de moi, et entraîné par l'exemple de ces hommes à fortes convictions, il m'est arrivé plus d'une fois de leur donner par quelques signes extérieurs la preuve que j'avais aussi des croyances et un culte.

              Ce qui nous irrite quelquefois contre les Arabes, c'est qu'ils nous laissent facilement apercevoir qu'ils se croient une valeur intrinsèque bien supérieure à la nôtre. Ils ne peuvent se dissimuler les avantages que nous avons sur, eux par nos sciences, nos arts et les prodiges de notre industrie ; mais, à leurs yeux, tout cela ne constitue pas l'homme, et comme hommes ils se croient bien au-dessus de nous. Cette bonne opinion d'eux-mêmes est entretenue par la nature des relations que nous avons eues avec eux depuis cinq ans, et dans lesquelles nous nous sommes presque toujours montrés à notre désavantage. Elles ont presque toujours été décousues, sans suite, marquées au coin de l'ignorance et de l'irréflexion.
              Nos généraux ne se sont occupés des Arabes qu'à bâton rompu, sans système arrêté, jugeant que tout pouvait passer avec des gens dans lesquels ils ne voyaient que des machines tant soit peu irritables, et non des hommes de cœur et de sens. On leur a dit et écrit les choses les plus niaises, les plus dépourvues de raison, les plus contradictoires aussi, nous sommes-nous souvent attiré de leur part de sanglantes railleries. Voici dans quel style le Cadi et les grands d'un Outhan répondirent à une dépêche remarquable par son extravagance.

              " Nous avons reçu votre lettre et nous l'avons lue en assemblée générale. Quand cette lecture a été terminée, tout l'Outhan s'est mis à rire. Vous nous dites de reconnaître N*** pour notre Kaïd; nous le voulons bien, mais vous oubliez sans doute que vous venez vous-même de le destituer il y a peu de jours, et de nommer V*** à sa place. Daignez donc nous dire définitivement ce que vous voulez, afin que nous puissions nous conformer à vos ordres. "

              Les Arabes ont trop de rectitude dans le jugement pour que nous les traitions en enfants. Il ne faut pas s'amuser à finasser avec eux, mais aller droit au but, et raisonner serré. Quelques personnes ont cru obtenir de l'influence sur eux en affectant de prendre leur costume et leurs manières ; mais ils n'ont pas été dupes de ces puérilités, qui ne servent qu'à leur donner une pauvre idée de notre bon sens.

              Les Arabes se sont aperçus bien vite des petites intrigues qui depuis cinq ans s'agitent autour de nos généraux en chef. Ils voient que chacun se dispute un pouvoir que personne ne sait tenir d'une main ferme ; rien ne leur échappe. Ils connaissent tout aussi bien que nous les petits conflits de vanité et d'autorité qui s'élèvent sans cesse entre nos fonctionnaires, et, à la vue de toutes ces petitesses, ils se demandent, si ce sont là ces Français qui leur parurent si grands à la chute d'Alger la guerrière.
              Heureusement que dans les relations privées, le caractère français sympathise parfaitement avec celui des Arabes, ce qui établit entre eux et nous quelques liaisons particulières, qui pourront plus tard avoir d'heureux résultats pour notre cause, malgré les torts de notre politique.

              Les Arabes ont une qualité précieuse dont je n'ai pas encore parlé, et qu'il est d'autant plus juste de mettre en lumière, qu'on la leur refuse généralement, c'est de tenir à leur parole politique ; de ce que, après avoir été en état de paix, ou plutôt de non-hostilité avec quelques tribus dans certaines circonstances, on les a trouvées hostiles dans d'autres, on conclut trop légèrement qu'on ne peut compter sur rien avec eux. Mais quels sont les traités qu'ils ont violés ? J'avoue que je n'en connais aucun. Il est arrivé sans doute, plus d'une fois, que des tribus ne se sont pas crues liées par des engagements pris par d'autres, et que même des promesses faites par des individus isolés d'une tribu, n'ont pas été tenues par la majorité de cette même tribu. Mais quoi d'étonnant dans un pays où nous avions laissé introduire une si complète anarchie, que la puissance et la volonté publique ne se trouvaient représentées par personne ? Et cependant, malgré cette absence de garantie, de tous les Français qui ont confié leurs têtes aux Arabes, il n'en est pas un seul qui ait eu lieu de s'en repentir, tandis que sous l'administration du duc de Rovigo deux cheikhs ont été décapités à Alger malgré les sauf-conduits dont ils étaient porteurs.
              Lorsque nous arrivâmes en Afrique, nous annonçâmes aux Arabes par de nombreuses proclamations que nous venions les affranchir du joug des Turcs. C'était prendre l'engagement de les rendre à leurs libertés primitives, et d'établir ensuite nos rapports avec eux sur des bases librement consenties. C'est bien ainsi que le comprirent les esprits les plus éclairés. Nous avons vu dans le IVe livre de ce volume que Ben-Zamoun fit à M. de Bourmont des ouvertures dans ce sens. Il écrivit qu'en voyant avec quelle promptitude les Français s'étaient emparés d'Alger, lui et ses compatriotes avaient compris que Dieu nous avait destinés à régner à la place des Turcs ; que ce serait folie à eux de vouloir s'opposer aux décrets de la providence ; qu'en conséquence il se proposait d'user de son ascendant, pour réunir les hommes les plus influents de la province d'Alger, et leur proposer les bases d'un traité qui réglerait à l'avantage de tous la nature de nos rapports avec les Arabes, tant dans l'intérêt présent, que dans celui des races futures ; qu'il priait le général en chef de ne pas perdre de vue que pour qu'un traité fût solide, il ne devait pas être imposé par la force à la faiblesse, mais qu'il devait être établi sur les intérêts réciproques des parties contractantes, parce qu'alors tout le monde travaillait de bonne foi à le maintenir.

              Ce langage aurait dû nous donner la mesure des hommes à qui nous avions affaire. Si nous étions entrés franchement dans la carrière qu'il nous traçait, je crois que nous serions maintenant plus avancés que nous ne le sommes. Le maréchal de Bourmont, ainsi que nous l'avons vu, ne crut pas devoir en tenir compte ; on sait ce qui en résulta.
              A l'arrivée de M. Clauzel, les attaques des Arabes à Alger et à Bône semblaient nous avoir dégagés des promesses de nos proclamations. Nous restions maîtres du terrain, mais sans que les raisonnements de Ben-Zamoun eussent rien perdu de leur force. Le nouveau général, combinant avec beaucoup de justesse, les intérêts Européens de la France avec ceux de notre conquête, avait trouvé un moyen d'assurer notre suprématie sur les Beyliks, en n'agissant directement que sur la province d'Alger, ce qui diminuait considérablement nos dépenses en hommes et en argent. Nous avons fait connaître ses projets et les obstacles qui s'opposèrent à leur exécution. Il est à présumer que M. Clauzel, sans les difficultés qu'on lui suscita, aurait réussi dans un plan fort habilement conçu, et qu'il était certainement très capable de mener à bien. Il n'aurait plus eu alors qu'à s'occuper de la province d'Alger ; et quoique, dans sa courte administration, il n'ait pas employé les vrais moyens de la rendre tout à fait nôtre, on ne peut dire qu'avec le temps il ne les eût pas trouvés.

              Le général Berthezène compromit l'honneur de nos armes avec les Arabes, et perdit toute influence sur eux. Son administration fut une époque calamiteuse pour la colonie ; celle du duc de Rovigo fut signalée par des actes de cruauté et de perfidie peu honorables pour le nom français, par l'occupation de Bône, due à l'audace d'un brave aventurier, et par une foule de petites intrigues sans résultat.
              Sous le général Voirol, on vit régner la loyauté dans nos relations avec les Arabes ; la confiance s'établit, la paix régna presque sans interruption dans la province d'Alger, et des mesures furent prises pour assurer sur des bases rationnelles notre domination et celle des lois ; mais chaque fois que ces mesures étaient sur le point de porter leurs fruits, des actes de faiblesse venaient les faire avorter, et remettre tout en question. La position intérimaire de ce général ôtait à sa volonté l'intensité nécessaire pour les affaires. Dans le même temps, un monstrueux traité négocié par le général qui commandait à Oran, élevait sur un trône indépendant l'heureux et habile Abd-el-Kader, et donnait aux Arabes le centre d'action qui leur manquait.

              Sous les influences rivales, contradictoires et funestes dont la collection forma ce qu'il faut bien appeler, l'administration du comte d'Erlon, tout le peu de bien dû à celle du général Voirol, dans la province d'Alger, a disparu ; et, au moment où j'écris, j'apprends les désastres de nos troupes écrasées par la puissance que nous avons eu la démence d'élever à Oran.
              J'ai déjà dit dans le cours de cet ouvrage, qu'après s'être abandonnés comme des insensés à la joie d'être délivrés de tout frein par l'absence de tout gouvernement régulier, les Arabes s'étaient bien vite lassés de l'anarchie.

              Ils n'aiment point à être gênés par une administration trop minutieuse, mais ils ont besoin, comme tous les peuples, de justice et de sécurité. Aussi, après avoir souffert tous les excès de la licence, après avoir été tour à tour voleurs et volés, ils sentirent le besoin d'être gouvernés avec toute la vivacité de leurs impressions. Ce passage de l'anarchie à la soif de l'ordre est une des lois logiques de la marche de l'esprit humain, que l'on retrouve chez tous les peuples, et qui n'est point particulière aux Arabes. On pouvait compter là-dessus avant d'avoir les nombreuses preuves qui nous ont été données de leurs dispositions à cet égard ; mais à défaut de calculs à priori, ces preuves auraient dû au moins nous ouvrir les yeux, et nous apprendre la politique qu'il était convenable de suivre. Loin de là, nous n'avons presque jamais su tirer parti des circonstances favorables qui se sont présentées.
              En vain, des tribus entières, des villes, des provinces nous ont suppliés de les tirer de l'anarchie, et de prendre nous-mêmes le soin de les gouverner ; en vain, des ambitions personnelles, puissantes et actives, nous ont offert leur concours et des garanties; nous n'avons presque rien fait, arrêtés à chaque instant par la moindre difficulté d'exécution. Mais ce que nous n'avons pas voulu faire, un autre l'a fait. C'est sur le besoin d'ordre qu'Abd-el-Kader a établi sa puissance. C'est en terrassant l'anarchie, qu'il s'est acquis l'amour et la reconnaissance des peuples. Maintenant que cette autorité nouvelle s'est élevée sur des bases que la philanthropie ne peut que respecter, bien que la politique nous fasse un devoir de les abattre, ce n'est plus vers nous que tournent les yeux les tribus que l'anarchie tourmente encore. Nous avons perdu tous les avantages de la position. Cependant il est encore un moyen d'établir notre autorité dans la province d'Alger, c'est d'obliger Abd-el-Kader de cesser de s'étendre au-delà de celle d'Oran, et d'établir à Titery un Bey du choix des Arabes, et qui nous offre en même temps des garanties. Cela fait, il faut nommer dans tous les Outhans de la province d'Alger, réduite à la partie qui est en deçà de l'Atlas, des Kaïds qui méritent notre confiance, et qui jouissent en même temps de l'estime de leurs compatriotes. Ces Kaïds auraient sous leurs ordres des Cheikhs dans chaque canton. Les uns et les autres seraient nommés par le gouverneur français, mais désignés à son choix par le libre suffrage des Arabes, qui n'auraient alors aucun prétexte pour ne pas leur obéir. Chaque Kaïd devrait avoir auprès de lui 25 ou 30 cavaliers soldés, chaque Cheikh en aurait 4 ou 5. Au moyen de cette force publique, ces fonctionnaires devraient faire régner le bon ordre sur leurs territoires respectifs, arrêter les malfaiteurs et les livrer à la justice. Ils devraient avoir eux-mêmes le droit d'infliger certaines peines. Un commissaire français résiderait auprès de chaque Kaïd, pour veiller à sa conduite, et représenter chez les Arabes l'autorité de la France.

              Les Kaïds, les Cadis et les Cheikhs devraient être payés, mais les dépenses que cet état de chose entraînerait, ainsi que la solde des cavaliers de la force publique, seraient prises sur les produits de l'achour (la dîme), qu'il faut rétablir et exiger. Le Coran en fait un devoir aux Musulmans. Nous avons promis aux Arabes, quand nous sommes venus en Afrique, de les affranchir des contributions qu'ils payaient aux Turcs ; mais outre que, depuis ce temps-là, leurs hostilités nous ont dégagés de nos promesses, nous n'avons pu entendre par contributions que les sommes qui sortaient de leurs mains sans avantage pour eux, et non les impositions nécessaires à la chose publique. Ils comprendront très bien cette distinction, car ils savent bien qu'on ne peut gouverner sans argent ; et si on les gouverne avec justice, et conformément à leurs idées, ils ne regretteront pas celui qu'ils auront donné pour cela.
              Chaque Outhan devrait avoir une caisse séparée, administrée à Alger par une commission composée de deux Arabes et d'un Français. Elle s'alimenterait des produits de l'achour, et de celui des amendes prononcées en justice. Les fonds nécessaires au traitement, des fonctionnaires et à la solde des cavaliers, en étant prélevés, le reste servirait à des travaux d'utilité publique, et au soulagement des pauvres et des cultivateurs malheureux. De cette manière, les Indigènes verraient que l'on n'exige pas d'eux des tributs pour le peuple conquérant, comme au temps des Turcs, mais seulement des impôts légitimes consacrés à l'utilité générale. Leur raison et leur amour-propre en seraient également satisfaits. Après plusieurs années de ce régime, lorsque la paix et une bonne administration auraient ramené la prospérité et l'abondance dans le pays, et accru sans effort les produits de l'impôt, on pourrait exiger d'eux qu'ils contribuassent dans une proportion équitable à l'entretien de la garnison française.

              Les Européens qui s'établiraient isolément dans les Outhans seraient soumis, comme les autres habitants, à la police administrative des Kaïds et des Cheikhs, seulement ils conserveraient, comme de raison, leurs juges naturels. Lorsqu'il y aurait assez d'Européens sur le même point pour former un village, ils auraient un maire ou un Cheikh à eux, n'importe le nom ; mais ce chef serait encore soumis, pour la police administrative, au Kaïd de son Outhan, comme tous les autres Cheikhs.
              Enfin la population européenne venant à s'accroître, le Kaïd serait pris indistinctement clans les deux races, et on lui donnerait le nom que l'on voudrait, bien qu'il me paraisse assez raisonnable de conserver cette dénomination à laquelle tout le monde est habitué.

              On devrait éviter sur toute chose d'introduire dans les Outhans, ainsi francisés, les embarras et les minuties de notre administration civile ; sans cette précaution, nous ne ferons jamais qu'écrivasser sans agir ; nous n'avons déjà ouvert la porte qu'à trop d'abus.
              Les communes du Fhos, ou banlieue d'Alger, continueraient à relever directement du gouvernement central, sans intermédiaire d'aucun Kaïd, mais les Indigènes devraient y être plus efficacement représentés que dans l'organisation actuelle.

              On trouvera peut-être que je fais une part un peu large à ces derniers, mais c'est le seul moyen d'opérer une fusion. Pour avoir les Arabes avec nous, il faut les traiter sur le pied de l'égalité. Le système contraire éloignerait tous les hommes d'énergie. Mais forts de la pureté de nos intentions, et de l'assentiment de tous les gens raisonnables, il ne faudrait reculer devant aucun moyen de réduire les perturbateurs. Tous les points stratégiques du pays devraient être occupés par des camps, destinés à devenir un jour des villages, et des colonnes légères devraient fréquemment aller de l'un à l'autre, prêtant partout appui à l'autorité établie. Il faudrait ne jamais reculer devant les exigences des mutins, frapper toujours juste et fort, agir contre les rebelles, avec les Arabes soumis mêlés à nos troupes, et, tout en se conduisant suivant les principes de l'humanité et de la raison, se bien persuader que ce n'est pas en professant un respect exagéré pour les existences individuelles, que l'on a action sur les masses.
              C'est dans l'aristocratie militaire des tribus que l'on trouverait quelque opposition combinée au plan que nous proposons, parce que des prétentions particulières n'y trouveraient pas leur compte ; mais la démocratie serait pour nous. La politique à suivre envers les familles nobles dissidentes, qui ne se rendraient pas aux moyens de persuasion, et ce serait le plus petit nombre, consisterait à les ruiner complètement, et à élever sur leurs débris des familles du peuple, qui, devant tout au nouvel ordre de choses, travailleraient nécessairement à sa conservation.

              Mon opinion sur l'aristocratie Arabe est fondée sur des faits positifs, indépendamment de l'analogie qui existe entre elle et toutes les aristocraties du monde. L'échelle des dimensions ne change rien au fond de la question.
              On est aristocrate dans une fourmilière de la même manière que dans un grand état.
              Le général Voirol, qui voulait véritablement le bien, mais qui n'y mettait pas assez de persévérance, tenta d'exécuter une partie du plan que je viens de raconter, et ne trouva d'oppositions que chez les aristocrates. Ce sont eux qui assassinèrent le brave Kaïd de Beni-Khalil, dont la mort ne fut pas vengée. Un an après, celui de Krachna, dont nous avions à déplorer la faiblesse, las des reproches qui lui étaient adressés à ce sujet, donna sa démission. Je fus envoyé pour assister à une réunion où l'on devait désigner son successeur au général ; mais, contre mon attente, le Kaïd déclara devant l'Outhan rassemblé qu'il consentait à reprendre ses fonctions; l'assemblée étant dissoute, et moi revenant à Alger, je fus rejoint par un grand nombre d'hommes du peuple, qui me déclarèrent que tout ce qui venait de se passer était l'œuvre des aristocrates, qui se trouvaient fort bien de la faiblesse du Kaïd, et qui l'avaient forcé par leurs menaces à garder ses fonctions. Un accès de goutte remontée nous délivra, un mois après, de ce Kaïd, et le général prit des mesures pour que son successeur représentât un peu mieux les intérêts généraux de l'Outhan.
              Les Marabouts de nom et de fait sont en général des hommes paisibles qui se rangeront toujours du côté d'un gouvernement régulier et juste. On doit les traiter avec les égards qu'ils méritent. Enfin il serait convenable d'agir sur l'intelligence des Arabes par la publication de quelques ouvrages propres à leur rendre le goût des travaux de l'esprit, et en donnant une éducation libérale à des jeunes gens de bonne volonté, que l'on pourrait appeler plus tard à des fonctions publiques. Enfin il faut travailler à ce que les deux peuples n'en fassent qu'un.

              C'est moins difficile qu'on ne le pense, et, dans l'état actuel de la philosophie religieuse, cela peut avoir des suites immenses pour l'avenir de l'humanité.
              Quelle que soit la nature des gouvernements que nous laisserons subsister pour le moment dans l'intérieur, il faudrait avoir autour de toutes les places occupées par nos troupes un district plus ou moins étendu, placé, comme la province d'Alger, sous notre autorité directe, et administré de la même manière.



A TOUS MES AMIS D'ENFANCE
ECHO D'ORANIE - N°296

        Ils sont restés là-bas dans leur jardin tranquille
         Dormant dans la lumière du soleil de chez nous
         Ils reposaient paisibles tout près de leur famille
         Bercés par la chaleur, tout paraissait si doux.

         Ils croyaient qu'à jamais ce pays était leur
         Ils l'avaient embelli, enrichi, à force de labeur
         A mains nues, ils n'avaient arraché les ronces, les grosses pierres
         Et construit leurs maisons, aux murs couverts de lierres.

         Levés dès l'aube et rentrant au coucher
         Ils firent pousser des vignes et de beaux orangers
         Ils ont tout défriché, planté et tracé tant de routes
         Qu'ils pensaient être chez eux : ils n'avaient pas de doutes

         Poussés hors d'Algérie par le vent de l'Histoire
         Leurs enfants malheureux sont à jamais partis
         Les années ont passé mais ils ne peuvent croire
         Que tout a basculé sur un coup de folie.

         Nos morts sont nos racines plongées dans cette glaise
         Où tant de larmes les ont accompagnés
         Ils soufflent sur nous comme un grand feu de braises
         Rallumant notre amour pour cette terre tant aimée.

         Nul ne peut mesurer l'étendue de ce drame
         Plus les années s'écoulent, plus l'amertume grandit
         Dans nos joies, nos silences, se mêlent souvent des larmes
         Nos cœurs et nos mémoires à jamais meurtris

         Nous partirons un jour vers un soleil plus pâle
         Apaisant pour toujours notre bien triste destin
         Sur nous se fermera la toute dernière page
         De ce que fussent des pionniers Africains.

         Nous qui sommes les gardiens de ce passé de gloire
         Nous l'avons conservé et devons le donner
         A nos petits enfants fixant dans leur mémoire
         Les souvenirs précis, rien ne doit s'oublier.

         Gardons encore l'espoir, à notre âge avancé
         Qu'en un lieu céleste où tout n'est que clarté
         Au soleil et chaudement serrés comme des enfants
         Nous retrouver, enfin, dans la paix comme avant.

         Nous avons un même Dieu et c'est un Dieu d'amour.

         En lui, nous avons placé toute notre espérance
         Il nous accordera, sans compter, sa divine clémence
         Alors nous pourrons, assis autour de lui, enfin nous réunir
         Nous aurons tant de joie et de choses à nous dire.         
Jeannine FOHRER         
d'Assi-Ameur         




L'assassinat de la gauche patriote
à la fin de la guerre d'Algérie
Par M Piedineri                           Partie1
" C'était le temps de glissements de terrain idéologiques "
Georges-Marc Benamou

               On peut dire qu'il existait en France trois gauches à l'époque de la guerre d'Algérie :
               1. - La gauche " communisante ", comprenant le Parti communiste et une extrême gauche alors en plein essor, représentée à l'époque par des intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir, la CGT et autres porteurs de valises. Cette gauche prit position, sans aucune ambigüité, pour le FLN algérien, allant souvent jusqu'à soutenir le terrorisme.
               2. - La gauche dite " progressiste ", elle plus proche des centristes. Cette dernière rassemblera une partie des socialistes, des radicaux ainsi que de nombreux intellectuels et chrétiens de gauche, des journaux comme L'Express, L'Obs ou Témoignage chrétien, le syndicat étudiant UNEF, et des personnalités comme Jean-Jacques Servan-Schreiber, Pierre Mendès-France ou le jeune Michel Rocard. Cette gauche-là prit assez nettement parti en faveur du FLN, s'affirmant à l'occasion des polémiques sur la torture. Les héritiers de cette gauche " progressiste ", couvrent aujourd'hui un large spectre allant du socialiste Benoît Hamon au président Emmanuel Macron.
               3. - La gauche patriote et républicaine, regroupant un grand nombre de socialistes et de radicaux, représentée par des hommes tels que le socialiste Robert Lacoste (Gouverneur de l'Algérie de 1956 à 1958), Jacques Soustelle ou Marcel-Edmond Naegelen (eux-mêmes anciens Gouverneurs de l'Algérie), mais encore par le sociologue et universitaire Albert Bayet (1880-1961), membre éminent de la Ligue des Droits de l'Homme, ou bien par le journal " Combat ". Cette composante de la gauche française s'opposera avec acharnement au FLN et restera le plus souvent solidaire des Européens d'Algérie, parfois, pour quelques-uns, jusqu'aux dernières heures de la guerre. Certains l'appelleront également la " gauche Algérie française ".

               Il se trouve qu'à partir de la fin de la guerre d'Algérie cette gauche républicaine, patriote et anticommuniste, partisane d'une politique de répression à l'égard du FLN, a été éliminée pour plusieurs décennies du paysage politique français. C'est de cet assassinat, l'assassinat de la gauche patriote, dont nous allons ici parler, en cherchant à déterminer qui furent ses assassins, et à analyser les conséquences à long terme, pour la France, d'un tel assassinat.
               La légende veut que la guerre d'Algérie ait opposé une gauche naturellement " contre l'Algérie française " et pro-FLN, à une droite " Algérie française " et favorable aux Pieds-Noirs. Mais la réalité est beaucoup plus complexe ! Rappelons que les grandes heures de la politique de répression du FLN, entre 1956 et 1958, restent attachées aux noms de Guy Mollet, Premier ministre socialiste, Robert Lacoste, Gouverneur de l'Algérie lui aussi socialiste, ou encore Maurice Bourgès-Maunoury, radical-socialiste. Le sociologue Alain Herbeth a par ailleurs bien montré qu'une large majorité des militants du Parti socialiste (SFIO), à ce moment précis, soutenaient, par leurs votes répétés, cette politique de répression du FLN (1 ). C'est enfin un député radical-socialiste, le Corse et ancien Résistant Pascal Arrighi, qui en mai 1958 encadra l'Opération-Résurrection, coup de force qui vit un débarquement de parachutistes s'emparer de la Corse au nom de l'Algérie française et du retour du général de Gaulle au pouvoir - à la différence que Pascal Arrighi, lui, contrairement à de Gaulle restera fidèle à sa ligne, soutiendra le putsch d'Alger et s'opposera aux accords d'Evian. Printemps 1958, où une partie non négligeable de la gauche et du Parti socialiste soutint d'ailleurs ce retour au pouvoir du général de Gaulle sous le signe de l'Algérie française, une gauche qui l'aurait sans doute suivi s'il avait orienté sa politique vers une autre solution que l'abandon total.

               C'est pourquoi à l'aube de l'année 1962, " Le Populaire ", journal du Parti socialiste, tout en soutenant " l'autodétermination " et en condamnant l'OAS osait néanmoins encore dénoncer le fait que la politique algérienne du président de la République était passée " de la recherche de la situation à une sorte de démission totale devant les responsabilités de la France ", tandis que le leader socialiste Guy Mollet déclarait : " Les Européens d'Algérie doivent être sûrs que leurs libertés, leurs droits, leur vie seront sauvegardés ; l'abandon pur et simple de l'Algérie ne peut être la solution véritable, car elle risquerait de provoquer des violences, des massacres intolérables pour la conscience humaine ", déclarations qui certes ne mangent pas de pain mais qui ont tout de même le mérite d'exister et de montrer qu'une partie non négligeable d'hommes de gauche raisonnables auraient suivi de Gaulle si ce dernier avait donné une autre orientation à sa politique algérienne.

               Certains hommes de gauche iront même jusqu'à s'opposer frontalement à de Gaulle dans sa politique d'abandon. Dans les derniers temps de la guerre existait ainsi un " Comité du Manifeste de la gauche pour le maintien de l'Algérie dans la République française ", animé par Robert Lacoste et partie prenante du " Comité de Vincennes ", que le pouvoir persécutera. Et, ajoutons pour finir un fait très important : d'après l'historien Guy Pervillé, " on dit que les organisateurs du putsch d'Alger d'avril 1961 avaient pensé à [Marcel-Edmond Naegelen] pour remplacer [le général de Gaulle] à la Présidence de la République. (2 )" Vous avez bien lu : les généraux du putsch d'Alger, qu'une certaine propagande a cherché à présenter comme un coup de force " fasciste ", s'ils avaient réussi, auraient peut-être installé à la tête de l'Etat, à la place du général de Gaulle, un homme politique socialiste !
               A propos maintenant de l'OAS, André Rossfelder, qui en fut membre explique dans ses Mémoires que son chef, le général Salan, " avait trouvé de puissants alliés dans tous les partis à l'exception des communistes, depuis la vieille garde patriote du Parti socialiste jusqu'à l'extrême droite nationaliste "(3) , ce que confirme l'historienne Anne-Marie Duranton-Crabol qui, décrivant le Parti socialiste au temps de l'OAS précise qu'il " n'est pas monolithique, et que, de la sympathie indulgente pour l'OAS à la détermination la plus farouche en faveur de l'antifascisme, toute la palette des attitudes militantes s'y découvre. "(4) Il y eut aussi, en janvier 1962 ce que l'on a appelé le " dîner de l'Alma ", réunion réunissant à la même table le leader socialiste Guy Mollet avec Antoine Pinay, personnalité de droite connu comme étant plutôt Algérie française, et d'autres représentants de partis politiques et de syndicats dont Force Ouvrière. Ces hommes, prévoyaient une sorte d'union nationale plutôt orientée à droite, allant du Parti socialiste jusqu'à la droite conservatrice et excluant les communistes, en cas, dit-on, de départ " précipité " du général de Gaulle du pouvoir. Réunion de l'Alma critiquée par le quotidien communiste " L'Humanité " comme une " recherche du compromis avec [...] les tenants du fascisme " et par la presse gaulliste, qui parle de " la conjuration de l'Alma ", mais saluée par " L'Aurore ", journal " Algérie française " qui plaide pour " un gouvernement d'union nationale ", ainsi que par le général Salan, chef de l'OAS qui y voit " un premier pas, [...] la première manifestation d'une opposition collective au pouvoir " .(5)

               Mieux, le général Salan lui-même nourrissait une réputation d'homme de gauche, proche des radicaux-socialistes. Son biographe Pierre Pélissier écrit à ce propos :
               " Salan se voit accoler l'étiquette d'homme de gauche.
               L'étiquette n'est ni totalement fausse ni parfaitement exacte. Simplement Raoul Salan est profondément, viscéralement républicain, avec des idées sociales avancées ; mais il n'est pas un militant, un homme engagé et encarté. Salan devra faire avec cette image, qui n'est pas exactement celle de l'officier de tradition. "
(6)

               Aussi incroyable que cela puisse paraître, le chef de l'OAS lui-même, le général Salan, était donc plus ou moins lié à la gauche, tandis que le grand ethnologue et homme politique Jacques Soustelle, qui fut l'un des meilleurs, si ce n'est LE meilleur avocat des Pieds-Noirs, venait également de la gauche...

               Il est vrai aussi, pourrait-on nous rétorquer, que dans les derniers temps de la guerre d'Algérie les hommes de gauche persistant à s'opposer réellement à la politique gaulliste et à soutenir les Français d'Algérie se comptaient sur les doigts d'une main... Mais on pourrait en dire presque autant du centre-droit et d'une bonne partie de la droite - en particulier la droite restée fidèle à de Gaulle. Ajoutons que l'" anticolonialisme " dit de droite, sans doute plus discret que l'" anticolonialisme " de gauche a probablement eu autant voire plus d'influence sur la société française lorsqu'il s'est agi de livrer l'Algérie au FLN. En effet les populations d'Algérie ont aussi été victimes de ce capitalisme sans âme qui, déjà à l'époque, considérait les gens et les peuples comme des pions sur un échiquier. Que l'on songe par exemple au " cartiérisme ", ou au penseur libéral Raymond Aron, homme de centre-droit qui proposait purement et simplement de larguer l'Algérie et ses populations à la façon d'un gigantesque plan social au prétexte que celles-ci allaient finir par coûter trop cher à la France. A tel point qu'Ahmed Boumendjel, porte-parole du FLN a pu dire de lui : " Raymond Aron, voilà quelqu'un d'efficace ! " (7)

               C'est pourquoi Jacques Soustelle a jugé si sévèrement l'attitude de l'opinion durant la guerre d'Algérie :
               " Quant à la droite dite " classique ", elle ne s'est pas mieux comportée. Le Figaro, parangon de cette bourgeoisie distinguée qui voulait bien l'Algérie française à condition que cela ne lui coutât pas un sou, a été successivement contre, puis pour l'abandon [...]. Sur son mode doucereux, invoquant l'opportunité plus que les grands principes, il n'a pas été moins nocif que les organes attitrés de la propagande défaitiste. A dire vrai, la France est tellement embourgeoisée, au pire sens du terme, qu'il n'y avait pas, au fond, tant de différence entre les motifs de la gauche et de la droite : il s'agissait toujours d'abandonner par lâcheté, par faiblesse, par goût de la décadence. " (8)

               Ce que dit Soustelle est tellement juste, qu'au-delà même d'une simple opposition à l'Algérie française proprement dite, il faut savoir que l'un des principaux arguments donnés par les opposants à un partage de l'Algérie (solution intermédiaire développée à la fin de la guerre, visant à reconnaître l'indépendance à une grande partie de l'Algérie tout en y conservant un morceau de territoire dans le but, ni plus ni moins, d'éviter l'exode total du peuple Européen d'Algérie et le massacre des harkis), l'un des principaux arguments, disais-je, des opposants à cette idée de partage... était là aussi d'ordre économique !

               " Un des principaux arguments des adversaires du partage a trait au côté financier et économique des choses, écrivait en effet Alain Peyrefitte, défenseur du partage, en 1962. Il s'exprime, lui aussi, en sentences toutes faites : " La partition ne serait pas possible économiquement. " " Les financiers sont pour le dégagement. " [...] Rares sont ceux, à la réflexion ou après discussion, qui ne conviennent pas que la seule manière de donner un fondement sûr aux droits des minorités, est d'asseoir ces droits sur une base territoriale ; donc, pour une France qui veut en Algérie défendre les hommes contre toute oppression, de faire évoluer les choses vers une fédération, et, s'il le faut, de se tenir prête à un partage. Mais viennent ensuite des objections catégoriques du genre de celle-ci : " Sur le plan humain, vous avez sans doute raison ; mais matériellement, ce n'est pas possible. Cela coûterait trop cher. " " (9)

               Voici par exemple l'argument utilisé à l'époque par un homme d'affaires, directeur général d'une importante société implantée dans le Moyen-Orient, pour expliquer son refus d'un partage de l'Algérie :
               " Si la France veut se répandre hors de l'hexagone, il faut que les colonies de Français à l'étranger refluent dans l'hexagone. Loin de nous permettre de faire des affaires, elles les empêchent, car elles développent la xénophobie. Quel intérêt avons-nous à fixer artificiellement des Français en Algérie ? " (10)
               Edifiant, n'est-ce pas ?
               Sacrifier un peuple, qui plus est ses propres compatriotes, sur l'autel d'intérêts financiers à court terme, voilà déjà tout un programme.

               Ni l'intégration ni le partage de l'Algérie n'auront lieu, et, comme prévu cette histoire se terminera, " sur le plan humain ", dès l'indépendance octroyée, par le massacre de dizaines de milliers de harkis dans des conditions abominables, la disparition, le massacre de milliers de Pieds-Noirs et l'exode total des survivants. Mais, grâce au Dieu des financiers, l'économie française n'a pas eu trop à souffrir de ces " évènements de dernière minute ".

               C'est à se demander qui des porteurs de valises de l'extrême gauche ou de ces bourgeois cyniques à la mentalité d'expert-comptable se réclamant de la droite, sont le plus à mépriser.
               Ces deux dernières catégories - gauchistes et hommes d'affaires - se rejoignent d'ailleurs sur un point très important : en effet, de même que ces gauchistes pro-FLN resteront silencieux devant le massacre des harkis, tout en accueillant ensuite à bras ouverts des centaines de milliers d'immigrants Algériens (immigrants parmi lesquels figuraient des assassins de ces mêmes harkis), de même ces hommes d'affaires et ces bourgeois qui refuseront le sauvetage des harkis au nom d'impératifs économico-financiers, seront à leur tour les premiers à réclamer, dans les décennies suivantes, l'importation en France d'une main-d'œuvre venue d'Algérie...
               " Goût de la décadence ", disait Soustelle.

               Mais revenons-en à la gauche patriote, et ouvrons une parenthèse. Il est en effet intéressant d'évoquer le rôle de premier plan joué par cette gauche dans l'Histoire du peuple Pied-Noir :
               Le général Edmond Jouhaud, Pied-Noir d'Oranie, numéro deux de l'OAS - après avoir été Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale -, s'il n'a jamais réellement fait état de ses opinions politiques, n'hésitait tout de même pas à se présenter avec une certaine fierté comme, je le cite, " républicain par atavisme ", de même qu'il lui arrivait souvent, dans ses écrits, de citer Jean Jaurès. En effet il faut savoir que son père, Jules Jouhaud, était l'un de ces instituteurs typiques de la Troisième République, ceux que l'on a appelé les " hussards noirs " : " C'est à l'école communale Voltaire, située rue de l'Abricotier et dirigée par mon père, instituteur républicain et patriote, que j'ai appris à lire ", se souvient le général Jouhaud dans ses Mémoires. Un autre membre Pied-Noir de l'OAS, André Rossfelder, ami d'Albert Camus et organisateur de l'attentat du Mont-Faron contre le général de Gaulle, était lui-même le fils d'un maire radical-socialiste d'une petite agglomération algéroise. Inutile de rappeler également qu'une partie relativement importante des troupes de l'OAS était constituée de Pieds-Noirs anciens électeurs de gauche, socialistes, et parfois même communistes.

               Mais il faut savoir que le général Jouhaud comme André Rossfelder, par leur parcours, sont finalement assez représentatifs du peuple Pied-Noir d'Algérie. C'est en effet cette gauche-là, modérée, patriote et républicaine, qui fédérait une bonne partie de l'électorat en Algérie française, en particulier dans les départements d'Alger et Constantine. Une gauche " pied-noire " représentée notamment par les maires radicaux-socialistes Amédée Froger (Boufarik), Alphonse Raffi (Alger) ou Paul Cuttoli (Philippeville), l'homme d'Etat René Viviani, l'écrivain Jean Mélia, les députés Henri Fiori, Jean-Marie Guastavino, Jules Cuttoli (frère de Paul), ainsi que par le sénateur - et gros colon - Jacques Duroux, longtemps propriétaire de " L'Echo d'Alger ". Si la gauche marxiste, socialiste et surtout communiste a toujours eu du mal à s'imposer chez les Pieds-Noirs (ce n'est qu'en 1936 qu'ils élisent leurs premiers députés socialistes, soit plusieurs décennies après de nombreux départements de France métropolitaine), il faut savoir que cette gauche patriote, essentiellement radicale-socialiste a toujours eu beaucoup de succès en Algérie française, à la ville comme à la campagne, chez les colons comme chez les ouvriers ou les petits fonctionnaires.

               Et l'historien Jacques Cantier explique, à propos de l'Algérie des Pieds-Noirs, que " c'est longtemps du côté de la gauche modérée que s'est situé le centre de gravité de la vie politique locale dans la mouvance d'un radicalisme attaché comme en métropole au souvenir des combats pour la République, à la défense des valeurs laïques mais favorable, sous couvert d'assimilation, au maintien du statu quo colonial " .(11) Ce qui inspire cette formule quelque peu ironique à Franck Laurent, autre historien décrivant l'Algérie des années 1930 :
               " L'Algérie est désormais, enfin, française. Non seulement parce qu'elle est constituée de trois départements, mais parce que s'y est imposée l'essence intime de la sociabilité française, sa " civilisation " - surtout dans sa variante méridionale. L'Algérie, c'est la France des bourgs, avec sa mairie et son église, et la rivalité structurelle et structurante du maire et du curé (l'imam reste à l'écart de leurs querelles). L'Algérie, c'est la France des instituteurs (mais seulement 15 % des enfants musulmans sont scolarisés en 1954). L'Algérie, c'est la France des passions électorales (mais si peu de Musulmans ont le droit de vote). [...] L'Algérie, c'est la France, avec le soleil méditerranéen et radical-socialiste. "(12)

               Cette Algérie radicale-socialiste, l'homme politique local Georges Laffont (1885-1951) en est un bon représentant. Citons son exemple :

               Originaire du petit peuple pied-noir d'Alger, Georges Laffont est fils d'instituteur. Homme affable et sans sectarisme, poilu de la guerre 14-18, patriote sincère, il est titulaire de nombreuses décorations militaires. Adjoint au maire d'Alger de 1925 à 1935 (il sera longtemps 1er adjoint), il est également élu local à Bab-el-Oued. Cette profession de foi qu'il publie en 1925 résume bien l'essence de cette gauche pied-noire. Voici la manière dont Georges Laffont se présente aux électeurs :
               " Politiquement, j'ai adhéré au parti Républicain Socialiste qui compte à sa tête MM. Briand et Painlevé, et dont la formule, nullement révolutionnaire, nullement collectiviste, est : la Paix et le Progrès social dans l'ordre. [...] Je déclare, et mon passé s'en porte garant, que je place sur le même plan de mes affections et de mes devoirs le culte de la Patrie, celui de la République, l'attachement à la cause du peuple et le souci de la prospérité de notre belle Algérie. " (L'Echo d'Alger du 11 décembre 1925)

               Mais si Georges Laffont est de gauche, il est aussi " Pied-Noir ". S'élevant, en 1934, contre la volonté du gouvernement français de contingenter les vins algériens au profit des viticulteurs du Midi, il déclare devant une foule de 20.000 Algérois en colère :
               " C'est à la demande de la France que nos pères sont jadis venus ici. [...] ; ils sont venus sur cette terre si souvent hostile et ils l'ont peuplée parfois de cimetières plus grands que les villages. Ils ont travaillé, souffert et leur énergie toujours, leur héroïsme souvent, a fertilisé son sol, en a fait jaillir l'abondance. C'est là notre crime... [...] Ruiner la viticulture algérienne, c'est supprimer les salaires qui font vivre la population indigène dont le dévouement et le loyalisme ne nous ont jamais fait défaut. [...] Nous sommes Français, rien que Français et c'est pourquoi nous protestons [...] contre une mesure qui semble vouloir nous ravir ce titre. [...] Nous ne formulons qu'un vœu : Vive la France. " (L'Echo d'Alger du 20 octobre 1934)

               Rappelons que Georges Laffont, membre du Parti républicain-socialiste (petit parti de centre-gauche), était l'élu du faubourg ouvrier de Bab-el-Oued. Car il faut préciser que même les habitants de Bab-el-Oued, qui d'après une légende mensongère auraient " tous été communistes ", votaient, en réalité, en majorité pour cette gauche modérée représentée par Georges Laffont, le plus gros score réalisé par le Parti communiste à Bab-el-Oued étant seulement de... 29 % des voix, lors des législatives de 1936 (contre 20 % pour le reste d'Alger). C'est peu, pour un faubourg prétendument " rouge ". Le remplaçant de Georges Laffont au poste d'élu local de Bab-el-Oued, Emile Lombardi, sera lui-même radical-socialiste, tandis que le score réalisé par le candidat communiste à Bab-el-Oued aux législatives de 1928 n'est que de 5,90 %, aux départementales de 7,20 %, et, au second tour des législatives de 1932, de 1,90 % ! Il est donc temps de rétablir la vérité au sujet de Bab-el-Oued, qui n'a jamais été un quartier " communiste ", mais, à l'instar du reste d'Alger suivait majoritairement les partis de la gauche modérée et patriote.

               Cet électeur Pied-Noir patriote et de gauche, l'écrivaine Lucienne Favre en a donné un bon exemple dans son roman " Bab-el-Oued " avec le personnage de Marius Pourpre, contrôleur de tramways originaire de ce faubourg :
               " Marius Pourpre, sorte de fonctionnaire, payé au mois et qui jouira, plus tard, d'une retraite [...], honore Bab-el-Oued par son élégance, sa distinction, sa dignité parfaite. Il n'est pas mal de sa personne. Il est socialiste en principe et conservateur en pratique. Il joue aux boules à ses heures de repos. Il boit modérément, car il n'a pas l'estomac très solide. Il est assez content de lui, et pourquoi pas ? Dans tous les yeux de Bab-el-Oued, il lit la même approbation encourageante. Il possède déjà un joli petit capital - héritage paternel - mais cela ne lui suffit pas et comme il est gourmand, il a une ambition secrète : se remarier avec une femme qui " aye de quoi ". Il sait parler. Il vous " esplique "... Jaurès... comment qu'on aurait dû faire payer les Allemands et comment qu'on fera la prochaine guerre, à coups de microbes... Il expose le bilan de sa compagnie de tramways avec la fierté d'avoir contribué à la prospérité de ses finances. Il sait par cœur deux poèmes de Victor Hugo et des bribes de Lamartine. Enfin, c'est un personnage qu'on invite à toutes les noces. " ...

               Cette parenthèse sur la gauche pied-noire refermée, revenons-en au sujet qui nous occupe, la guerre d'Algérie, et l'assassinat de la gauche patriote.

               Disons-le d'emblée : la politique algérienne du général de Gaulle a contribué d'une manière décisive à livrer la France et l'Occident au gauchisme culturel. Voilà notre thèse.

               Les admirateurs de l'homme du " Je vous ai compris ! ", qui, en défenseurs désespérés de la cause perdue du gaullisme utilisent toutes les ressources de leur propagande pour chercher à faire croire aux Français que le général de Gaulle n'aurait agi en Algérie que pour éviter à son petit village de devenir " Colombey-les-Deux-Mosquées ", oublient cependant de rappeler une chose essentielle : c'est avec la gauche anticolonialiste et autres défaitistes pro-FLN, voire avec le FLN lui-même que de Gaulle s'est allié, entre 1960 et 1962, pour écraser les Français d'Algérie ainsi que leurs défenseurs. A tel point, que Georges-Marc Benamou a pu parler d'un " axe de Gaulle-Sartre " ! " On n'emprisonne pas Voltaire ! " aurait en effet répondu le Général, à ceux qui l'invitaient à engager des poursuites contre le " philosophe " d'extrême gauche Jean-Paul Sartre après que ce dernier ait encouragé le FLN à massacrer jusqu'au dernier les Européens d'Algérie dans sa préface aux " Damnés de la terre ". " Un pacte implicite se noua entre de Gaulle et Sartre, nous dit G.-M. Benamou. [...] De Gaulle en fit son complice, son allié clandestin - on le découvre à bien des indices, à la relative clémence de certains tribunaux, à cet accès aux médias gaullistes dont bénéficièrent les porteurs de valises, et à ce sentiment partagé qu'en 1961-1962 les amis du FLN étaient devenus ceux des gaullistes. "(13) Dans le même esprit, l'historien Claude Martin écrivait dès 1963 : " Les historiens de l'avenir s'étonneront sans doute que puisque le gouvernement faisait la guerre, il laissât la propagande pacifiste s'exercer avec un minimum de risques. [...] La rigueur rétroactive du général de Gaulle envers le gouvernement de Vichy et ses partisans faisait un contraste avec son indulgence envers l'opposition défaitiste en Algérie. "(14) C'est pourquoi une terrible question se pose :

               Était-ce la meilleure façon, pour éviter " Colombey-les-Deux-Mosquées ", que de capituler lâchement devant le FLN, livrer ses propres compatriotes - Pieds-Noirs et Musulmans - à un ennemi fanatisé pratiquant le djihad islamique, abandonner l'Algérie à la misère économique du " socialisme arabe ", refuser le rapatriement des harkis tout en acceptant l'entrée sur le sol français de centaines de milliers de citoyens Algériens tout au long des années 1960, ou encore s'appuyer sur Jean-Paul Sartre et la gauche pro-FLN, tout en rejetant hors de la nation en les assimilant à des " fascistes " les patriotes et républicains sincères que furent la plupart de ceux que l'on a appelé les " partisans de l'Algérie française ", patriotes qui n'étaient le plus souvent animés que par un sentiment de solidarité nationale envers leurs concitoyens d'Algérie menacés ?
               Avec plus d'un demi-siècle de recul, les Français ont désormais la possibilité de juger les premiers résultats d'une telle politique...

               Attardons-nous sur l'une des nombreuses conséquences désastreuses de cet " axe de Gaulle-Sartre ". Il semble en effet que ce rapprochement noué à la fin de la guerre d'Algérie entre le gaullisme et la gauche anticolonialiste ait largement contribué à marginaliser et ruiner pour de nombreuses décennies le peu qu'il restait de la vieille gauche patriote, républicaine et anticommuniste que nous avons évoqué plus haut. Une gauche, incarnée notamment par des hommes tels que les socialistes Robert Lacoste, Max Lejeune, René Dejean ou M.-E. Naegelen, les radicaux André Morice, Amédée Froger, Bourgès-Maunoury et Pascal Arrighi(15) , le syndicaliste André Lafond, le sociologue Albert Bayet, l'écrivain Jules Romains, le philosophe Jean La Hargue, les ethnologues Paul Rivet et Jacques Soustelle ainsi que par le journal " Combat " ou le cercle " Patrie et Progrès ", et diverses autres personnalités de droite ou de gauche telles que Albert Camus, Alfred Fabre-Luce ou Maurice Allais, ayant également refusé de se plier au diktat du FLN. Ces hommes, écrasés par " l'axe de Gaulle-Sartre ", resteront pour toujours isolés, méprisés, calomniés, leur discours déformé et caricaturé. Jusqu'à nos jours et par une habile propagande, la pensée dominante les stigmatise, les présentant à l'opinion comme des " ultras de l'Algérie française ", des " hommes perdus " ou des " cervelles de colibri ", des " colonialistes ", des " racistes " voire des " nazis ", simplement pour avoir voulu rester fidèles à la solidarité nationale et à leurs valeurs de gauche en n'acceptant pas qu'une minorité, celle des non-musulmans d'Algérie, soit dépouillée de tous ses droits, livrée pieds et poings liés au racisme, au fanatisme religieux, et n'ait plus comme seul choix que " la valise ou le cercueil ". Voilà leur crime.

               Mais comme la nature a horreur du vide, il faut bien comprendre que d'autres à gauche ont vite pris leur place. Adieu la gauche républicaine, bonjour la gauche gauchiste ! Adieu Robert Lacoste et bonjour Cohn-Bendit ! Adieu " Combat ", bonjour " Libé " !

               L'historienne Anne-Marie Duranton-Crabol écrit à propos de " Combat ", journal plutôt orienté à gauche qui fut l'un des plus grands quotidiens de la France d'après-guerre : " Au total, Combat prend donc nettement parti pour l'Algérie française. [...] Comme ces intellectuels de gauche ralliés au camp de l'Algérie française, auxquels Albert Bayet sert de référence, le quotidien fondé par Camus manifeste sa fidélité au modèle républicain "(16) . Comme on le voit, l'un des journaux les plus emblématiques du combat pour l'Algérie française et la défense des Français d'Algérie, se réclamait en bonne partie de la gauche. Mais l'on comprendra mieux l'évolution de la société française lorsque l'on saura que le quotidien " Libération ", qui servira plus tard de nouveau journal de référence à gauche, fut fondé en 1973 par Jean-Paul Sartre, aidé de jeunes gauchistes héritiers des porteurs de valises du FLN. Le journal " Libération ", parangon du gauchisme culturel, est en cela très représentatif du climat malsain installé en France à la suite de la capitulation de 1962, là où, comme l'a écrit Dominique Venner comparant mai 58 à Mai 68, la jeunesse française " avait changé de visage, passant du béret de parachutiste à la tignasse gauchiste "(17) .

               Ainsi l'assassinat de la gauche patriote passait aussi par la marginalisation de sa presse et de ses supports culturels. Adieu " Combat ", bonjour " Libé " !

               Rien n'illustre mieux également ce duel entre la gauche patriote et la gauche pro-FLN que l'opposition entre Albert Bayet et Daniel Mayer, tous deux membres éminents de la Ligue des Droits de l'Homme. Le premier sera partisan, jusqu'au bout, du maintien de l'Algérie au sein de la République française, au nom de ses valeurs républicaines de gauche, laïques et patriotes. Le second, " anticolonialiste " fervent, participera en 1958 à la fondation du Parti Socialiste Autonome (PSA), regroupement de socialistes opposés à la guerre d'Algérie et partisans d'un cessez-le-feu immédiat avec le FLN. Daniel Mayer, dans le même temps va prendre la tête de la Ligue des Droits de l'Homme, " tournant majeur ", d'après Alain Herbeth, " pris par cette organisation, passant du soutien à la présence française en Algérie, porté notamment par Paul Rivet, patron du Musée de l'homme, au soutien au FLN. Le fossé s'installe entre les deux " ligues " pour aboutir à la cassure définitive. La position de Daniel Mayer triomphera et ne sera jamais remise en question. Le combat commencé en 1956 va d'ailleurs se poursuivre dans les décennies suivantes et installera durablement, à la tête de la LDH une forme de " gauchisme culturel ".(18) " Ami lecteur, vous avez bien lu : certains membres éminents de la Ligue des Droits de l'Homme, à l'époque de la guerre d'Algérie, étaient de fervents partisans de l'Algérie française ! Lorsqu'on vous dit qu'il s'agit d'une gauche que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...

               Si de Gaulle se décide à vaincre ou à court-circuiter le FLN, c'est sans doute cette gauche patriote qui, dans le meilleur des cas, gagne dans les esprits, ou dans le pire parvient au moins à se maintenir et à rester en vie. De Gaulle s'inclinant devant le FLN, c'est la gauche de la soumission, " pacifiste ", " anticolonialiste " et pro-FLN, communisante ou progressiste, qui immanquablement triomphe. Et c'est bien ce qui s'est passé. Le mal est d'ailleurs si profond que le rapport des forces né à cette époque à gauche perdure toujours aujourd'hui.

               A la décharge du général de Gaulle il faut rappeler que le pacifisme à outrance a toujours été un " vieux démon " de la gauche française, et ce dès la Première Guerre mondiale où un certain nombre de socialistes, déjà, par leur propagande antimilitariste et défaitiste cherchaient à saboter l'effort de guerre - des hommes qui pour beaucoup rejoindront après-guerre le Parti communiste, apparu dans les années 1920. Cette histoire est donc très ancienne, et le chef de Gouvernement républicain-socialiste Paul Painlevé, homme de gauche modéré et patriote dénonçait dès cette époque chez les communistes et certains socialistes " ceux que leur soi-disant amour de l'univers rend aveugles, paraît-il, à l'amour de leur pays "(19) . C'est d'ailleurs cette gauche " pacifiste " pointée du doigt par Painlevé qui fournira de nombreuses recrues aux partisans de la Collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est bien évident que l'on ne saurait reprocher cet état de fait au général de Gaulle, qui n'y est absolument pour rien.

               Le problème, étant que sa politique algérienne a eu comme résultat extrêmement dangereux de donner pour la première fois entièrement raison à cette gauche-là, de lui offrir un triomphe, alors que la logique, le " cours naturel des choses " aurait été de la contenir, de l'affaiblir en s'appuyant sur les éléments sains de la gauche française, si bien représentés par des hommes tels que Robert Lacoste, Naegelen et beaucoup d'autres qui plaçaient " l'amour de leur pays " devant " l'amour de l'univers ". Mais ces hommes de gauche patriotes, de Gaulle, après avoir changé de cap sur l'Algérie au mépris de toutes ses promesses, a préféré les combattre et les calomnier, s'appuyant pour cela sur la gauche défaitiste et pacifiste voire sur les porteurs de valises. Ainsi l'opinion française, de l'extrême gauche à une partie de l'extrême droite, s'est désormais habituée à vivre avec l'idée qu'une trahison doublée d'une capitulation sans défaite telle que celle signée à Evian le 19 mars 1962, véritable crime contre la solidarité nationale, évènement sans précédent dans notre Histoire et aux conséquences humaines plus que désastreuses (exode, destruction du peuple pied-noir, massacre des harkis...), soit considérée comme quelque chose de banal, de naturel, comme quelque chose " allant de soi " ou, mieux, dans le " sens de l'Histoire ". De ça, de Gaulle en porte l'entière responsabilité.

               La politique algérienne du général de Gaulle, jamais remise en question a instillé lentement, progressivement, dans la société française, l'esprit de soumission. En se mettant à genoux devant le FLN et le panislamisme, avec comme dangereux et suprême alibi l'éclat d'un nom qui fut grand quand il symbolisait la Résistance à l'occupant nazi, de Gaulle, a automatiquement détruit toutes les défenses immunitaires dont aurait pu bénéficier le peuple Français pour lutter contre les dangers qui le menacent.

               Sur ce point Jacques Soustelle aura tout prévu, lui qui écrivait en juin 1962 :

               " Il faut [...] considérer combien la politique du général de Gaulle, vis-à-vis de l'Algérie, sous la forme des " accords d'Evian " concertés avec l'organisation terroriste du F.L.N., renforce le Parti communiste en France métropolitaine. Le Parti communiste est en effet le seul parti politique qui puisse - et il ne s'en prive pas - se targuer d'avoir eu raison depuis le début. Lui seul, dès 1954, quand la rébellion a éclaté, s'est déclaré en sa faveur. Plus le temps passait, plus les liens du F.L.N. et du monde communiste se renforçaient, et plus le Parti communiste français multipliait ses actions, soit publiques, soit secrètes, pour aider les terroristes algériens. Il triomphe aujourd'hui. [...] Il peut se glorifier d'avoir compris " le sens de l'Histoire " mieux que Mendès-France, mieux que Guy Mollet, mieux que de Gaulle lui-même. C'est pour lui un élément inappréciable de prestige et d'influence : aux yeux de certains, il apparaît comme décidément infaillible ; pour d'autres, il est, en tout cas, assez fort pour faire peur et pour commander la prudence. [...]

               Le pouvoir d'attraction du Parti communiste sur les partis de gauche qui, en France, ont toujours cherché à lui résister, comme le Parti socialiste et le Parti radical, est prodigieusement renforcé par le fait que les positions de tous ces partis sur le problème algérien, après avoir été profondément différentes de celles des communistes, sont devenues identiques, sous l'égide de de Gaulle. Au référendum du 8 avril 1962, les communistes, les socialistes, les radicaux, et même les démocrates-chrétiens du M.R.P. catholique ont voté ensemble, et c'est de Gaulle qui a fait leur rapprochement. Hier isolé, le Parti communiste a vu tomber les barrières qui le séparaient des partis " nationaux ", il peut même prétendre, non sans raison, au rôle de chef de file et s'en prévaloir sans modestie. A qui doit-il ce succès ? Au général de Gaulle, qui a obligé les partis non communistes à s'aligner sur le Parti communiste sans que celui-ci ait à faire aucune concession. "(20)


               Et le général Jouhaud, rappelant les nombreuses déclarations favorables à l'Algérie française faites par des personnalités de tous bords politiques du temps de la guerre d'Algérie, de s'étonner, au milieu des années 1980 : " L'indépendance ! Qui donc, de nos jours, accepte de convenir qu'il en était un adversaire ? Il serait qualifié d'ultra, de colonialiste, sinon de fasciste ", avant d'ajouter qu'" avoir été " Algérie française ", et ne pas le renier comme certains, vous marque à jamais du sceau de l'infamie " (21). La fermentation dans la société française avait donc eu lieu, et le langage qui à l'origine, était celui du Parti communiste et du FLN est devenu, petit à petit, le langage du Français moyen.

               Inutile de chercher beaucoup plus loin que dans ce réalignement des planètes autour de " l'axe de Gaulle-Sartre " les causes du lamentable déclin de la France, du " terrorisme intellectuel " et du gauchisme culturel qui s'y sont installés depuis des décennies et sévissent encore de nos jours. Certes on nous répondra que, bien au contraire, le Parti communiste n'a fait que décliner depuis plusieurs années. Or ce n'est pas une question de résultats électoraux, ni même de personnalités ou de partis politiques, mais de " mœurs " et de " mentalités collectives ". C'est d'abord DANS LES ESPRITS que la gauche pro-FLN et autres intellectuels dits " libéraux " l'ont emporté. Et c'est pourquoi l'on peut considérer qu'une organisation comme, par exemple, SOS Racisme, apparue dans les années 1980, est une conséquence directe, pour ne pas dire la " fille légitime " des accords d'Evian.

               " ON A BANNI DE LA TRADITION DEMOCRATIQUE LE PATRIOTISME REPUBLICAIN ", se désolait dans les derniers temps de la guerre d'Algérie le socialiste Robert Lacoste, ennemi acharné du FLN, qui n'imaginait sans doute pas jusqu'à quel point ce nouvel état de choses serait funeste pour l'avenir de la France.
               Ce patriotisme républicain eut au moins trois redoutables adversaires à ses trousses, adversaires qui, après l'avoir pris en tenaille, finiront par avoir sa peau à la fin de la guerre d'Algérie :
               1.- Le premier d'entre eux étant le FLN, assassin d'innombrables instituteurs laïcs mais également, le 28 décembre 1956, du Pied-Noir Amédée Froger, vieux maire radical-socialiste de Boufarik (petite ville d'Algérie, symbole des pionniers de la colonisation) et figure typique de cette gauche " IIIème République ", à la fois humaniste et patriote. En visant Amédée Froger, c'est bien cette gauche fille de Gambetta et de Victor Hugo que le FLN a cherché, humainement comme symboliquement, à mettre à mort. Objectif atteint. Une autre vieille figure de cette gauche patriote, le pharmacien, homme politique local et directeur de " L'Echo d'Alger " Raoul Zévaco, que l'historien Claude Martin décrit comme " une des personnalités importantes du monde radicalisant de la IIIe République "(22) , sera à son tour sauvagement assassinée par le FLN dans sa propriété de Tipaza, en septembre 1960. C'est encore à ce patriotisme républicain auquel s'attaquera le FLN en cherchant, le 15 septembre 1958, à abattre Jacques Soustelle, l'homme de " l'intégration ", lors d'un attentat manqué. Ainsi, et contrairement à ce qu'on pourrait croire, les cibles privilégiées du FLN se situaient moins à l'extrême droite de l'échiquier politique, qu'à sa gauche.

               2. - Mais le FLN n'agira pas seul. Il sera aidé pour l'occasion, en France, dans sa lutte contre la gauche patriote, par les gauches communiste et " progressiste " alliées pour la détruire. Une alliance, que l'on pourrait baptiser " l'axe Sartre/Mendès-France ". Et ce fut l'épopée des porteurs de valises, l'activisme de l'UNEF, des " chrétiens de gauche ", la campagne de calomnies lancée contre l'armée et les socialistes Guy Mollet et Robert Lacoste sous le prétexte de la torture, la création du PSU, etc.

               3. - Nous retrouvons enfin Charles de Gaulle, qui, dans ce crime sordide visant à liquider la gauche patriote assura le rôle du tueur à gages par son alliance avec les deux premiers (FLN + communistes et progressistes).
               Tout a été dit, sur les circonstances de cet assassinat, par Georges-Marc Benamou :
               " La vieille gauche tint jusqu'au bout sa ligne " julesferryste ", écrit-il. [...] Elle échoua et fut [...] durablement sortie du jeu politique, une fois le gaullisme installé. [...] Il fallait un vainqueur : ce fut le FLN allié à de Gaulle [...]. Les partisans de l'Algérie française furent les pires des perdants. Ils incarnaient la déroute de la France impériale, et toutes ses dérives. "(23)
               En cela le duel Salan/de Gaulle remporté par ce dernier au printemps 1962, symbolise on ne peut mieux ce qui apparaît bien comme la fin d'un monde (celui d'une France fière d'elle-même croyant encore en la supériorité de certaines de ses valeurs) et le début d'une nouvelle ère (celle de la repentance, du gauchisme, du tiers-mondisme puis du relativisme culturel).

               " J'ai fait rayonner la France aux antipodes. J'ai commandé. J'ai secouru. J'ai distribué. J'ai servi et, par-dessus tout, j'ai aimé. Amour de cette France souveraine et douce, forte et généreuse, qui portait au loin la protection de ses soldats et le message de ses missionnaires "(24) , se défendait le général Salan, chef de l'OAS, au cours de son procès. Il est bien évident que la France " souveraine et douce, forte et généreuse " décrite ici, est une France que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une France, où un homme d'Etat socialiste tel Marcel-Edmond Naegelen pouvait par exemple écrire, à propos de l'Algérie française, que " l'Histoire reconnaîtra sa grandeur et sa bienfaisance " pour avoir " mis un chemin dans le désert et des fleuves dans la solitude "(25) , où un autre socialiste, le député de l'Hérault Edouard Barthe pouvait affirmer, voyageant en Algérie en 1923, que " si un jour, du haut de la tribune française, tombait une parole de blasphème contre les colons, nous serons tous là pour crier : C'est un mensonge ! "(26) , et où Dominique Cianfarani, lui aussi socialiste, déclarait : " nous autres, socialistes, nous disons aux Indigènes [d'Algérie] : [...] La France colonisatrice a plus fait pour votre bonheur que n'auraient jamais fait les grands seigneurs qui vous oppressaient avant 1830. [...] Partout, la paix française a créé le bien-être et développé la vie "(27) , tout cela, sans prendre le risque de se voir accusé de faire l'apologie de " crime contre l'Humanité ". Le bulldozer gaulliste, " l'axe de Gaulle-Sartre " étant passés par là, désormais il ne reste plus aux jeunes Français qu'à choisir entre un universalisme dévoyé (le " droits-de-l'hommisme ") et un repli identitaire total (saucisson, " pinard " et Charles Martel). Belle perspective !

               La France d'avant 1962, celle des SAS, de Salan, Juin, Jouhaud, Zévaco, Arrighi, Froger, Naegelen, Soustelle et Lacoste, que l'on pourrait aisément se représenter comme " une main de fer dans un gant de velours " (c'est-à-dire à la fois universaliste et patriote, généreuse tout en sachant se faire respecter), a laissé place à la petite main jaune de SOS Racisme et de " Touche pas à mon pote ".
               La " mission civilisatrice " a laissé place à " l'ouverture aux Autres ", la célébration (certes critiquable) de la colonisation française a laissé place à celle d'al-Andalus (l'Espagne musulmane), tandis que " l'intégration " Nord/Sud préconisée à tort ou à raison par certains partisans de l'Algérie française a laissé place à l'intégration Sud/Nord de la pression migratoire, du multiculturalisme et d'une " culture urbaine " portée par une pléiade de rappeurs anti-occidentaux, footballeurs et autres humoristes de " stand-up " ; la figure mythique de l'instituteur, " hussard noir " de la Troisième République allant enseigner parfois jusqu'au fin fond de la brousse africaine, ayant quant à elle fait place à celle du " jeune de banlieue ", dont l'imitation par les jeunes Français de toutes origines constitue désormais l'horizon indépassable de la " coolitude ". Ainsi est-il possible, de nos jours, de croiser dans la rue de jeunes Français à la peau blanche, fredonner des chansons de rap appelant à la haine, voire au meurtre des Blancs... Et si beaucoup de jeunes de notre pays ignorent totalement le fait même que l'Algérie ait été un jour française, il est aussi vrai qu'une grande partie d'entre eux n'ignorent pas qu'il fut un temps où l'Espagne était musulmane (vous savez, cette grande période de " tolérance " et de " lumière ", où les Arabes ont " civilisé " les " barbares " d'Europe...). Car si l'on raille tant, en France, les - si peu nombreux - " nostalgiques de l'Algérie française ", force est de constater que les " nostalgiques de l'Espagne musulmane ", dans le monde arabe, sont légion. De même que, à l'heure où la France se vautre dans la repentance jusqu'à élire à la présidence de la République un homme s'étant permis de salir l'honneur de son pays à l'étranger en l'accusant d'avoir commis un " crime contre l'Humanité " en Algérie, les autorités turques ne se gênent pas, de leur côté, pour fêter régulièrement et en grande pompe la prise, par leurs ancêtres musulmans en 1453, de Constantinople, antique capitale des Grecs et des chrétiens d'Orient mieux connue aujourd'hui sous le nom d'Istanbul - les Turcs ayant d'ailleurs pris soin, en amont, d'en chasser jusqu'au dernier les " indigènes " chrétiens.

               La France a brutalement renié son vieil universalisme (universalisme qui contrairement à la légende ne date pas des Lumières, de la République ou de Jules Ferry, mais constituait dès l'Ancien Régime la doctrine de la monarchie française(28) ) au profit d'un discours anticolonialiste et antiraciste de foire. Il n'y a donc aucune raison de s'étonner du fait que ce pays soit aujourd'hui la proie facile d'un universalisme islamique qui lui, n'a jamais désarmé. La nature a horreur du vide... Un responsable du FLN, en 1957 avait pourtant prévenu, lançant fièrement à la face de parachutistes Français venus l'arrêter lors de la bataille d'Alger :
               " Vous voulez la France de Dunkerque à Tamanrasset, je vous prédis, moi, que vous aurez l'Algérie de Tamanrasset à Dunkerque ".

               Par conséquent, que l'on soit d'accord ou non avec tout ce qu'écrit Gilles Buscia, ancien de l'OAS, nul ne peut cependant nier son sens de la formule lorsqu'il pose cette question :
               " [De Gaulle] avait-il prévu [...] qu'après avoir déclaré que ces gens-là (les Arabes) ne seraient jamais des Français, l'immigration invasion que notre départ d'Algérie a provoquée [...] serait un jour en bonne voie de parvenir [...] à ce que les envahisseurs disent de nous " ces gens-là " (les " de souche ") ne seront jamais des Arabes ? "(29)
               En réalité la politique algérienne du général de Gaulle, et l'argument inlassablement répété de " Colombey-les-Deux-Mosquées " n'ont eu comme seul résultat que d'inculquer aux Français la peur de l'Arabe et l'idée malsaine que c'est dans la fuite et la capitulation que l'on résout les problèmes. " Napoléon disait qu'en amour, la seule victoire, c'est la fuite ; en matière de décolonisation aussi, la seule victoire c'est de s'en aller " (30), s'amusait à dire de Gaulle au moment même où des milliers de Pieds-Noirs et Harkis agonisaient sous l'effet d'horribles supplices. Mais ce dernier aurait sans doute été mieux inspiré par cette autre maxime indiquant que " la fuite n'est jamais une solution ", ou encore par cette phrase de Winston Churchill après les accords de Munich, ancêtres des accords d'Evian : " Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. " Plus d'un demi-siècle après la signature de ces accords d'Evian et compte tenu de la situation actuelle de la France, cette formule de Churchill prend tout son sens.

               1962, où l'on vit une grande nation Européenne acquiescer - matériellement et idéologiquement -, ce sans y être nullement contrainte, à toutes les revendications d'une faction totalitaire et djihadiste en premier lieu desquelles l'expulsion et le massacre de ses propres ressortissants au nom de " la paix ", de la mauvaise conscience et de ce que le philosophe Emmanuel Navarro nomme le " culte des hommes premiers ", symbolise mieux qu'aucune autre date le triomphe de l'idéologie tiers-mondiste, anti-occidentale, et le refus de se battre jusqu'au bout de la part de l'Occident. Il n'est donc pas impossible d'imaginer que l'année 1962 et ses " accords d'Evian " (sans doute la première capitulation sans défaite de l'Histoire) soit un jour considérée, avec le recul, comme une des dates les plus funestes de toute l'Histoire de l'Occident.
               " Honneur aux pays qui se lèvent et honte aux pays qui se couchent ! ", pour reprendre une formule de Châteaubriant (31).

               1962, équivaut à la fin d'un monde, au " passage d'un régime mythologique à un autre "(32) , et implique un vide spirituel, un brouillage des cartes et un dérèglement des mœurs dont la France et l'Occident sont encore loin d'être sortis.
               " Les années 55-60 [...] sont le berceau d'idées nouvelles rangées un peu vite sous l'étiquette fourre-tout du " tiers-mondisme " [...], conduisant à une représentation du monde en rupture avec celle qui avait cours il y a encore peu de temps, écrit Alain Herbeth, biographe de Robert Lacoste. Elle est le fait de militants nouveaux, intellectuels pour la plupart, enseignants et étudiants, [...] plus sensibles à un mélange d'idéologie et de morale qui, au fil des ans, Mai 68 aidant, va devenir quasi hégémonique. Leur combat est celui du bien contre le mal. Ces nouveaux rédempteurs [...] montrent du doigt la civilisation occidentale jugée coupable, collectivement, du malheur du monde, et surtout du tiers-monde. [...] Or, leur morale se révèle être souvent à géométrie variable. Indulgente, ou compréhensive, voire insensible à l'horreur de certains crimes, elle se réveille soudain aux horreurs commises par d'autres, choisis comme les représentants du mal. [...]

               Depuis ces années algériennes, une nouvelle génération s'est levée. Elle occupe les plateaux de télévision et les colonnes des journaux pour nous persuader que tout le mal dont souffre la société française provient, encore et toujours, de son héritage colonial. [...] C'est ce passé colonial et " laïque ", très IIIe République, qui mettrait à mal le " vivre-ensemble " et non la multiplication des territoires perdus de la République. [...] Les militants se sont faits juges. Ils rendent leur sentence au nom du bien et condamnent une France moisie confite dans son racisme. Cet abandon du réel, de la part d'une certaine gauche, abandon partagé aujourd'hui par une part non négligeable de la droite, est né pendant la guerre d'Algérie, à l'occasion des combats menés contre la torture. " (33)

               Le témoignage de Georges-Marc Benamou est également très instructif :
               " La guerre d'Algérie sert de glorieux prétexte, le meilleur à l'époque, pour accoucher d'un monde nouveau. Pour des lycéens, des étudiants et des intellectuels politisés à cette époque, elle est un lieu d'identité. Le lieu de naissance - et de rupture - de toute une génération. [...] A propos de cette allergie entre la gauche SFIO de Guy Mollet et la génération de la guerre d'Algérie, l'historien Jean-François Sirinelli parle de " court-circuit ". Une rupture décisive s'opéra en effet. Moins tapageuse que le congrès de Tours, elle marque toutefois une date clé dans l'histoire de la gauche. C'est Mai 68 qui s'annonce. C'est la mort de la première gauche, c'est-à-dire de la grande tradition jauresso-blumiste, laïque, jacobine et universaliste. On ne le comprit pas tout de suite.
               Il fallut, dans les années 1960, le génie politique de François Mitterrand pour masquer cette défaite historique. Ou plutôt pour la différer de vingt ans. Par-delà la question algérienne, c'est la IIIe République qui est mise à mort pour la seconde fois. Son utopie colonialiste, julesferryste, est devenue un cauchemar. Son universalisme, une haïssable oppression. Sa laïcité, un inutile fardeau. Son anticommunisme, une perversion atlantiste. Sa prévention contre l'islamisme, un racisme insupportable. Et sa défense d'Israël, un ralliement à l'impérialisme. Tout était bon pour en finir avec le socialisme de papa. L'occasion rêvée sera la faute algérienne de Guy Mollet... [...] L'Algérie fut l'école où se formèrent Rocard, les cadres de la CFDT, les jeunes dissidents du PCF, l'aile gauche du MRP, les intellectuels de la revue Esprit... [...] Leur guerre d'Algérie ne se menait pas dans le djebel, mais à la tribune de l'UNEF. "(34)


               Ces deux témoignages confirment largement notre thèse : la guerre d'Algérie a bien constitué UNE RUPTURE MAJEURE à l'intérieur de la gauche et de la société française en général. Il importait au général de Gaulle d'orienter l'Histoire dans le bon sens, celui de la Patrie, de la résistance et de la solidarité nationale, ce que les Romains de l'Antiquité appelaient fides et pietas. Mais il l'a orientée dans le sens du défaitisme, du déshonneur, de la facilité, de la soumission et de la collaboration avec l'ennemi contre ses propres frères.
               Il semble enfin que l'œuvre de destruction du " grand Charles " ne se soit pas arrêtée là, et que sa politique ait aussi abouti, pour longtemps, à déconsidérer dans l'opinion l'armée française, comme tout véritable sentiment patriotique :
               " Le décalage entre Pieds-Noirs et métropolitains peut reposer sur un autre facteur, explique l'historien Frédéric Harymbat. C'est la coupure avec une tradition patriotique et militaire, ancrée depuis plus d'un siècle. Pour Jean-Pierre Servent, c'est la guerre d'Algérie qui marque la rupture de l'opinion française avec son armée. Célébrer les drapeaux et nos batailles apparaît dès lors de plus en plus incongru, voire même suspect, sauf peut-être quand nous les avons perdues "(35) .
               On le voit, tous les ingrédients de Mai 68 étaient donc réunis suite au passage du général de Gaulle au pouvoir. Cette armée française, autrefois respectée par des hommes de gauche comme par des hommes de droite réunis par leur patriotisme, mais détruite moralement et calomniée par de Gaulle et ses alliés de la gauche anticolonialiste lors de la guerre d'Algérie, a dû céder la place au gauchisme et à l'individualisme de la société de consommation. C'est pourquoi l'on vit récemment Ségolène Royal, femme de gauche plutôt patriote et candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007, se faire traiter de " pétainiste " et de " facho " par un certain nombre de gens de son parti pour avoir osé faire jouer La Marseillaise dans ses réunions publiques... Quel crime insoutenable !
               Et c'est pourquoi l'on en vient aujourd'hui à célébrer officiellement le 19 mars 1962, résultat tout à fait logique puisque de Gaulle lui-même, tout au long des années 1960 ne cessait de le faire en camouflant la capitulation d'Evian derrière le masque d'une " politique " dite " de grandeur ". Ce qui ne manqua pas d'intriguer Marcel-Edmond Naegelen, socialiste patriote s'étant opposé aux accords d'Evian, qui écrivait en 1965 : " Si paradoxal que cela puisse paraître, la perte d'un vaste territoire et l'exode d'un million de Français étaient nécessaires à la grandeur française.(36) " Autre témoignage fondamental, celui de Jacques Soustelle, véritablement visionnaire :
               " A partir du moment où l'on baptise " grandeur " la liquidation du patrimoine national, l'égoïsme féroce qui se dérobe à la solidarité élémentaire entre fils d'un même pays, la soumission aveugle aux caprices d'un Pouvoir qui ordonne le mardi le contraire de ce qu'il a ordonné le dimanche, on ne saurait s'étonner de l'abaissement de l'esprit public. [...] Quand un président du Conseil socialiste prit la décision courageuse d'envoyer le contingent se battre contre les fellagha, il y eut un moment d'incertitude. Les communistes organisaient des manifestations, exaltaient les réfractaires. Des trains de soldats ne partaient pas ou stoppaient en rase campagne. Des régiments arrivaient à Alger ou à Oran en chantant l'Internationale. Pourtant cela ne dura pas. Plus d'un jeune communiste se trouva bientôt en opposition totale avec ses camarades, avec son parti. Un de nos collègues communistes, à l'Assemblée nationale, avait peine à dissimuler sa surprise irritée : son fils, d'Algérie, lui écrivait qu'il comprenait maintenant qu'on ne devait pas livrer ce pays à une bande d'assassins, pourquoi il fallait combattre. Les jeunes gens du contingent non seulement se battirent, mais construisirent des pistes, creusèrent des puits, soignèrent les malades, firent la classe aux petits Arabes et aux petits Kabyles. Des milliers d'entre eux, à l'expiration de leur service, voulaient rester en Algérie, s'y marier, y créer de nouveaux foyers français.

               Puis tout changea : le Pouvoir lui-même s'employa à semer le doute. L'armée ne se battait plus pour aucun but discernable, sinon pour préparer son propre départ. Les serments, la parole d'honneur ? Bah ! L'ennemi n'était plus le terroriste égorgeur, c'était le Français, la Française d'Algérie. Le Pouvoir encourageait la délation, le noyautage des unités par des cellules communistes ; on espionnait, on mettait en fiche les officiers. Le cri " Vive l'Algérie française ! " devenu séditieux, le mot d'ordre devint " Vive la quille ! " Et [l'on] s'étonne de l'abaissement de l'esprit public ?
               Ce que dit ou ce que fait l'Etat détermine beaucoup plus qu'on ne le croit ce que pense la nation. Par ses paroles ou par ses actes, le Pouvoir a donné une leçon à la nation : " Il n'y a pas d'honneur ni de devoir, même envers des compatriotes malheureux. Quand une terre française coûte cher, qu'on l'abandonne ! Quand des Français veulent rester Français, qu'on les mitraille ! Assez d'efforts : faisons cadeau à l'ennemi de tout ce qu'il exige, et même davantage. " Cette leçon a été écoutée. [...]

               Qu'est-ce que le régime a trouvé à lui substituer ? Une sorte de morne " Enrichissez-vous " ou " Amusez-vous bien ". Français, nous dit-on, dormez tranquilles, mangez, buvez, partez en vacances [...]. Tel est [...] le civisme que l'Etat nous enseigne. "(37)
               Quant à la gauche modérée, républicaine et patriote que nous avons déjà évoqué, elle tente aujourd'hui péniblement de revivre derrière la figure de Manuel Valls, après plusieurs décennies d'effacement total. Une gauche ayant tellement disparu du paysage politique français que c'est le Front National de Marine Le Pen qui, il y a quelques années, s'est chargé de ressusciter son discours !
               Il est en outre intéressant de constater que la gauche (gauchistes, communistes et chrétiens de gauche) qui hier discutait sans complexes avec les fellagha, est celle qui aujourd'hui encourage le plus l'immigration maghrébine, le communautarisme, et n'hésite pas parfois à se compromettre avec certains leaders islamistes et autres militants du " Parti des Indigènes de la République ", ce nouveau FLN installé dans nos banlieues. Inversement c'est la même gauche républicaine et patriote qui hier rechignait à s'incliner devant le FLN, qui dénonce aujourd'hui avec passion l'" islamo-gauchisme ", l'idéologie multiculturaliste, et commence à percevoir les dangers de l'immigration. Il n'y a pas de hasard.

               Dans un livre récent se faisant l'écho de la pensée dominante, l'historien Christophe Prochasson, condamnant ces hommes de gauche " Algérie française " tel Robert Lacoste, qui d'après lui " [se déshonorèrent] dans les arcanes de la politique algérienne " notamment en " [couvrant] la torture ", ridiculisant la vieille croyance de ce républicanisme socialiste en une " mission civilisatrice de la France " ainsi que sa " fidélité à la laïcité confrontée à l'islam ", loue, à l'inverse, les militants et hommes politiques pro-FLN et " anticolonialistes " qui, eux, auraient selon lui sauvé l'honneur de la gauche :
               " Au sein même des partis, des dissidences se firent jour face au silence, aux complicités ou aux mensonges des responsables, écrit Prochasson de la guerre d'Algérie. Elles ont fait quelques héros discrets qui composent le panthéon de la gauche morale. C'est de ceux-là dont on préfère se souvenir et dont plusieurs, comme Michel Rocard, André Philip, Alain Savary, Edouard Depreux et quelques autres, ont contribué à relever la gauche dans les années 1960 et 1970. "(38)

               Parmi ces hommes qui eurent l'honneur, d'après Christophe Prochasson, de " relever la gauche ", citons aussi l'intellectuel de gauche Pierre Nora qui, revenant récemment sur la parution en 1961 de son livre de calomnie " Les Français d'Algérie ", livre écrit dans le seul but de convaincre les Français de Métropole d'abandonner leurs compatriotes d'outre-Méditerranée, s'auto-félicitait pour s'être chargé à l'époque, ainsi que la situation, selon lui, l'" exigeait ", de " violer un serment patriotique et national ", " piétiner la dignité des citoyens ", " insulter l'honneur des soldats "(39) (sic), le même homme s'en prenant également à cette gauche " assimilationniste [qui] eut le plus grand mal ", lors de la guerre d'Algérie, " à se convertir à l'idée d'indépendance, d'autant qu'elle se trouvait majoritairement non pas devant de gros colons mais devant son électorat " (40) ; Pierre Nora regrettant enfin, tenez-vous bien, le fait que l'" on vivait à l'époque sur l'idée qu'il fallait à tout prix garantir la sécurité et l'avenir de nos compatriotes "(41) Français d'Algérie... Mais oui, quelle idée étrange ! Vouloir éviter " à tout prix " à un peuple d'un million de compatriotes d'être victime du fanatisme et de n'avoir le choix qu'entre " la valise ou le cercueil ", quel scandale, quelle idiotie, quelle naïveté, quel passéisme ! Ça ne va pas dans le " sens de l'Histoire ", ça ! Le " sens de l'Histoire " selon Pierre Nora, le voici : " Les Français demandent aujourd'hui au président de la République de les débarrasser des Français d'Algérie " ; " Il y a même intérêt à les priver momentanément de tout espoir de secours. Rien n'est plus inutile que d'habituer les Français d'Algérie à l'idée anémiante qu'ils vont être " bradés ". Il faut qu'ils voient la chose faite. "(42) Il s'agit là d'extraits du livre de Pierre Nora " Les Français d'Algérie ", paru à la fin de la guerre d'Algérie.
               VOILA ENTRE LES MAINS DE QUI LE GENERAL DE GAULLE, PAR SES ALLIANCES CONTRE NATURE, A REMIS LES CLEFS DE LA NATION FRANCE !

               La voici en effet, la " gauche morale " et bien-pensante, arbitre autoproclamée des " Droits de l'Homme " et des élégances progressistes. C'est bien cette nouvelle gauche-là, bénie par la politique algérienne extrémiste du général de Gaulle, qui, triomphant, fanfaronnant, en profitera pour faire la pluie et le beau temps sur la France pour plusieurs décennies. Ces gens, qui dans leur mégalomanie se prenaient pour les héritiers des dreyfusards ne cherchaient pas la résolution d'un conflit, encore moins la justice ; ils ont seulement pris parti pour une communauté contre une autre, l'arabe contre la française, quitte à vouer aux gémonies la seconde. Ils ne luttaient pas pour le droit " des peuples " à disposer d'eux-mêmes, mais pour celui d'" un peuple " à disposer de lui-même et à en écraser un autre au passage.
               " Est-on colonialiste et raciste parce qu'après examen des faits [...] et des résultats, on condamne cette renonciation totale à l'Algérie et à la défense des Français [de ce pays] ? (43)" , osait pourtant se défendre le socialiste " Algérie française " Naegelen, avant de citer Jean Jaurès.
               " Ceux qui sont en Algérie, on ne peut pas empêcher qu'ils constatent que le F.L.N. n'a jamais changé, n'a jamais varié vis-à-vis d'eux. [...] Et qui sont ces hommes ? Il y a, parmi eux, trois mille colons seulement qui détiennent plus de cinquante hectares. Voilà la vérité. On n'a jamais voulu la voir, mais il faut la regarder aujourd'hui. La France, tout de même, ne va pas les abandonner. Si elle le faisait, elle se déshonorerait "(44) , déclarait de son côté Robert Lacoste, autre socialiste et ancien Gouverneur de l'Algérie, en 1961.

               " Demain, dans une Algérie indépendante, le droit à l'existence et à la justice serait dénié à la minorité européenne et aux amis de la France, au nom de la souveraineté nouvelle et, sans doute, d'un racisme dont on a vu des exemples ailleurs dans les nouveaux Etats. [...] Nous nous refusons donc à admettre, comme le font certains, que les principes démocratiques commandent d'acquiescer à la force et par des négociations aventureuses, à une indépendance qui supprime les individus et les minorités et marque un nouveau progrès du totalitarisme dans le monde "(45) , expliquait le même homme un an plus tôt.
               " Préparer l'avènement d'un Etat musulman indépendant d'Algérie [...] reviendrait à éliminer la population d'origine européenne ", alertait quant à lui Guy Mollet, Premier ministre socialiste, s'exprimant à l'Assemblée nationale le 9 mars 1956, avant de conclure fermement : " Pas avec nous ! ".

               " Si l'on parle purement et simplement du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, on commettra une erreur sur le plan des principes [...] car la manière dont il en dispose ne doit pas porter atteinte à la liberté et aux droits des autres peuples "(46) , disait-il encore.
               " Tout n'est pas idyllique, loin de là, de l'autre côté de la Méditerranée, parce que l'on s'y bat parfois durement et qu'il est juste de dire que dans l'horreur d'un conflit, ce ne sont pas toujours les combattants ou les coupables qui paient. Mais qui prolonge la bataille ? Qui refuse le cessez-le-feu ? Qui décide la guerre à outrance et la conduit avec des moyens abominables ? Et à quel moment les défenseurs chatouilleux des principes ont protesté contre les assassinats et le terrorisme ? "(47) , s'indignait, en mars 1957, le socialiste Claude Fuzier, pointant du doigt le FLN au moment des débats sur la torture.
               " Il est impossible d'abandonner, en droit et en fait, comme nous avons commencé à le faire en Tunisie et au Maroc, les deux millions d'Européens d'Afrique du Nord. Céder l'intégralité du pouvoir politique aux musulmans équivaudrait à les condamner à voir tôt ou tard bafouer leurs droits politiques et économiques fondamentaux. Ils n'auraient plus alors qu'à partir, et nous aurions indignement trahi les devoirs impératifs de la solidarité nationale. Les deux millions d'Européens d'Afrique du Nord appartiennent à la communauté française. Rien, absolument rien, ne peut permettre d'envisager leur abandon partiel ou total, public ou déguisé. Il est tout autant impossible d'abandonner ceux des Musulmans qui ont pris parti pour la France. Notre départ, comme on l'a vu au Maroc, les livrerait aux pires représailles. La fidélité à l'amitié nous dicte des devoirs auxquels nous ne saurions nous soustraire "(48) , écrivait en novembre 1956 le futur prix Nobel d'économie Maurice Allais, qui, tout en étant favorable, dès le début des hostilités en Algérie, à la création d'un Etat musulman indépendant, insistait néanmoins sur le droit inaliénable des Pieds-Noirs à vivre sur leur terre, Maurice Allais plaidant par conséquent pour un partage du territoire algérien entre ses deux peuples, de la même manière qu'aujourd'hui certains militent en faveur d'un Etat palestinien tout en étant très clairs sur le droit à la sécurité pour Israël, de la même manière que les Accords de Dayton signés en 1995, partageront la Bosnie-Herzégovine en deux entités par la reconnaissance de la République serbe de Bosnie, de la même manière enfin que le Royaume-Uni a conservé l'Irlande du Nord pour y regrouper les protestants de ce pays - et l'on pourrait multiplier ce genre d'exemples.

               Continuons à dérouler ce chapelet de citations :
               " Sans remonter aux causes, discutables, certes, de l'établissement dans ce pays d'une population européenne déjà importante, en réservant les moyens, critiquables également par lesquels elle s'y maintient, elle y a, à nos yeux, le droit de cité autant que les Indigènes. Le nationalisme arabe met ce droit en question et contre lui nous sommes en état de légitime défense "(49) , affirmait un militant socialiste " pied-noir ", dès les années 1920.
               " Ceux qui préconisent, en termes volontairement imprécis, la négociation avec le F.L.N. ne peuvent plus ignorer, devant les précisions du F.L.N., que cela signifie l'indépendance de l'Algérie dirigée par les chefs militaires les plus implacables de l'insurrection, c'est-à-dire l'éviction de 1 200 000 Européens d'Algérie [...]. C'est une politique, sans doute, mais il faut l'avouer pour ce qu'elle est, et cesser de la couvrir d'euphémismes "(50) , prévenait Albert Camus au printemps 1958.

               Et Jacques Soustelle, lui aussi issu de la gauche - mais également du gaullisme -, dans sa " Lettre d'un intellectuel à quelques autres à propos de l'Algérie " (1955), lettre dans laquelle il répondait à ces partisans de " la paix en Algérie " - dont certains font partie de ces amis - alertant sur le risque pour la France de " perdre l'honneur " en continuant la guerre, affirmait à son tour qu'" il y a beaucoup de manières de perdre son honneur ; l'une d'elles serait, à coup sûr, d'abandonner aux tortures, aux mutilations et à la mort non seulement 1.200.000 Européens, mais des millions de Musulmans. "(51)
               Même Soustelle qui quelques mois plus tard, dénonçant dans l'enceinte de l'Assemblée nationale le fait que " les Français [d'Algérie] d'origine européenne sont traînés dans la boue, attaqués de toutes manières, en métropole, par la presse ou dans des interventions publiques, traités d'exploiteurs et de colonialistes ", concluait avec sagesse que " quand bien même [les Français d'Algérie] auraient des défauts et des vices - dont, d'ailleurs, ni les Auvergnats, les Provençaux ou les Bretons ne sont peut-être exempts - ces défauts et ces vices ne méritent pas la peine de mort ", ce dernier invitant également le président de Gaulle, dans une note datant d'août 1959, à faire en sorte que " toute solution du problème algérien [doit tenir] compte de la nécessité absolue d'empêcher l'oppression d'une communauté par une autre. " (52)

               Enfin, répondant dans les pages du journal " Combat ", le 23 octobre 1961, à ceux qui à gauche l'accusent de " fascisme " pour son opposition à la politique algérienne du général de Gaulle, Soustelle déclarait solennellement, que " si je condamne la politique algérienne actuelle, c'est précisément par fidélité à mes convictions de toujours.
               C'est parce que je suis et je reste républicain et démocrate que je repousse avec horreur cette politique dont le résultat évident est l'instauration en Algérie d'une dictature féroce aux dépens d'Européens et de musulmans qui sont encore aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, des citoyens français.
               C'est parce que je crois au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à conserver leur liberté, leurs croyances, leur culture, que je condamne l'oppression à laquelle est soumis dès maintenant le peuple algérien de civilisation française, chrétien ou juif, que l'on brime de cent manières pour lui arracher sa nationalité et que l'on accule au désespoir en ne lui offrant d'autre avenir que l'esclavage ou la déportation.
               C'est parce que j'attache une importance primordiale à la parole donnée par une grande nation que je réprouve avec dégoût le parjure auquel on pousse l'armée pour l'obliger à abandonner les musulmans qui lui ont fait confiance au péril de leur vie. " ...


               Soustelle terminant par cette prédiction :
               " Je déplore l'aberration des démocrates français qui font le jeu [du] totalitarisme [FLN] ; la " gauche " commet là une très lourde erreur, dont les conséquences n'ont pas fini de peser sur notre Histoire. "
               Nous laisserons aux lecteurs le soin de déterminer où se cachent le " racisme ", le " fascisme ", le " colonialisme ", le manquement au " respect des Droits de l'Homme " ou l'absence de " morale ", dans les discours de ces hommes.
               C'est en effet - ainsi que l'a écrit Jacques Soustelle - un véritable " assassinat moral ", que subiront ces hommes de gauche ennemis du FLN. Il faut savoir que certains " libéraux " et intellectuels de gauche pro-FLN, sont allés jusqu'à utiliser l'expression " national-molletisme " (en référence au " national-socialisme " des nazis !), pour mieux condamner le socialiste Guy Mollet et sa politique sans concessions menée contre le FLN lorsqu'il était chef du Gouvernement entre 1956 et 1957. Ce jeu de mots est d'autant plus ignoble que Guy Mollet, à l'heure de l'Occupation allemande a opté pour la Résistance, quand certains intellectuels qui se plairont à dénoncer le " national-molletisme " n'ont, eux, pas bougé le petit doigt, voire collaboraient ouvertement avec les Allemands. Dans le même esprit le grand historien de la colonisation Charles-Robert Ageron, chrétien de gauche et militant " anticolonialiste " pendant la guerre d'Algérie, dans un de ses livres se voulant objectif paru en 1979, osait qualifier l'ancien Gouverneur de l'Algérie Marcel-Edmond Naegelen (homme politique socialiste connu pour son hostilité aux nationalistes musulmans et sa solidarité envers les Européens d'Algérie), de " socialiste d'esprit national "(53) ... Le jeu de mots avec le " national-socialisme " des nazis, là encore est assez clair.

               Hélas !, force est de constater que près de soixante ans plus tard, les voix de ces hommes n'ont toujours pas été entendues, et que la chape de plomb se maintient. En effet " l'axe de Gaulle-Sartre " comme " l'axe de Gaulle-Mendès-France " n'ont pas fini de faire sentir leurs méfaits. Et c'est désormais, après eux, au tour de Manuel Valls d'être assimilé à un " facho " par la même horde d'idéologues, des cryptocommunistes amis de Jean-Luc Mélenchon aux " progressistes " nouvelle vague type Claude Askolovitch, simplement parce qu'" après examen des faits ", Valls ose faire preuve de fermeté en s'en prenant au communautarisme, en alertant sur les dangers de l'islam politique, d'une immigration mal maîtrisée, et en préférant s'assurer le soutien des musulmans laïcs et pro-occidentaux plutôt que de se compromettre avec cette cinquième colonne rassemblant salafistes, " antisionistes ", Frères musulmans, " indigénistes " et autres prétendus " antiracistes ", tous dignes héritiers du FLN.

               L'Histoire, en effet semble aujourd'hui se rejouer de manière frappante, Manuel Valls ressemblant beaucoup, qu'il le veuille ou non, à un nouveau Robert Lacoste ; Marwan Muhammad, rusé gourou du Comité contre l'Islamophobie (CCIF), n'étant de son côté rien d'autre qu'un nouveau Ben Bella ; Benoît Hamon, l'ami des " jeunes de banlieue ", l'héritier des chrétiens de gauche pro-FLN ; le " progressiste " Emmanuel Macron un nouveau Mendès-France ; Edwy Plenel un nouveau Sartre ; Ivan Rioufol et son réalisme pessimiste, un nouveau Jacques Soustelle (ou Georges Bidault) ; Alain Soral et ses amis " antisionistes ", les dignes héritiers de l'extrême droite algérienne des années 1930 pariant sur l'alliance entre Musulmans et Européens contre les Juifs, tandis qu'à l'extrême gauche, le NPA de Besancenot et ses tentatives avortées de s'implanter durablement chez les populations issues de l'immigration musulmane, rappelle à plus d'un titre ces " pieds-rouges " du Parti Communiste Algérien victimes de l'ingratitude du FLN ; le pape François, invitant l'Europe à accueillir un nombre inconsidéré de migrants, ressemble à un nouveau Mgr Duval ; les banlieues périphériques et leurs immeubles en labyrinthe, à une nouvelle Casbah d'Alger ; le lynchage médiatique, par la gauche bien-pensante, du chanteur d'origine algérienne Faudel pour son soutien à Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007 (" comment, un " Arabe " de droite ? Mais ce ne peut être qu'un traître ! "), rappelle fortement la calomnie dont ont été victimes les harkis de la part d'une certaine partie de l'opinion française qui n'aime les Arabes qu'en tant qu'ennemis de l'Occident ; le terroriste Mohammed Merah assurant quant à lui la succession des assassins des porte-drapeaux de Mostaganem et l'" indigéniste " Houria Bouteldja celle d'une Zohra Drif, tandis que l'écrivain Boualem Sansal représente, qu'il le veuille ou non, l'éternel Algérien du parti de la France.

               Aussi le discours rassurant tenu par l'historien socialiste - et ex-communiste - Charles-André Julien, qui en 1961 osait écrire que les Français d'Algérie " sauront s'adapter "(54) dans une Algérie FLN indépendante (on a vu le résultat !), ressemble comme deux gouttes d'eau au discours d'un certain Benjamin Stora, autre historien qui nous vante constamment l'avenir merveilleux de la France multiculturelle...
               Et il est également troublant, avec le recul, de constater que les mêmes qui hier expliquaient la guerre d'Algérie et le terrorisme FLN par l'échec d'une réforme électorale et la " violence de la colonisation ", croient voir aujourd'hui dans le terrorisme islamiste une conséquence de l'exclusion sociale, de la " ghettoïsation " des enfants d'immigrés et de leur " abandon " par la République. Le candidat à l'élection présidentielle Emmanuel Macron ne déclarait-il pas, en février 2017, au sujet des " pieds-noirs " : " Une colonisation à sens unique ne leur a pas laissé d'autre issue que de quitter brutalement et à jamais les terres où ils étaient nés " (55) (un pas de plus, et nous sommes dans l'apologie du nettoyage ethnique...) ? Il est donc tout à fait logique qu'un tel homme dénonce fréquemment la supposée " ingratitude " de la République à l'égard des populations des banlieues, y compris lorsqu'il s'agit d'" analyser " les raisons ayant conduit certains jeunes fanatisés à commettre d'horribles attentats sur le sol français.

               Autre fait troublant : si, hier, beaucoup dénonçaient - non sans raisons - le fait qu'en Algérie trop peu de jeunes arabo-berbères étaient scolarisés, il faut aussi savoir que le FLN assassinait les instituteurs ! Et si, aujourd'hui, en France cette fois, certains se plaignent du " manque de moyens " investis dans les écoles des " banlieues difficiles ", rappelons également que ces écoles sont régulièrement incendiées et saccagées par des groupes de jeunes habitant ces banlieues ! De même, que l'on a longtemps reproché aux Français d'Algérie de vivre pour la plupart dans des quartiers séparés de ceux des musulmans, les bonnes âmes croyant déceler par là leur racisme atavique, mais les mêmes problèmes de " coexistence " et de " mixité " se posent aujourd'hui en France avec autant d'acuité... Seulement cette fois, il n'y a plus de méchants colons sur qui rejeter la faute. Il va falloir trouver d'autres coupables.
               Aussi il est bien évident que cette façon, pour les gaullistes et autres " anticolonialistes ", à la fin de la guerre d'Algérie, de s'en remettre à la " bonne volonté " du FLN au sujet de savoir si les Pieds-Noirs auront la possibilité ou non de rester vivre dans leur patrie, puis, par la suite, d'expliquer aux Français que si ces derniers en ont finalement été chassés jusqu'au dernier, ce serait dû au fait qu'ils se seraient, entre guillemets, " mal comportés ", ou, pire, qu'ils l'auraient " bien cherché " (comme si l'expulsion par la force d'une population pouvait se justifier !), est un fait caractérisé de " dhimmitude " et de soumission à un arabo-islamisme conquérant et intransigeant. Car l'on n'a pas attendu le massacre de Charlie Hebdo en 2015 - une dizaine de morts, pour des dessins - pour s'entendre dire des choses comme " ils l'ont bien cherché ", " ils payent peut-être pour leur attitude irresponsable ", etc. Les Européens d'Algérie ont été les premiers à subir ce genre d'attaques, et l'un des leurs, le député de Bougie Maurice Molinet déclarait en avril 1962 : " Dans le pays de Descartes, on est venu à penser que l'horreur des menaces ne pouvait être expliquée que par la culpabilité des victimes, sans penser qu'elle pouvait l'être par la cruauté des bourreaux. " (56)

               J'ai moi-même lu, il y a trois ans, l'interview(57) d'un artiste Français d'extrême gauche d'origine algérienne (et fils de combattant FLN), où ce dernier insinuait que la vague d'attentats meurtriers qu'a récemment connu le pays était aussi, grosso modo, une conséquence du refus de la France, depuis vingt ans, d'accorder le droit de vote aux Etrangers... On le voit, il en faut peu pour irriter certaines susceptibilités. Il en faut peu, pour prendre le risque de tomber sous le couteau des égorgeurs. " Respectez-moi ou je vous massacre ! ", telle semble être la philosophie politique de certains. Mais jusqu'où la France va-t-elle reculer, jusqu'à quand va-t-elle se coucher à force de trouver des excuses à ses ennemis ? " Qu'est-ce qu'ils veulent ? Qu'on tombe le pantalon ? "(58) , s'énervait il y a soixante ans Albert Camus, stigmatisant les pacifistes qui dans leur naïveté s'imaginaient qu'en faisant toujours plus de concessions au FLN celui-ci finirait par être moins intransigeant - ce qui évidemment n'arrivera pas. Eh bien le pantalon, force est de constater que beaucoup aujourd'hui continuent à le baisser, prêts à toutes les compromissions dans le but d'obtenir une paix que l'islamisme, à la suite du FLN, ne leur accordera pourtant jamais.

               Notons pour finir que les mêmes qui, autrefois, jugeaient l'indépendance totale de l'Algérie et sa livraison au FLN comme quelque chose d'" inéluctable " et traitaient soit d'" irréalistes " soit de " fascistes " l'ensemble de ceux qui s'acharnaient à proposer des solutions alternatives, les mêmes, décrivent la submersion migratoire sans précédent que subit aujourd'hui l'Europe de la part des pays du Sud comme... " un fait inéluctable " !, et traitent soit d'" irréalistes " soit de " racistes " les malheureux qui s'y opposent ou, tout du moins, cherchent à la limiter... Le " vent de l'Histoire ", après avoir balayé le peuple Pied-Noir, l'Algérie et l'Afrique françaises, risque donc fortement de balayer demain l'ensemble de la France et de l'Europe !
               De Gaulle crut bon de refuser catégoriquement l'intégration à la France des habitants de l'Algérie et de l'Afrique françaises dans l'égalité de tous, mais aujourd'hui, c'est au lourd problème posé par l'intégration de millions de descendants d'immigrés d'origine africaine nés sur le sol de France, territoire de l'ancienne Métropole, que notre pays est confronté (mieux, pour certains ce serait aux Français de devoir s'intégrer aux nouveaux arrivants...). De Gaulle a également refusé la solution moins ambitieuse d'un partage de l'Algérie, tandis que, de nos jours, c'est un risque de partition du territoire français que beaucoup redoutent. De Gaulle, souhaitait éviter le coût financier qu'aurait représenté une politique d'intégration sur place des populations d'outre-mer, mais c'est désormais à coup de multiples " plan banlieue ", véritables puits sans fond, que la France hexagonale se ruine depuis plusieurs décennies. Et c'est pourquoi on peut se demander, avec Raphaël Draï, " si la séparation physique de l'Algérie et de la France dans les conditions où elle s'est produite et quelque prix qu'elle ait coûté n'a pas été une fausse solution, si elle n'a pas constitué un simple et dangereux déplacement, quasiment au sens psychanalytique, des problèmes qui se posaient alors " .(59)

               En revanche, on peut dire que le général de Gaulle a réussi une chose. S'il est aujourd'hui admis que ce dernier s'est décidé à sacrifier l'Algérie, les Harkis et les Pieds-Noirs au FLN et au nationalisme arabe dans l'objectif de faire de la France le pays leader du Tiers-Monde, eh bien il faut croire qu'il a réussi puisque la France, aujourd'hui se transforme bel et bien en pays du Tiers-Monde.
               Tel est le sinistre bilan que l'on peut tirer, au sujet de notre pays, plus d'un demi-siècle après 1962. A ceci près qu'hier, le drame se jouait en Algérie, tandis qu'aujourd'hui il a lieu en France, dernier bastion - sous forme de petit hexagone - du territoire national.
               La guerre d'Espagne (1936-1939), est considérée comme une répétition de la Seconde Guerre mondiale. La guerre d'Algérie quant à elle ressemble beaucoup à la répétition d'une éventuelle " guerre de France ".

               Aussi le général de Gaulle, en calomniant et rejetant hors de la nation, à l'aide de toute sa propagande, l'ensemble des opposants à sa politique algérienne en les faisant passer pour des " racistes ", des " fascistes ", des " nostalgiques de Vichy " ou des " colonialistes " - alors même qu'une grande partie d'entre eux, de Georges Bidault à Denoix de Saint-Marc, en passant par Jacques Soustelle ou le général Salan étaient connus pour être d'anciens Résistants antinazis -, a commis une erreur gravissime aux conséquences incalculables pour l'avenir de la France. " De même qu'il fallait dépeindre les Français d'Algérie comme une meute fasciste d'exploiteurs sans scrupules et de réactionnaires attardés, de même il fallait que les métropolitains - en particulier les hommes politiques - qui combattaient pour le maintien de l'Algérie dans la République, fussent disqualifiés par une campagne de calomnies allant jusqu'à l'assassinat moral. La presse d'extrême-gauche s'est chargée de cette opération, reprise avec une ampleur écrasante par l'Etat lui-même et par tous les moyens de propagande qui dépendent de lui, à partir de 1960 "(60) , a écrit Jacques Soustelle. Le voici décrit dans toute sa splendeur, " l'axe de Gaulle-Sartre " !
                                                            Marius Piedineri
A suivre

NOTES

       1 Alain Herbeth, Robert Lacoste, le bouc émissaire, La SFIO à l'épreuve algérienne, L'Harmattan, 2017.
       2 Guy Pervillé, " Marcel-Edmond Naegelen ", notice publiée dans la revue de l'ARDBA (Association de recherche pour un dictionnaire biographique sur l'Algérie, 1830-1962) intitulée Parcours, l'Algérie, les hommes et l'histoire, recherches pour un dictionnaire biographique, n°12, mai 1990, p. 77-81 (article qu'il est possible de consulter sur le site Internet guy.perville.free.fr).
       3 André Rossfelder, Le onzième commandement, Editions Gallimard, 2000, p. 543.
       4 Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, Editions Complexe, 1995, p. 192. Voir aussi, sur le même sujet, les pages 91-111 de ce livre.
       5 Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, op. cit., p. 195-198.
       6 Pierre Pellissier, Salan, Quarante années de commandement, Perrin, 2014, p. 119-120.
       7 Cité par Jean Daniel, dans Œuvres autobiographiques, Grasset, 2002.
       8 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 51.
       9 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, Plon, 1962, p. 113-114.
       10 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, op. cit., p. 347.
       11 Jacques Cantier, L'Algérie sous le régime de Vichy, Odile Jacob, 2002, p. 22-23.
       12 Franck Laurent, Le voyage en Algérie, Anthologie des voyageurs français dans l'Algérie coloniale, 1830-1930, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2008, Introduction.
       13 Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, Retours sur la guerre d'Algérie, Editions Robert Laffont, Paris, 2003, p. 107-109.
       14 Claude Martin, Histoire de l'Algérie française, Tome 2, Robert Laffont, 1979 (1ère éd.1963), p. 224.
       15 Et plus généralement par les radicaux opposés à la ligne Mendès-France, ainsi que par les socialistes restés fidèles à la SFIO à l'heure de la scission et ayant soutenu, en 1958, le retour au pouvoir du général de Gaulle sous le signe de l'Algérie française - c'est le cas par exemple de Guy Mollet ou de Vincent Auriol.
       16 Anne-Marie Duranton-Crabol, " Combat et la guerre d'Algérie ", in Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°40, octobre-décembre 1993, p. 86-96.
       17 Dominique Venner, De Gaulle, La grandeur et le néant, Editions du Rocher, 2010 (1ère éd. 2004), p. 251.
       18 Alain Herbeth, Robert Lacoste, le bouc émissaire, La SFIO à l'épreuve algérienne, L'Harmattan, 2017, p. 47.
       19 Journal Officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, 23 juin 1925.
       20 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 300-301 (" Annexe VI - De Gaulle et l'Occident... Extraits d'un article publié par la " National Review ", New York, 19 juin 1962 (traduit de l'anglais) ").
       21 Edmond Jouhaud, Serons-nous enfin compris ?, Albin Michel, 1984, p. 22 et p. 229.
       22 Claude Martin, Histoire de l'Algérie française, Tome 2, Robert Laffont, 1979 (1ère éd.1963), p. 228.
       23 Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, Retours sur la guerre d'Algérie, Editions Robert Laffont, Paris, 2003, p. 54-56.
       24 Cité par Pierre Pellissier dans Salan, Quarante années de commandement (Perrin, 2014, p. 538).
       25 Marcel-Edmond Naegelen, Une route plus large que longue, Robert Laffont, 1965, p. 346.
       26 L'Echo d'Alger du 10 avril 1923.
       27 Alger-Socialiste du 21 mars 1925.
       28 Contrairement à la légende, l'idée d'une " mission civilisatrice " de la France ne date pas de Jules Ferry et de la Troisième République. L'historien Philippe Darriulat a bien montré que cette idée était portée par la gauche républicaine dès la conquête de l'Algérie (Philippe Darriulat, " La gauche républicaine et la conquête de l'Algérie, de la prise d'Alger à la reddition d'Abd-el-Kader (1830-1847) ", in Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 82, n° 307, 2e trimestre 1995, p. 129-147). Et contrairement à une autre légende, cet universalisme typiquement français n'est pas l'apanage de la République, et date de bien avant la Révolution française. Les historiens Gilles Havard et Cécile Vidal, auteurs d'une remarquable étude sur la Louisiane et le Canada français (Histoire de l'Amérique française) écrivent : " La colonisation française, si elle est fondée sur l'adaptation aux Indiens, s'inscrit aussi - et plus fondamentalement - dans une logique de soumission qui passe, au moins jusqu'aux années 1680, par une politique de francisation, menée de concert par les autorités civiles et religieuses. Remarquons ici que l'universalisme " civilisateur ", en France, n'est pas seulement un produit des Lumières et de la Révolution. Le langage salvateur, régénérateur et assimilateur d'un Jules Ferry et autres chantres de l'Empire colonial, sous la IIIe République, existait déjà sous l'Ancien Régime, dans une version marquée par l'étroite alliance de l'Eglise et de la royauté. Les missionnaires, mais aussi les laïcs, étaient engagés en Nouvelle-France dans une politique de francisation dont les ressorts étaient universalistes ". Dans le fond, les vrais inspirateurs de ce patriotisme universaliste à la française ne furent-ils pas, tout simplement, les Romains de l'Antiquité ?
       29 Gilles Buscia, Et De Gaulle créa "DE GAULLE", Atelier Fol'fer, 2017, p. 159.
       30 Propos rapportés par Henri-Christian Giraud dans Le Figaro Histoire en 2015 (Henri-Christian Giraud, " Guerre d'Algérie : les tragédies du 19 mars 1962 ").
       31 Cité par José Castano, dans " Je vous prédis, moi, que vous aurez l'Algérie de Dunkerque à Tamanrasset ". Article consultable sur Internet.
       32 L'expression est d'Emmanuel Navarro (Enquêtes d'Algérie, Tome 2, Compromission, L'Harmattan, 2016, p. 123). Il s'agit du passage du mythe " civilisateur " au mythe des " hommes premiers " et au tiers-mondisme.
       33 Alain Herbeth, Robert Lacoste, le bouc émissaire, La SFIO à l'épreuve algérienne, L'Harmattan, 2017, p. 193-199.
       34 Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, Retours sur la guerre d'Algérie, Editions Robert Laffont, Paris, 2003, p. 105-106.
       35 Frédéric Harymbat, Les Européens d'Afrique du Nord dans les armées de la libération française (1942-1945), L'Harmattan, 2014, p. 219.
       36 Une route plus large que longue, p. 339.
       37 Jacques Soustelle, La page n'est pas tournée, La Table Ronde, 1965, p. 168-171.
       38 Christophe Prochasson, La gauche est-elle morale ?, Flammarion, 2010.
       39 Pierre Nora, Les Français d'Algérie, Christian Bourgeois éditeur, 2012 (1ère éd. 1961), p. 24-25 (" Cinquante ans après ").
       40 histoirecoloniale.net (" Pierre Nora, Les Français d'Algérie ", 19 décembre 2012).
       41 Pierre Nora, Les Français d'Algérie, Christian Bourgeois éditeur, 2012 (1ère éd. 1961), p. 16 (" Cinquante ans après ").
       42 Pierre Nora, Les Français d'Algérie, Christian Bourgeois éditeur, 2012 (1ère éd. 1961), p. 250-257.
       43 Marcel-Edmond Naegelen, Une route plus large que longue, Robert Laffont, 1965, p. 344.
       44 Cité par Edmond Jouhaud, dans Ô mon pays perdu (Fayard, 1969, p. 229). En mai 1962, à l'heure où le couperet de l'abandon est déjà tombé, le même homme déclarera : " Je ne connais pas l'OAS mais je suis pour les Européens d'Algérie " (Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, Editions Complexe, 1995, p. 197).
       45 Alain Herbeth, Robert Lacoste, le bouc émissaire, La SFIO à l'épreuve algérienne, L'Harmattan, 2017, p. 218-219.
       46 Alain Herbeth, Robert Lacoste, le bouc émissaire, op. cit., p. 27.
       47 Cité par Alain Herbeth, dans Robert Lacoste, le bouc émissaire, op. cit., p. 119.
       48 " Le bilan d'une politique et les conditions de survie du monde libre ", par Maurice Allais. Conférence faite le 9 novembre 1956, publiée dans Monde Nouveau, décembre 1956, p. 55-98.
       49 Cité par Gilbert Meynier dans sa thèse L'Algérie révélée.
       50 Albert Camus, Chroniques algériennes, 1939-1958, Actuelles III, Editions Gallimard, 1958, p. 25-26.
       51 Jacques Soustelle, " Lettre d'un intellectuel à quelques autres à propos de l'Algérie ", in Combat, 26-27 novembre 1955.
       52 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Editions de l'Alma, 1962, p. 112 (citation tirée d'une " Note complémentaire sur le problème algérien ", remise au président de Gaulle en août 1959).
       53 Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, PUF, 1979, p. 610.
       54 Charles-André Julien, Introduction à l'ouvrage de Pierre Nora, Les Français d'Algérie (Christian Bourgeois éditeur, 2012 (1ère éd. 1961).
       55 Argument qui, en plus d'être ignoble, est parfaitement absurde si l'on songe par exemple à la situation de la Bulgarie, pays des Balkans essentiellement chrétien comptant une forte minorité musulmane (plus de 10 % de sa population, soit près d'1.000.000 d'habitants sur un peu plus de 7.000.000 de Bulgares). Qui sont ces musulmans ? Des descendants de " colons " Turcs et de Bulgares islamisés (des Pieds-Noirs et harkis locaux, en quelque sorte). En effet la Bulgarie, accédant à l'indépendance en 1878 après cinq siècles de joug ottoman, a tout de même conservé sur son sol, encore jusqu'à nos jours, sa population turque et musulmane - bien que le pays connaisse parfois quelques courtes périodes de persécutions. Et pourtant, cette présence musulmane rappelle au jour le jour à la nation bulgare qu'il fut un temps où elle était esclave des Turcs Ottomans. Et pourtant, la barbarie, la violence et la stérilité de la domination turque en pays chrétien ferait passer l'Algérie française pour le paradis sur terre. Et pourtant, les Turcs de Bulgarie ont pu rester, quand les Français d'Afrique du Nord sont partis jusqu'au dernier.
La plupart des autres pays des Balkans, malgré de nombreuses expulsions au moment des indépendances (XIXème-début XXème siècles), ont également conservé sur leur sol de fortes minorités musulmanes, quand ces pays ne sont pas tout simplement musulmans comme le Kosovo ou la Bosnie. Même la Serbie, qui se singularisa par des expulsions en nombre de musulmans au lendemain de son indépendance, abrite encore aujourd'hui une minorité d'environ 200.000 musulmans (sur 7.000.000 d'habitants).
Et nous ne parlons même pas de l'Afrique du Sud, ou encore des très nombreux pays où vivent ensemble, à l'intérieur d'une même nation, descendants d'esclaves et descendants de colons esclavagistes (Cuba, Brésil, Etats-Unis, etc.).
Par conséquent le lien entre colonisation, indépendance, et exode total des populations liées à la puissance coloniale reste encore à prouver.
       56 Cité dans L'algérianiste n°160, décembre 2017.
       57 Dans l'hebdomadaire Marianne, en janvier 2015 si je me souviens.
       58 André Rossfelder, Le onzième commandement, Editions Gallimard, 2000, p. 388.
       59 Raphaël Draï, La fin de l'Algérie française et les juridictions d'exception, Etat, Justice et Morale dans les procès du putsch d'Alger et de l'OAS, Editions Manucius, Paris, 2015, p. 133.
       60 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 52 puis p. 195-196.


Les Sauvages de Bouzaréa
De L'Effort Algérien 1934

             Le 12 Février sous l'œil bienveillant de la police, 2000 citoyens, dont 500 indigènes, ont défilé dans les rues d'Alger en hurlant : Les Soviets ! Les Soviets !.. et en chantant l'Internationale.
             Il paraît que c'étaient les vrais républicains de la capitale de l'Algérie qui passaient.
             Mais une fois le flot passé l'écume resta : voyous et apaches de 20 ans; indigènes en mal d'indépendance, voleurs à la tire, tout ce beau monde se dirigea vers le quartier de la Lyre et celui de Bab-el-Oued.
             Il cassa tout, brisa tout, pillant, volant, hurlant...Bref le grand soir, la grande nouba.
             Enfin pour couronner le tout. Quelques anarchistes montèrent jusqu'à Bouzaréa s'introduisirent dans le modeste cimetière des petites sœurs des pauvres, profanèrent les tombes et en brisèrent toutes les croix. La République était sauvée !

             Eh bien ! Messieurs du Cartel des Gauches, permettez-nous de vous dire que vous choisissez fort mal votre claque. Si c'est avec cette vermine que vous prétendez sauver le régime, vous vous mettez le doigt dans l'oeil. Les honnêtes gens - et ils sont multitude - ne vous suivront pas.

NDLR : Déjà en 1934, les communistes étaient les alliés du soulévement. La trahison faisait son œuvre !!!
            




LES CAHIERS
            de la MEMOIRE D'ALGÉRIE
Pour ne pas oublier

Le dossier du 20 Août 1955
EL-HALIA

Monté par Mrs A. Martinez, B. Bourret et JP. Bartolini
Textes de divers auteurs

Face aux associations de combattants comme la FNACA et à leurs alliés intellectuels, barbouzes, porteurs de valises, qui veulent falsifier l'histoire véritable sur l'Algérie et notamment les faits de guerre, nous nous devons de réagir.
Cette rubrique est consacrée à rétablir des vérités, à rafraîchir des mémoires et non pas pour créer des polémiques inutiles ou pour refaire "la Guerre d'Algérie".
Face à l'actualité avec des attentats journaliers et agressions que la presse officielle et les politiques (plus enclins à s'occuper de leur réélection) tentent de cacher à la population française et qui sont les prémices d'une guerre que l'on dira "sans nom" ; Ce mois-ci, vous pourrez lire ou relire le dossier consacré à la tuerie du 20 Août 1955. C'est un dossier que nous avons publié, il y a quelques années et que nous ressortons par obligation.
Je compte sur vous, visiteurs et tous vos amis, pour enrichir et compléter les pages de ce dossier par des photos, documents, fichiers et renseignements.
Si une idée de dossier vous intéresse plus particulièrement et si vous pouvez apporter votre pierre à l'édifice, vous pouvez me contacter soit par le Formulaire soit directement par Courrier :


TRES IMPORTANT

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LE 20 AOÛT 1955





Inauguration des ronds-points
de Thiersville et Madeleine et Félix Vallat

Discours prononcé par Bernard Carayon
Maire de Lavaur, conseiller régional d’Occitanie,
Envoyé par Mme Bouhier le 20/08/2018.

         Lavaur, le 14 juillet 2018

          Messieurs les présidents,
         Mesdames et Messieurs,

          J’accueille avec bonheur, émotion et respect les « réprouvés » que vous avez été si longtemps, vous, les pieds noirs et les harkis, issus de Thiersville, Alger, Constantine ou Oran, d’une terre qui était la vôtre, parce que selon l’expression d’Albert Camus, « vous l’aviez rendue meilleure ».
         Vous n’avez pas dû oublier les propos de l’ancien maire de Marseille, Gaston Defferre, vingt ans plus tard ministre de François Mitterrand : « Il y a 15 000 habitants de trop actuellement à Marseille. C’est le nombre des rapatriés d’Algérie ». Il ajoutait à propos de leurs enfants : « pas question de les inscrire à l’école, car il n’y a déjà pas assez de place pour les petits marseillais ».
         Et il concluait : « qu’ils quittent Marseille en vitesse et qu’ils essaient de se réadapter ailleurs ».
         Vous à qui le FLN proposait « la valise ou le cercueil », vous avez bien été en métropole des « réprouvés », des exilés de l’intérieur, et c’est pour cela que vous avez précisément mon affection et mon respect.

          Nous rendons ainsi hommage aujourd’hui à deux belles figures de la France en Algérie ; à deux symboles de la Nation et de la République françaises : un maire et une institutrice. Félix et Madeleine Vallat ont été assassinés par le FLN parce qu’ils incarnaient la France.
         Devant leurs jeunes enfants. Et c’est parce que nous ne devons pas abandonner les symboles de notre identité nationale, a fortiori à ceux qui la fracturent, que j’ai souhaité qu’une grande manifestation, à Lavaur, où votre contribution fut si considérable pour l’essor de notre agriculture, rende hommage à ces deux martyrs, pour que, aussi, les plaies de leurs enfants, réunis aujourd’hui, cicatrisent enfin.

          La guerre d'Algérie laisse à beaucoup un goût amer : aux anciens combattants dont la jeunesse a été fracassée, aux pieds-noirs qui ont perdu une terre aride qu'ils avaient fertilisée, aux Harkis sacrifiés au nom de la raison d'Etat et méprisés par ceux qui leur ont toujours préféré les immigrés, à ceux qui aimaient une France belle comme une mosaïque, ouvrant des routes dans l'Atlas, construisant écoles, hôpitaux, barrages comme celui de Beni-Bahdel qui fournissait Oran en eau potable, 46 ports et aérodromes et d’innombrables puits pétroliers dans le Sahara. Pas une famille de là-bas dont les cœurs ou les corps n’aient été mutilés.
         Curieuse guerre que celle d’Algérie : gagnée par les militaires, en particulier par les paras du général Massu lors de la bataille d’Alger, mais victoire cédée à l’ennemi parce que sans doute, le général de Gaulle, pressentant le choc des civilisations et le poids de la démographie ne voulait pas, selon son expression, « que Colombey-les-deux-Eglises devienne Colombey-les-deux Mosquées ». Ce n’est pas un hasard si le référendum modifiant, dans la Constitution, les conditions d’élection du Président de la République au suffrage universel est fixé au lendemain des accords d’Evian.

          La guerre d’indépendance n’a jamais fini. Pas le 19 mars 1962 en tout cas, jour du cessez-le-feu, qui ouvre au contraire une période de massacres de nos compatriotes, sur laquelle un voile odieusement pudique est vite jeté ! Un 19 mars honteux et tragique que je n’ai jamais commémoré. Lors de la campagne présidentielle, il n’y a pas si longtemps, Emmanuel Macron qualifiait la présence française en Algérie de « crime contre l’humanité ». Il n’est pas le premier, et ne sera pas hélas le dernier à meurtrir nos compatriotes d’Algérie. Cette guerre des mémoires est entretenue par certains pour conforter la légitimité du FLN en Algérie et de ses alliés historiques en France, taire la question de l’héritage de la présence française, consolider l’exploitation de la rente énergétique par un clan, faire de la France le territoire d’accueil d’algériens dont l’Algérie ne veut pas.
          Déjà le procès de la torture avait dérivé en un procès de la France et de son armée, occultant le dramatique bilan de l'Etat algérien qui mêle corruption, violence et pauvreté.
         Le sort des terroristes d'autrefois valait-il plus que celui de la jeune fille, amputée d'une jambe parce qu'elle était à la terrasse d'un café, ou de ces harkis du Commando Georges dépecés puis ébouillantés vifs ?
         Rappeler cela, c’est s’exposer au refus des moralistes d’une « comptabilité macabre ». La France n’a évidemment ni de compte à rendre, ni de repentir à exprimer. Il n'y a pas de débiteurs à vie et de créanciers perpétuels. Ou alors exigeons la transparence sur les crimes commis par le FLN et ses « porteurs de valises ». Qui étaient-ils ceux qui dénonçaient l'Armée française en Algérie ? Les camarades de Maillot dont les armes volées ont permis au FLN de tuer 21 soldats du 5ème RI ! Ceux de Danielle Minne qui enseignait sans honte dans l'Université et dont les bombes ont tué ou mutilé des dizaines de civils ! La famille de Ben M'Midi, exécuté sans doute, mais qui avec Yacef Saadi, l'ami de Germaine Tillion, avait ensanglanté Alger.
         Des crimes ont été commis de part et d’autre. Mais l’Algérie c’était la France, et la guerre contre le terrorisme n’est pas une affaire d’enfant de cœur : les droits de l’État prévalent toujours, en ces circonstances, sur l’État de droit.

          L’Algérie dont l’acte de naissance est fixé par une ordonnance de 1834 signée de notre compatriote tarnais, le maréchal Soult, était une colonie jusqu’à l’arrivée de la France : colonie successivement romaine, arabe, espagnole, turque. La pire fut cette dernière. Elle commença en 1530 quand le corsaire Barberousse fit étrangler le prince d’Alger, Salim Touni, avant d’épouser sa femme. Les Turcs y installent un véritable apartheid : en haut de la hiérarchie, les janissaires, en bas les algériens de souche. L’esclavage des jeunes berbères y étant la règle, la tyrannie turque s’exprimant de manière si cruelle, c’est en 1827 que les chefs des tribus berbères demandent au roi Louis-Philippe de les délivrer des ottomans.

          L'Algérie n'a jamais été une colonie française : Ferhat Abbas, président provisoire de la République algérienne, le dit lui-même : « La France n’a pas colonisé l’Algérie, elle l’a fondée ». Elle était une autre France que l’on embrassait par l’aventure et qui n'a cessé d’être stratégique. Ses soldats se battent avec honneur dans les tranchées de 14/18.
         L'Armée d'Afrique y entreprend la reconquête de l'Europe ; la IVème République y meurt d'une rébellion qu'elle ne sait éliminer ; l’urgence de rétablir l'ordre porte au Pouvoir le général de Gaulle ; les parrains internationaux que le FLN mobilise - l’URSS, la Chine, les États-Unis -, transforment une guerre civile en une guerre tout court ; et depuis 50 ans, les flux massifs et incontrôlés d'immigration vers la France, puis le terrorisme islamiste font germer des peurs et de nouvelles haines.
          La France s'est faite de la repentance et de la responsabilité collective une spécialité. On chercherait en vain une tradition analogue aux Etats-Unis où l’on ne convoque pas au tribunal les survivants des drames du Vietnam.

          Depuis l'antiquité gréco-latine, le droit occidental, fécondé par le christianisme, ne reconnaît que la responsabilité personnelle. Pour Albert Camus, la responsabilité collective est d’inspiration totalitaire. Les vertus de l'amnistie et de l'oubli, issues de ces traditions, avaient été rappelées par Henri IV, clôturant avec l'Edit de Nantes une période de folie meurtrière. De Gaulle et Mitterrand ont eu raison de tirer un trait sur les drames de notre histoire en amnistiant les conjurés de l’Algérie française. Un peuple ne peut se nourrir perpétuellement de haine. Comme le dit Begin à Arafat : « il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix, un temps pour haïr et un temps pour aimer ».
Pieds-noirs et harkis avaient fait le choix de la France contre ceux qui, devant l'Histoire, l'avaient trahie ; le choix aussi de l'honneur et de la fidélité quand la France le leur demandait, et même quand elle ne leur demandait plus.

          Les accords d'Evian, puis les indignes instructions d’abandon et de refoulement du ministre des affaires algériennes, Louis Joxe, les ont livrés, dès le 19 mars 1962, au martyre, puis à l'oubli et souvent à la misère. « Ils ont des droits sur vous » disait Georges Clémenceau à propos des combattants de la Grande Guerre. Et moi je vous dis : vous avez des droits sur nous ! C’est ce que je voulais, aujourd’hui, à Lavaur, vous exprimer, à travers l’hommage rendu à Félix et Madeleine Vallat, et à travers eux, à tous les martyrs de la guerre d’Algérie qui ont servi la France, pour que vive la République et que vive notre Patrie.

ARMEE D'AFRIQUE
Envoyé par M. Martoloti


Le bilan d'un siècle
Envoyé par M. Christian Graille

                 La France fêta en 1930 un glorieux centenaire, celui de son établissement en Algérie.
                Nous, nous sommes heurtés dans l'accomplissement de cette œuvre, à des difficultés formidables qu'il ne faut pas sous-estimer.
                - Les unes tenaient à la nature même du pays : accidenté, morcelé de parcours difficile, soumis à un climat tour à tour torride et glacé, à des pluies tantôt trop rares et tantôt surabondantes.
                - Les autres provenaient des hommes, montagnards indomptables comme les Kabyles, nomades insaisissables comme les Sahariens, tous belliqueux, farouches, auxquels l'Islam non moins que leur propre tempérament faisait un devoir de lutter jusqu'à la mort contre le chrétien et contre l'étranger.
                - Enfin d'autres difficultés et non les moins graves dérivaient de nos révolutions intérieures, de nos changements de méthode et pour tout dire de notre inexpérience coloniale : La France a finalement triomphé de tout cela.

Le bilan scientifique

                Pour bien administrer l'Algérie et la mettre en valeur, il fallait d'abord connaître le pays et ses habitants dont nous ignorions tous en 18530.
                Notre bilan scientifique est considérable.

                Dès 1839 une exploration scientifique fut entreprise par ordre du gouvernement.
                La commission chargée de cette exploration comprit vingt membres dont huit désignés par l'Académie des Sciences et cinq choisis parmi l'Académie des Inscriptions ( ) ; parmi eux figuraient :
                - Bory de Saint-Vincent (naturaliste, géographe),
                - Berbrugger (archéologue),
                - Carette (capitaine du génie, scientifique),
                - Delamare (chef d'escadron d'artillerie, scientifique),
                - Enfantin (écrivain),
                - Pellissier (Duc de Malakoff, maréchal),
                - Ravoisié (architecte ),
                - Renou (naturaliste) ; les travaux qu'elle publia formèrent un ensemble des plus considérables.

                A une époque plus récente les Écoles Supérieures d'Alger fondées par Paul Bert (médecin) en 1879 et devenues l'Université d'Alger en 1909 ont produit des ouvrages de la plus grande valeur.
                Des travaux innombrables qui remplissent des bibliothèques entières et dont quelques-uns sont de premier ordre sont dus à ces officiers, à ces administrateurs, à ces hommes de toutes professions et de toutes origines qui se sont passionnés pour cette terre où tant de problèmes s'offraient à notre curiosité.
                - La géologie a été étudiée par Pomel (géologue, botaniste), Ficheur (professeur à la faculté des sciences d'Alger) et leurs élèves,
                - le climat par Thévenet,
                - la flore par Battandier (botaniste), Trabut (médecin, professeur d'histoire naturelle), Maire, (botaniste),
                - la géographie en particulier celle du Sahara par Gautier, Chudeau,
                - l'agronomie par Hardy, Rivière, Lecq (inspecteur de l'agriculture de l'Algérie),
                Marès (botaniste), Ducellier (professeur à l'école d'agriculture de Maison-Carrée).

                Des recherches de première importance sur les maladies spéciales à l'Algérie, en particulier la malaria, ont été faîtes par Laveran, Maillot, Sergent, Folley.
                Un biologiste, tout à fait éminent, connu dans le monde entier par ses découvertes sur les infusoires, Emile Maupas, a vécu et travaillé à Alger.
                Dans le domaine des sciences morales et politiques,
                - les mœurs et la sociologie indigènes ont été étudiées par: Carette, Daumas, Hanoteau, Letourneux, Doutté,
                - le droit Musulman par Morand, Milliot,
                - la linguistique arabe et berbère par René Basset, Motylinski, William, Marçais, le père de Foucauld.
                - Il faut mettre hors de pair le magnifique ouvrage de S. Gsell (archéologue et historien) sur l'histoire ancienne de l'Afrique du Nord.
                - L'histoire musulmane a été éclairée par Slane, Brosselard, Masqueray, Georges Marçais, Alfred Bel, Luciani, l'histoire moderne par Pellissier de Reynaud, Cat, de Grammont, de Peyerimhoff, Esquer, Yver.
                Des recueils d'inscriptions, des collections de textes ont été publiées, des revues consacrées à l'étude de l'Afrique du Nord ont été fondées.
                Le centenaire de l'Algérie a été l'occasion d'un nouvel inventaire qui comprend de nombreuses et belles publications Il faut enfin noter l'influence de la conquête sur la littérature française avec Fromentin, Masqueray, Louis Bertrand, sur la peinture Delacroix, Fromentin, Guillaumet, Dinet et beaucoup, d'autres.
                Des écrivains et des artistes algériens, voire même indigènes, participent à ce mouvement depuis quelques années et accroissent le patrimoine intellectuel de la France.

Le bilan économique

                L'Algérie de 1830 était un pays pauvre, ruiné par des siècles d'anarchie et de mauvaise administration, périodiquement dévasté par la famine et la peste. Les indigènes, agriculteurs ou pasteurs ne demandaient à la terre que ce qui était strictement nécessaire à leur subsistance ; leurs méthodes de culture étaient rudimentaires et ils étaient impuissants à combattre les caprices du climat, que ce strict nécessaire leur était souvent refusé.
                Le commerce était nul, la seule industrie était la piraterie.
                Les Français ont, plus que les Romains eux-mêmes fait faire à l'agriculture d'immenses progrès ; ils ont :
                - étendu les surfaces cultivées,
                - tiré meilleur parti des cultures anciennes,
                - introduit des cultures nouvelles.
                C'est le climat de l'Algérie qui imprimait à son économie rurale :
                - son caractère spécial,
                - déterminait le choix des cultures,
                - imposait les pratiques agricoles.
                Étaient exclues les cultures tropicales, café, canne à sucre, indigo qu'on avait vainement essayées dans les premières années de la conquête.
                Les cultures algériennes étant essentiellement des cultures méditerranéennes, Elles souffraient surtout de la rareté et de l'irrégularité des pluies.
                Il existait un millier d'entreprises d'irrigation arrosant plus de 200.000 hectares.
                De grands barrages-réservoirs étaient en construction et accroîtraient notablement cette surface en particulier dans la plaine du Chélif, au prix de coûteux travaux.
                Dans les régions sahariennes où aucune culture n'était possible sans irrigation, les Européens sont venus au secours des indigènes ; la corporation des puisatiers indigènes qui avaient le monopole du pénible et dangereux travail du forage des puits artésiens a cédé la place à l'industrie française qui a obtenu dans l'Oued-Rir de bons résultats et rendu la vie à beaucoup d'oasis qui se mouraient.
                De toutes les cultures les céréales étaient celles qui occupaient les plus vastes surfaces 3 millions d'hectares en moyenne sur 4 millions cultivés.
                Les indigènes par leur nombre et par les espaces qu'ils détenaient étaient les grands producteurs de céréales de l'Algérie ; sur 3 millions d'hectares ils en ensemençaient 2.300.000 ; ils cultivaient de préférence l'orge et le blé dur.
                Les Européens pratiquaient aussi la culture des céréales, surtout dans les plaines un peu sèches de l'intérieur telles que la plaine de Bel-Abbès et celle de sétif. Ils ensemençaient surtout le blé tendre et l'avoine et obtenaient des rendements plus élevés et plus réguliers que les indigènes. La moyenne de l'exportation était de 1.200.000 quintaux de blé de 800.000 d'orge.

                La vigne était la plus importante des cultures européennes et son développement était le fait le plus remarquable de l'histoire moderne du pays. Il couvrait 238.000 hectares et donnait en moyenne 8 millions d'hectolitres.
                La constitution du vignoble a entraîné de grands frais et exigé des mises de fonds considérables. Mais de grandes fortunes se sont faites ; les bénéfices de la récolte d'une année sur l'autre ont été parfois égaux ou supérieurs au prix d'achat de la propriété ; mais la médaille a son revers : on a souvent dénoncé les inconvénients de la culture de la vigne qui, au danger de toutes les monocultures, joint ceux de porter sur une production que les indigènes ne consomment pas, qui, dans beaucoup de pays est regardé comme un produit de luxe ou même prohibé, enfin qui concurrence directement une des grandes cultures de la métropole.
                L'olivier a toujours joué dans l'Afrique du Nord un rôle considérable dont témoignent les restes d'anciennes plantations, les ruines de moulins, les textes des écrivains. La zone de culture était très étendue. Sur 7 millions d'arbres en rapport, 4 appartenaient aux indigènes et 3 aux Européens. La production moyenne pouvait être évaluée à 340.000 hectolitres.
                A côté de l'olivier, beaucoup d'autres cultures fruitières, notamment le figuier, l'amandier, l'abricotier occupaient une place importante.
                Le palmier-dattier était l'unique richesse des territoires du Sud ; on y comptait 5 millions de dattiers dont 168.000 appartenaient aux Européens. La production moyenne était de 1.500.000 quintaux de dattes dont 280.000 de dattes fines.

                La culture coûteuse et délicate des agrumes ne pénétrait pas dans l'intérieur, trop froid et trop continental.
                Il en était de même des primeurs qui s'étaient beaucoup développés depuis trente ans au voisinage de la mer et des ports d'embarquement.
                Parmi les cultures industrielles, la principale était le tabac ; la superficie qu'il occupait était en moyenne de 30.000 hectares donnant 300.000 quintaux, la moitié appartenant aux Européens.
                La culture des plantes à parfum couvrait 4.000 hectares.
                Celle du coton 8.000 donnait 50.000 de coton brut. Les cotons algériens produits par des variétés égyptiennes sélectionnées, présentaient les mêmes qualités que ceux de l'Egypte et pouvaient être employés aux même usages.
                Ainsi les Européens ont rénové la culture des céréales, celle de l'olivier par des procédés améliorés de plantation, de taille, de fabrication de l'huile. Ils ont créé ce magnifique vignoble qui fait de la Mitidja l'une des plaines les plus riches du monde.

                L'élevage s'associa à l'agriculture dans des proportions variables.
                Les indigènes étaient les plus grands éleveurs de l'Algérie comme ils étaient les plus grands cultivateurs de céréales et les Européens ne possédaient qu'une faible part du cheptel.
                On comptait :
                - un million de bœufs,
                - 200.000 chevaux,
                - 150.000 mulets,
                - 8 millions de moutons,
                - 4 millions de chèvres,
                - 200.000 chameaux.
                Les Européens mirent en valeur un certain nombre de produits spontanés ; tels étaient les produits forestiers, l'alfa, les ressources fournies par la pêche maritime, enfin les produits miniers.
                Parmi les produits forestiers, le principal était le liège dont la production atteignait 250.000 quintaux. L'alfa dont le pays exportait 150.000 tonnes était utilisé pour la papeterie. La pêche du corail qui a joué un si grand rôle pendant près de trois siècles était abandonnée, mais la pêche des poissons sédentaires destinés à être consommés à l'état frais, celle des poissons migrateurs, tel que le thon et la sardine, faisaient vivre 6.000 pêcheurs.

                L'Algérie renfermait d'importantes richesses dont les principales étaient les phosphates de chaux et les minerais de fer. On extrayait 800.000 tonnes de phosphates dont 700.000 étaient fournies par le gisement du Kouif près de Tébessa. Les minerais de fer étaient présents dans la région littorale à l'Ouest d'Oran et à la frontière algéro-tunisienne.
                Les industries indigènes étaient en général de petites industries familiales qui ne travaillaient pas pour l'exportation. Elles étaient entrées dans une décadence profonde, à laquelle on s'est efforcé d'y remédier. Seules les industries de la broderie et du tapis semblaient pouvoir renaître.
                Quant aux industries européennes c'étaient principalement celles dérivées de l'agriculture, telles les minoteries, les fabriques de pâtes alimentaires, les distilleries, les moulins à huile.
                Les voies de communication étaient indispensables à la mise en valeur de l'Algérie. A côté de 5.000 kilomètres de routes nationales et environ 20.000 kilomètres de chemins de grande communication ou vicinaux le pays comptait 4.789 kilomètres de chemin de fer en exploitation. C'était peu pour assurer les échanges sur 300.000 kilomètres carrés peuplés de 5 millions d'habitants.
                Quel que soit le sort ultérieur des projets du transsaharien il est bien évident que c'est la façade méditerranéenne qui restera toujours la façade la plus vivante et la plus intéressante.
                Les échanges se faisaient par les ports à plus de 95 pour cent. Pour les ports comme pour les autres travaux publics la France a longtemps hésité à faire les avances de fonds nécessaires à la mise en valeur.
                Aujourd'hui les ports d'Alger, d'Oran, de Philippeville, de Bône et de Bougie sont très outillés ; des travaux de moindre importance ont été effectués dans un certain nombre de ports secondaires.
                Alger et Oran sont les premiers ports de l'Afrique du Nord. Point de départ des voies ferrées qui se dirigent vers Constantine et Tunis d'une part, vers Oran et Casablanca de l'autre, situé à égales distance des deux extrémités de la Berbérie, siège du gouvernement général et centre de population européenne la plus importante de toute l'Afrique.
                Alger est pour une grande partie des voyageurs et des marchandises à destination ou en provenance de l'Europe, le point d'arrivée et le point de départ ; il reçoit environ les deux tiers des envois de la Métropole en Algérie ; sa part dans les exportations est proportionnellement moindre mais reste néanmoins considérable. Alger vient immédiatement après Marseille au point de vue du mouvement général de la navigation ; il se place au sixième rang pour le tonnage des marchandises 3.700.000 tonnes en 1929).

                Le port d'Oran concentre la plus grande partie du trafic ; son mouvement s'accroît avec une rapidité extraordinaire ; il a même dépassé Alger en 1929 (3.800.000 tonnes).
                La construction de nouvelles lignes destinées à faire entrer dans sa sphère d'influence une partie du Maroc lui garantissent un bel avenir.
                Dans la partie orientale le trafic se partage entre les trois ports de Bougie, de Philippeville et de Bône l'emportant d'ailleurs sur ses rivaux à cause de ses exportations de phosphates et de minerais.
                Au total, le mouvement annuel des marchandises embarquées et débarquées en Algérie s'élève à près de 12 millions de tonnes.
                Le mouvement commercial de l'Algérie consiste essentiellement dans la vente de produits du sol et l'achat de produits manufacturés.
                On constate à la fois une progression constante et rapide des importations et une tendance des exportations à égaler, quelquefois à dépasser le chiffre des importations. A l'importation la nomenclature des articles est extrêmement variée ; les plus importantes sont les tissus, les machines, le charbon, l'essence, le sucre, le café.
                A l'exportation,
                - les produits de la viticulture viennent au premier rang (1 milliard et demi),
                - les céréales,
                - les légumes frais et secs,
                - les fruits de table,
                - le tabac en feuilles,
                - l'huile d'olive,
                - les produits de l'élevage,
                - les animaux sur pied,
                - les laines et peaux,
                - les produits naturels tels que :
                - le liège,
                - l'alfa,
                - le crin végétal,
                - enfin les produits miniers.
                Les produits manufacturés étaient peu nombreux : les tabacs et quelques tapis.
                La part de la France dans le commerce de l'Algérie était considérable.

                En 1929, sur un commerce de plus de 10 milliards, elle était de plus de 7 milliards, 77 pour 100 des importations et 74 pour 100 des exportations ; la presque totalité des produits de l'agriculture et de l'élevage étaient exportés en métropole ; seuls, une partie des alfas, des lièges, des minerais et des phosphates allaient à l'étranger. L'Algérie arrivait au cinquième rang des fournisseurs de la France après la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l'Allemagne et la Belgique, au quatrième rang de ses clients après la Grande-Bretagne, la Belgique et l'Allemagne.
                L'Angleterre était loin de prendre une part aussi prépondérante dans le commerce de l'Inde et de l'Australie.
                C'est surtout au point de vue économique que l'Algérie fut véritablement un prolongement de la France et lui est plus étroitement unie qu'aucune autre colonie à sa métropole.

Le bilan politique

                "L'Algérie, a dit M. Jonnart n'est ni une colonie au sens propre du mot, ni une simple réunion de départements français ; le régime qui lui convient n'est ni l'autonomie, ni l'assimilation, c'est la décentralisation. "
                Après avoir longtemps oscillé entre les utopies également funestes du royaume arabe et des rattachements, le pays a enfin reçu depuis le début du vingtième siècle, la constitution qui lui convenait. Son organisation nouvelle tenait compte à la fois des colons et des indigènes, faisant à la métropole sa part et à la colonie la sienne. Les franchises qui lui étaient accordées, la liberté qui lui était donnée de gérer ses propres affaires au mieux de ses intérêts, ne portaient aucune atteinte à l'unité de la République. Ces franchises dont elle fit bon usage, nul ne songea à les lui retirer et on fut à peu près unanime à penser qu'elles devaient être étendues.
                Des gens mal informés agitaient parfois le spectre du séparatisme : la géographie et l'histoire nous ont enseigné que l'Algérie, dont la superficie utile est très faible, ne présentait pas le cadre nécessaire à une existence pleinement autonome et qu'elle avait toujours dépendu d'une domination extérieure, phénicienne, romaine, arabe ou turque.
                Les quelques centaines de milliers d'Européens qui vivaient au milieu de 5 millions d'indigènes ne sauraient se maintenir s'ils n'avaient, derrière eux, la masse de 40 millions de Français de la métropole auxquels les unissaient les liens sentimentaux, intellectuels, politiques et économiques les plus étroits.
                Et les indigènes ne sauraient davantage de se passer de la France qui avait assumé leur tutelle et à laquelle eux aussi étaient désormais unis par des liens multiples.
                Il n'est pas exact que les colonies parvenues à l'âge adulte doivent se séparer de la métropole comme un fruit mûr tombe de l'arbre.
                La politique coloniale britannique, pour laquelle nous avons peut-être en France une admiration excessive, aboutit, en effet, à la séparation des grands dominions ; elle ne réussit pas à s'attacher les indigènes, considérés comme incapables de devenir des citoyens britanniques.
                En France où n'existe nul préjugé de couleur, de race ou de religion, les idées chrétiennes aussi bien que les idées révolutionnaires font que nous regardons tous les hommes comme nos égaux.
                L'œuvre que nous avons entreprise et finalement réalisé présente des caractères uniques dans l'histoire coloniale.
                Dans les colonies tropicales, les Européens, peu nombreux, sont administrateurs, chefs d'entreprises, directeurs de culture ;
                - ils ne se mêlent pas à la vie indigène,
                - ne gênent pas son fonctionnement,
                - altèrent peu ses caractères.

                Dans les colonies de la zone tempérée, les Européens soit qu'ils ont trouvé ces terres inhabitées, soit qu'ils aient malmené la population indigène, sont, en général, à peu près seuls, peuvent organiser l'administration et se répartir les terres à leur guise.
                En Algérie, le problème délicat entre tous, si délicat que beaucoup l'ont cru insoluble, consiste à faire vivre, côte à côte une population européenne et une population indigène plus nombreuse encore, qui, loin de tendre à diminuer, progresse avec une extrême rapidité.
                Un bloc de 850.000 Européens, dont plus de 650.000 Français vivent aujourd'hui sur le sol algérien.
                Alger, Oran, qui étaient encore à la fin du dix-neuvième siècle de petites villes provinciales d'aspect vieillot, ont pris place parmi les grandes cités méditerranéennes.
                Alger avec 226.000 habitants, dont 160.000 Européens et 273.000 dont 189.000 Européens si l'on ajoute les satellites qui font partie de l'agglomération algéroise, est la plus grande ville de toute la Berbérie, voire même du continent africain après Le Caire et Alexandrie.
                Oran a 150.000 habitants dont 121.000 Européens ; Constantine 94.000 et Bône 52.000 ont également progressé.
                Nous avons couvert l'Algérie de centaines de villages aux toits rouges.
                L'édifice de la colonisation agricole a assez bien résisté à la terrible secousse de la grande guerre.
                L'Algérien est intelligent, énergique, audacieux ; il a le goût du risque. Ombrageux et susceptible il a un vif patriotisme local qui ne nuit en rien à son profond attachement à la mère-patrie. Grâce à la diffusion de la langue française, véhicule de nos idées, ce peuple se forme ; qu'importe qu'il ne soit qu'en partie français par le sang, s'il le demeure par la langue, les idées, les institutions. Longtemps immobiles, du moins en apparence, les indigènes ont évolué.
                La politique à pratiquer vis-à-vis des musulmans est un problème délicat et complexe ; elle est toute de tact et de nuance ; elle ne peut être maniée que par des hommes prudents et avisés ; elle ne s'improvise pas.
                On oppose parfois la méthode du protectorat et celle de l'assimilation, la première fondée sur le respect des institutions des indigènes, la seconde s'efforçant de leur donner nos institutions et nos lois.
                Il ne faut toucher à la société indigène qu'avec prudence, avec lenteur, avec méthode. Tout n'est pas à blâmer ni à rejeter dans les méthodes algériennes d'assimilation des indigènes.
                Nous ne sommes pas venus simplement pour remettre un peu d'ordre dans l'administration, donner au pays son outillage, après quoi, notre œuvre étant terminée, ce pays se détacherait de nous et nous n'aurions plus à compter que sur sa reconnaissance assez problématique pour les services rendus.
                Notre but final, conforme à notre idéal d'autrefois et de toujours, à l'idéal de Richelieu et de Louis XIV aussi bien que de la révolution française, c'est la fondation d'une France d'outre-mer.

Le rôle de l'Algérie dans l'empire colonial français

                Si la date de 1830 est une des plus grandes de notre histoire nationale, c'est que nul évènement n'a été plus fécond en conséquence que notre établissement à Alger. C'est il y a cent ans qu'été posée la première pierre de ce vaste empire colonial africain qui s'étend jusqu'au lac Tchad et aux rives du Congo. Après avoir flotté à Alger en 1830 il a été arboré à Tunis en 1881, à Fès en 1912. Colonie acquise par hasard, elle est devenue le point de départ et le centre le plus actif de l'influence française en Afrique.
                C'est en Algérie que s'est formé le personnel de soldats, d'administrateurs, de colons que nous avons utilisé dans les protectorats voisins.
                L'Algérie qui comptera bientôt un million d'Européens est le centre le plus puissant de l'influence française en Afrique. Des perspectives illimitées s'ouvrent ainsi à cette misérable Régence barbaresque où nos pères ont débarqué en 1830. La France, qui retrouve dans l'Algérie sa propre image, revivra au-delà de la Méditerranée.
                
Gabriel Hanotaux de l'Académie française
                 Alfred Martineau professeur au Collège de France
                 Histoire des colonies françaises et de l'expansion de la France dans le monde. Tome II : l'Algérie par Augustin Bernard professeur à la faculté des lettres de Paris. Édition 1930.



L'Algérie pendant la guerre (1914-1918)
Envoyé par M. Christian Graille

                 La guerre mondiale qui a bouleversé l'Europe et le monde, a eu pour l'Algérie de très importantes conséquences bien que le pays ait été relativement épargné. L'Afrique du Nord a été une des causes, un des enjeux et devait être dans la pensée allemande un des théâtres de la grande guerre.
                 Cette puissance escomptait des révoltes des colonies françaises et anglaises, depuis l'Inde jusqu'à l'Afrique occidentale en passant par l'Égypte, la Tunisie et le Maroc. Pour allumer cet immense incendie, elle faisait fond sur le fanatisme musulman, qu'elle s'efforçait de surexciter dans le monde entier.
                 En Algérie, les intrigues allemandes affectaient les formes les plus diverses ; tantôt c'étaient des savants, naturalistes, géographes, ethnographes, orientalistes qui prenaient prétexte de leurs recherches pour pénétrer dans les milieux indigènes ; tantôt d'inoffensifs acheteurs de moutons ou des chercheurs de mines qui disparaissaient tout à coup par les voies les plus rapides lorsqu'ils se sentaient surveillés.
                 Les touristes allemands qu'amenaient en troupes compactes les beaux navires de la Hamburg-Amerika, se transformaient en propagandistes bénévoles ; on les vit un jour faire embarquer, à Alger, même, des déserteurs de la Légion étrangère, sous les yeux des indigènes stupéfaits de tant d'audace.
                 Les résultats de toutes ces intrigues furent médiocres. Un allemand qui avait essayé de se glisser dans la zaouïa de Sidi-Ahmed-el-Kébir, près de Blida, en simulant une conversion à l'Islam et en prenant le costume indigène fut bientôt dénoncé par les musulmans.
                 Le savant Frobenius qui s'était installé dans un village kabyle peu de temps avant la guerre, ne parlait aux indigènes que le revolver au point et ne leur laissa pas de bien bons souvenirs.
                 Le baron Von Oppenheim s'était efforcé, sans plus de succès, de travailler les confréries religieuses.

                 C'est en Algérie que furent tirés les premiers coups de canon de la grande guerre. Le 4 août 1914, au lever du jour, deux navires de la flotte allemande le Goeben et le Breslau se présentèrent devant la côte algérienne.
                 Le premier bombardait Philippeville, le second attaquait Bône ; ils lancèrent une soixantaine d'obus, tuèrent quelques hommes et occasionnèrent des dégâts matériels assez importants.
                 Ce bombardement n'était pas un acte fortuit mais la manifestation d'un plan longuement mûri.
                 Les Allemands espéraient que les coups de canon éveilleraient quelque écho dans les montagnes kabyles qu'une insurrection, à laquelle ils auraient tendu la main en prenant possession d'un ou de plusieurs ports et qu'ils auraient encouragé de leurs subsides, viendrait dès le début de la guerre européenne compliquer notre tâche et entraver la mobilisation. Il n'en fut rien et le XIXe corps fut transporté en France sans difficulté. Les Allemands les mieux informés et les plus perspicaces se rendirent compte rapidement qu'une insurrection générale de l'Afrique du Nord n'avait aucune chance de se produire.
                 L'entrée en guerre de la Turquie le 29 octobre 1914 bientôt suivie de la proclamation de la guerre sainte laissa les musulmans algériens assez indifférents. Pendant toute la durée de la guerre, des brochures et des proclamations, dont une faible partie seulement parvint à destination, furent expédiées par ballots.
                 Une des plus notables de ces brochures fut celle que publia à Constantinople, l'Algérien Bou-Kabouya, lieutenant de tirailleurs qui avait déserté devant l'ennemi ; ce tract intitulé l'Islam dans l'armée française présentait sous le jour le plus sombre la situation des indigènes enrôlés sous nos drapeaux.
                 En 1916 se constitua à Berlin un comité musulman pour l'indépendance de l'Algérie ; il était dirigé par un fils d'Abd-el-Kader, l'Émir Ali. Mais toute cette propagande ne donna pas les résultats escomptés.
                 Le banditisme qui a toujours existé à l'état endémique dans les régions montagneuses et boisées du pays, se développa pendant la guerre qui avait amené en même temps la diminution des effectifs militaires et la mobilisation d'une partie des autorités de surveillance et de répression.
                 C'est surtout en 1915 que le fléau sévit et qu'on observa une recrudescence de crimes et de délits de droits communs dont les indigènes furent victimes plus que les Européens.

                 En 1916, la situation s'améliora. Cependant, jusqu'à la fin de la guerre, en particulier dans la province de Constantine, la sécurité fut troublée à diverses reprises par des associations de malfaiteurs, ayant à leur tête des soldats indigènes déserteurs ou insoumis et des prisonniers évadés. Un certain nombre d'incidents eurent pour cause première la résistance au service militaire et à l'enrôlement des travailleurs. Dans l'ensemble la bonne tenue de l'Algérie fut remarquable.
                 La guerre européenne de 1914 fournit en quelque sorte la contre-épreuve de celle de 1870 : tandis que la première avait été suivie d'une insurrection, la seconde montra à quel point les indigènes s'étaient rapprochés de nous et considéraient leurs intérêts comme solidaires des nôtres.

Le Sahara pendant la guerre

                 De 1902 à 1914 il avait joui d'une tranquillité aussi parfaite que le comportaient le caractère du pays et celui de ses habitants.
                 C'est du côté du Sud-Tunisien et de la Tripolitaine que se produisirent au début de la guerre des évènements importants. La Lybie renfermait encore des populations insoumises. Les Turcs et les Allemands essayèrent de les lancer contre les Italiens d'abord puis contre les Français. L'agitation avait gagné les Touaregs Azdjer.
                 Le 1er décembre 1916, le Père de Foucauld fut assassiné dans son ermitage de Tamanrasset par une bande venue de Tripolitaine.
                 Après de belles explorations au Maroc et des séjours en Palestine, il s'était fait ordonner prêtre à quarante-trois ans et s'était installé à Ben-Abbès pour s'y employer à des œuvres charitables ; puis à la suite d'entretiens avec Laperrine qui avait été son camarade à Saint-Cyr et était demeuré son ami intime, il avait vu dans l'apprivoisement des Hoggar une besogne réalisable et en 1905 avait pris pour centre d'action Tamanrasset.
                 -Vivant plus misérablement que le plus pauvre des Touaregs,
                 - soignant les malades et les enfants,
                 - propageant avec ténacité de menus progrès matériels,
                 - apaisant les querelles,
                 - portant partout dans cet âpre monde du désert sa souriante bonté et son angélique patience le " marabout chrétien " fut bientôt adoré des Hoggar et célèbre dans le Sahara tout entier.
                 Son prestige et son dévouement semblaient devoir garantir contre tout attentat cet homme admirable qui fut un savant, un patriote et un saint et qui mourut en martyr pour son pays et pour sa foi.

                 Les Hoggar impressionnés par la mort du père de Foucauld entrèrent en dissidence. Le Sahara tout entier semblait nous échapper. Pour remédier à ce péril, le général Lyautey, alors ministre de la guerre fit appel au général Laperrine qui avait été le pacificateur et l'organisateur de Sahara.
                 Une décision du 12 janvier 1917 lui donna autorité sur l'ensemble des territoires sahariens de l'Algérie, de la Tunisie et de l'Afrique occidentale.
                 La situation qui paraissait profondément troublée se rétablit avec une surprenante rapidité. Laperrine réussit en peu de temps à reprendre en main les populations sahariennes.
                 Il mit Fort Flatters en état de défense et fit démentir énergiquement les bruits d'abandon du Tidikelt (région d'oasis) que répandaient nos ennemis.
                 A Djanet on obtint la soumission des Azdjer ; la garnison d'Agadès fut débloquée ; les négociations aboutirent bientôt à la soumission presque totale des Hoggar.
                 Dès l'année 1917, le Sahara et ses habitants n'inspiraient plus d'inquiétude.
                 L'année 1918 marqua la fin de l'agitation que la guerre y avait fait naître et que l'appui donné par les Germano-Turcs aux contingents tripolitains avait réussi à propager.
                 La situation redevint tout à fait comparable à ce qu'elle était en 1914. Grâce au chef exceptionnel que fut le général Lyautey, grâce à des prodiges sans cesse renouvelés d'habileté politique et de valeur militaire, l'armature avait tenu bon au Maroc aussi bien qu'en Tunisie et au Sahara.

Les soldats et les travailleurs indigènes

                 Non seulement l'Algérie n'a pas été pour la France pendant la guerre une cause de faiblesse et une source de difficultés, mais elle a apporté à la métropole un concours militaire des plus précieux ; elle a aidé la mère-patrie dans la grande crise en lui fournissant des soldats et des travailleurs.
                 Il n'y a pas lieu d'insister sur les contingents européens ; tous les hommes valides furent mobilisés, comme en France et utilisés tant sur le front français que sur le front d'Orient ; les effectifs français atteignirent 155.000 hommes dont 115.000 quittèrent l'Algérie ; les pertes s'élevèrent à 22.000 hommes.
                 Pour les indigènes, au moment de l'ouverture des hostilités, le système de recrutement entrait à peine en application et sous une forme très atténuée ; on n'appelait que 2.500 hommes sur un contingent de 45.000.
                 Le décret du 7 septembre 1916 soumit les indigènes à un régime qui se rapprochait sensiblement de celui des Français d'origine. Sous la pression des évènements, il était devenu indispensable d'intensifier le recrutement.
                 En 1917 et en 1918 on eut recours à l'incorporation complète du contingent et à l'appel total des classes, combattants et auxiliaires.
                 Au total en tenant compte des effectifs existant au 1er août 1914, l'Algérie indigène a fourni pendant la guerre 173.000 hommes dont 83.000 appelés 87.000 engagés et 3.000 réservistes, soit environ 3,6 pour 100 de la population indigène.
                 Les pertes très inférieures dans l'ensemble à celles des Français s'élevèrent à 25.000 hommes.
                 On attribua aux familles indigènes les mêmes allocations qu'aux familles françaises : 1 franc 25 par jour plus 50 centimes par enfant. Celle allocation assura la subsistance de beaucoup de familles indigènes et étant donné leur sobriété, il en résulta pour elles un réel enrichissement.
                 Les sommes ainsi distribuées s'élevèrent à 70 millions.
                 Sur la Marne, sur l'Yser, sur la Somme, à Verdun, les troupes indigènes firent l'admiration du monde, soient qu'elles aient combattu sous les drapeaux de leurs régiments, soit que leurs bataillons aient concouru avec des bataillons de zouaves à constituer des bataillons mixtes.
                 Les Allemands mirent tout en œuvre pour amener les prisonniers indigènes à prendre du service dans l'armée turque. La plupart furent internés au camp-du-croissant, à Zossen, près de Berlin, séparés de leurs officiers, commandés par des officiers allemands parlant l'arabe, ils furent l'objet des attentions les plus flatteuses.
                 - On leur fit la cuisine suivant leurs rites et leurs goûts,
                 - on les combla de promesses et d'argent,
                 - on leur construisit une mosquée.
                 La séduction alternait avec la brutalité. Ces tentatives de débauchage eurent peu de succès et se heurtèrent en général à de très vives résistances.
                 L'Algérie indigène a également fourni durant la guerre des travailleurs pour les usines. Dès 1907 un mouvement d'émigration vers la France s'était dessiné dans la population de la Kabylie, région montagneuse et surpeuplée, habitée par des hommes énergiques et très âpres au gain.
                 A côté des colporteurs kabyles de plus en plus nombreux qu'on trouvait à Paris, à Marseille, à Lyon et dans la France entière, on rencontrait des indigènes dans certains établissements industriels et miniers, notamment dans le bassin houiller du Pas-de-Calais.
                 Le nombre des émigrants augmentait d'année en année ; une enquête effectuée en 1914 évaluait leur nombre à 10.000 environ dont 7.500 dans les mines du Pas-de-Calais.
                 Dès le début de la guerre ils s'employèrent dans les usines de munitions, où les attiraient des salaires rémunérateurs. On songea bientôt à régulariser et à accroître cet exode.
                 Le décret du 14 septembre 1916 prévoyait le recrutement par voie d'embauchage volontaire ou à défaut par voie de réquisition de travailleurs algériens pour les usines de guerre. Afin de ne pas nuire aux engagements militaires, ils devaient être choisis parmi les hommes des classes antérieures à 1915.
                 Le recrutement des travailleurs comme celui des soldats, donna des résultats très inégaux suivant les régions, tant au point de vue du nombre que du point de vue de la valeur.
                 Certaines populations déjà habituées à l'émigration, s'y prêtèrent d'assez bonne grâce ; d'autres s'effrayèrent et cet effort, demandé au moment même où on levait intégralement la classe 1917, portant sur des hommes déjà âgés et pères de famille, parait avoir été la principale cause des incidents de la province de Constantine.
                 Au total l'Algérie a fourni pendant la guerre 89.000 travailleurs recrutés administrativement si l'on y ajoute les travailleurs libres, on arrive, d'après les estimations les plus dignes de foi, au chiffre de 119.000.

La vie économique de l'Algérie pendant la guerre

                 L'Algérie a surtout souffert pendant la guerre de la difficulté des communications maritimes. Les destructions de navires furent très nombreuses dans la méditerranée occidentale ; des transports de troupes, des paquebots et surtout de nombreux cargos furent torpillés sur les côtes de l'Algérie.
                 De1914 à 1918 les récoltes de céréales suffirent à l'alimentation de la colonie et laissèrent des excédents pour l'exportation ; des difficultés s'élevèrent néanmoins du fait qu'il fallait calculer aussi exactement que possible la quantité de céréales nécessaire au pays et ne laisser sortir que le superflu étant donné la difficulté de se réapprovisionner.
                 Le même problème se posa pour la viande et pour l'huile d'olive qui est, avec la semoule la base principale de l'alimentation des indigènes.
                 Parmi les denrées que l'Algérie ne produisait pas et qui lui étaient indispensables, le sucre figurait au premier rang.
                 En dehors des produits alimentaires, la question la plus importante était celle des combustibles, houille, pétrole, essence.
                 L'isolement forcé pendant la guerre et l'élévation du prix des frets l'amènent à rechercher dans son sol ou son sous-sol des ressources encore inexploitées, à installer ou à développer un certain nombre d'industries.
                 Pays avant tout agricole c'est par des produits de la terre que l'Algérie pouvait le plus efficacement venir en aide à la France ; elle n'y a pas manqué. Elle fournit à la métropole des quantités de blé, d'orge et d'avoine qui varièrent suivant les récoltes mais qui furent toujours importantes.
                 Beaucoup d'autres denrées alimentaires furent fournies : les fèves, l'huile d'olive, les dattes, les figues, les œufs, les moutons, les bœufs, les chevaux, les mulets, les ânes, les laines, les cuirs et les peaux.
                 Le tabac profita largement de la guerre, la régie française achetant la plus grande partie de la récolte en feuilles.
                 En revanche, les lièges, les alfas, les produits miniers par suite du manque de main-d'œuvre furent victimes d'une stagnation et d'un arrêt presque complet.
                 Le commerce de l'Algérie, malgré :
                 - le manque de main-d'œuvre,
                 - de personnel de direction,
                 - de crédit,
                 - de matières premières,
                 - de transports maritimes,
                 conserva une certaine activité.
                 La France s'aperçut pendant la guerre que l'Algérie constituait pour elle un marché de produits alimentaires et de matières premières qu'elle avait trop peu utilisé et dont elle ne soupçonnait pas l'importance.

Les Européens et la crise de la colonisation

                 Les diverses catégories de population ont inégalement souffert ou inégalement profité de la guerre. Elle a éclairci les rangs des colons comme ceux des paysans français. En outre l'immigration s'était arrêtée et la natalité avait baissé.
                 L'élément européen n'avait donc pas réalisé les gains qu'il aurait obtenus dans des conditions normales.
                 Les pertes en vie humaines ont été sensiblement égales chez les Européens (22.000) et chez les indigènes (25.000), non équivalentes puisque l'élément indigène était cinq fois plus nombreux.
                 La population européenne qui, de 1901 à 1911, avait augmenté de plus de 100.000 âmes n'en a gagné que 40.000 de 1911 à 1921.
                 Une des conséquences les plus frappantes de la guerre c'est que l'accroissement de cette population a profité uniquement aux villes qui ont absorbé la totalité de l'augmentation. La fusion des divers éléments européens s'était poursuivie dans des conditions satisfaisantes.
                 La colonisation étrangère affaiblie par les mariages mixtes et les naturalisations automatiques tendait de plus en plus à se confondre avec la population d'origine française.
                 Les naturalisés ont eu pendant la guerre une attitude parfaitement loyale et leur conduite n'a donné lieu à aucune critique.
                 L'immigration espagnole, en raison des conditions du change, n'est plus attirée par les hauts salaires et s'est arrêtée.
                 On peut dire que la guerre en Algérie a fait avancer la fusion des éléments européens. Il n'est plus question du " péril étranger " qui avait paru si redoutable vingt ans auparavant.
                 Dans l'ensemble, l'Algérie a dû à la guerre un enrichissement au moins relatif parce que la vie économique y a été moins Les Européens ont obtenu, notamment dans la viticulture des bénéfices considérables ; mais les indigènes ont réalisé plus de profits encore que les colons et leur condition s'est transformée bien davantage.
                 Il faut faire état :
                 - des primes d'engagements et de démobilisation,
                 - des allocations journalières,
                 - des carnets de pécule,
                 - des salaires des travailleurs coloniaux.

                 Enfin et surtout, les hauts prix atteints par les céréales et par le bétail ont profité aux indigènes. Or l'indigène possesseur de quelques ressources voit dans la terre le placement le plus sûr ; inquiet de l'inflation fiduciaire, il cherche à se défaire de ses billets de banque et à les remplacer par des propriétés qu'il est disposé à payer très cher.
                 C'est ce qui explique la crise de la colonisation qui a accompagné la guerre.
                 Au début des hostilités, la mobilisation, les difficultés d'exploitation, l'incertitude des transactions et des transports avaient provoqué un fléchissement du prix des terres. Mais, dès la fin de 1917, les bonnes récoltes et la hausse des denrées agricoles amenèrent une plus-value générale.
                 En 1919 la hausse est de plus en plus rapide et accentuée ; une fièvre de spéculation sévit ; bon nombre de propriétaires européens profitent de la hausse pour vendre leurs biens ; quelques-uns les rachètent, puis les revendent plus cher encore.
                 Les acquisitions de domaines européens par les indigènes furent de plus en plus nombreuses. En 1918 et 1919, les Européens vendirent aux indigènes 60.000 hectares de terre et en achetèrent seulement 35.000.
                 Le recul de la propriété européenne fut plus particulièrement marqué dans le département de Constantine et en Kabylie où des centres entiers revinrent aux mains des indigènes ; ce fait s'explique par la densité de la population indigène et la prédominance de l'élément berbère ; dans l'Ouest, les achats des Européens conservèrent presque partout la prépondérance.

Le troisième gouvernement de M. Jonnart et les réformes indigènes (1918-1919)

                 En 1918, au moment de l'effort suprême, le gouvernement de M. Clémenceau fit appel encore une fois à M. Jonnart en lui confiant la direction des affaires de l'Algérie. Il s'agissait de faire accepter aux indigènes un recrutement militaire de plus en, plus intensifié et aux colons des réformes indigènes très importantes : " Ne me demandez pas de soldats, avait dit Clémenceau, mais faites en sorte de m'en envoyer le plus possible. "
                 Débarqué à Alger au milieu du mois de janvier 1918, le gouverneur général se mit immédiatement en relation avec les chefs indigènes qui lui promirent leur concours le plus dévoué ; en deux mois, il obtint une levée de 70.000 hommes dont 20.000 pour les usines de guerre.
                 En 1915 et en 1916, diverses propositions émanant de l'initiative parlementaire demandaient que la France reconnût par un acte législatif le dévouement et la fidélité des indigènes.
                 Le programme arrêté par le gouvernement comportait :
                 - des réformes militaires,
                 - des réformes fiscales,
                 -des réformes administratives et politiques.
                 Au point de vue militaire, deux innovations étaient particulièrement intéressantes.
                 La première permettait aux indigènes, qui auparavant ne pouvaient prétendre à un grade supérieur à celui de lieutenant, d'accéder aux grades les plus élevés dans l'armée.
                 Le seconde disposait que les militaires indigènes auraient droit aux même pensions de retraite et aux même gratifications de réforme que les Français.
                 Au point de vue fiscal la réforme était plus significative et plus profonde.
                 Jusqu'en 1919, les impôts auxquels étaient assujettis les indigènes et ceux que payaient les Européens étaient entièrement différents.
                 Les impôts arabes étaient compliqués et inégaux mais ils reposaient sur de vieilles traditions.
                 La guerre se prolongeant, le gouvernement demanda à l'Algérie de ne pas ajourner plus longtemps la réforme. Elle fut votée par les délégations financières le 21 juin 1918. Elle réalisait l'assimilation fiscale, l'égalité complète entre les contribuables européens et indigènes. Quant aux réformes d'ordre administratif et politique, elles entrèrent dans la pratique par la loi du 4 février 1919.
                 Le statut personnel des indigènes, tel qu'il était réglé par le sénatus-consulte comportait deux degrés :
                 - Celui de la naturalisation complète pour l'indigène qui, renonçant au statut personnel musulman, se soumettait aux lois civiles et politiques de la France et acquérait la qualité de citoyen français,
                 - celui du sujet français qui conservait le statut personnel musulman et demeurait soumis aux règles particulières édictées par la population indigène.
                 Quant aux indigènes qui désiraient devenir citoyen français, la loi ajouta encore aux facilités déjà grandes que leur donnait le sénatus-consulte de 1865 ; l'attribution de cette qualité ne leur était plus concédée par l'administration à titre de don qu'elle était toujours libre de refuser : désormais une simple déclaration suffisait à ceux qui remplissaient les conditions nécessaires et c'était à l'autorité judiciaire qu'il appartenait de recevoir cette déclaration et de vérifier si ces conditions étaient remplies.

                 La conservation du statut personnel musulman ne faisait nullement obstacle à ce que les indigènes puissent participer à la vie publique locale ; la loi nouvelle spécifia en conséquence qu'ils devraient être représentés :
                 - dans toutes les assemblées délibérantes de l'Algérie,
                 - délégations financières,
                 - conseils généraux, conseils supérieurs,
                 - conseils municipaux,
                 - commissions municipales,
                 - djemaâs (assemblées) de douars, par des membres élus siégeant au même titre et avec les mêmes droits que les citoyens Français.

                 Enfin, autre réforme capitale, les djemaâs de douars furent reconstituées dans les communes de plein exercice par la loi du 1er août 1918.
                 C'était un acte de justice et de bonne administration.
                 La djemaâ est parmi les institutions anciennes des indigènes celle qui symbolise le mieux à leurs yeux les franchises séculaires. Elle protège et sauvegarde les biens communaux des douars, leurs pâturages, leurs terrains de parcours ; elle allait reprendre la maîtrise des prestations et des revenus du village pour les affecter à des travaux d'utilité publique intéressant le petit groupement.
                 Dans les communes mixtes où les djemaâs étaient auparavant composées de notables désignés par les préfets et placés sous la présidence des chefs indigènes également nommés par l'administration, elles furent désormais élues par la population et choisirent leurs présidents.
                 La loi spécifiait expressément que les conseillers municipaux indigènes participeraient désormais à l'élection des maires et des adjoints dans les communes de plein exercice.
                 C'est sur ce point que M. Jonnart avait rencontré les plus vives résistances.
                 Le nombre des électeurs indigènes fut considérablement accru par les réformes de 1919.
                 L'électorat et l'éligibilité étaient désormais conférées à tous les indigènes âgés de vingt-cinq ans qui avaient servi dans l'armée, étaient propriétaires ou commerçants, exerçaient une fonction publique ou étaient pourvus d'un diplôme universitaire.
                 Le droit de suffrage, dans ces conditions, était accordé à 100.000 électeurs pour les délégations financières, tandis qu'ils n'étaient pas plus de 15.000 auparavant, à plus de 400.000 électeurs pour les conseils généraux et les djemaâs.

                 Les réformes de 1919 assuraient à la population musulmane toutes les garanties nécessaires au respect et au développement de ses intérêts, sans aller jusqu'à une assimilation qu'elle ne désirait pas et qui eût profondément troublé ses habitudes. La participation des indigènes à la guerre, les services qu'ils avaient rendus à la France, avaient noué entre eux et nous de puissants liens. Soumis désormais :
                 - au même régime fiscal que les Français,
                 - payant comme eux l'impôt du sang,
                 - ayant comme eux défendu la patrie commune, les musulmans devaient être admis à prendre une part plus large à la gestion des intérêts collectifs sans rien compromettre de l'hégémonie française.


Gabriel Hanotaux de l'Académie française
Alfred Martineau professeur au Collège de France
Histoire des colonies françaises
et de l'expansion de la France dans le monde.
Tome II : l'Algérie par Augustin Bernard professeur à la faculté des lettres de Paris. Édition 1930

L'Algérie depuis la guerre (1919-1930)
Envoyé par M. Christian Graille

                 La guerre finie, M. Jonnart rappela à M. Clémenceau que seules des circonstances exceptionnelles l'avaient décidé à revenir en Algérie, qu'il avait rempli le programme qui lui avait été assigné, et que, désirant se consacrer désormais aux régions libérées, particulièrement à celles du Pas-de-Calais, envahies dès 1914 et complètement ruinées par l'ennemi, il priait le gouvernement de lui donner un successeur. L'Algérie depuis 1919 a eu comme gouverneurs généraux MM. Abel (1919-1920), Steeg (1921-1925), Violette (1925-1927), et Bordes. On s'abstiendra, faute d'un recul suffisant, de tout jugement sur ces derniers gouverneurs.
                  Une des questions qui se posaient c'était de savoir si le gouverneur général devait appartenir au monde parlementaire ou à l'administration. On faisait valoir, en faveur du gouvernement membre du Parlement, qu'il pourrait défendre les intérêts de l'Algérie devant les chambres et dans les conseils du gouvernement avec plus de liberté d'allures et sans préoccupations de carrière ; en faveur du gouverneur-fonctionnaire, qu'il pourrait se consacrer plus exclusivement à sa tâche africaine et demeurer plus longtemps à son poste.
                  L'essentiel était le choix de l'homme vraiment apte par ses qualités et par son passé à s'acquitter dignement de ces hautes fonctions. L'Algérie demandait surtout que le chef de la colonie soit stable et ne change pas fréquemment.
                  Le gouverneur général devrait, comme le vice-roi de l'Inde britannique, être nommé pour cinq ans au moins.
                  De nombreux problèmes concernant la sécurité, les communications, la politique indigène, l'administration même, étaient communs à toute l'Afrique française du Nord. Le défaut de contact et le manque de coordination entre l'Algérie, qui relevait du ministère de l'Intérieur et les protectorats de la Tunisie et du Maroc, qui dépendaient du ministère des Affaires Etrangères n'était pas sans inconvénient.
                  A la suite du voyage du Président de la République, M. Millerand en Afrique du Nord en 1922 et sur la suggestion du maréchal Lyautey, des conférences nord-africaines annuelles furent instituées, dans lesquelles les gouvernements et les résidents généraux se réunissaient pour étudier en communs les questions qui se posaient.
                  La première de ces conférences eut lieu à Alger en février 1923 ; elles se tinrent alternativement ensuite à Alger, à Rabat et à Tunis et donnèrent d'assez bons résultats. Convenait-il d'aller plus loin et de rattacher l'Algérie, comme on l'avait proposé à diverses reprises, soit au ministère des Colonies soit à un ministère de l'Afrique du Nord ?
                  Les bons arguments ne manquaient pas en faveur de cette solution, propre à donner une impulsion d'ensemble à une politique africaine. Mais de graves objections se présentaient. Il ne serait pas sans inconvénient ni danger de vouloir unifier les trois parties du domaine nord-africain qui, chacune avait leur propre vie, leur originalité et n'étaient pas au même degré d'évolution.
                  Les musulmans de l'Afrique du Nord se connaissaient peu, ne s'aimaient guère, ne se sentaient pas solidaires : serait-il bien raisonnable de réaliser entre eux, par un souci de symétrie et de logique, une unification qui risquerait de les amener à faire bloc contre la France ?
                  En ce qui concerne l'Algérie, elle redouterait, si elle dépendait du ministère des Colonies ou d'un ministère spécial, qu'on n'eût la tentation de l'administrer de Paris et qu'elle ne fût ramenée au funeste régime des rattachements.
                  D'autre part, si le pays n'était pas une simple réunion de départements, ce n'était pas une colonie comme les autres. Les indigènes algériens différaient certes des Français de la Métropole, avec lesquels on a eu tort parfois de vouloir les confondre, mais ils ne diffèrent pas moins des populations coloniales noires et jaunes. Le véritable ministre de l'Algérie, c'est le gouverneur général.

La situation financière

                  Elle a constitué après la guerre une des préoccupations les plus angoissantes. Sa monnaie, solidaire de celle de la France a passé par les mêmes alternatives : inflation, dépréciation, stabilisation en 1928. Son budget, que les assemblées locales avaient si prudemment aménagé et qui autorisait toutes les espérances avait été profondément ébranlé par les évènements. Dans les cinq exercices de guerre, un déficit de plus de 120 millions s'accusa dans les revenus budgétaires ; en même temps :
                  - les dépenses exceptionnelles pour le ravitaillement de la population,
                  - pour l'amélioration du sort des fonctionnaires et des chemins
                  - pour le déficit des chemins de fer, devenaient de plus en plus considérables.
                  Au total 621 millions de dépenses ne figuraient pas aux écritures budgétaires qui, de 1915 à 1922, ne répondaient plus à la réalité.
                  Il fallut :
                  - faire appel aux fonds de réserves,
                  - emprunter à la Banque de l'Algérie,
                  - créer des impôts nouveaux.

                  Dès la fin de la guerre, on s'attacha à liquider la situation. Il n'était pas possible de prolonger la méthode financière consistant à demander à la Banque de l'Algérie les ressources nécessaires, tant pour équilibrer le budget que pour faire face aux dépenses exceptionnelles du temps de guerre.
                  Cette politique, en faisant appel aux avances d'une banque d'émission, aggravait l'inflation de la circulation fiduciaire, cause principale de la cherté de la vie et ne pouvait que retarder le retour à une situation économique normale. Malheureusement en 1920 se produisit une sécheresse désastreuse et la récolte fut à peu près nulle. En temps ordinaire, on eût pu se procurer facilement et à bon, marché des grains en Russie, en Argentine ou ailleurs ; les circonstances nées de la guerre, :
                  - déficit général,
                  - carence de la Russie,
                  - conditions de fret et de change,
                  - obligèrent le pays à payer le blé nécessaire à la soudure plus de 200 francs le quintal ; il fallut importer en 1920-1921 plus de deux millions de quintaux.
                  Le rétablissement de la situation budgétaire normale. Malgré l'augmentation des impôts, les recettes demeuraient insuffisantes pour couvrir les dépenses ordinaires et les travaux publics, très ralentis, ne pouvaient être alimentés que par des ressources exceptionnelles.
                  Il fallut procéder à, un emprunt de liquidation.
                  Des lois du 5 août 1920, du 23 juillet 1921 et du 31 mars 1922 autorisèrent l'Algérie à contracter un grand emprunt de 2 milliards sur lequel 400 millions devaient être consacrés à la liquidation du passif. Le surplus, soit 1.600 millions réalisables par tranches, était affecté aux travaux publics.
                  Pour la première fois, le budget de 1924 se solda par des excédents de recettes ; Dans les budgets suivants, l'équilibre fut réalisé d'une manière de plus en plus complète. Le budget était passé de 175 millions en 1914 à 532 en 1924 et 674 en 1926.
                  Des certaines évaluations, les Européens possédaient 63 pour 100 de la fortune algérienne et supportaient 63 pour 1400 des charges publiques ; les indigènes détenaient 37 pour 100 et supportaient 27 pour 100 des charges ; la réforme de 1919 avait donc été très largement favorable à ces derniers. Les privilèges fiscaux dont les Européens avaient longtemps joui avaient complètement disparu, malgré l'intérêt qu'il pouvait avoir à conserver en Algérie un régime d'imposition moins lourd qu'en France afin d'y attirer les capitaux et les colons.
                  En résumé la situation financière du pays était sensiblement moins belle qu'avant la guerre.

Les travaux publics

                  A la fin de 1914, 40 millions seulement sur un total de 143 millions avaient été dépensés pour l'exécution des voies ferrées nouvelles prévues au programme de 1907. Un nouveau programme s'élevant à 450 millions avait été arrêté par les assemblées algériennes dans leur session de 1914. Pendant la guerre, l'administration s'était efforcée de maintenir le plus d'activité possible sur les chantiers de travaux publics, mais elle avait dû se borner en général aux travaux d'entretien.
                  Après la guerre, l'Algérie s'efforça tout d'abord d'acquérir le matériel nécessaire à la remise en état et au renforcement des voies ferrées déjà existantes. Elle voulut aussi effectuer le plus rapidement possible la transformation de la ligne de Tébessa à Bône, destinée à drainer les richesses minérales, phosphates et minerais de fer de la province de Constantine.
                  En 1920 un programme de travaux publics de 2.600 millions fut établi, dont 1.600 millions devaient être demandés à un emprunt et le reste au budget ordinaire. Mais,
                  - l'incertitude qui pesait sur le monde entier,
                  - les difficultés budgétaires,
                  - les prix formidablement accrus des matériaux et de la main-d'œuvre,
                  - le désir des assemblées algériennes d'éviter à leurs électeurs de trop lourdes charges fiscales, firent pratiquer une politique de prudence.
                  Le déficit croissant des chemins de fer, auquel il fallut remédier comme en France par des relèvements de tarifs, créait un état d'esprit peu favorable à la construction de lignes nouvelles.
                  En 1921 et 1922 les travaux furent à peu près complètement suspendus. L'Algérie racheta les réseaux encore détenus par les Compagnies et confia l'exploitation des lignes situées à l'Ouest d'Alger à la compagnie P L M, à l'administration des chemins de fer de l'État les lignes de l'Algérie orientale et l'ancien réseau oranais à voie étroite.
                  En 1923, l'amélioration de la situation permit d'envisager une reprise et un programme restreint fut élaboré en vue d'une réalisation immédiate, programme établi sur cinq ans. Le principal effort s'est porté sur les travaux hydrauliques barrages d'Oued-Fodda et des Gribs).

Les Européens et la colonisation

                  En 1926 la population européenne de l'Algérie s'élevait à 833.000 âmes ; l'accroissement (42.000 depuis 1921) était donc revenu à peu près au rythme d'avant-guerre, tout en demeurant un peu faible.
                  On comptait 657.000 Français et 176.000 étrangers.
                  Les Français se décomposaient en 549.000 Français d'origine, 71.000 étrangers et 37.000 israélites naturalisés.
                  L'immigration étrangère n'avait d'ailleurs que faiblement repris depuis la guerre en raison des modifications économiques survenues tant en Algérie que dans les pays d'origine de cette immigration. La dépréciation de notre monnaie, le ralentissement des travaux publics découragèrent les Espagnols et les Italiens. Le " péril étranger " s'était évanoui et les violentes polémiques qu'il suscitait jadis avaient pris fin.
                  La fusion ethnique, économique et morale s'opéra d'elle-même.
                  Entre les peuples européens représentés en Algérie, les dissemblances à l'origine s'atténuèrent. Les Français d'origine étaient fortement imprégnés de sang étranger par les mariages mixtes. A l'heure actuelle il est à présumé que les deux tiers des enfants du pays ont du sang étranger dans les veines. Ces divers traits :
                  - prépondérance de la natalité sur l'immigration,
                  - prépondérance des Algériens nés dans la colonie indiquaient que le peuple algérien était désormais constitué.
                  La guerre avait puissamment contribué à accélérer la fusion : Français ou étrangers étaient tous devenus des Algériens.
                  L'œuvre de la colonisation agricole, interrompue de 1914 à 1919 reprit.
                  Mais l'aménagement des centres devint très coûteux par suite de l'augmentation du prix de la main-d'œuvre et des matériaux et de l'énorme plus-value de la propriété foncière. Il devint surtout de plus en plus difficile de se procurer des terres. Les indigènes, soit en raison de la répugnance qu'ils éprouvaient à abandonner le sol qui leur venaient de leurs ancêtres, soit par opposition instinctive et systématique à l'installation de nouveaux foyers européens refusèrent de vendre.
                  Au point de vue des transactions foncières, la situation anormale de 1914-1919 prit fin et on revint à peu près à la situation d'avant-guerre. Les indigènes avaient été éprouvés par :
                  - la sécheresse,
                  - les mauvaises récoltes,
                  - la mortalité du cheptel.

                 En même temps les allocations et les primes de démobilisation se tarissaient, les usines de guerre se fermaient. A partir de 1920 les acquisitions des Européens étaient devenues égales ou supérieures à leurs ventes ; pour la période 1921-1925, ils achetèrent aux indigènes 135.000 hectares et leur vendirent 114.000. Mais, dans le département de Constantine, la colonisation était encore en recul les Européens vendant 51.000 hectares et n'en achetant que 38.000. La reprise des terres de colonisation par les indigènes, là où elle se produisit, avait un double inconvénient :
                  - inconvénient politique par l'atteinte portée au peuplement français rural,
                  - inconvénient économique car, là où les fermes françaises tombaient dans les mains des indigènes,
                  - les bâtiments étaient plus entretenus,
                  - le bétail n'était plus soigné,
                  - le matériel était l'abandon,
                  - le sol envahi par les mauvaises herbes.
                  D'autres dangers menaçaient le peuplement rural par le développement de grands domaines européens qui avaient évidemment un rôle utile mais faisaient le vide autour d'eux en faisant disparaître la moyenne et la petite propriété. Tout compte fait, la population européenne rurale paraissait avoir diminué depuis 1911 de 10.000 unités environ. Dans certains villages de colonisation, la régression était incontestable ; de même des petites villes comme Blida, Tizi-Ouzou voyaient décroître le nombre des Européens non-fonctionnaires.
                  Le problème foncier n'était toujours qu'incomplètement résolu, peut-être parce qu'il ne comportait pas de solution absolue. On ne pouvait assez s'étonner que, pendant qu'on faisait de si grands sacrifices pour établir en Algérie des colons français, on ait si longtemps négligé de les mettre en état de réussir par une bonne organisation du crédit agricole. Si on voulait que les paysans français s'implantent en Algérie d'une façon définitive, il fallait les soutenir dans la lutte engagée par eux contre une nature capricieuse. A quoi servait de donner la terre à celui qui n'avait pas les moyens de la cultiver ?
                  Le crédit agricole, désormais constitué, répondit à cette nécessité primordiale.

Les indigènes

                  Leur population avait augmenté plus rapidement que la population européenne. Elle s'élevait à 5.148.000 âmes dont 532.000 dans les territoires du Sud représentant 86 pour 100 de la population totale, dont les Européens ne représentaient que 14 pour 100.
                  Les pouvoirs disciplinaires des administrateurs avaient été considérablement réduits par la loi de 1914, qui, applicable pour une durée de cinq ans, venait à échéance en 1919 ; ils furent alors supprimés mais il fallut les rétablir à la demande des indigènes d'abord pour deux ans, puis pour cinq ans.
                  Depuis la loi du 4 février 1919, tous les électeurs au titre indigène échappaient au régime de l'indigénat. En ce qui concerne les œuvres d'assistance et d'hygiène, la voie tracée par M. Cambon et Jonnart a été suivie par leurs successeurs.

                  En 1926, les infirmeries ont été transformées en hôpitaux auxiliaires par M. Violette et des circonscriptions médicales ont été créées. En même temps que la France luttait contre la maladie par le développement de l'hygiène et la diffusion des soins médicaux, elle luttait contre l'ignorance par les écoles, contre la misère et l'usure par des sociétés de prévoyance, les œuvres de mutualité et de crédit.
                  Pour la mise en valeur du pays il fallait faire appel à la collaboration des indigènes ; ce n'était pas seulement une obligation morale, c'était une nécessité. Il fallait :
                  - mettre à leur disposition l'outillage qui leur manquait,
                  - répandre parmi eux un enseignement pratique,
                  - faire l'éducation professionnelle des agriculteurs et des artisans de manière à augmenter leur rendement.
                  Des centres d'éducation professionnels et agricoles ont été créés dans un certain nombre de communes mixtes ; tout a été mis en œuvre pour :
                  - leur permettre de perfectionner leur matériel agricole,
                  - d'exploiter leurs terres de manière plus rationnelle,
                  - d'obtenir de meilleurs rendements.

                 Les indigènes ne semblaient pas avoir fait un trop mauvais usage des droits politiques nouveaux qui leur avaient été accordés. Il était difficile de les faire passer du régime patriarcal qui était le leur et démocratique qu'en apparence au régime représentatif.
                  Leurs élections donnaient lieu à des luttes de clans. Modelés par des siècles d'islam ils récitaient souvent nos formules politiques sans bien les comprendre et s'adonnaient à un verbalisme grandiloquent assez vain. Seuls, d'ailleurs un petit nombre s'intéressait à la politique. On pouvait distinguer :
                  - les conservateurs appartenant aux vieilles familles féodales qui exerçaient traditionnellement le pouvoir,
                  - les jeunes algériens qui étaient principalement des élèves des écoles françaises s'adonnaient aux professions libérales ou au commerce, assez détachés, en apparence, des idées religieuses et traditionnelles, partisan du rapprochement avec les Européens et de l'assimilation,
                  - les nationalistes musulmans qui alliaient, suivant des modalités assez variables, l'orthodoxie musulmane, considérée par eux comme une machine de guerre contre les Français et certaines idées empruntées à notre civilisation.
                  Ils entendaient nous combattre avec nos propres armes : la presse, les réunions, les associations, les mandats publics. Les revendications politiques des indigènes portaient surtout sur le droit qu'ils réclamaient d'élire des représentants au parlement français tout en conservant leur statut personnel. Cette mesure semblait prématurée et présenterait des inconvénients ; on renouvellerait l'erreur du décret Crémieux.
                  Si les indigènes voulaient entrer dans la famille française, il fallait qu'ils en manifestent la volonté en se soumettant aux même lois que nous.

La crise de la main d'œuvre

                  L'exode des musulmans en France s'était maintenu et développé après la guerre ceux qui avaient touché des salaires élevés et réalisés des économies furent les meilleurs agents recruteurs auprès de leurs coreligionnaires ; le mouvement, comme avant la guerre était alimenté presque exclusivement par la Kabylie. Le nombre de travailleurs indigènes en France est passé de 52.000 en 1921 à 72.000 en 1922 et 92.000 en 1923. La majeure partie résidait dans la région parisienne, le reste se trouvait dans le Nord et le Pas-de-Calais, dans le centre (Lyon, Saint-Etienne, Clermont) et à Marseille.
                  Les Kabyles sont, malgré certaines apparences, trop différents des populations au milieu desquelles ils vivaient pour que cette transplantation se produise sans troubles, aussi bien pour eux que pour les habitants de la métropole. La loi du 15 juillet 1814 ayant supprimé le permis de voyage même pour les déplacements en dehors de la colonie, les travailleurs indigènes qui allaient en France n'étaient astreints à aucune formalité d'aucune sorte. Les inconvénients se sont révélés tels qu'il a fallu organiser sous une autre forme le contrôle de la main-d'œuvre au départ et à l'arrivée. On a essayé d'exiger des travailleurs la production d'un contrat d'engagement, mais cette mesure avait donné lieu à un certain nombre d'abus, embarquements clandestins et faux contrats d'embauchage. Le décret du 4 avril 1928 se borna à exiger :
                  - une carte d'identité,
                  - un certificat médical,
                  - la justification d'un certain pécule.
                  L'émigration kabyle avait contribué à amener en Algérie une hausse des salaires et une raréfaction de la main-d'œuvre dont les colons se plaignaient amèrement. Cette crise avait d'ailleurs d'autres causes :
                  - Le développement du Maroc français et même du Maroc espagnol avait privé la province d'Oran des ressources auxquelles elle faisait appel autrefois,
                  - le développement économique avait augmenté les besoins de main-d'œuvre dans les exploitations agricoles et minières, en même temps qu'il permettait aux indigènes de tirer meilleur parti de leurs propres terres et les dispensait de chercher du travail chez les colons ; après avoir été des serviteurs ils tendaient à devenir des concurrents. Il est assez singulier d'observer quelles évolutions ont subi les idées.
                  - Les Algériens se plaignaient du " péril étranger " et voici qu'ils regrettaient les travailleurs espagnols,
                  - ils étaient effrayés de la multiplication rapide des indigènes et voilà qu'ils trouvaient ces précieux collaborateurs trop peu nombreux.
                  Ils s'aperçurent :
                  - que la main-d'œuvre indigène était absolument indispensable à la mise en valeur de la colonie,
                  - qu'il fallait tout faire pour en augmenter le nombre et la qualité,
                  - qu'il n'existait au fond que deux véritables richesses : l'homme et la terre.

La situation économique

                  Pendant les années 1914-1919, le volume total du commerce diminua. Cette diminution a porté surtout sur les importations, de sorte que pendant les années de guerre les exportations avaient toujours supérieures aux importations. Après la guerre la situation se renversa complètement ; le pays cherchait à se procurer les objets manufacturés dont elle avait été privée.
                  Les années1919-1924 formèrent la plus mauvaise série agricole que l'Algérie ait enregistré depuis cinquante ans.
                  En 1919, la récolte avait été médiocre, en 1920 elle fut presque nulle. Alors que de 1913 à 1918 elle avait toujours récolté plus de 7 millions de quintaux de blé et même 13 millions en 1918, en 1920 elle ne produisit que 1.800.000 quintaux ; pour l'ensemble des céréales on obtenait 6 millions de quintaux au lieu des 30 millions en 1918 et la part des indigènes dans ce total ne dépassait pas les 3 millions de quintaux.
                  1920 fut la plus mauvaise année qu'il y ait eu depuis la famine de 1868.
                  - Certaines parties des départements d'Oran et d'Alger ne récoltèrent absolument rien.
                  - Les pasteurs furent éprouvés plus cruellement encore que les cultivateurs de céréales,
                  - certaines régions perdirent 60 à 70 pour 100 de leur cheptel,
                  - La misère et le typhus s'abattirent sur les malheureuses populations indigènes.
                  Des mesures efficaces furent prises pour leur venir en aide et on ne revit plus les affreuses scènes de famine de 1868.
                  - On organisa des chantiers de travaux publics,
                  - on prit des mesures pour permettre aux indigènes éprouvés par la sécheresse de subsister jusqu'à la récolte suivante et pour leur procurer des grains de semence.
                  - On fit également aux populations pastorales des avances à titre de prêts remboursables pour les aider à reconstituer leur cheptel.

                  Les répercussions de la crise se firent sentir dans toutes les branches de l'activité commerciale, d'autant qu'aux causes locales s'ajoutèrent des causes générales :
                  - instabilité des prix,
                  - désordre monétaire,
                  - rupture d'équilibre des changes,
                  - hausse formidable des salaires et des denrées.
                  - La consommation se restreignit,
                  - le crédit bancaire se resserra,
                  - les charges des impôts devinrent de plus en plus lourdes.

                  Le malaise persista dans les années suivantes mais s'atténua. La sécheresse sévit de nouveau en 1922, en 1924, en 1926, mais sans causer des difficultés aussi graves Qu'en 1920 ; puis, en 1927, ce fût les lourdes inondations qui dévastèrent certaines régions de l'Oranie.
                  L'agriculture demeura la grande richesse de l'Algérie. La viticulture continua à donner des bénéfices élevés et à constituer la principale richesse du pays. Mais les colons n'ignoraient pas que le marché des vins était saturé et que les risques de mévente risquaient de se reproduire ; ils s'efforcèrent de varier leurs productions.
                  - Les bonnes méthodes de culture des céréales furent de plus en plus pratiquées,
                  - les indigènes achetèrent des charrues,
                  - les rendements devinrent plus élevés et plus réguliers
                  - la culture du tabac et celle du coton se développèrent,
                  - les cultures fruitières, olivier, oranger furent l'objet des soins attentifs, ainsi que les primeurs,
                  - l'élevage du mouton, principale ressource des indigènes des steppes répara les dégâts causés par les années de disette,
                  - le liège et l'alfa dont l'exploitation avait été interrompue durant la guerre reprirent, - les richesses minières furent exploitées avec plus ou moins d'intensité selon les conditions de la concurrence.
                  Tout cela se résumait dans un mouvement commercial qui, en 1928, avait atteint 8.964 millions, en augmentation de plus d'un milliard sur celui de 1927 (7.927.000).

Le Sahara

                  L'apparition des moyens de transports modernes fut une révolution.
                  - La télégraphie assura la liaison entre les postes, leur permit de communiquer les renseignements et de se prêter un appui mutuel,
                  - L'automobile et l'avion supprimèrent l'obstacle saharien par la rapidité de son franchissement et opérèrent peu à peu la jonction effective des possessions nord-africaines et intertropicales.
                  Ce fut en 1915 que furent tentés les premiers essais d'automobilisme au Sahara ; le commandant Meynier construisit une piste automobile et des camionnettes à pneus jumelés atteignirent In-Salah.

                  En 1920 l'automobile parvenait au Hoggar. L'invention de la chenille souple permit d'envisager une traversée complète du désert.
                  Le 17 décembre 1922, sur l'initiative du général Etienne et de M. André Citroën, une caravane composée de cinq voitures partait de Touggourt et par le Hoggar arrivait à Bourem sur le Niger le 6 janvier 1923 en ayant parcouru en 22 jours un parcours de 2.800 kilomètres ; la mission après avoir poussé jusqu'à Tombouctou rentra en Algérie par le même itinéraire.
                  Bientôt la voiture à six roues jumelées tendit à se substituer à l'auto chenille. La piste de Colomb-Béchar à Bourem désormais fréquentée régulièrement mettra le Niger à cinq jours de l'Oranie.
                  Les débuts de l'avion furent tragiques. Le général Laperrine qui en avait tout de suite saisi les avantages avait obtenu en 1917 la création d'une escadrille saharienne. La première traversée aérienne du désert fut effectuée en 1920 par le commandant Vuillemin ; le général Laperrine y trouva la mort après dix jours de souffrances et de privations. La traversée a été renouvelée en 1925 de Gao à Colomb-Béchar aller et retour.

                  En 1923 la question du chemin de fer transsaharien fut reprise à nouveau. Le conseil supérieur de la défense nationale émît le vœu en faveur de la construction d'une voie ferrée reliant l'Afrique du Nord à l'Afrique occidentale.
                  Par la loi du 7 juillet 1928, un organisme d'études du chemin de fer transsaharien fut créé au ministère des travaux publics et doté d'un crédit de 11 millions et demi. Le rapport préconisait le tracé par Oran, Oujda, Bou-Arfa, Colomb-Béchar, Reggan, aboutissant au Niger à Gao. Ses partisans envisageaient, après quelques années, un trafic de 400.000 tonnes et de 70.000 voyageurs.
                  Ses adversaires prétendant qu'un train de marchandises par an suffirait à transporter toutes les denrées qui emprunteraient cet itinéraire et que la zone productive du Soudan serait toujours drainée par la voie moins coûteuse de l'Atlantique. On objectait aussi que d'autres tâches plus urgentes et plus immédiatement productives s'imposaient.
                  On faisait aussi remarquer que l'automobile et bientôt l'avion fourniraient aux voyageurs pressés la solution au moins provisoire de la traversée rapide du désert.
                  Tous souhaitaient la réalisation de ce projet grandiose qui s'exécuterait tôt ou tard.
Gabriel Hanotaux de l'Académie française
Alfred Martineau professeur au Collège de France
Histoire des colonies françaises
et de l'expansion de la France dans le monde.
Tome II : l'Algérie par Augustin Bernard professeur à la faculté des lettres de Paris. Édition 1930.

                  En tout état de cause, la pacification du Sahara occidental était la mesure préliminaire indispensable à l'exécution de ce grand dessein ; or, si la situation était demeurée bonne dans le Sahara central, dans le Sahara touareg elle était devenue fort mauvaise aux confins algéro-marocains. Rien n'a subsisté de l'œuvre qu'avait accomplie dans ces régions le maréchal Lyautey et de la sécurité qui régnait jusqu'en 1918. Les attentats étaient devenus nombreux ; ils se sont sans cesse aggravées et multipliés.
                  En 1927 ils y eu plus de 90 accrochages entre dissidents et forces de police et les pertes de la France par le feu furent de 264 tués et 129 blessés. Le 14 octobre 1929, un groupe de légionnaires attaqué à 30 kilomètres de Colomb-Béchar fut complètement massacré ; il y eut 48 morts et 16 blessés. L'Algérie réclamait depuis plusieurs années avec insistance les deux mesures indispensables pour faire cesser cet état de chose : l'occupation du Tafilelt et la construction de la voie ferrée de Colomb-Béchar au Ziz ( ).
                  Ce fut surtout en matière de politique saharienne qu'une meilleure coordination des efforts de l'Afrique du Nord s'imposait avec urgence. FIN



REPUTATION BIGOUDINE
Envoyé par M. Hugues

         Deux mouches discutent dans un bar bigouden.
         Moi, je pars en vacances dans le Sud ! Et toi ?
         Moi, je ne sais pas ... Je vais sans doute partir à l'aventure.
         OK, on se retrouve ici au retour et on en parle ...

         Un mois plus tard la première mouche revient de son voyage dans le Sud. Elle attend sa congénère. Un mois passe puis un autre .... Au bout de trois mois, l'autre revient.
         Ben, mais t'étais où ?

         Ben avant de partir, je me suis pris une cuite dans un bar en sifflant une goutte sur le comptoir, et sans m'en rendre compte, je suis tombée dans le porte-monnaie d'un bigouden .. Alors, tu comprends, avant qu'il ne l'ouvre à nouveau !


Les Européens et la situation démographique
Envoyé par M. Christian Graille

                 La population européenne est passée de 531.000 âmes en 1891 à 579.000 en 1896 ; le dernier recensement effectué avant la guerre, celui de 1911, constatait la présence de 752.000 Européens dont 5.000 dans les territoires du Sud. A partir de 1896 le nombre des Européens nés en Algérie l'emporta sur celui des immigrés. Jusqu'en 1886 les Français et les étrangers se faisaient à peu près équilibre ; on trouvait 318.000 Français (non compris les Israélites) et 212.000 Etrangers ; en 1911, 493.000 Français et 189.000 étrangers. Cette diminution apparente du nombre des étrangers était une conséquence de la loi de 1889 sur la naturalisation qui accroissait chaque année l'élément national de plusieurs milliers d'unités.
                 En fait, l'immigration étrangère se maintint pendant cette période ; la situation économique de l'Espagne et de l'Italie était assez médiocre et ces pays continuaient, ainsi que Malte à fournir à l'Algérie d'importants contingents qu'attiraient les hauts salaires, les travaux publics, les chances d'enrichissements. Mais par le jeu de la naturalisation automatique, on comptait déjà en 1896 50.000 naturalisés ; en 1911, on recensa 304.000 Français d'origine, 188.000 naturalisés et 189.000 étrangers ; le groupe étranger avait donc perdu à peu près la moitié de ses membres ; il diminua en outre par les mariages mixtes qui furent fort nombreux et atteignent une proportion de 20 à 25 pour 100 ; ce furent surtout des unions entre Français et jeunes filles espagnoles principalement dans le département d'Oran où l'on constata en 1911 la présence de :
                 - 93.000 espagnols,
                 - 93.000 naturalisés,
                 - 95.000 Français d'origine.

                 C'est aux environs de 1896 qu'on commença à se préoccuper en Algérie de ce qu'on appelait le " péril étranger ". Comme le " péril juif " il était dénoncé surtout par ceux qui redoutaient l'entrée dans le corps électoral d'éléments qui leur échappaient. Il ne faut ni nier ni exagérer ce péril. Assurément, la naturalisation n'avait pas par elle-même une sorte de vertu efficiente et n'inspira pas nécessairement à celui qui la recevait des idées et des sentiments français. Mais comme il n'était pas à souhaiter que les étrangers restent groupés en nationalités distinctes sous l'égide de leurs Consuls, la naturalisation était la seule solution qui s'offrait à nous. De même que la plupart de nos lois, la loi sur la naturalisation aurait gagné à être amendée et adaptée en vue de son application en Algérie. Mais il était parfaitement possible de nous assimiler de tous ces éléments ; il fallait les franciser.
                 Plus de 18.000 enfants européens d'âge scolaire ne pouvaient, faute de place, fréquenter les écoles primaires. Les délégations financières décidèrent la création de 379 classes nouvelles. Monsieur Louis Bertrand, dans le sang des races, a parfaitement décrit cette évolution de l'Espagnol enrichi qui tenta de retourner dans son pays natal mais qui s'y trouva dépaysé et revint en Algérie où la vie était plus libre et lui semblait plus belle : il était devenu Algérien.

La colonisation

                 Le meilleur moyen de faire contrepoids à l'élément étranger ou non était d'intensifier le peuplement français rural. Il était indispensable que les émigrants de France constituent un noyau solide et résistant de population rurale car un pays finit toujours par appartenir à celui qui y cultive la terre. Le moyen le plus pratique d'obtenir ce résultat était l'attribution de la terre à des familles françaises, soit par la concession gratuite, soit par la vente avec résidence obligatoire dans les deux cas. C'était ce but que s'était toujours proposé la colonisation officielle et qui à travers bien des erreurs et bien des vicissitudes elle avait finalement atteint dans une large mesure.
                 Les lois de 1873 et de 1887 sur la propriété foncière étaient inspirées du même désir : ouvrir tout le pays aux colons, assimiler la propriété algérienne à celle de la métropole avaient donné de médiocres résultats. Les avantages qu'on en attendait pour la colonisation ne s'étaient pas réalisés ; le domaine avait acquis très peu de terres ; les indigènes ruinés par les licitations avaient continué à vivre dans l'indivision et les titres qu'on leur avait délivrés étaient restés entre leurs mains de vrais chiffons de papier.

                 Monsieur Jules Cambon, pendant les sept années qu'il passa au gouvernement général s'occupa très activement de la colonisation et du peuplement français. Il opposa de livrer autant que possible aux colons des terres préalablement défrichées par la main-d'œuvre pénitentiaire. Quelques procédés de publicité, affiches et livrets, comme ceux dont les colonies anglaises tiraient très bon parti, augmentèrent le nombre des demandes de concessions et rendirent possible une sélection des demandeurs dont on exigea un capital de 5.000 francs.
                 Les études préliminaires des centres furent mieux faites, les emplacements mieux choisis, en particulier au point de vue de la salubrité. L'aire du peuplement national s'étendit. La mise en valeur de la plaine de Bel-Abbès se compléta. Dans le département de Constantine quelques centres furent crées entre Sétif et Batna. Somme toute, de 1891 à 1900, 103 centres furent créés ou agrandis, 120.000 hectares livrés à la culture européenne.
                 Une reprise de la colonisation se marqua au début du vingtième siècle. Les inquiétudes causées par la naturalisation automatique engagèrent à renforcer le peuplement français. Des villages furent projetés sur les hauts plateaux ou dans les hautes vallées du Tell et l'aire de peuplement français s'étendit vers le Sud jusqu'à la limite ses steppes. La surface des concessions fut élevée de 30 à 40 hectares, des essais de peuplement régional furent tentés. Les émigrants venaient des Hautes-Alpes, de l'Ardèche, de la Lozère, de l'Aveyron, de l'Ariège. Enfin la législation est remaniée et assouplie.

                 Le décret du 30 septembre 1878, qui régissait la colonisation officielle et qui était l'objet de nombreuses critiques fit place au décret du 13 septembre 1904. Il admettait quatre modes d'aliénation :
                 - 1° La vente à prix fixe à bureau ouvert des domaines du chef-lieu du département,
                 - 2° la vente aux enchères par adjudication publique,
                 - 3° la vente gré à gré exceptionnellement,
                 - 4° la concession gratuite quand l'intérêt de la colonisation l'exige.
                 - 5° Les acquéreurs devaient être Français et tenus à dix ans de résidence.

                 Les deux tiers des lots étaient réservés aux immigrants et l'étendue maxima des concessions portée à 200 hectares. La vente à bureau ouvert devint le procédé normal d'aliénation des terres. Il permettait d'acquérir la propriété immédiatement et dans des conditions avantageuses. Ce procédé assura :
                 - le recrutement de colons mieux pourvus de ressources,
                 - mieux à même de vaincre les difficultés,
                 - plus attachés à la terre en raison des sacrifices faits.

                 Au point de vue financier la colonie récupérait par la vente une partie de ses dépenses. Par contre, au point de vue du peuplement rural, les résultats des ventes à bureau ouvert furent peu encourageants ; le système facilita les spéculations et les fraudes.
                 Le nouveau décret permit de reprendre l'œuvre de la colonisation officielle et de la pousser très activement.
                 Au total, de 1904 à 1914, plus de 50 millions furent dépensés pour la création des centres nouveaux, l'agrandissement des anciens centres, et l'établissement des voies de communication destinées à desservir des régions colonisées par l'initiative privée :
                 - 59 nouveaux villages ont été créés,
                 - 140 centres anciens agrandis
                 - 151 lots de ferme créées.
                 Les nouveaux territoires ainsi constitués englobaient près de 200.000 hectares dont 53.000 concédés gratuitement et 128.000 vendus à bureau ouvert pour un prix global de 19 millions.

La politique indigène

                 Elle évolua dans un sens de plus en plus libéral. Les souvenirs des heures de lutte et d'insurrection commençaient à s'effacer. Il devenait possible :
                 - de traiter les musulmans d'une manière plus bienveillante et plus fraternelle,
                 - de leur faire apprécier notre bonté après leur avoir fait sentir notre force,
                 - de les associer graduellement à la gestion des affaires algériennes.

                 Ce furent surtout M. Jules Cambon et M. Jonnart qui inspirèrent cette politique nouvelle. Les communes mixtes, les djemaâs (assemblées) de douars furent reconstituées et leurs attributions augmentées.
                 - le gouvernement veilla à ce que les ressources de l'impôt arabe fussent employées d'une manière équitable,
                 - Les sociétés de prévoyance indigènes furent réorganisées par la loi du 14 avril 1893,
                 - L'enseignement primaire indigène reçut une vive impulsion,
                 - les medersas destinées au recrutement des fonctionnaires indigènes furent vivifiées.

                 Enfin M. Cambon assura aux musulmans les bienfaits de l'assistance par des tournées médicales effectuées dans les tribus et par la fondation d'hôpitaux indigènes spéciaux en Kabylie et dans l'Aurès.
                 Des sages-femmes reçurent la mission de combattre les préjugés et les méthodes des matrones indigènes. Les populations musulmanes se montrèrent sensibles à ce souci de leur bien-être et en témoignèrent leur reconnaissance.
                 La question la plus délicate fut celle de l'enseignement, question plus politique que technique. En 1901, lorsque l'Algérie avait reçu la gestion de ses affaires, l'œuvre de l'enseignement indigène était à peine ébauchée ; de 1890 à 1900, la métropole lui avait consacré neuf millions ; on comptait 288 écoles primaires fréquentées par 25.000 élèves.
                 Le budget colonial prit entièrement à sa charge les dépenses de construction des écoles dont une partie incombait aux communes.

                 De 1901 à 1914 plus de 20 millions furent dépensés ; on compta 433 écoles et 45.000 élèves.
                 M. Jonnart rechercha les moyens de mieux pénétrer les tribus, d'y propager plus rapidement notre langue, quelques notions élémentaires d'agriculture et d'hygiène. On s'efforça de rendre les programmes plus simples, plus souples, plus nettement orientés vers la formation des jeunes gens capables d'évoluer dans leur milieu, plus aptes à y exercer leurs métiers et leurs professions traditionnelles.
                 M. Jonnart tenta de faire revivre quelques-unes des industries indigènes. L'art du tapis qui était en complète décadence fut rénové par la création d'écoles-ouvroirs ; il en fut de même de la céramique et de la broderie.
                 Il voulut assurer aux indigènes l'assistance médicale sur tous les points du territoire par des infirmières indigènes très simplement aménagées. On s'appliqua aussi :
                 - à étendre les soins médicaux à la partie féminine de la population,
                 - à créer des cliniques pour les femmes en couches,
                 - des tournées médicales et des consultations gratuites furent organisées dans les douars,
                 - un corps d'auxiliaires médicaux indigènes, collaborateurs du médecin fut créé,
                 - La lutte contre l'ophtalmie et le paludisme fut scientifiquement organisée,
                 - des dispositions furent prises pour prévenir les épidémies de variole et de typhus.
                 - On poursuivait le développement des sociétés indigènes de prévoyance qui rendaient de si grands services et qui étaient une des institutions les plus fécondes de l'Algérie car elles armaient les cultivateurs contre deux maux redoutables, la famine et l'usure. Ces sociétés furent encouragées à faire à leurs participants des prêts en vue de l'acquisition d'un matériel agricole plus perfectionné.
                 - On s'appliqua à améliorer les procédés de culture et d'élevage des indigènes qui se mirent à pratiquer les labours préparatoires et achetèrent des charrues françaises.

                 La situation matérielle s'améliora d'une manière très notable ; en 1908 et 1909, une sécheresse persistante désola plusieurs régions de la colonie, mais néanmoins grâce aux progrès accomplis, ils ne connurent pas les horreurs de la famine.
                 L'administration pouvait se montrer d'autant plus rigoureuse vis-à-vis des chefs indigènes et des tribus complices des malfaiteurs qu'elle avait fait tout ce qui dépendait d'elle en faveur des musulmans.
                 Dans les communes de plein exercice, on s'efforça, sans toucher aux attributions qui appartenaient à l'autorité municipale et que la loi seule eût pu lui enlever, d'assurer une surveillance plus active des populations en renforçant la police d'État et le personnel de la sûreté départementale.
                 Des secrétaires généraux pour les affaires indigènes et la police générale furent créés dans chacune des préfectures.
                 M. Jonnart demanda et obtint le maintien des tribunaux répressifs crées en 1902. L'internement par mesure administrative ne fut appliqué qu'à titre tout à fait exceptionnel et entouré de nombreuses garanties. Il en fut de même des pouvoirs disciplinaires des administrateurs de plus en plus réduits dans leur application. Cependant l'évolution libérale de la politique indigène ne s'arrêta pas là.

                 Un fait capital se produisit en 1912 : l'institution du service militaire obligatoire pour les indigènes. Jusqu'à cette époque le recrutement se faisait uniquement par engagements volontaires. Une commission fut nommée pour établir dans quelle mesure et par quels moyens il serait possible de tirer un meilleur parti des ressources en hommes de l'Afrique du Nord ; elle conclut au développement du système de recrutement par voie d'engagement en modifiant la loi de 1903 :
                 - A la mise en vigueur, parallèlement au système des engagements, d'un recrutement basé sur l'obligation du service,
                 - à l'organisation des réserves.
                 L'annonce de ces propositions provoqua une assez vive agitation aussi bien parmi les colons que parmi les indigènes. L'application du service militaire obligatoire aux indigènes devait amener une modification de leur statut.
                 Une campagne très vive contre l'administration était menée dans le journal le temps et au Parlement. On y représentait les indigènes comme vivant sous un régime d'arbitraire, d'iniquité et de terreur ; l'administration était prisonnière des colons et le demeurerait tant que l'on n'accorderait pas aux indigènes dans les divers conseils de la colonie une représentation sérieuse et suffisante.

                 Un parti " jeune-algérien " commença à se constituer ; quatre mois après l'institution de la conscription, en juin 1912, ce groupe apporta à Paris un cahier de revendications politiques. De longs débats sur la politique algérienne eurent lieu à la Chambre des députés au début de 1914 ; l'ordre du jour du 9 février 1914 demandait au gouvernement :
                 - de réaliser, à bref délai, l'égalité fiscale,
                 - de modifier largement,
                 - d'améliorer le statut des indigènes pour leur accorder toutes les libertés compatibles avec la souveraineté française.
                 Un décret du 19 septembre 1912 dispensa du régime de l'indigénat les indigènes qui avaient accompli leur service militaire et les admis à l'électorat municipal.
                 Un autre décret du 13 janvier 1914 élargit d'une manière très notable le corps électoral des indigènes ; leur effectif passait du quart au tiers de l'effectif du conseil avec un maximum de douze conseillers au lieu de six.

Le développement économique

                 La grande prospérité économique de l'Algérie n'avait guère commencé qu'aux environs de 1900.
                 Dans les dernières années du dix-neuvième siècle, ceux qui avaient foi dans l'avenir de ce pays et qui fondaient sur lui de grandes espérances étaient rares, même dans la colonie.
                 Certains économistes s'efforçaient encore de démontrer que le vignoble algérien était hypothéqué au-delà de sa valeur, que la fertilité des terres s'épuisait et que, somme toute, l'Algérie était une très mauvaise affaire. La Banque de l'Algérie pour aider à la constitution du vignoble, s'était trouvée entraînée à consentir des prêts fonciers qui ne rentraient pas dans son rôle de Banque d'émission. L'abus du crédit avait été suivi d'un brusque resserrement vers 1892 et la Banque, ne pouvant rentrer dans ses créances, s'était trouvée à la tête d'un grand nombre de domaines dont la liquidation, poursuivie de 1892 à 1900, fut assez pénible.
                 Une crise de mévente avait éprouvé la viticulture algérienne en 1893 ; la métropole étant à peu près le seul marché où les vins algériens trouvaient à se placer, ce placement devint difficile toutes les fois qu'il y avait en France plusieurs bonnes récoltes consécutives. Cependant plusieurs indices étaient favorables :
                 - les récoltes de céréales étaient plus abondantes et moins inégales,
                 - les bonnes méthodes de culture étaient de plus en plus pratiquées par les Européens, notamment dans la plaine de Bel-Abbès,
                 - on s'efforça d'accroître et d'améliorer le cheptel,
                 - de développer l'industrie pastorale, en particulier par l'aménagement de citernes.

                 La loi douanière de 1892, déclarée applicable à l'Algérie, rendait de plus en plus intime l'union économique de la France et de l'Algérie qui recevait des primes indirectes considérables par l'admission en franchise des produits algériens alors que les céréales, le bétail, les vins étrangers étaient frappés de droits élevés.
                 En revanche, elle offrait à l'industrie française, notamment à la métallurgie et aux textiles d'importants débouchés et supportait les charges du monopole du pavillon qui réservait aux armateurs français la navigation entre les deux pays considérée comme cabotage.
                 Les richesses agricoles pastorales, forestières, minières se développaient suivant un rythme déjà un peu plus rapide.
                 Le total des exportations qui dépassait 200 millions tendait à se rapprocher de celui des importations ; il lui fut même quelquefois supérieur notamment en 1895. Au total le commerce, qui en 1890 atteignait 509 millions (importations 260 millions, exportations 249 millions) s'élevait en 1900 à 535 millions (importations 313 millions, exportations 222 millions).

La progression était assez lente.

                 Le développement économique devint beaucoup plus rapide à partir de 1900. Cet essor fut dû pour une part aux mesures de décentralisation qui, à partir de cette époque permirent à la colonie de prendre son essor contribué à l'éveil des initiatives et des énergies, à l'épanouissement de toutes les forces vives. Mais d'autres facteurs intervinrent. La France avait recueilli enfin le fruit de ses longs et patients efforts pour humaniser, assainir, cultiver, mettre en valeur cette terre désolée par tant de siècles d'anarchie. Elle avait récolté ce qu'elle avait semé. Les colons avaient longtemps travaillé, peiné, souffert ; leur inlassable labeur trouvait sa récompense.
                 Les statistiques qui décomposaient la fortune de la colonie et faisaient ressortir les différentes phases de son évolution montraient clairement cette transformation. Le vignoble, quoique éprouvé par deux nouvelles crises de mévente en 1901 net 1905 et par le phylloxéra qui nécessitait sa reconstitution en plants américains, donna des bénéfices considérables.
                 En même temps que la production viticole et la vinification faisaient d'admirables progrès, les céréales et le bétail, en dépit des mauvaises années comme en 1908, prenaient dans les exportations une importance de plus en plus grande.

                 La production des céréales augmentait parce qu'on s'appliquait de plus en plus, même en territoire indigène, à perfectionner les procédés de culture.
                 Progressivement, le danger de la monoculture, sans disparaître complètement, s'atténua.
                 Les cultures arbustives, trop longtemps délaissées, se développèrent et les plantations d'oliviers se multiplièrent. L'exportation des primeurs dépassa toutes les espérances.
                 - Le tabac, le coton, dont la culture, disparue depuis la guerre de Sécession, avait été reprise en 1906, furent parmi les produits les plus rémunérateurs.
                 - Les productions secondaires telles que le liège, l'alfa, les figues sèches, les dattes occupèrent d'année en année une place plus large dans le mouvement des échanges.
                 - extraction des minerais de fer et des phosphates atteignit une réelle importance.
                 - De grosses fortunes s'édifièrent ,
                 - la dette hypothécaire fut remboursée,
                 - les capitaux affluent dans les banques,
                 - le bien-être et le luxe progressèrent dans les villes et dans les campagnes.

                 Alger devient une véritable capitale et une des grandes cités méditerranéennes ; les fortifications de 1840 furent éventrées pour lui permettre de rejoindre ses anciens faubourgs de Mustapha et de Bab-el-Oued ; une véritable fièvre de construction fit surgir des quartiers neufs. Un arrière-port fut créé dans la baie de l'Agha pour répondre à l'accroissement de la navigation.
                 A Oran la ville se développa aussi en dépit des obstacles naturels et le commerce prit une ampleur tout à fait remarquable ; là aussi de grands travaux de port furent effectués pour la création de nouveaux bassins.
                 A Constantine, deux grands ponts furent construits au-dessus du ravin du Rummel, la colline du Koudiat dérasée, la ville cessa d'être confinée sur son inaccessible rocher. Le port de Bône est également agrandi. L'Algérie était devenue une des meilleures clientes de la France. En 1913 elle lui achetait pour 550 millions de marchandises et lui en vendait pour 350 millions.
                 Le duc de Broglie disait que nous ne retirerions guère de notre colonie africaine qu'une bonne armée : voici que dans certaines années, les exportations dépassaient les importations et que la France commençait à s'inquiéter de la concurrence que certains produits algériens faisaient à ceux de son propres sol.
                 En 1910 le commerce de l'Algérie dépassa pour la première fois un milliard ; il avait plus que doublé depuis 1904 ; en 1913, dernière année normale avant la guerre, il atteignit 1.168 millions.
                 Voilà le prix de tant de peines, voilà le bénéfice incontestable pour notre pays de la grandiose entreprise poursuivie de l'autre côté de la Méditerranée au milieu de tant d'injustices et découragements critiques.

Gabriel Hanotaux de l'Académie française
Alfred Martineau professeur au Collège de France
Histoire des colonies françaises
et de l'expansion de la France dans le monde.
Tome II : l'Algérie par Augustin Bernard professeur à la faculté des lettres de Paris. Édition 1930.



Les convois de 1848 et l'installation des colons
Envoyé par M. Christian Graille


                 L'accélération de la mise en place d'un programme de colonisation plus important en Algérie a pris ses racines aux sources de la révolution de février 1848.
                 La crise couvait depuis de nombreux mois. L'année 1846 avait été marquée par de graves difficultés agricoles et en mai 1847, les ouvriers affamés du faubourg Saint Antoine s'étaient révoltés en pillant les boulangeries. Les progrès techniques et la crise financière avaient mis de nombreux ouvriers à la rue : près de 30 % des métallurgistes et 20 % des mineurs étaient au chômage. Certains patrons en profitaient pour baisser les salaires.
                 Les politiciens républicains subodorant qu'il était temps d'agir commencèrent à organiser des " banquets républicains " dans tout le pays.
                 Le 22 février 1848 un banquet fut interdit à Paris ; c'est l'étincelle qui déclencha l'insurrection. Au terme de trois jours d'émeutes, l'opposition libérale obtint le départ de Louis-Philippe, mit fin à son règne et proclama la Seconde République.

                 Des dispositions furent alors immédiatement prises pour tenter de résorber le chômage.

                 L'on créa des Ateliers Nationaux et un programme de grands travaux fut lancé à Paris.
                 Près de cent mille ouvriers s'inscrivirent dans les bureaux d'embauche.
                 Cependant ces établissements en nombre insuffisant, dont l'organisation laissait à désirer et dans lesquels subsistait une certaine agitation, devinrent des viviers de militants révolutionnaires et furent dissous le 21 juin, entraînant une sanglante révolte sévèrement réprimée.
                 Il fallait agir au plus vite et éviter au feu de se propager.

                 L'Assemblée nationale vota un budget de 50 millions destiné à la création de quarante-deux colonies agricoles. C'est ainsi que dix-sept convois permirent à 13.903 adultes et 391 enfants en bas âge de gagner les côtes algériennes d'octobre 1848 à mars 1849 pour s'installer dans les villages suivants :
                 - dans l'Oranie : Saint Cloud, Saint Leu, Rivoli, Fleurus, Saint Louis, Aboukir,
                 - dans l'Algérois : El Affroun, Castiglione, Téfeschoun, Bou-Aroun, Damiette, Lodi, Montenotte, Lodi, Pontéba, La Ferme, Marengo, Novi, Zurich, Argonne,
                 - dans le Constantinois : Robertville, Gastonville, Jemmapes, Mondovi, Héliopolis (2), Millesimo.

                 L'analyse de l'arrêté ministériel concernant l'installation de populations dans les colonies agricoles d'Algérie est intéressante, fort instructive et éclaire sur les droits mais aussi les devoirs de ces nouveaux émigrants. Pour avoir une chance de gagner les côtes africaines, il était impératif d'être français, célibataire ou marié, mais ne pas vivre en concubinage. Les candidats devaient fournir :

                 - des pièces officielles prouvant leur nationalité, leur âge, leur profession,
                 - un certificat de bonne vie et de bonnes mœurs,
                 - une fiche d'état civil,
                 - un certificat médical,
                 - un témoignage attestant que lors des journées d'émeutes de juin 1848 ils n'avaient pas participé aux manifestations violentes.

                 Les arrivants étaient divisés en deux catégories :
                 - les cultivateurs qui, dès le départ, acceptaient de se consacrer uniquement à la mise en valeur des terres,
                 - les ouvriers d'art dont la mission était d'exécuter les travaux permettant l'installation des familles et de participer aux travaux définis comme d'utilité publique et indispensables au développement de la colonie.

                 Les colons étaient transportés aux frais de France-État et chacun, homme ou femme, disposerait, chaque jour, d'une ration de vivres durant la durée du voyage. Les enfants âgés de moins de douze ans recevaient une demi-ration.
                 Chaque émigrant bénéficiait gratuitement :
                 - d'une habitation que l'État s'engageait à leur faire construire, dans les plus brefs délais,
                 - d'un lot de terre de deux à dix hectares en fonction du nombre des membres de la famille, de leur profession et de la qualité de la terre,
                 - de semences et d'instruments de culture,
                 - d'un cheptel de bestiaux,
                 - de rations de vivres jusqu'au moment où les terres étaient mises en valeur.
                 On peut toutefois s'interroger sur les raisons pour lesquelles le critère de leur profession avait été retenu.

                 Les colons ouvriers étaient immédiatement employés à l'installation définitive des cultivateurs et à l'établissement des centres, constructions d'habitations, enceintes, routes et autres travaux publics.
                 Ceux qui souhaitaient devenir concessionnaires en obtenaient l'autorisation en fonction des terres encore disponibles dans les localités mais la demande devait être faite dans les trois ans suivant leur arrivée.
                 En cas de décès d'un agriculteur, chef de famille ou célibataire, le titre provisoire délivré était transmissible à ses héritiers. Néanmoins, la veuve, sans enfant, habitant la colonie, avait toujours la faculté de continuer, par elle-même, l'exploitation ou de proposer, dans les trois mois suivant la date du décès de son mari, un remplaçant pour lui succéder. Ce dernier continuait à jouir des allocations précédemment allouées jusqu'à l'expiration du délai de trois ans.
                 Si les colons avaient mis en valeur la totalité des terres arables comprises dans leur concession ou si, n'en ayant mis en valeur qu'une partie, ils justifiaient d'empêchements de force majeure tels que maladies graves ou décès du chef de famille, les titres provisoires étaient convertis en titre définitif. A compter de cette date et durant une période de trois ans on ne pouvait aliéner les immeubles compris dans leur concession qu'à condition de rembourser à l'État le montant des dépenses effectuées pour leur installation. Passé ce délai on pouvait librement disposer de son patrimoine.
                 Enfin les colonies jouissaient en matière de culte, d'instruction et de santé, de la protection et de tous les avantages accordés aux autres centres de population établis en Algérie.
                 Les villages agricoles implantés dans les zones militaires, comme celui de Pontéba qui va être évoqué, dépendaient entièrement de l'armée qui, elle, disposait d'une infrastructure permettant aux habitants de vivre et de concourir à un certain développement de ces régions.
                 Les services de l'intendance distribuaient vivres, outils et prestations diverses, les services du génie aidaient grandement à la réalisation des travaux (routes, constructions d'habitations etc.), ceux de la santé accueillaient les malades dans les hôpitaux.
                 En outre certains officiers exerçaient des fonctions administratives et judiciaires. Cet état de fait n'était pas toujours du goût des colons qui acceptaient difficilement et avec réticence cette tutelle rigoureuse et contraignante. Pour 30% seulement des arrivants les travaux de la campagne étaient connus.
                 Comment ne pas dénoncer l'incapacité de l'administration à gérer et coordonner toutes les actions d'infrastructures et d'installations à mettre en œuvre dans les meilleurs délais, et en particulier son refus d'accorder à ces hommes des moniteurs d'agriculture afin de les initier aux techniques de travail adaptées au pays ?
                 A Pontéba, comme ailleurs, les folles espérances nées de discours patriotiques enflammés et fédérateurs mais mensongers s'évanouirent, jetèrent le trouble dans les esprits et causèrent à certains bien des désillusions.

                 Le réveil s'effectuait au son du tambour, le départ en escouades aux champs étant fixé à cinq heures. Les protestataires et les paresseux étaient prévenus que chacun s'activait de son mieux ; aménagement de la route menant à Orléansville, constructions d'habitations, de hangars, d'écuries, terres ensemencées : 260 quintaux de blé et 95 d'orge avaient été distribués, 2.200 arbres (peupliers, mûriers, noyers, figuiers) et 2.000 pieds de vigne furent plantés dès le premier mois.
                 Si, indéniablement, ce labeur se concrétisait, certaines faiblesses se faisaient jour dont rendait compte le capitaine dirigeant la colonie : le pain pourrait être meilleur s'il était fait par un boulanger, le vin était généralement de mauvaise qualité, les légumes peu variés, le riz trop souvent au menu, la viande, par contre, était bonne mais en quantité insuffisante, la pharmacie du village manquait d'instruments chirurgicaux indispensables.
                 Certaines améliorations furent notables. Un vaguemestre assurait la distribution du courrier deux fois par semaine, ne ménageant pas sa peine sur les routes défoncées entre Orléansville et Pontéba. Les enfants allaient à l'école. Les constructions se poursuivaient. Une voie reliant le village à la route de Miliana était entreprise, des bâtiments et maisons érigés : celle du directeur de la colonie, la forge, la boulangerie, la maison de secours, le presbytère et une vingtaine d'autres.

                 En juillet 1849 pour 20 familles la réussite était quasiment assurée, pour 43, elle restait possible, pour 21 difficile. La chaleur accablante de l'été mit en péril l'équilibre fragile du village. L'eau manquait, les décès et les départs se multiplièrent. En septembre il ne restait plus que 248 habitants.
                 La canicule, le paludisme, la forte mortalité infantile ruinèrent les derniers espoirs de certains.

                 Cependant peu à peu, grâce à l'opiniâtreté et au courage des habitants de la petite colonie le village se développa. Des échoppes et des commerces virent le jour : épicerie, débitant de boissons, cordonnier, fleuriste, tuilier mais le problème de l'eau se posait cruellement. Les colons cultivateurs louaient aussi leurs bras pour des travaux collectifs rémunérés, notamment pour la construction des routes ou le creusement des fossés délimitant les parcelles.

                 L'année 1850 fut épouvantable : le blé sécha sur pied, les départs se succédèrent, la malaria fit des ravages surtout chez les enfants. Malgré toutes ces difficultés des volontaires venus de France vinrent remplacer les premiers colons découragés. Le village souffrait toujours de problèmes d'eau qu'il fallait puiser à 16 mètres de profondeur dans un sol s'écroulant sans arrêt. Il ne restait plus à Pontéba que 188 habitants et 68 concessionnaires, parmi lesquels un tiers de nouveaux venus. En 1851 le génie militaire acheva l'église ; les constructions s'améliorèrent ; chaque colon disposait désormais de chaux et de tuiles nécessaires à la réparation des toits. La solide implantation du village permettait aux Arabes d'y venir.
                 L'officier directeur nota " qu'ils étaient bien traités par les colons ; quelques-uns les employaient, leur accordant une confiance illimitée et peu de plaintes parvenaient à l'autorité " (mars 1851). Mais au printemps " les Indigènes pillèrent les récoltes, coupèrent les blés, lorsqu'ils ne trouvaient pas de gerbes toutes faites que le propriétaire n'avait pas enlevées dans la journée. Malgré les patrouilles et les gardes particulières il était difficile d'empêcher les Arabes de se livrer à cette industrie qui les faisait vivre aux dépens des cultivateurs " (juillet 1851). Cependant ces péripéties n'empêchaient pas " les relations avec les Arabes d'être pacifiques. Ces derniers vendaient quelques fruits, de la volaille, du bois " (octobre 1851).
                 L'eau des puits à norias servait à l'arrosage des jardins ; la correcte récolte de fourrages de 1852 permit aux colons de rembourser les emprunts qu'ils avaient contractés. Sur les 1.000 hectares devant, à l'origine, être mis en valeur, 958 le furent effectivement : plantations de vignes, d'arbres, de blé dur (268 ha), d'orge (134), de fourrage (235). Le cheptel se multiplia, le village regroupa une cinquantaine de maisons.
                 Fin 1852, l'administration militaire se retira, confiant l'administration du village à l'autorité civile.

D'après diverses sources, dont HISTORIA spécial :
Algérie histoire et nostalgie 1830-1987 Juin 1987 n° 486 H.S.
pages 52 à 68, Jean-Louis Donnadieu.
Analyse et commentaires de Christian Graille



20 ans en Algérie ou tribulations d'un colon
Envoyé par M. Christian Graille

                 Cet ouvrage fort intéressant écrit par un certain A. Villacrose nous replonge dans un passé douloureux, pénible, semé d'embûches, mais ô combien exaltant et passionnant. Il nous narre les efforts déployés pour tenter de mettre en valeur des terres souvent arides, pauvres et incultes, défrichées avec une farouche volonté par les premiers arrivants européens, puis exploitées et rendues viables grâce à un labeur acharné.

                 L'auteur naquit à Paris en 1832. Sa mère mourut alors qu'il n'avait qu'un an et se trouvait en nourrice. Il fut confié à son grand-père maternel qui devînt son tuteur car son père s'était installé à Alger où il y avait ouvert une étude d'avocat en 1844. C'est donc lors de vacances passées près de lui qu'il découvrit l'Algérie.
                 Il entra dans un établissement destiné à préparer le concours d'entrée aux Ecoles de Saint Cyr, Polytechnique et de la Marine.
                 Ce fut un échec.

                 En 1851, il entreprit des études de droit mais son penchant prononcé pour les plaisirs faciles, l'oisiveté et ses dettes amena son grand-père à prendre la décision de le renvoyer en Algérie près de son père dont l'ambition était de lui faire embrasser une carrière militaire, profession pour laquelle il manifesta bien plus de réticences que de réel intérêt.
                 Il obéit cependant à l'injonction familiale et s'engagea.
                 Militaire au premier régiment de Chasseurs d'Afrique en mai 1852, il fut nommé brigadier en janvier 1853, participa à l'expédition de Dra El Mizan en Kabylie puis fut en poste à Aumale et l'Arba.
                 Lorsqu'en 1854 éclata la guerre d'Orient, il participa avec son unité à la bataille de l'Alma et au siège de Sébastopol.
                 Rentré en France à vingt-trois ans, il abandonna la carrière et devint commis auxiliaire de deuxième classe dans l'Administration du Trésor et de la poste, fonctions dont il démissionna plus tard pour acheter une propriété d'une vingtaine d'hectares sur la route d'Alger, à quatorze kilomètres de Dellys.

                 Laissons-nous guider par le narrateur dans ce passé, celui de l'histoire de certains d'entre nous, qui peut sembler si lointain mais qui, pour les anciens, n'a jamais été aussi proche et aussi vivant :
                 " Moyennant six mille francs, nous dit-il, j'achetai :
                 - quinze hectares de montagnes de médiocre qualité,
                 - cinq hectares de plaine, alluvion riche et profonde,
                 - une maisonnette composée de deux pièces sur rez-de-chaussée,
                 - deux appendices formant écuries,
                 - un matériel d'exploitation composé de quatre bœufs de labour,
                 - deux juments,
                 - une charrette,
                 - les ustensiles aratoires,
                 - la semence pour l'année agricole qui s'ouvrait "
… et il poursuit :

                 " C'est au colon d'Algérie que je m'adresse, c'est pour lui que j'écris. Instruire et amuser tel est mon but, puis-je l'atteindre ? A défaut d'autre mérite mon livre aura celui d'être un livre de bonne foi ; tout fait avancé sera marqué au coin de la plus stricte vérité "…
                 " Il y avait à peine quelques mois que je m'étais installé à Ben-Ameur, que, déjà, je commençais à comprendre que si, en France, un paysan vit et, qui plus est, se trouve à son aise avec dix hectares de terre il en est tout autrement en Algérie ou à moins de vingt et trente hectares le colon peut à peine végéter, bien que les terres soient au moins égales en qualité à celles de la mère patrie.
                 Cette allégation paraît fausse au premier abord, deux mots d'explication sont ici nécessaires. Le paysan à qui, par héritage ou autrement, vient à échoir une métairie composée de quelques hectares, trouve son petit domaine tout prêt et récolte dès la première année.
                 Telle parcelle parfaitement nette des plantes parasites, de pierres, ronces et autres impedimenta, ayant déjà reçu d'abondantes fumures, parfaitement meuble quant au sol, mènera à bien la semence qui lui sera confiée ; telle autre en nature de prairies, convenablement aménagée reçoit les eaux du ruisseau voisin ; les rigoles, les canaux sont prêts, il ne s'agit plus que d'ouvrir l'écluse ; celle-ci, convertie en verger et potager depuis de longues années donnera à son heureux propriétaire des fruits et des légumes à profusion ; celle-là, splendide par sa plantation de vignes en parfait état d'entretien lui fournira à l'automne sa provision de vin ; la maison d'habitation est depuis longtemps bâtie et appropriée aux besoins de l'exploitation ; en un mot, la propriété en France est achevée, si je puis m'exprimer ainsi, et le paysan jouit dès le premier jour de sa prise de possession.

                 En Algérie c'est le contraire qui a lieu.
                 Il faut des années pour arriver, à force de travail et d'argent à créer une ferme ; tout est à faire. Les terres que vous donne l'administration, à titre de concession, sont ou couvertes de palmiers nains et de broussailles ou épuisées par une culture sans fumure et sans assolements réguliers.
                 La charrue arabe, qui ne fait absolument que gratter le sol sans l'entamer, passe au milieu des pierres, des rochers, va, vient, tourne en tous sens, enfouissant la graine des chardons, buttant le chiendent, faisant un travail détestable pour le bon grain, excellent pour l'entretien du mauvais ; aussi les champs sont-ils sales, infestés de plantes parasites, la terre est-elle compacte, faute d'avoir été fumée et défoncée, boueuse à la moindre pluie, fendue à un mètre de profondeur après quelques jours de soleil.
                 En Algérie, vous devez :
                 - bâtir,
                 - planter,
                 - faire des haies,
                 - creuser les puits,
                 - tracer les chemins, tout faire en un mot.

                 Lorsque l'administration a confié à l'immigrant dix ou quinze hectares alors qu'il n'y a dans le pays ni routes ni ponts, elle croit avoir fait un brillant cadeau et fait sonner bien haut le mot, gratuitement ; la vérité est qu'elle vous donne gratis l'occasion de dépenser vos forces, ruiner votre santé et votre bourse, pour mener à bien quelques fois, à mal plus souvent, la petite exploitation commencée.
                 Il est de notoriété que celui qui crée en Algérie ne jouit pas. Quelquefois les enfants, presque toujours les créanciers profitent de la dépense et du travail faits.
                 Rien de plus commun que de voir sur les affiches ou dans les journaux des expropriations ou des citations, à la suite desquelles, une ferme qui a coûté au concessionnaire, soixante, quatre-vingts, même cent mille francs soit adjugée pour quelque mille écus.

                 Le touriste qui parcourt aujourd'hui la plaine de la Mitidja reste émerveillé devant la splendide végétation, les luxuriantes récoltes, l'air coquet et heureux des villages de Boufarik, de Marengo et tant d'autres ; son étonnement n'a plus de bornes quand il apprend que,
                 - son immense étendue de prairies,
                 - de vergers,
                 - de bois,
                 - de champs de tabac,
                 - de blé,
                 - d'orge,
                 - d'avoine,
                 que ces jardins
                 - d'orangers,
                 - de citronniers,
                 - de poiriers,
                 - de pommiers,
                 - d'abricotiers,
                 - d'amandiers,

                 que ces vignes n'étaient, il y a trente ans, qu'une plaine marécageuse, pestilentielle, couverte de broussailles et de palmiers nains hantée par des bêtes fauves. Pour lui l'Algérie est une véritable terre promise, un séjour enchanteur, un pays de cocagne ; il ne voit que le résultat, mais les moyens, il ne s'en doute pas. Il ne sait pas ce qu'il a fallu d'argent et d'existences d'hommes ; il ne compte pas les tombes qui par milliers, recouvrent les corps des travailleurs morts à la peine, tués par le climat ; il n'a pas fouillé dans les archives des huissiers pour savoir combien ont été ruinés.
                 Vie, argent, tout a été donné pour arriver à ce miracle d'une plaine empestée, transformée, comme touchée par la baguette d'une fée, en un immense jardin dont se montrerait fier le plus privilégié de nos départements".

                 La comparaison faite entre le paysan de France et celui d'Algérie est tout à fait révélatrice des obstacles souvent quasi insurmontables et des énormes difficultés rencontrées. Il ne faut surtout pas oublier que le second vivait dans un état de grande pauvreté mais certains détracteurs continuent encore aujourd'hui à nier, rendant ce colon premier responsable de tous les maux de la République, le critiquant sans cesse, le dévalorisant, l'humiliant parfois, avec une facilité pour le moins déconcertante et une évidente mauvaise foi.
                 Cette pauvreté était pourtant le seul lien qui, dans les premières années de la colonisation, unissait ces gens venus avec femmes et enfants de Métropole et du bassin méditerranéen,
                 - tentant leur chance dans un pays hostile,
                 - travaillant comme des forçats,
                 - accomplissant de rudes efforts pour mettre en valeur ces terres délaissées, en friche et ingrates. Terrassés et décimés par les fièvres, certains se retrouvaient ruinés, d'autres vivotaient des décennies, d'autres enfin réussissaient fort heureusement.

Mais laissons l'auteur poursuivre sa narration :

                 " Je me trouvais beaucoup trop à l'étroit avec mes vingt hectares ; mes deux ouvriers avec leurs deux charrues avaient, en deux mois, trouvé le moyen de gratter la moitié de la propriété. Il fallait, me disaient-ils, conserver cinq hectares pour la culture :
                 - du bechena (sorgho kabyle),
                 - des gilbens, pois dont les Arabes font grande consommation, - des pois chiches, - des lentilles, - des haricots du pays, - des pastèques, - des melons, culture qui ne se fait qu'au printemps. C'était donc, tout au plus, deux ou trois hectares qui allaient me rester pour faire un peu de fourrage sec pour la nourriture de mes chevaux et servir de parcours à mes bœufs et à ma vache, le reste du terrain étant tout à fait impropre à la culture ou occupé par les bâtiments, le potager, la vigne et les chemins indispensables. Dans de pareilles conditions, je ne pouvais avoir de troupeaux. On pas de troupeaux, pas de fumier, pas de fumier, pas de récoltes.

                 L'usure a été, est encore une des plaies de l'Algérie qui concurremment avec la fièvre a tué nombre de colons ; grâce au sulfate de quinine on peut se débarrasser de celle-ci mais à la première il n'est qu'un remède et l'Etat seul peut l'appliquer. Une fois engagé dans cette funeste voie, vous ne pourrez plus en sortir. Outre les intérêts que vous devez payer et pour le service desquels vous serez bien souvent obligé d'emprunter de nouveau, vendre en herbe partie de votre récolte en passant sous les fourches caudines du négociant, conduire au marché les meilleures bêtes de votre attelage ou vos brebis encore agnelles ou vos vaches encore génisses vous privant ainsi du bénéfice du croit et de l'engraissement, vous aurez encore suspendu sur votre tête l'échéance, cette épée de Damoclès, qui viendra s'asseoir à votre chevet et compagne assidue de vos nuits sans sommeil vous montrera pour comble d'infortune l'expropriation c'est-à-dire, la ruine. En vain vous supplierez : le créancier vous a prêté avec l'idée que vous ne pourriez pas vous acquitter. Ce qui vous perd s'enrichit ; il aura, - pour le quart de sa valeur votre propriété, - l'enfant de vos travaux, - le fruit de vos sueurs, - l'espoir de vos vieux jours, - le pain de vos enfants. Cette propriété, il la revendra demain, dans six mois, dans un an avec un gros bénéfice car il a le temps d'attendre lui. N'est-il pas riche ? Riche du bien de ceux qu'il a ruinés. Ce vampire qui vous sucerait le sang pour augmenter son avoir vous ne le connaissez pas encore ; vous cherchez à exciter sa pitié ; allons donc ! Pour qui le prenez-vous ? Les affaires sont les affaires. - La récolte a été mauvaise, - les sauterelles sont venues, - le siroco a brûlé votre vigne, - votre femme a été longtemps malade, - vous demandez un délai. Eh bien ! Tant pis pour vous, les affaires sont les affaires ; et en avant l'huissier, la mise en demeure, la saisie, la citation, le jugement etc…

                 Peut-être vous représentez-vous l'usurier comme l'a dépeint Balzac, comme l'a crayonné Gavarni : chétif, le chef couvert d'une calotte crasseuse, avec des lunettes et un abat-jour vert sur le front, assis dans un fauteuil de vieux cuir, devant un bureau vermoulu, comptant et recomptant, escomptant, supputant ? Oh ! Que non pas… L'usurier algérien n'est point un type comme ses collègues de France. S'il en est qui se cachent, beaucoup agissent au grand jour et se sont fait un front qui ne rougit jamais. Tout Alger n'a-t-il pas connu un de ces éhontés coquins qui tout le premier s'appliquait à lui-même l'épithète de voleur que chacun lui donnait ?

                 En Algérie l'usurier est un homme comme les autres, c'est celui que vous voyez passer, tantôt sur un fringant coursier, tantôt dans un break élégamment attelé menant à Saint Eugène la cocotte en renom ; il s'intitule homme d'affaires ou banquier. Il a des bureaux, une caisse, des commis ; son meuble est des plus coquets ; une autre fois c'est votre épicier, votre boulanger ; quelque fois c'est un homme à qui la position devrait interdire un semblable métier ; celui-là n'opère pas par lui-même ; il a un prête-nom, un homme de paille, celui qui vous dit : je vous trouverai cela… la personne veut bien consentir… je connais un capitaliste… Je connais de nom bien entendu bon nombre d'employés à deux ou trois mille francs d'appointements dont les femmes dépensent le triple pour leur toilette et qui, à leur retraite, achètent des propriétés pour deux ou trois mille francs… Usuriers. - Un premier clerc de défenseur après dix ans d'exercice comme huissier dans l'intérieur donna sa démission et se fit…rentier…. - Usurier encore ce coiffeur de petite ville qui trouve le moyen avec des barbes à trois sous et des coupes de cheveux à six de se faire douze mille francs de revenus. - Usurier toujours ce boulanger venu nu-pieds en Algérie et dont le coffre- fort regorge de billets de banque au bout de six ans d'un commerce équivoque. - Usuriers enfin ces colons qui ne cultivent pas et s'enrichissent au détriment des Arabes à qui ils prêtent une mesure d'orge pour en prendre trois à la récolte.

                 Que d'exemples je pourrais citer de bons et honnêtes travailleurs ruinés, expropriés pour avoir eu recours à l'emprunt ! Une ou deux mauvaises récoltes, la maladie, la mortalité des bestiaux et le malheureux colon, aux abois, commence à faire un trou pour en boucher un premier. En vain, il travaille ; ses efforts seront vains ; les mailles du filet se resserrent d'année en année ; le découragement arrive ; le malheureux se trouve bientôt réduit aux expédients, il est perdu, perdu sans ressources et forcé d'abandonner sa concession, il en est réduit, quand sonne l'heure du repos, à chercher chez autrui de quoi ne pas mourir de faim. Puisse le tableau que je viens de tracer arrête au bord de l'abîme quelques malheureux sur le point d'y tomber ! Mangez du pain tout sec s'il le faut, Buvez de l'eau, Vendez une parcelle de votre bien pour conserver l'autre intact mais n'empruntez jamais ou, je le répète, vous êtes perdu. Un négociant, un industriel, un très gros propriétaire peut avoir recours à l'emprunt et en tirer profit, un agriculteur jamais. Pour deux ou trois à qui l'emprunt aura réussi, cent s'y ruineront ; la proportion des chances favorables est trop faible pour tenter l'essai ".

                 L'emprunt, l'usure ces terribles maux qui souvent ont rongé des années la vie de ces cohortes de petits défricheurs sont l'une des tristes réalités des débuts d'une bien difficile la colonisation ; exploités et méprisés ces exilés venaient d'abandonner une misère dans laquelle ils étaient plongés depuis bien des années dans leurs régions ou pays d'origine et ils en retrouvaient une autre…eux qui n'aspiraient qu'à une vie moins rude, plus paisible, plus sereine mais ils n'étaient encore pas au bout de leurs peines…

                 Notre conteur vivra également les révoltes musulmanes et les quelques exemples qu'il nous relate ne peuvent que rappeler de bien douloureux souvenirs : " Dès huit heures du matin le mardi 18 avril 1871 les villages et les fermes de la vallée du Sebaou étaient en feu, le pillage avait été lestement opéré, ils étaient si nombreux. Aux Béni-Thour, aux Taourga étaient venus se joindre les gens des Issers-Djedian, des Oulad-Smir, des Issers-Droh. Pensez donc vingt mille indigènes pour saccager une centaine de maisons, c'est vite fait et ces messieurs vont vite en besogne ; c'est si bon de détruire et surtout si facile ; faire le plus de mal possible à ces Français abhorrés, quelle volupté sans pareille ! Et les scènes de désolation que je viens d'imparfaitement retracer se passaient en même temps à Tizi-Ouzou, à Azib-Zamoun, à Bordj-Ménaiel, à Dra El Mizan, à Bordj-Boghni, au col des Beni Aicha, à l'oued Corso, à Palestro, ou quarante-trois colons périrent, assassinés par leurs voisins, les Kabyles des Béni-Khalfoun ; pas une maison ne fut épargnée ; tout absolument tout fut pillé, saccagé, brûlé.

                 Le premier assassinat fut commis à cinq heures de l'après-midi ; Le nommé Blanc instituteur à Reybeval fut la première victime. Le malheureux se sauvait mais au lieu de suivre la grande route il voulut couper à travers champs ; des gens du douar de Ben-Archao l'aperçurent et le tuèrent. A sept heures du soir une autre tentative d'assassinat avait lieu contre le sieur Rouchon aubergiste à Reybeval ; comme les autres il se sauvait dans une voiture ; trois kilomètres avant d'arriver à Dellys plusieurs coups de fusil furent tirés, une balle lui traversa le mollet. Le curé de Reybeval et trois autres personnes furent également assaillis par une fusillade assez vive, personne heureusement ne fut atteint. Onze colons n'avaient pu se décider à abandonner leur maison ; les femmes et les enfants étaient partis, ils crurent avoir le temps d'emporter encore quelques objets et cacher le reste. Les malheureux ! Ils avaient confiance dans les Arabes qu'ils employaient.

                 Les indigènes du douar de Barlia distant de Reybeval de trois cents mètres seulement vinrent, le soir du 17 avril offrir leurs services aux quinze malheureux colons qui les connaissaient de longue date, vivant côte à côte avec eux, travaillant ensemble, crurent pouvoir se fier à ceux qui s'offraient à les protéger. Acceptant avec reconnaissance les offres de leurs voisins, ils leur donnèrent du pain, du café et la nuit se passa en causeries intimes ; mais le lendemain matin les défenseurs se firent égorgeurs ; ils étaient trois cents contre onze, les lâches ! Ils tuèrent huit malheureux affolés qui ne songèrent même pas à se défendre. Cependant les trois derniers refusèrent de se laisser égorger comme des moutons à l'abattoir et les poches garnies de cartouches, le fusil en bandoulière ils se précipitèrent dans la maison d'école dont ils barricadèrent la porte. Pendant une demi-heure ils tinrent en échec trois cents bandits, trois cents assassins. Pendant ce temps les gens de la tribu des Taourga arrivèrent en foule pour prendre leur part à la curée humaine ; la besogne était faite aux trois quarts, les colons étaient égorgés. La maison d'école servait de cible, déjà sept des assaillants étaient mortellement atteints lorsque Ahmet, le fils d'Aomar Ben Mahi-Eddin le chef des insurgés de Taourga, arrivant au galop de son magnifique cheval noir donna l'ordre de mettre le feu la maison d'école et d'enfumer, comme des sangliers dans leur bauge, les trois braves qui résistaient toujours. Aussitôt les fagots amoncelés près des demeures des colons et destinés à chauffer le four furent apportés et bientôt les malheureux asphyxiés par la fumée furent obligés de grimper jusque sur la toiture du bâtiment. Un des trois, le fils du maître d'école assassiné la veille, reçut une balle au moment où il passait la tête par une ouverture faite à la toiture, et deux mois après on voyait encore la traînée de sang le long du mur noirci. Un second fut abattu au moment où, perdant la respiration, il cherchait à ouvrir une fenêtre du premier étage, quant au dernier, Lambert, sautant d'une hauteur de huit mètres, il vint donner, tête baissée, au milieu de la tourbe des assaillants. En un clin d'œil, il fut haché, chacun tenant à honneur de faire son trou dans ce corps déjà cadavre. Et les plus acharnés, les plus avides de sang de ce malheureux père de famille, étaient précisément ceux à qui, une heure auparavant, il offrait une tasse de thé confectionné par lui-même au foyer domestique.

                 Mais nous ne sommes pas au bout, j'ai d'autres atrocités à vous raconter : Jourdan, colon à Reybeval reçoit à bout portant un coup de feu qui lui traverse la cuisse ; il tombe, - trois Arabes le prennent, - le portent sur son lit, - pillent sa maison, - ferment les fenêtres, - se retirent en tirant la porte à eux, - mettent le feu aux quatre coins - brûlent le tout.

                 Canette se sauve, atteint la berge du Sébaou ; six Arabes le poursuivent, tirent sur lui et le manquent ; d'autres arrivent, tirent aussi mais ne sont pas plus adroits ; la chasse continue, le gibier n'est pas atteint et cela dure dix minutes ; enfin le malheureux sent ses forces l'abandonner, son pied glisse, il s'abat et les chasseurs d'hommes trop maladroits pour atteindre leur victime, la course lui envoient trois balles à bout portant. Canette demande grâce, supplie ses bourreaux. Un tigre plus tigre que les autres lui promet la vie s'il fait la prière de tout bon musulman : la iah ila Allah ou Mohamed raçoul Alla dit-on : la ila Allah et Canette bégaie la formule ; à peine a-t-il prononcé le dernier mot qu'il reçoit un coup de bâton sur la tête et les monstres l'achèvent.

                 Rey est sur le seuil de sa porte, il se demande où fuir ; passe Ali Srier l'ancien cheik de Barlia qui depuis dix ans que Reybeval est créé passe toutes ses journées au village, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Rey l'appelle, lui demande aide ; Ali Srier s'approche et pour toute réponse plonge son poignard dans le ventre du colon et coupe proprement le cou à celui dont, il y a deux heures, il serrait la main.

                 Soudon a soixante-trois ans, il n'a pas voulu fuir la veille, quoique n'ayant rien à sauver ; c'est un maçon qui vit du travail de ses mains au jour le jour mais il est assez vieux, dit-il, pour faire un mort : Ali Mansour le voit, l'ajuste et l'abat d'un coup de fusil. Onze ils étaient, onze furent assassinés. "

                 Après ces événements dramatiques, Villacrose regagna la Métropole en attendant que les émeutes se calment, que la vie reprenne son cours normal. en Il conclut ainsi son récit d'une vie riche événements de toutes sortes mais qui pour lui reste sans issue viable : " Une fois marié je retournai en Algérie avec l'idée que j'allais dire un adieu définitif à ce beau pays ou s'étaient écoulées les vingt plus belles années de ma vie. C'était au mois de juin 1873 ; je résolus, avant de partir, de faire voir à ma femme la Kabylie et quelques sites de la Mitidja. Nous fîmes une excursion à Tizi-Ouzou et Fort National, nous visitâmes Blidah, les gorges de la Chiffa et les villages échelonnés sur la route de la Kabylie. - Quitter Ben Ameur, - dire un dernier adieu à ce que l'on a créé, où quinze années de l'existence se sont passées avec alternatives de bons et de mauvais jours, - abandonner pour toujours une position faite, quelque défectueuse qu'elle soit, - rompre avec de vieilles habitudes d'indépendance, - laisser derrière soi tous les vieux souvenirs ne se peut faire sans un grand déchirement intérieur. Aussi n'étonnerai-je personne quand je dirai que lorsque la diligence passa devant ce qui avait été ma ferme, devant ces arbres que j'avais plantés et soignés, ce jardin, l'objet de toutes mes attentions, cette maison, cette avenue aux haies qui longent la route sur une longueur d'un kilomètre, lorsque enfin je me penchai à la portière, au détour d'un chemin, pour dire un dernier adieu à tout ce que j'aimais, je versai d'abondantes larmes. Ma pauvre femme comprit bien ma douleur et l'étendue du sacrifice que je m'imposais car elle me serra la main ; ses yeux étaient humides et son regard voulait dire, je te rendrai en affection, en dévouement ce que tu abandonnes. Le voyage s'effectua sans encombres, les deux journées de séjour à Alger furent employées aux quelques visites indispensables ainsi qu'aux acquisitions d'objets arabes que l'Algérien allant en France ne manque jamais d'emporter avec lui.

                 Enfin le samedi 10 janvier nous montions à bord du Lou Cettori, capitaine Cambiaggio, et trente heures plus tard nous débarquions à Marseille. Cette fois j'étais en France et pour longtemps j'espère. "

                 Ecrits par " un petit colon " dont on ne connaît pas le prénom, ces extraits portent un témoignage essentiel sur le singulier parcours d'un homme confronté à l'hostilité de son environnement naturel et humain. Un homme " simple ", cultivé et lucide qui a, comme tant d'autres, fait le choix, un peu par hasard, de faire sienne cette terre d'Algérie qu'il a, au fil du temps, appris à aimer.

                 Révélant une expérience individuelle hors du commun, les tribulations s'inscrivent dans un contexte mondial de bouleversements politiques, de crises économiques et sociales majeures. Pour se limiter à 1871, les sanglantes révoltes en Kabylie auxquelles Villacrose assiste coïncident à quelques mois d'intervalle, avec : - la défaite de la France face à l'Allemagne, - l'écrasement de la commune de Paris, - la proclamation du Reich allemand, - l'abolition de la féodalité au Japon.

                 Pendant que la révolution industrielle bourgeoise s'impose à marche forcée dans la plupart des régions du globe, notre observateur engagé, à la plume rythmée et acérée, décrit une Algérie toujours ancrée dans un modèle agraire et dominé par une poignée d'exploiteurs avides de profits. Sur ces terres inhospitalières, infructueuses et périlleuses, tout semble à faire souvent pour la majorité des habitants, qu'ils soient européens ou " indigènes " et ce dans des conditions matérielles et morales défavorables, déprimantes voire effroyables.

                 Entre les lois humaines et naturelles, les colons d'Algérie devaient pour longtemps encore se trouver au cœur de bien des " tribulations " du latin ecclésiastique tribulatio (" tourment "), de tribulare (" battre avec le tribulum, herse à battre le blé "). Aussi est-il aujourd'hui nécessaire de lire, d'écouter et d'étudier, sans préjugé ni parti pris, tous les acteurs de cette dramatique histoire. Ceux qui, depuis des décennies, ont dressé de la présence française un bien sombre tableau, niant les évidences et les réalités devraient faire preuve de pudeur et d'humilité en essayant de poser un regard plus honnête sur ce passé. Par-delà leur prêt à penser, leur haine idéologique de la colonisation, la surdité et la cécité leur tenant lieu d'objectivité et de vérité, ils comprendraient alors, peut-être, quelles furent : - les difficultés, - les souffrances, - les déceptions, - les désillusions, - les passions aussi qui jalonnèrent le parcours de ces dizaines de milliers pionniers.

N B : Vingt ans en Algérie ou tribulations d'un colon racontées par lui-même : la colonisation en 1874, le régime militaire et l'administration civile, mœurs, coutumes, institutions des indigènes, ce qui est fait, ce qui est à faire par A. Villacrose.
Le texte complet de cet ouvrage est disponible sur le site www.algerie-ancienne.com et sur le site gallica.bnf.fr de la Bibliothèque Nationale.
Christian Graille


Le clochard et son vélo
Envoyé par Elyette
Un clochard ivre arrive devant le palais de l'Élysée et gare son vélo.

         Aussitôt un policier de service arrive et lui dit :

         "Vous ne pouvez pas laisser votre vélo ici. Vous êtes devant le palais présidentiel. Ici passent le président, les ministres, les députés, les sénateurs et de nombreuses personnalités".

         L'ivrogne le toise de la tête aux pieds et répond :

         "T'inquiète pas mon pote … je vais mettre un cadenas !".



Transaction sur les réclamations
des sieurs Bacri et Busnach
Envoyé par M. Christian Graille

Loi du 24 juillet 1820 qui en ordonne l'exécution.

                  Le Roi, voulant mettre un terme aux réclamations de la Régence d'Alger, relativement aux créances dont les sieurs Jacob Cohen Bacri et Michel Busnach, négociants algériens, sollicitent depuis longtemps le payement, et prouver à la Régence son désir de maintenir la bonne intelligence qui existe entre les deux États.
                  S'étant fait rendre compte, à cet effet, de la nature et de la situation desdites réclamations, et ayant reconnu que le paiement des sommes dues aux sujets algériens a été formellement stipulé par le traité conclu entre la France et la Régence, le 17 décembre 1801, et que l'exécution de cette stipulation, réclamée et annoncée à plusieurs reprises par le gouvernement français, a encore plusieurs fois été promise depuis le rétablissement de Sa Majesté sur le trône, et notamment par la déclaration que son consul général à Alger a été autorisé à faire à la Régence, le 29 février 1816 ;

                  Considérant qu'il est juste et convenable de réaliser ces promesses qui ont amené le rétablissement des rapports de bonne intelligence et d'amitié entre les deux États, Sa Majesté, sur la proposition de son ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, a chargé les sieurs Mounier et Hély d'Oissel, ses conseillers d'État, de négocier et de conclure avec les sieurs Bacri et Busnach, ou leur fondé de pouvoirs, un arrangement pour satisfaire à leurs réclamations.

                  En conséquence, les sieurs baron Mounier et baron Hély d'Oisel s'étant réunis avec le sieur Pléville, ancien directeur général de la caisse d'escompte, fondé de pouvoirs desdits sieurs Jacob Cohen Bacri et Michel Busnach, ainsi qu'il en a été justifié par la procuration de chacun d'eux, trouvée en bonne et due forme, il a été reconnu, après un mûr examen, que les réclamations présentées par ledit sieur Pléville, au nom et dans les intérêts respectifs des sieurs Bacri et Busnach, s'élevaient, déduction faite des acomptes délivrés aux réclamants à diverses reprises, depuis 1801 jusqu'à 1809, à la somme de treize millions huit cent quatre-vingt-treize mille huit cent quarante-quatre francs (13.893.844).

                  Que, s'il est dans l'intérêt du gouvernement français de terminer, par un arrangement à l'amiable, toute contestation avec la Régence d'Alger, en raison des réclamations de ses sujets, il n'est pas moins dans l'intérêt des sieurs Bacri et Busnach d'éviter, par une réduction convenable de leurs prétentions, les retards qu'entraînent une liquidation régulière et la nécessité de produire à l'appui de diverses créances des pièces justificatives que l'éloignement des temps et des lieux rendent difficiles à réunir.

                  Les soussignés, d'après ces motifs, ont résolu de fixer, par une transaction à forfait, une somme au moyen de laquelle seraient éteintes toutes les réclamations des sieurs Bacri et Busnach, et sont convenus des articles suivants :

                  Article premier. Le gouvernement français payera aux sieurs Jacob Cohen Bacri et Michel Busnach, entre les mains du sieur Nicolas Préville, leur fondé de pouvoirs, la somme de sept millions de francs en numéraire.

                  Art. II. Cette somme sera payée au trésor royal de Paris, en douze paiements égaux de cinq cent quatre-vingt-trois mille trois cent trente-trois francs, trente-trois centimes (583.333 frs, 33 c), chacun de cinq en cinq jours, à partir du premier mars prochain, sauf les retenues ou prélèvements qui seront ci-après déterminés.

                  Art III. Au moyen de ladite somme de sept millions de francs, toutes créances ou prétentions des sieurs Bacri et Busnach sur le gouvernement français, soit en raison d'indemnité réclamée, soit pour toute autre cause, tant pour le capital que pour les intérêts, sont et demeureront éteintes, de sorte qu'aucune réclamation quelconque, et à quelque titre que ce soit, desdits sujets algériens, antérieure à la signature de la présente transaction, ne puisse être présentée.

                  Art IV. Il est bien entendu que, sur la somme à délivrer au sieur Préville, en sa qualité de fondé de pouvoirs des sieurs Jacob Cohen Bacri et Michel Busnach, le trésor royal retiendra le montant des oppositions et transports de créances signifiées au Trésor, à la charge des deux commettants, jusqu'à ce que ledit sieur Pléville ait obtenu à l'amiable ou devant les tribunaux français la mainlevée desdites oppositions ou le règlement des droits des concessionnaires ; de même qu'il est entendu que la partie de la somme non grevée d'oppositions ou de significations de transports lui sera immédiatement délivrée.

                  Art V. Il est, de plus, convenu que le sieur Jacob Cohen Bacri, en exécution de la promesse faite par lui au Consul de France, dans le divan, le 29 février 1816, payera, à la décharge de l'hoirie de David Cohen Bacri, d'Alger, son neveu, les créances du sieur Isaac Tasna, s'élevant à quatre cent soixante-dix-neuf mille trois cent soixante et un francs (479.361 frs.) ; celles du sieur François Aiguillon, de Toulon, s'élevant à trente-neuf mille deux cent soixante-neuf francs (39.269 frs.), et celle de Joseph Aiguillon, s'élevant à quarante-cinq mille cinq cents francs (45.500 frs.) ; ensemble cinq cent soixante-quatre mille cent-trente francs (564.130 frs.), sauf déduction des acomptes qui auraient été payés depuis lesquelles créances provenant des fonds remis à feu David Cohen Bacri par la chancellerie du Consulat de France à Alger, en 1810.
                  Il est bien entendu qu'en raison de ce paiement les créanciers ci-dessus nommés seront tenus de subroger le sieur Jacob Cohen Bacri à leurs droits sur l'hoirie du sieur David Cohen Bacri, pour le recouvrement desdites créances acquittées à sa décharge, et que l'obligation spéciale consentie par le sieur Jacob Cohen Bacri dans le présent article ne peut, en aucun cas, être considéré comme s'étendant aux autres créanciers de feu David Cohen Bacri.

                  Art VI. Il est, au surplus, entendu que les payements faits en vertu de l'article précité, par le sieur Jacob Cohen Bacri, ainsi que tous les autres payements faits par ledit sieur Bacri ou par le sieur Michel Busnach, pour dettes personnelles à l'un d'eux, seront imputés sur la part afférente à chacun dans la somme totale de sept millions, lors du règlement de leurs intérêts respectifs.

                  Art VII. Les effets et marchandises dont les agents de la Régence se sont emparés dans les comptoirs des concessions d'Afrique à l'époque de la guerre déclarée à la France, le 20 décembre 1798, ayant été mis à la disposition des sieurs Bacri et Busnach, il est convenu que, sur la somme dont le payement est stipulé par l'article 1er, il sera retenu par le Trésor royal, sur le dernier douzième à délivrer, celle de cent onze mille soixante-dix-neuf francs (111.079 frs.) qui sera versée à la caisse des dépôts et consignations pour servir à indemniser les ayants droits au remboursement de la valeur desdits effets et marchandises.
                  Au moyen du prélèvement de ladite somme de 111.079 francs le gouvernement français reconnaît qu'il n'y a plus aucune répétition à fournir pour l'exécution de l'article IV du traité du 1er décembre 1801.

                  Art VIII. Le présent arrangement ne sera exécuté qu'après avoir été approuvé par le Roi, et après que le dey aura déclaré, au nom de la Régence, qu'au moyen de l'exécution de la présente transaction il n'y a plus aucune demande à former envers le gouvernement français, relativement aux créances des sieurs Bacri et Busnach, et qu'en conséquence il reconnaît que la France a pleinement satisfait aux obligations du traité du 1er décembre 1801.
                  Fait double à Paris, le 28 octobre 1819.

                  Signé : Mounier, Hély d'Oissel, Nicolas Préville.
Loi du 24 juillet 1820
Article unique. Le ministre des finances est autorisé à prélever sur le crédit en rentes affecté, par la loi du 18 mai 1818, au payement de l'arriéré de 1801 à 1810, la somme nécessaire pour acquitter celle de sept millions en numéraire, dont le payement a été stipulé par l'arrangement conclu le 28 octobre 1819, pour l'exécution du traité du 17 décembre 1801 entre la France et la Régence d'Alger

Histoire de la conquête d'Alger
écrite sur des documents inédits et authentiques par M. Alfred Nettement.
Nouvelle édition revue et corrigée 1867


L'entrée des Français dans Alger
Envoyé par M. Christian Graille
Premières erreurs ou carences administratives.

                 Alger, lorsque les Français y entrèrent le 5 juillet 1830, ne présentait pas l'aspect triste et désolé d'une ville où la victoire vient d'introduire l'ennemi. Les boutiques étaient fermées, mais les marchands assis tranquillement devant leurs portes semblaient attendre le moment de les ouvrir.
                 On rencontrait çà et là quelques groupes de Turcs et de Maures dont les regards distraits annonçaient plus d'indifférence que de crainte.

                 Quelques Musulmanes voilées se laissaient entrevoir à travers les étroites lucarnes de leurs habitations.
                 Les Juives, plus hardies, garnissaient les terrasses de leurs demeures, sans paraître surprises du spectacle nouveau qui s'offrait à leurs yeux.
                 Nos soldats moins impassibles, jetaient partout des regards avides et curieux, et tout faisait naître leur étonnement, dans une ville où leur présence semblait n'étonner personne.

                 La résignation aux décrets de la Providence, si profondément gravée dans l'esprit des Musulmans, le sentiment de la puissance de la France, qui devait faire croire en sa générosité, étaient autant de causes qui appelaient la confiance ; aussi ne tarda-t-elle pas à s'établir ; si, depuis, elle s'est affaiblie, la faute n'en est qu'à ceux qui ont si étrangement gouverné une population si facile à l'être.
                 Le peu de relations individuelles qui s'établirent d'abord entre les vainqueurs et les vaincus, si toutefois on peut donner ce nom aux Maures qui avaient à peine soutenu de leurs vœux le gouvernement turc, furent en général favorables à la domination française.
                 Sans haine et sans préventions contre les habitants de la Régence, nos soldats y déployaient une aménité et une bienveillance qui sympathisaient avec le caractère doux et sociable des Algériens.
                 Les impressions qui en résultèrent ne purent être entièrement effacées par quelques désordres partiels, ni par les fautes de l'administration, causes premières de ces désordres ; et aujourd'hui encore, après une suite d'actes peu faits pour honorer notre gouvernement aux yeux des indigènes, le nom de Français n'excite pas, chez eux, plus de sentiments de répulsion que celui de tout autre peuple chrétien.

                 Les premiers jours de la conquête furent signalés par le respect le plus absolu des conventions. Les personnes, les propriétés privées, les mosquées, furent religieusement respectées ; une seule maison fut abandonnée au pillage, et, il faut bien le dire, ce fut celle qu'occupait le général en chef, la fameuse Casbah. Mais hâtons-nous d'ajouter que ce pillage, qui du reste a été beaucoup exagéré, fut plutôt l'effet de la négligence qu'un calcul de la cupidité. Par l'imprévoyance du commandant du quartier général, chacun put entrer dans la Casbah et en emporter ce que bon lui semblait.
                 Beaucoup se contentaient du moindre chiffon, comme objet de curiosité ; d'autres furent moins réservés ; et parmi eux on doit compter plusieurs personnes de la suite de M. de Bourmont, et même des généraux. Tout cela est fort répréhensible sans doute ; mais tous ceux qui ont jeté la pierre à l'armée française avaient-ils donc les mains si pures ?

                 Une affaire bien autrement importante que le vol de quelques bijoux à la Casbah, serait la dilapidation du trésor de la Régence, si elle avait eu lieu.
                 Je ne crois pas que les soupçons qui ont pesé sur quelques personnes à cet égard fussent fondés ; dans mon opinion, ce trésor est venu grossir en entier celui de la France, quoique les usages de tous les peuples en accordassent une partie à l'armée qui l'avait conquis. Il était placé dans des caves, dont l'entrée, exposée aux regards du public, fut mise sous la garde de douze gendarmes qui étaient relevés à court intervalle, et il n'en sortait rien que pour être transporté sur-le-champ à bord de bâtiments de l'État, sous la conduite d'officiers pris au tour de service et sans choix.
                 J'ai moi-même fait transporter un million de cette manière, et je ne savais pas en allant à la Casbah à quel genre de service j'étais appelé. Ce trésor fut inventorié par une commission de trois membres qui étaient le général Tholozé, M. Denniée et le payeur général, M. Firino ; on y trouva 48.700.00 francs.

                 La ville d'Alger n'ayant que peu de casernes, on n'y établit que quelques bataillons ; et le reste de l'armée bivouaqua au dehors, ou fut logé dans les nombreuses maisons de campagne des environs.
                 Le général Tholozé, sous-chef d'état-major, fut nommé commandant de la place. Dans l'ignorance où était le général en chef des intentions du gouvernement au sujet d'Alger, il se tint prêt pour tout événement. Ainsi, d'un côté, il se fit présenter un travail sur les moyens de détruire les fortifications de la marine et de combler le port et, de l'autre, il se livra à quelques actes administratifs qui, s'ils n'annonçaient pas une grande prévoyance, du moins semblaient indiquer le désir de conserver le pays.

        
                 Le premier de ces actes fut la création d'une commission centrale du gouvernement, chargée de proposer les modifications administratives que les circonstances rendaient nécessaires.
                 La présidence en fut dévolue à M. Denniée, intendant en chef de l'armée. Ce personnage, s'étant trouvé ainsi en quelque sorte le chef civil de la Régence, sous l'administration de M. de Bourmont, doit supporter la responsabilité morale de tout ce qui fut fait, ou plutôt de tout ce qui ne fut pas fait à cette époque ; car c'est par incurie, plus encore que par des fausses mesures, que nous avons commencé cette longue série de fautes qui rendent l'histoire administrative de notre conquête si déplorable, que pour savoir ce qu'on aurait dû faire, il faut prendre presque toujours le contraire de ce que l'on a fait.
                 S'il est un principe dicté par la raison et reconnu par le plus vulgaire bon sens, c'est celui qui veut que lorsqu'on est appelé à administrer un pays conquis, on respecte d'abord l'organisation existante, afin d'éviter le désordre, et de conserver la tradition et la suite des affaires.

                 On peut, plus tard, introduire avec réserve et ménagement les changements reconnus utiles ; mais dans les premiers instants de la conquête, un vainqueur sage et avisé n'a qu'à se mettre aux lieux et place du vaincu. C'est ainsi qu'on se réserve des ressources et qu'on prévient tous ces froissements qui sont bien plus sensibles au peuple conquis que l'humiliation de la défaite.
                 Quelque peu contestable que soit ce principe, il fut méconnu par l'autorité française. Je ne sais pas si elle s'imagina que la population algérienne ne formait qu'une agglomération d'individus sans lien commun et sans organisation sociale ; mais elle agit exactement comme si elle en avait la conviction.
                 Aucune disposition ne fut prise pour régler la nature des diverses branches du service public avec le nouveau pouvoir. Aucun ordre ne fut donné aux fonctionnaires indigènes : on ne leur annonça ni leur conservation, ni leur destitution. On agit comme s'ils n'existaient pas ; aussi ne sachant à qui s'adresser, ils abandonnèrent le service sans en faire la remise, et en emportant, ou en faisant disparaître presque tous les registres et les documents les plus précieux. Dans la Casbah même, sous les yeux de M. Denniée, j'ai vu des soldats allumer leurs pipes avec les papiers du gouvernement dispersés çà et là sur le sol.
                 Jamais, peut-être, une occupation ne s'est faite avec autant de désordre administratif que celle d'Alger, même dans les siècles les plus barbares.
                 Les hordes du Nord, qui s'arrachèrent les débris de l'empire romain, se conduisirent avec plus de sagesse et de raison que nous n'avons fait en Afrique. Les Francs dans les Gaules, les Goths en Espagne et en Italie, eurent le bon esprit de conserver ce qui existait, tant dans leur intérêt que dans celui des nations soumises. Lorsque les Arabes remplacèrent ces derniers en Espagne, ils ne se hâtèrent pas non plus de tout détruire ; il nous était réservé de donner l'exemple d'une telle extravagance.

                 Le gouvernement intérieur d'Alger qui, sous bien des rapports, mérite le nom de municipal, était basé sur les droits et les devoirs qu'une communauté, plus ou moins intime d'intérêts, établit entre les diverses catégories de citoyens.
                 C'est à ce principe que durent le jour les Communes du moyen âge, et les grandes Assemblées représentatives des nations de l'Europe. Plus tard la révolution française a prouvé que chez un peuple avancé, ses intérêts devaient être encore plus généralisés ; mais, chez les nations qui ne sont encore qu'au second degré de la civilisation et qui se trouvent en face d'un pouvoir violent et brutal, comme l'était celui du dey à Alger, et celui des seigneurs dans l'Europe au moyen âge, le système des catégories d'intérêts est celui qui offre le plus de garanties aux libertés individuelles.

                 C'est ce système qui s'introduisit à Alger sous la domination des Arabes et que les Turcs respectèrent.
                 Chaque métier formait une corporation qui avait à sa tête un syndic, appelé Amin, chargé de sa police et de ses affaires ; tous les Amins étaient placés sous les ordres d'un magistrat appelé Cheik-el-Belad (chef de la ville).
                 La surveillance des marchés était confiée à un magistrat appelé Moktab, qui avait le droit de taxer les denrées.

                 Deux magistrats étaient chargés de la police générale ; le premier appelé Kaïa, (lieutenant), exerçait pendant le jour ; il était chef de la milice urbaine et pouvait être pris parmi les Koulouglis ; le second, qui ne pouvait être choisi que parmi les Turcs, exerçait pendant la nuit : on le nommait Aga-el-Koul. Un fonctionnaire particulier, nommé Mézouar, avait la police des maisons de bains et des lieux de prostitution ; il était, en outre, chargé de faire exécuter les jugements criminels.
                 Un employé supérieur appelé Amin-el Aïoun, veillait à l'entretien des fontaines, au moyen de revenus affectés à ces sortes d'établissements de première nécessité.

                 Tous ces magistrats étaient sous les ordres immédiats du Khaznadj qui était le ministre des finances et de l'intérieur.
                 Tel était le gouvernement de la ville d'Alger, que nous nous hâtâmes de détruire, ou plutôt de laisser périr.
                 On créa, pour le remplacer, un conseil municipal, composé de Maures et de Juifs. On y vit figurer tous les Indigènes qui s'étaient les premiers jetés à notre tête, c'est-à-dire les intrigants et quelques notabilités maures, dont on faisait grand cas alors, mais dont le temps nous a montré l'insignifiance. Ahmed-Bouderbah en eut la présidence. C'est un homme d'esprit, fin et rusé, mais sans le moindre principe de moralité, et plus tracassier qu'habile ; il avait longtemps habité Marseille, d'où une banqueroute frauduleuse le força de s'éloigner.

                 Le service de la police fut confié à M. d'Aubignosc ; il reçut le titre de lieutenant-général de police, et un traitement annuel de 18.000 francs, y compris les frais de bureau. Son action dut s'étendre sur la ville et sur le territoire d'Alger. On y plaça sous ses ordres : un inspecteur, deux commissaires de police et une brigade de sûreté maure, composée de vingt agents et commandée par le mezouar qui conserva en même temps l'emploi de surveillant des filles publiques.
                 Malgré tous ces moyens, et le concours de l'autorité militaire, la police française a presque toujours été au-dessous de sa mission, ce qui est d'autant plus choquant que, sous le gouvernement turc, la ville d'Alger était peut-être le point du globe où la police était le mieux faite. Les vols, naguère presque inconnus, se multiplièrent dans des proportions effrayantes, et les Indigènes en furent encore plus souvent les victimes que les auteurs.
                 Un désarmement général de tous les habitants d'Alger fut ordonné. Les Algériens qui s'y attendaient, s'y soumirent sans murmure ; mais cette mesure fournit une pâture à la cupidité de quelques personnes. Des armes précieuses, enlevées à leurs propriétaires, au lieu d'être déposées dans les magasins de l'État, devinrent la proie de tous ceux qui furent à portée de s'en emparer tant on mit peu d'ordre dans cette opération qui en demandait beaucoup.

                 De tout temps les Juifs d'Alger avaient formé une vaste corporation, ayant à sa tête un chef à qui, par dérision, on donnait souvent le nom de roi des Juifs. Cette organisation fut conservée, grâce à l'influence du fameux Bacri.
                 Sous la domination des Turcs, les Juifs, même les plus riches, étaient traités de la manière la plus ignominieuse, et souvent la plus cruelle.

                 En 1806, le dey Mustapha-Pacha ne trouva d'autre moyen d'apaiser une révolte de la milice, que de lui livrer à discrétion les biens et les personnes de ces malheureux. En peu d'heures, trois cents d'entre eux furent massacrés, et on leur enleva des valeurs immenses que quelques personnes portent à trente millions de francs ; mais patients comme la fourmi, et, comme elle, économes, ils eurent bientôt relevé l'édifice de leur fortune.
                 M. de Bourmont eut le tort, que la plupart de ses successeurs ont partagé, de se livrer trop à cette classe d'hommes : les Juifs, déjà portés à l'insolence, par le seul fait de la chute de leurs anciens tyrans, ne tardèrent pas à affecter des airs de supériorité à l'égard des Musulmans qui en éprouvèrent une vive indignation. De tous les revers de fortune, ce fut pour eux le plus sensible, et celui qu'ils nous pardonnèrent le moins.
                 La population israélite doit être traitée comme les autres, avec justice et douceur, mais il ne faut en tenir aucun compte dans les calculs de notre politique envers les Indigènes. Elle nous est acquise, et ne pourrait, en aucun cas, nous faire ni bien ni mal.
                 Sans racine dans le pays, sans puissance d'action, elle doit être pour nous comme si elle n'existait pas ; il fallait donc bien nous garder de nous aliéner, pour elle, les populations musulmanes, qui ont une bien autre valeur intrinsèque. C'est ce que tout le monde n'a pas compris ; et la faute que nous avons commise pour les Juifs à l'égard des Musulmans en général, nous l'avons commise pour les Maures à l'égard des Arabes.

                 Une décision du 14 juillet conserva aussi la corporation des Biskris et celle des Mozabites. Les Biskris sont des habitants de Biskra qui viennent à Alger pour y exercer la profession de portefaix et de commissionnaire, comme le sont les Savoyards pour la France et l'Italie.
                 Les Mozabites, ou plutôt les Beni-Mezab, appartiennent à une tribu du désert, à qui le monopole des bains et des moulins d'Alger fut concédé dans le XVIe siècle, en récompenses des services qu'elle rendit à l'époque de l'expédition de Charles-Quint. Ces deux corporations ont leurs syndics nommés par l'autorité française ; il en est de même pour les nègres libres, dont le syndic a le titre de caïd.

                 La capitulation ne disait en aucune manière que la population d'Alger serait affranchie des anciens impôts, et certainement il n'entrait pas dans la pensée de ses nouveaux dominateurs, de l'exempter de toutes les charges publiques.
                 Néanmoins les perceptions s'arrêtèrent par suite de la désorganisation de tous les services. Il faut en excepter celle des droits d'entrée aux portes de la ville, ce que nous appelons chez nous l'octroi.

                 Un arrêté du 9 août en affecta les produits aux dépenses urbaines, et la gestion au conseil municipal ; mais on oublia bientôt l'existence de cette branche de revenu, et les membres maures de la municipalité, auprès de laquelle il y avait cependant un Français pour commissaire du roi, se la partagèrent tranquillement et n'en rendirent jamais compte : ce fait peut paraître incroyable, il est cependant de la plus complète vérité. Ce ne fut que plusieurs mois après, sous l'administration du général Clauzel, que le hasard fit découvrir qu'il existait un octroi. On le réduisit alors aux provenances de mer, et on le retira à la municipalité, ainsi que le débit du sel qui lui avait été aussi affecté.

                 L'histoire de la douane française à Alger offre quelque chose d'aussi bizarre que celle de l'octroi. La douane turque s'étant dispersée, fut remplacée par quelques individus qui avaient suivi l'armée, je ne sais à quel titre, et qui perçurent, sans tarif et sans reddition de comptes, pendant quinze jours. On trouva dans les magasins de la douane une grande quantité de blé, le directeur de la nouvelle administration le prit à compte pour 4.000 sâas (mesure d'Alger de 54 litres). On en vendit pendant deux mois, et sous le général Clauzel, on trouva qu'il en restait encore 6.000 sâas. Je laisse au lecteur le soin d'expliquer ce prodige.
                 Il ne fut fait aucune remise des biens domaniaux, tant meubles qu'immeubles ; aussi, est-ce de cette époque, que date l'horrible chaos, qui existe dans cette branche de l'administration, laquelle a été longtemps sans titres et sans registres.
                 - Les objets existant dans l'arsenal de la marine et dans le port, furent abandonnés pendant plusieurs jours à qui voulut s'en emparer,
                 - les bâtiments de commerce qui avaient été nolisés pour l'expédition, vinrent s'y pourvoir de chaînes de câbles, d'ancre et d'agrès de toute pièce.
                 - Les portes de l'hôtel des monnaies, qu'on ne songea à occuper qu'au bout de deux ou trois jours, se trouvèrent enfoncées, et toutes les valeurs avaient été enlevées,
                 - enfin, on fut loin de prendre toutes les mesures convenables pour assurer au nouveau pouvoir l'héritage intact du pouvoir déchu. M. de Bourmont peut, jusqu'à un certain point, trouver son excuse dans la douleur dont la mort de son fils avait pénétré son âme ; mais M. Desprez, son chef d'état-major, mais M. Denniée, son intendant en chef, avaient-ils aussi perdu un fils ?

Annales algériennes tome premier
par E. Pellissier, capitaine d'État-major, Chef de bureau des Arabes à Alger
en 1833 et 1834. Édition 1836


Quelques notes
sur la colonisation en Algérie
Envoyé par M. Christian Graille

                 Dans un discours à la Chambre des Députés, M. Burdeau disait en 91 " qu'un bon colon, un colon tel que l'État devrait le choisir, c'est celui qui a un capital suffisant et des connaissances techniques étendues ". Or, pour s'assurer que celui qui demande de France au Gouvernement général de l'Algérie une concession, remplit bien ces deux conditions, " c'est un mauvais moyen que d'exiger de lui des certificats que le Maire de sa commune refusera rarement et que le Député apostillera après une enquête sommaire " : (C'est la pratique actuelle).
                 C'est même créer aux membres du Parlement, autant qu'aux municipalités une ressource électorale dont ils useront pour aider leurs ennemis politiques à quitter le pays, en leur faisant accorder des concessions, et pour flatter par le même procédé leurs amis influents aux protégés desquels ils en feront obtenir.
                 Pourquoi ne pas confier cette mission à d'autres qu'à des sujets du suffrage universel forcément influencés par des querelles de parti ou des questions de pointage électoral. Ne pourrait-on pas, au contraire, donner cette tâche aux bureaux des Comices agricoles ?
                 Mieux que quiconque ils connaissent la science agronomique de tous les habitants de leur circonscription : ils seraient plus à même que les maires de donner, en toute liberté, en toute vérité, la réelle situation des cultivateurs de la contrée. Les deux certificats pourraient d'ailleurs être exigés, ce ne serait que plus de prudence.

                 Ce rôle que nous désirons attribuer aux Comices agricoles se comprendra d'ailleurs mieux si nous parlons des formes et publicités employées pour faire connaître les facilités d'établissement en Algérie, les centres créés où des colons sérieux pourraient demander des concessions.
                 " De temps en temps le Gouvernement général, par les organes officiels, annonce des adjudications de terre ; après quoi il s'étonne que les vignerons de la Haute Bourgogne et les cultivateurs de la Beauce ne prennent pas le train et le bateau pour venir s'installer."
                 Dans le commerce agir ainsi ce serait la faillite à brève échéance. Ce qu'il faudrait ce seraient des notices que le Gouvernement Général devrait répandre avec plus de profusion chez les paysans français, notices où les avantages et les conditions d'une installation en Algérie seraient exposés avec précision, avec vérité, et l'on trouverait dans les Comices agricoles les meilleurs et les plus zélés intermédiaires.
                 Le campagnard a de la répugnance, de la crainte pour tout ce qui est administratif. Lui faire ouvrir les yeux par ces sociétés dont il fait probablement partie, ce serait une première invitation pour ceux d'entre eux qui vivent avec peine en France, à s'expatrier vers des régions plus riches où la vie est plus gaie, plus large, peut-être plus facile.

                 Au lieu de mettre 50.000 francs à la création d'un bureau de renseignements à Paris, bureau que beaucoup ignorent, que le cultivateur lorrain, que le vigneron bordelais n'auront jamais l'idée de consulter, pourquoi ne pas couvrir au moyen de ce crédit, les dépenses qu'occasionneraient les rapports, les renseignements si utiles que l'on adresserait périodiquement aux Comices agricoles de France ?
                 Ces derniers s'occupent de plus en plus de questions coloniales, ce serait une nouvelle attribution pour laquelle ils déploieraient le plus grand zèle.

                 La question de l'achat des terres aux indigènes dans l'intention de nouvelles créations de villages est, elle aussi, un problème qu'on a beaucoup discuté ; d'une manière générale les terres qui forment les concessions sont des biens du domaine, quelquefois elles proviennent du séquestre des terres de tribus à la suite d'une insurrection ou bien on les obtient par voie d'échange ou de vente à l'amiable.
                 On a beaucoup blâmé ces deux derniers modes.
                 La place nous manque pour exposer les différentes parties de ce long problème. Donnons-en tout de suite la solution qui paraît la meilleure : à notre avis, la question ne devrait pas même se poser car la France a toujours été généreuse, a toujours laissé la plus grande liberté à ses sujets en Algérie et le mot d'expropriation n'a que faire en la matière. D'après les principes que nous avons tenu à établir dès le début, il serait totalement contraire au but poursuivi de chercher à affaiblir jusqu'au complet anéantissement la contribution des indigènes à l'exploitation de la colonie ; la méthode dite de refoulement ne pourrait que contrecarrer nos efforts : c'est donc à nous de chercher dans une sage mesure à ne point léser l'élément autochtone tout en favorisant nos nationaux. Par contre l'opinion est en ce moment à l'arabophilie ; le beau temps de Pauliat, des Albin Rozet, des Jaurès est enfin revenu ; nous entendrons bientôt de belles légendes sur le compte de nos colons ; les évènements de Marguerite ( Révolte de tribus des régions du Zaccar où 72 colons furent massacrés au village de Marguerite en 1901) dont ils ont été les premières victimes semblent dès maintenant leur être reprochés par la métropole … battus et contents, telle est la nouvelle devise qu'on veut leur imposer. La pente est dangereuse ; c'est à nous Algériens de n'y point laisser glisser nos imprudents philanthropes !

                 A côté de cette colonisation exclusivement officielle, le procédé qui consiste à se servir d'entreprises privées de peuplement, telle que " la Société Algérienne de Colonisation " ou " la Société Genevoise " ont laissé des traces dans la colonie ; aucun succès n'a jamais été relevé. L'histoire de la Compagnie genevoise en donne peut-être la raison.
                 La Compagnie genevoise des Colonies suisses de Sétif fut fondée en 1853 par un groupe de financiers et d'agronomes genevois, au capital de 5 millions. Elle devait recruter et installer 500 colons Suisses et Savoyards sur les 12.000 hectares de terrain que le Gouvernement français mettait à sa disposition.
                 Chaque famille recevait 20 hectares gratuitement et une maisonnette de trois pièces édifiée par la Compagnie à raison de 2.500 francs, c'est-à-dire au prix coûtant. Le prix de cette maison était remboursable en dix annuités. Les fontaines, les chemins d'accès, mairies de ces dix nouveaux villages (10 villages à 50 feux) furent établis par l'État.
                 Comme salaire de cette œuvre de colonisation notre Compagnie devait recevoir en tout propriétaire 800 hectares pour chaque village. Ces fermes de 800 hectares se trouvaient généralement à proximité des villages correspondants.

                 La Compagnie remplit la première partie du programme, construisit et peupla 5 villages. Vint le choléra de 1854. Très meurtrier il fit beaucoup de victimes parmi les nouveaux colons ainsi que dans la population européenne et indigène de toute la contrée.
                 Jetant un grand froid dans l'esprit des parents et connaissances des premiers colons qui s'étaient disposés à suivre leurs devanciers, un arrêt presque complet de l'immigration suisse et savoyarde en résulta et notre Compagnie se vit dans l'impossibilité de remplir le reste de ses engagements et d'assurer la totalité des 500 familles prévues par le programme.

                 Il y eut liquidation, arrangement avec l'État et la Compagnie genevoise est devenue aujourd'hui une espèce de société industrielle d'exploitation.
                 Il faut cependant reconnaître cet avantage à ces entreprises qu'elles ne peuplaient leurs villages que des colons d'une même contrée ; les habitudes, les traditions de la Mère-Patrie y subsistaient et la concorde régnait toujours entre les nouveaux venus.
                 L'idée serait de faire de l'Algérie une sorte de mosaïque représentant les différentes provinces françaises en ayant soin de garder aux divers éléments qui viendraient coloniser un climat, un sol approprié à leur vie dans la Métropole, un genre de culture se rapprochant beaucoup de celui auquel ils s'adonnaient jusqu'alors.

                 Que faut-il retirer de ces quelques notes sur la situation de notre colonie au point de vue du peuplement français ? On est forcé d'admettre que si notre procédé actuel de colonisation a ses défauts, il a bien ses qualités ; cette introduction de l'élément purement français parmi l'élément indigène est le plus sûr moyen d'assimilation de ce dernier ; par le contact d'une civilisation avancée, par la vue de machines agricoles perfectionnées, il a déjà manifesté une certaine tendance vers une agriculture moins rudimentaire et plus rationnelle.
                 L'éducation de l'Arabe doit être notre but final si nous voulons faire de l'Algérie un pays qui rapportera à la France bien plus qu'il n'aura coûté, j'entends ici simplement l'éducation agricole. C'est une œuvre de longue haleine ; notre système de peuplement que l'on s'est plu à surnommer procédé de la tache d'huile est celui qui a donné les meilleurs résultats, à nous de le perfectionner.
                 En en ingurgitant un autre ce serait abandonner un solide édifice parce qu'il lui faut des réparations pour en construire un nouveau sur le sable.

George Vang
Les Clochettes algériennes et tunisiennes (04-01-1903)


LA METEO
Envoyé par M. Annie

         Un matin d'hiver un couple du nord écoute la radio. Avant de se lever ils entendent :

         - Nous annonçons 10 cm de neige aujourd'hui alors veuillez mettre vos voitures du côté pair de la rue pour le déneigement !"
         La femme se lève, s'habille précipitamment et va placer l'auto du côté pair.

         Le lendemain, ils écoutent encore la radio qui dit :
         Nous annonçons 15 cm de neige aujourd'hui alors veuillez mettre vos voitures du côté impair de la rue pour le déneigement !"
         La femme se lève, se dépêche et va placer l'auto du côté impair.
         Le lendemain, ils écoutent encore la radio:
         "Nous annonçons 30 cm de neige aujourd'hui alors
         Veuillez mettre vos voitures .....krrrrrrhhhrrrrr...bbzzz... "
         Et une panne d'électricité interrompt l'émission
         La femme perplexe regarde son mari et lui dit :
         -Qu'est-ce que je vais faire, il n'a pas dit de quel côté mettre l'auto ?"

         L'homme la regarde et lui dit alors, avec beaucoup de compassion,...mais alors avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de compassion :
         Et Pourquoi tu ne la laisserais pas dans le garage aujourd'hui ?"



L'assassinat de la gauche patriote
à la fin de la guerre d'Algérie
Par M Piedineri                           Partie2
LE PARTAGE !!!

               Un gâchis d'autant plus énorme que la plupart de ces hommes auraient volontiers accepté une solution de compromis pour peu qu'on ait voulu les écouter... C'est pourquoi Alfred Fabre-Luce, plaidant en juin 1961 pour une partition de l'Algérie, solution intermédiaire entre l'Algérie française et l'indépendance (c'est-à-dire accepter l'indépendance d'une grande partie de l'Algérie tout en conservant un morceau de territoire sur le littoral pour y regrouper Pieds-Noirs et musulmans du parti de la France), argumentait que " le premier et immense avantage d'une telle solution, c'est qu'elle permettra la réconciliation de tous les Français patriotes. On parle beaucoup, aujourd'hui, du danger de dictature militaire qui nous menace. Il serait beaucoup plus faible si les officiers rebelles n'étaient pas en mesure de se référer à des promesses solennelles faites par le pouvoir civil. Dans le cadre du projet que je préconise, toute trace d'impérialisme aura disparu, mais l'engagement pris envers les Européens d'Algérie et les Musulmans qui nous ont fait confiance pourra être tenu. L'honneur sera sauf et le " fascisme " perdra ainsi les justifications morales qu'il invoque " .(61)

               De même Alain Peyrefitte, invitant lui aussi à un partage de l'Algérie, présentait ce projet comme la meilleure façon, je cite, de " couper l'herbe sous le pied " de l'OAS. Ce qui est très juste, puisqu'il faut savoir qu'une fraction importante de l'OAS a cherché, en vain, à négocier ce partage de l'Algérie avec le gouvernement français en décembre 1961.
               Et figurez-vous qu'au moment même où cette fraction de l'OAS cherchait à déposer les armes en échange d'un partage de l'Algérie - c'est-à-dire en décembre 1961 -, au moment même, paraissait un manifeste rédigé par Alain Peyrefitte invitant à ce partage, manifeste rassemblant à la fois des personnalités de gauche et de droite, parmi lesquelles le socialiste André Blumel (ancien directeur de cabinet de Léon Blum), l'ancien député socialiste Léon Boutbien, le radical-socialiste Patrice Brocas, le prêtre Jean Daniélou, le futur prix Nobel d'économie Maurice Allais, le démocrate-chrétien Paul Coste-Floret, le diplomate Eric Labonne, ancien résident général au Maroc, le centriste Robert Hersant, des hommes de droite tels que le diplomate Jacques Chastenet ou l'écrivain Jean Dutourd ainsi qu'un certain nombre de gaullistes. C'est pourquoi réduire la guerre d'Algérie à un affrontement gauche/droite, serait largement exagéré. " Dans l'hypothèse d'une Algérie indépendante, indiquait le manifeste en question, tous ceux qui veulent demeurer attachés à la France, doivent disposer de garanties réelles et organiques. Si le F.L.N. persistait à écarter le principe d'un statut comparable à ceux qui ont été établis au Liban et à Chypre, seuls des cadres territoriaux nettement définis, permettant les regroupements nécessaires, sauvegarderaient efficacement les intérêts essentiels de chaque groupe humain [...]. Au cas, enfin, où un système fédéral (ou confédéral) se révélerait impraticable, il n'y aurait plus qu'un recours : le partage ".

               Même François Mitterrand, à l'époque sénateur de centre-gauche (et pas encore socialiste), déclarait au sujet du partage, en juillet 1961 au Sénat :
               " J'avoue que, personnellement, je n'ai pas encore fait le point sur ces questions. [...] Le partage est peut-être une solution commode, je le dis avec quelque peine. Il permet de conserver une partie de territoire intégré à la France, il permet à l'armée de continuer son devoir, il permet à la minorité européenne ainsi qu'à la minorité musulmane d'être en sécurité "(62) .
               François Mitterrand lui-même était donc plus patriote que Charles de Gaulle puisque comme on le voit, si ça ne tenait qu'à lui la France, aujourd'hui serait sans doute toujours présente en Algérie, la solidarité nationale aurait été respectée a minima, et les Pieds-Noirs et Harkis protégés comme il se doit.
               Autre exemple avec cet ancien maire Front populaire de Corse, qui, apportant son appui à cette solution dira qu'" en dehors de la partition, il n'y a que guerre civile en Algérie et en France. "(63) Une solution de ce type fut d'ailleurs préconisée dès 1957 par des députés radicaux qui allèrent jusqu'à déposer un projet de loi préconisant le partage.

               C'est pourquoi Alain Peyrefitte, en conclusion de son livre " Faut-il partager l'Algérie ? " paru à l'aube de l'année 1962, se réjouissant du fait qu'" un mouvement d'opinion est en marche " en faveur du partage écrivait que de nombreux témoignages inclinent à penser que le partage, " si l'espoir d'une solution négociée venait à s'évanouir, permettrait de refaire de la gauche à la droite - à l'exclusion, bien entendu, des extrêmes, ceux qui veulent tout garder ou ceux qui veulent tout lâcher - l'union des Français. "
               L'argument de Peyrefitte, sur un plan humain était d'ailleurs très simple : " Les Européens d'Algérie forment un peuple qui a sa singularité, expliquait-il. Les forcer à un exil massif, les détruire en tant que collectivité serait perpétrer une sorte de génocide [...]. Livrés sans garantie au bon plaisir du vainqueur, ils risqueraient d'être, jour après jour, victimes du fanatisme ou, au mieux, de la ruse. "(64) Sur le plan matériel également : " Au demeurant, continuait Peyrefitte, cet abandon aurait quelque chose d'absurde. En 1954, à 10 000 kilomètres de nos bases, après une lourde défaite militaire, un régime débile avait imposé la partition, sauvé le Sud-Vietnam, le Cambodge et le Laos de la domination du vainqueur. En Algérie, l'armée étant maîtresse du terrain, un régime fort abandonnerait tout le pays à des adversaires qui n'ont jamais pu s'y installer ? "

               Mais Peyrefitte ignorait alors une chose essentielle : de Gaulle, dans le secret de son bureau, aspirait à devenir le leader du Tiers-Monde, et ce phantasme, rien ni personne, pas même le plus élémentaire respect du droit des gens et de la parole donnée, ne pouvaient l'empêcher de vouloir le réaliser. Et pour faire de la France le pays leader du Tiers-Monde (dont le monde arabe était un des principaux acteurs), il fallait obligatoirement que celle-ci se couche devant Nasser, le FLN et surtout le GPRA :
               " Le général de Gaulle rêve de regrouper sous son autorité morale et politique les Etats du Tiers Monde dans le but de constituer entre le colosse russe et le colosse américain une force capable de se faire entendre et respecter, dont il serait l'animateur et le porte-parole. Ainsi se réaliserait son ambition personnelle : jouer l'un des tout premiers rôles sur la scène mondiale. Or, dans ce bloc des Etats " non engagés ", qu'il s'agit d'engager sous la conduite du Président de la République française, la présence du monde arabe et arabiste est indispensable. Il doit y tenir un rôle important, y occuper une des premières places. Sans lui, toute la combinaison politique et stratégique s'effondre. [...] Il faut donc ne pas heurter le monde arabe. Il faut se le concilier. Impossible de se brouiller avec Ben Bella qui apparaît, au même niveau que Nasser, prophète et chef de l'arabisme ", a écrit Marcel-Edmond Naegelen en 1965. C'est donc en grande partie cette chimère géopolitique tout à fait dérisoire, pour ne pas dire grotesque, qui a empêché toute solution de compromis dans le règlement du conflit algérien...

               Qu'on en juge par ce témoignage d'André Malraux, dans les derniers mois de la guerre : " Pour le Général, toute solution est bonne qui lui permette d'en finir rapidement avec l'affaire d'Algérie. Le temps presse. Et il faut avoir les mains libres pour engager la grande politique planétaire entre les deux blocs, qu'il est seul à pouvoir mener et qui est seule digne de la France "(65) . Quant aux Pieds-Noirs et aux musulmans compromis avec la France, que peuvent-ils bien peser face à ces projets " grandioses " ? Absolument rien. De Gaulle l'a dit, trois ans après son " Je vous ai compris ! ", et de façon très claire : à Alain Peyrefitte l'alertant sur le désastre qu'allait provoquer sa politique il répondra : " Mais nous n'allons pas suspendre notre destin national aux humeurs des pieds-noirs ! "
               " Il serait impensable que la métropole et le FLN s'unissent pour anéantir la communauté européenne "(66) d'Algérie, s'indignait un ancien Gouverneur de l'Algérie dans les derniers mois de la guerre. Hélas l'impensable est devenu possible.
               Ainsi pour devenir chef du Tiers-Monde - mais aussi pour d'autres raisons -, le général de Gaulle, a trahi et sacrifié ses propres compatriotes à l'ennemi ; il a préféré s'allier au FLN, au Parti communiste et aux gauchistes plutôt que de rechercher, selon le vœu de Fabre-Luce, " la réconciliation de tous les Français patriotes ", et de " refaire, comme le préconisait Peyrefitte, l'union des Français de la gauche à la droite ".
               Erreur fatale. Fatale...

               Le socialiste Marcel-Edmond Naegelen a très bien décrit cet épisode de la fin de la guerre d'Algérie :
               " Les Français de la métropole qui essayèrent de rappeler et de prouver que d'autres solutions, plus justes et plus heureuses pour l'Algérie et pour la France, que celle qui chassa les Français algériens de leurs foyers, étaient possibles, se virent accuser non seulement de colonialisme, mais de fascisme, de chauvinisme, de racisme, et furent traités de " pourvoyeurs de la mort ". Ils étaient les mauvais Français ; contre eux s'acharnaient avec une particulière véhémence les braillards qui en mai 1958 hurlaient " Algérie française ! " On fit de ces résistants des complices de l'O.A.S., dont ils condamnaient les erreurs et les méthodes. Ce qui était un excellent moyen de les vouer à l'exécration des foules et de les condamner au silence. Des perquisitions, des arrestations invitèrent à la prudence les obstinés qui annonçaient les conséquences néfastes de cette politique de total abandon et les malheurs qu'elle entraînerait. "(67)

               Au risque de nous répéter, c'est donc avant tout dans cette collaboration apparue dans les derniers temps de la guerre d'Algérie entre la droite gaulliste, le FLN et la gauche dite anticolonialiste, et dans le refus du général de Gaulle de rechercher " la réconciliation de tous les Français patriotes " de droite et de gauche, que l'on peut comprendre la situation catastrophique et le désastre identitaire que subit aujourd'hui la France. A " l'axe Juin-Lacoste " de 1956 (quand le maréchal Juin, plutôt classé à droite, saluait vigoureusement l'action de répression du FLN menée par les socialistes au pouvoir), axe rassemblant, certes avec ses fragilités, les Français patriotes de toutes obédiences politiques et excluant l'extrême gauche, a succédé " l'axe de Gaulle-Sartre " de 1962 - pour ne pas dire " l'axe de Gaulle-FLN " -, jusqu'à ce jour jamais remis en question.

               Ainsi que l'a écrit Dominique Venner :
               " A une quinzaine d'années de distance, 1944-1945 et 1960-1962, les deux périodes de gouvernement du général de Gaulle furent marquées par une guerre intérieure où ses aptitudes se révélèrent écrasantes. Dans ces deux circonstances, une logique infernale voulut qu'il s'opposât à des hommes appartenant à sa famille spirituelle. Les traitant en ennemis, il s'appuya pour les vaincre sur les forces les plus contraires à ses valeurs. A deux reprises et successivement, en brisant ainsi ceux qui lui étaient le plus proches, il ouvrait la voie aux germes de la décadence et de la nuit.
               Sans l'avoir compris, en assimilant ses opposants à des traîtres, en rejetant ses patriotiques adversaires hors de la communauté nationale, dont il confiait les clés aux communistes, le général introduisait en France une logique d'exclusion totalitaire dont le pays n'est plus sorti. " (68)

               En réalité on peut dire que la guerre d'Algérie, en France, a opposé deux partis : le Parti de la soumission (ou " Parti de l'inéluctable ") contre le Parti des Hommes libres.
               - Le Parti de la soumission (ou " Parti de l'inéluctable "), certes majoritairement de gauche, rassemblait à la fois des hommes de gauche et de droite - de la même manière que les " collabos " sous l'Occupation - pour réclamer la livraison de l'Algérie au FLN, jugée " inéluctable " : de Jean-Paul Sartre à François Mauriac et Maurice Couve de Murville en passant par Jules Roy (écrivain Pied-Noir et ancien militant d'extrême droite, qui prit parti pour le FLN) et Jean Daniel, et de Pierre Vidal-Naquet à Raymond Aron, jusqu'au général de Gaulle (" Le temps travaille contre nous ! L'Algérie, ça nous gangrène ! Ça gangrène notre jeunesse ! Mieux vaut s'en aller la tête haute que de rester au prix du sang " ; " Il faut faire glisser ce fardeau de nos épaules. Il nous épuise " ; " La guerre ne serait pas finie. Elle se poursuivrait sous d'autres formes. Et nous y serions entraînés malgré nous ", dira en effet le général de Gaulle en 1961, pour justifier son refus d'un partage de l'Algérie. Tenus par d'autres que lui, de tels propos seraient à juste titre considérés comme " défaitistes ", " pacifistes ", " munichois ", et une telle attitude comme étant celle d'un " capitulard " et d'un " traître ").

               - Le Parti des Hommes libres, à l'instar de la Résistance, unissait également des personnalités de droite et de gauche, dont l'objectif commun était de résister à l'ambition dévorante du FLN, de l'impérialisme arabe et du panislamisme conquérant. Parti allant du Pied-Noir de gauche Albert Camus à Jean-Marie Bastien-Thiry, de Robert Lacoste au maréchal Juin, de Maurice Allais à Georges Bidault, du journal " Combat " à " L'Aurore ", etc.
               Il se trouve que c'est le Parti de la soumission qui l'a finalement emporté - pour ne pas dire qu'il a triomphé - en écrasant, en calomniant son adversaire, et qui aujourd'hui détient toujours le pouvoir politique et intellectuel en France. Mais cela n'empêche pas que la lutte doit continuer, et les Hommes libres d'aujourd'hui peuvent légitimement s'inspirer de la lutte de leurs aînés contre le FLN et ses alliés, dans l'espérance d'une victoire future. Que l'on relise ces mots du Colonel Chateau-Jobert, grand Résistant, compagnon de la Libération, et plus tard chef de l'OAS dans le Constantinois. Des mots qui, datant de mars 1962 n'ont cependant pas pris une ride :
               " Rien n'est perdu. L'Histoire est " évolution ". Pourquoi cette évolution s'arrêterait-elle à un stade arbitrairement défini a priori ? - L'Algérie avec la France, la " partition ", l'Algérie dans la République ?... Mots pour l'instant vides de réalisme et d'actualité, même si, plus tard, ils permettent de définir une situation à un moment donné. La paix n'est plus le résultat statique d'un accord ; il n'y a pas de vrai accord entre deux idéologies opposées sur les principes mêmes du Droit, du Bien, du Vrai. Il n'y a que des étapes où l'on constate qu'il a marqué un point et l'autre qu'il a perdu : et la lutte continue.

               Ce qui importe : c'est que l'évolution des faits se fasse dans le sens considéré comme souhaitable. Pour les uns, ce sera l'abandon. Niant l'évidence confirmée tous les jours, pensent-ils qu'un abandon peut donner la paix ? un abandon, victoire de l'adversaire, justifie de sa part d'autres revendications, d'où de nouveaux abandons à consentir pour courir après une " Paix " qui leur sera toujours refusée. "(69)
               Comment en effet ne pas faire le lien entre ces collaborateurs qui en 1941 appelaient à se ranger derrière l'Allemagne pour la simple raison qu'ils s'attendaient à ce que ce pays gagne la guerre, et les partisans Français du FLN ne jurant que par un prétendu " sens de l'Histoire ", quand bien même ce " sens de l'Histoire " occasionne drames et injustices en série ? Collaborationnistes et militants de " la paix en Algérie " partagent aussi une certaine forme de pacifisme à tout prix, une volonté d'apaisement et de conciliation toute munichoise.

               Voilà pour le facteur " collabos ". Venons-en maintenant au facteur " dhimmi " :
               " A vrai dire, l'Algérie française et Israël étaient l'une et l'autre les deux môles sur lesquels devaient se briser la vague totalitaire dont Nasser est l'expression. Il était clair qu'aussitôt tombé un de ces deux bastions, l'ambition panarabe commencerait à brandir ses armes contre l'autre : c'est évidemment ce qui se passe aujourd'hui.
               La défense de l'Algérie et celle d'Israël formaient, pour qui sait voir, un tout, et nos adversaires clairvoyants ne s'y sont pas trompés. Mais [...] on préfère, au sommet du régime, courir après " l'amitié " des leaders panarabes, illusion coûteuse qui ne peut nous valoir que déceptions et sarcasmes "
(70) , affirmait Jacques Soustelle deux ans après la livraison de l'Algérie au FLN.

               Rien d'étonnant, par conséquent, à ce que cette livraison de l'Algérie au FLN ait coïncidé avec la naissance de ce que l'on appelle communément la " politique arabe de la France ", véritable tournant, à l'époque, de la politique étrangère de notre pays (71). Le fait est que la plupart des sympathisants Français du FLN se signaleront ensuite par leur hostilité à Israël (de Gaulle le premier), certains, allant même jusqu'à soutenir le terrorisme palestinien. Bien qu'il existe une différence de taille : Israël, dans son malheur, " profite " en effet de la compassion et de la mauvaise conscience de nombreux Occidentaux envers le peuple juif créées par la Shoah, mauvaise conscience empêchant y compris les opposants les plus acharnés d'Israël à prendre parti contre ce pays de manière aussi virulente qu'ils ont pu le faire jadis contre les Européens d'Algérie (72). Cela dit, c'est bien la même idéologie pro-arabiste, pacifiste, tiers-mondiste, anti-occidentale et " anticolonialiste " que l'on retrouve chez les amis du FLN comme chez ceux des Palestiniens. Et il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un Lucien Bitterlin, ancien chef des " barbouzes " (police secrète envoyée par de Gaulle en Algérie pour lutter contre l'OAS avec l'aide du FLN et ayant usé des pires tortures contre ses adversaires), non content d'avoir favorisé l'exode de plus d'un million de ses compatriotes d'Algérie, se soit ensuite reconverti dans la lutte pro-palestinienne à la tête de l'" Association de Solidarité Franco-Arabe ", association ayant pour vocation de soutenir la " politique arabe " du président de Gaulle et symbolisant à elle seule " l'axe de Gaulle-Sartre " puisque parrainée à la fois par des gaullistes historiques et par des gauchistes tel le socialiste André Philip, un des militants
" anticolonialistes " et pro-FLN les plus passionnés de la guerre d'Algérie.

               Rien de plus logique : les mêmes qui pensaient que le seul moyen de gagner " la paix " en Algérie passait par l'élimination des Pieds-Noirs, estimeront par la suite que le règlement du conflit israélo-arabe passe par la disparition du " sionisme " - pour ne pas dire " des Israéliens ". Et ainsi de suite jusqu'au jour où les mêmes plaideront peut-être pour une partition du territoire français ou de l'Europe, pour négocier " la paix " face à certains descendants turbulents de l'immigration musulmane - à moins qu'ils ne consentent à tout lâcher tout de suite. Aussi les mêmes dégénérés qui ont cru ou ont fait mine de croire à la coexistence entre Pieds-Noirs et musulmans dans une Algérie FLN indépendante arabe et islamique, nous expliqueront ensuite, sans rire, que les Juifs pourront très bien se maintenir en Palestine une fois Israël démantelé et l'établissement sur ses ruines d'un Etat nationaliste arabe.

               Cette attitude a sa logique : la soumission. Et l'on peut se demander si la guerre d'Algérie ne fut pas le premier épisode de cette soumission que la chercheuse juive chassée d'Egypte Bat Ye'or a nommé la " dhimmitude ". Porteurs de valises du FLN, partisans - de droite ou de gauche - d'un bradage total de l'Algérie en dépit de toutes les conséquences gravissimes que cette solution impliquait, ressemblent en effet beaucoup à des " dhimmis " volontaires, se soumettant à l'arabo-islamisme sans que les combattants du FLN eux-mêmes ne leur aient rien demandé. La preuve avec cette déclaration de M. Boumendjel, haut dirigeant du FLN, qui, dans une interview en 1961, à la question d'un journaliste espagnol " ne vous paraît-il pas logique que la France lutte ? " répondait calmement : " Evidemment, nous ne pouvons demander aux colonialistes qu'ils se suicident. Il est très normal qu'ils se défendent de toutes leurs forces. "(73) Mais le suicide aura bien lieu !

               Dernier avatar du collaborationnisme, première esquisse de la future " dhimmitude " de nombreux Européens : avec le recul, il est permis de penser que c'est dans cette séquence historique que se situe la guerre d'Algérie.
               Même le phénomène de la " repentance ", on l'oublie trop souvent aujourd'hui, trouve sa source dans la capitulation de 1962 et dans cette soumission du général de Gaulle au FLN et à la gauche anticolonialiste. En effet LES " ACCORDS DE PAIX " D'EVIAN, IMPLIQUENT AUSSI ET SURTOUT LE DESARMEMENT MORAL A LONG TERME DE LA FRANCE ET DE L'OCCIDENT, là où, comme l'a si bien écrit Jacques Soustelle, " il est grave de perdre un territoire, mais il est mortel de renier ses propres maximes. Or, en dépit du camouflage psychologique et des homélies moralisantes sur la " décolonisation ", le fait brutal est que la France et l'Occident ont lâchement capitulé devant la violence et accepté comme norme une doctrine fondée sur le racisme et le fanatisme religieux, qui constitue la négation même de leurs principes fondamentaux. "(74)

               Pour en revenir à la repentance, il faut savoir en effet que les " partisans de l'Algérie française ", de Camus à Soustelle en passant par Georges Bidault, alertaient constamment, au moment de la guerre d'Algérie, sur le danger de la mauvaise conscience qui commençait à ronger l'Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi Soustelle, regrettait le fait que " notre maladie nationale, en cette deuxième moitié du XXe siècle, c'est la mauvaise conscience " , mauvaise conscience(75) conduisant selon lui " des démocrates épris de progrès humain à applaudir aux exploits sanglants de fanatiques rétrogrades, imbus d'un esprit théocratique et totalitaire ", quand Georges Bidault, autre partisan de l'Algérie française - après avoir été le successeur de Jean Moulin à la tête de la Résistance -, déplorait dans l'attitude de trop nombreux intellectuels Français " une sorte de consentement fébrile au déclin, une disposition permanente à nous mettre en accusation nous-mêmes ", ainsi qu'" un comportement à base de culpabilité nationale "(76) . Albert Camus enfin avertissait : " Il est bon qu'une nation soit assez forte de tradition et d'honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même. Il est dangereux en tout cas de lui demander de s'avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence perpétuelle " (77). Pour ce qui est du camp adverse, il suffit de lire quelques textes d'" anticolonialistes " et autres opposants à la guerre d'Algérie, qu'ils fussent le fait de chrétiens, de progressistes ou de gauchistes, pour comprendre à quel point la haine de soi et de de leur civilisation imprégnait les esprits de ces gens, tout juste sortis de la Seconde Guerre mondiale et des horreurs des crimes nazis. Pas de doute, la guerre d'Algérie, la décolonisation, fut bien un moment charnière de l'Histoire de l'Occident, qui vit s'affronter les tenants d'une volonté de vivre contre les tenants du suicide.

               Mais la thèse de Camus, Bidault et Soustelle ayant été vaincue par " l'axe de Gaulle-Sartre ", il est malheureusement tout à fait logique qu'une courte majorité de Français (52 %), d'après un récent sondage, souhaitent aujourd'hui que leur pays fasse des excuses à l'Algérie pour " la colonisation ", ou qu'un candidat à la présidence de la République aille à Alger accuser la France de " crime contre l'Humanité ".
               Car il faut savoir également que ces champions du " droit des peuples à disposer d'eux-mêmes " qui prirent parti pour le FLN, s'opposeront y compris, par esprit de repentance, à une indépendance algérienne bâtie sur un mode fédéral ou confédéral, c'est-à-dire grosso modo à un partage, partage qui relevait pourtant d'une simple application du " droit des peuples à disposer d'eux-mêmes " au peuple Européen d'Algérie. Ainsi ces lâches et ces soumis, simplement pour obtenir " la paix " et par mauvaise conscience, étaient prêts à tout lâcher, tout sacrifier, à refuser toute solution de compromis, quitte à provoquer exode et massacres de masse en livrant leurs propres frères aux tueurs djihadistes du FLN. " Le partage, c'est la guerre ", " Le FLN n'en voudra pas ", disaient-ils. Et " L'Express ", journal ayant très tôt soutenu la cause du FLN, de s'opposer vigoureusement à toute idée de partage, tandis que le journal " Combat ", de sensibilité plus " Algérie française ", se ralliera peu à peu à cette idée dans les derniers mois de la guerre .(78)

               Ainsi Alain Peyrefitte, défenseur du partage et décrivant les réactions de ceux qui s'opposaient à cette solution expliquait que " la plupart " de ces réactions " me paraissent dénoter un certain complexe de culpabilité ; comme si la France, collectivement, avait commis un crime inexpiable ; comme si elle devait coûte que coûte arracher de ses épaules une tunique de Nessus. " (79) On le voit, le phénomène de la repentance est donc intimement lié à la solution apportée à la guerre d'Algérie, et il est à peu près certain que si de Gaulle n'avait pas capitulé devant le FLN, jamais un tel état d'esprit n'aurait été si répandu en France ainsi qu'en Occident. Il n'y a rien d'étonnant, en effet, à ce que ce sentiment de culpabilité, cet esprit de repentance, après avoir triomphé en Algérie se soit ensuite perpétué jusqu'à nos jours. C'est ce que l'on appelle une suite logique ! Idem pour cette idée absurde selon laquelle les Pieds-Noirs n'auraient pas été vraiment " chez eux " en Algérie, puisque arrivés seulement quelques siècles plus tard que les conquérants arabo-musulmans. L'idéologie anticolonialiste, ayant eu en effet comme conséquence ô combien désastreuse de faire apparaître, dans l'esprit de la plupart des Français, les arabo-musulmans d'Algérie comme de malheureux indigènes spoliés et opprimés par de méchants colons qui n'avaient " rien à faire là-bas ", avec derrière cela l'idée qu'une " réparation " s'imposerait, idée justifiant bien d'autres compromissions futures (c'est pourquoi la figure du pauvre indigène opprimé par les colons a vite fait place, en toute logique, à celle du pauvre immigré arabe maltraité par sa société d'accueil et victime du racisme).

               Alain Peyrefitte avait donc bien raison de répondre à cela :
               " Depuis quand le droit international a-t-il consacré un droit du premier occupant ? Les Maoris ne seraient-ils pas fondés à exiger le départ des Néo-Zélandais, [...] les Indiens celui des Américains du Nord ou du Sud ? Les Kabyles, le départ des Arabes ? [...] Parmi les cent pays de l'O.N.U., y en a-t-il beaucoup qui seraient à l'abri d'un tel droit ? Si l'on veut s'engager sur la pente de la justification historique, il faudrait aussi rappeler qu'avant de passer sous la domination arabe, l'Algérie fut placée sous une domination européenne : elle fut peuplée de Latins avant de l'être d'Orientaux. Elle fut chrétienne avant d'être islamique. " (80)
               C'est pourquoi Alfred Fabre-Luce comme le diplomate Eric Labonne, tous deux avocats du partage, y voyaient également un " moyen légitime pour défendre l'Occident dans cette terre qui lui a appartenu jusqu'à l'invasion arabe et qu'il a reconquise depuis cinq générations " (81).

               Et, fait essentiel, il faut savoir que le général de Gaulle était lui-même imprégné de cette mauvaise conscience et de cet esprit de repentance puisque, refusant finalement le partage après en avoir peut-être caressé l'idée il dira à Peyrefitte :
               " En Algérie, les Arabes ont l'antériorité ; tout ce que nous avons fait porte la tache ineffaçable du régime colonial. Le foyer national des Français d'Algérie, c'est la France " .(82)
               OU L'ON VOIT UN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ADOPTER LE LANGAGE D'UN TRACT DU FLN...
               Jacques Soustelle l'avait également remarqué, écrivant que, " peu porté à la sentimentalité, [de Gaulle] partage pourtant la conviction des progressistes que tout ce qui n'est pas l'indépendance demeure une forme de domination [...]. On est parti d'une image d'Epinal (le " peuple algérien " opprimé par les méchants colons) qui n'avait aucun rapport avec la réalité. " (83)

               Pour le général de Gaulle comme pour les grandes âmes de la " gauche morale ", les Pieds-Noirs et les harkis ne méritaient par conséquent que la valise ou le cercueil. Et leurs héritiers, aujourd'hui ont le culot de traiter tous ceux qui ne pensent pas comme eux de " nostalgiques de l'Algérie française ", alors qu'eux-mêmes ont refusé catégoriquement une indépendance permettant à toutes les populations d'Algérie de pouvoir y vivre libre ! En réalité ces gens - et on ne le dira jamais assez -, refusaient non seulement l'Algérie française, mais également toute forme d'indépendance fondée sur la justice et l'équité. Pour obtenir " la paix ", se disaient-ils, la seule solution est de se faire hara-kiri. C'est pourquoi cela relève de l'évidence de dire que les " accords de paix " d'Evian ont introduit en France une logique de soumission.
               Les hommes du " Comité de Vincennes ", rassemblement de personnalités de toutes tendances politiques de la gauche à la droite, réunis à partir de juin 1960 pour s'opposer à la politique algérienne du général de Gaulle, dénonçaient un défaitisme qui selon eux engagerait le pays " pour plus d'un siècle "(84) ... N'étaient-ils pas visionnaires ?

               Les accords d'Evian, si l'on y réfléchit bien, ont ouvert la voie royale à l'auto-sabordage de l'Europe. On a pris parti pour l'Autre contre soi-même, pour l'ennemi contre le compatriote fidèle, pour l'Arabe contre l'Européen, pour le musulman contre le chrétien, pour le musulman anti-occidental contre le musulman pro-occidental, pour les égorgeurs contre les égorgés, pour le défaitisme contre la persévérance, pour le Tiers-Monde contre l'Occident, pour la barbarie contre la civilisation.
               Car enfin, Isabelle la Catholique a expulsé les musulmans d'Espagne, pas les catholiques. Les Turcs musulmans ont chassé de l'Asie mineure les chrétiens Grecs, et non d'autres musulmans. Aussi ignominieux que soient ces actes, il faut leur reconnaître une certaine logique : ce sont des peuples considérés comme " ennemis " qui en ont été les victimes. Les Français, les chrétiens d'Algérie, eux, ont été chassés de leur pays avec la complicité de leur propre nation, la France, la fille aînée de l'Eglise... Une telle monstruosité, une telle absurdité défie toutes les lois de la logique et de l'Histoire. C'est pourquoi l'abandon des Pieds-Noirs est plus qu'un crime : c'est une faute.

               " L'Algérie a engagé aujourd'hui une lutte grandiose pour la liberté, l'arabisme et l'islam ", annonçait la radio du Caire le 1er novembre 1954, jour du déclenchement de la guerre d'Algérie. Une fois le christianisme et la latinité éradiqués définitivement d'Afrique du Nord grâce à l'alliance Charles de Gaulle/FLN, l'impérialisme arabe s'est consacré à un autre ennemi : Israël. Ce sera, en juin 1967, la guerre des Six-Jours. Et la même radio du Caire annoncera : " La détermination irrévocable des peuples arabes est d'effacer définitivement Israël de la surface de la terre. " Mais, cette fois il n'y eut pas de Charles de Gaulle israélien pour livrer son pays et ses concitoyens à l'ennemi. Israël a vaincu les armées arabes. Il fallut donc ouvrir un nouveau front : ce fut le Liban des chrétiens Maronites. Un proche conseiller du dictateur Egyptien Nasser, leur lancera un avertissement ayant le mérite d'être très clair : " Il y a plus de sept siècles que ces Phéniciens, bâtards de l'arabisme, se sont placés sous la protection de la France [...]. Mais la France ne peut plus vous protéger, car l'arabisme et l'Islam règnent aujourd'hui souverainement au Liban. "(85) Et ce fut la guerre du Liban, de 1975 à 1990. La question qui se pose, maintenant, est : à qui le tour ? à la France ?
               Il est vrai que les Européens d'Algérie, les Israéliens comme les chrétiens du Liban avaient comme point commun d'être en quelque sorte les " remparts de l'Occident ", à la frontière entre mondes européen et musulman. Détruisez l'un de ces remparts - c'est-à-dire, en l'occurrence, détruisez les Européens d'Algérie -, et vous obtenez la situation de la France actuelle... C'est pourquoi il est tentant, pour certains Etats arabes ou organisations islamistes, de chercher à détruire les deux autres. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ces trois peuples aient également comme point commun d'être mal vus d'une grande partie des Occidentaux, puisque comme chacun sait le propre de l'Homme Occidental moderne est de préférer ses ennemis à ses propres frères et amis. Les Pieds-Noirs ? Des fascistes, des colons qui ont mérité leur sort (c'est d'ailleurs ce que pensait de Gaulle lui-même : " Pour de Gaulle, les pieds-noirs sont responsables de leur sort. Ils sont coupables de la guerre elle-même. Ils ne méritent aucune indulgence "86() , a écrit Dominique Venner). Les Israéliens ? Les oppresseurs du malheureux peuple Palestinien. Les chrétiens du Liban ? Des bourgeois réactionnaires qui défendent leurs privilèges et cherchent à maintenir leur " domination " sur les musulmans :
               " Il faut bien le reconnaître, les chrétiens libanais, plus spécifiquement les Maronites, n'ont pas eu bonne réputation, et cela a largement transparu dans la presse occidentale, écrit René Guitton, à propos de la guerre du Liban. [...] Pour certains, il y avait les bons, les Musulmans qualifiés de camp islamo-progressiste, et les méchants, les chrétiens des Phalanges " . (87)

               Hier, ce fut les " bons " fellagha et les " méchants " Pieds-Noirs de l'OAS...
               Et une journaliste chrétienne du Liban de dénoncer l'abandon par la France de sa communauté en ces termes :
               " Pourquoi vos curés choisissent-ils de pleurer les Palestiniens et de ne jamais évoquer les religieuses et les prêtres libanais exécutés comme du bétail ? Qu'avons-nous fait pour que vous ne nous aimiez plus à ce point ? "
               Pourquoi ? Mais tout simplement parce que ces mêmes curés Français, hier, préféraient pleurer les fellagha plutôt que leurs compatriotes victimes du terrorisme, quand ils n'armaient pas eux-mêmes les terroristes ! Et parce que la politique du général de Gaulle, en livrant l'ensemble de l'Algérie et de ses habitants à ces mêmes fellagha, a donné entièrement raison à ces curés dits " progressistes ", leur donnant une aura, un pouvoir médiatique dont ils n'auraient jamais pu rêver autrement. En effet comment la France pourrait-elle défendre sérieusement la cause des chrétiens d'Orient, quand elle n'a même pas su ni même voulu défendre les chrétiens d'Afrique du Nord, pourtant de nationalité française, préférant les livrer sans défense à un groupe d'islamistes fanatisés ?

               Pieds-Noirs, Israéliens et chrétiens Maronites du Liban ont enfin et surtout comme point commun d'avoir voulu échapper au système de la dhimmitude, ce quasi-esclavage, cette soumission infâme du non-musulman à la loi de l'islam. Et refuser la dhimmitude, c'est s'exposer à de gros, de très gros risques...
               En effet les Pieds-Noirs, en cherchant à s'affranchir de la soumission à l'islam, ont rompu le " pacte " séculaire de la dhimma. Voilà leur crime. Car, dit la loi musulmane, quiconque rompt ce " pacte " s'expose aux plus terribles représailles ...(88) L'islam, c'est un fait, a toujours admis la présence d'autres religions que dans un rapport de soumission et d'humiliations permanentes. Etre dominé par des chrétiens doit donc être tellement traumatisant pour certains musulmans (quand bien même ces chrétiens se comporteraient avec eux de la façon la plus humaniste qui soit), cette domination renversant à un tel point la hiérarchie rêvée de l'islam, que le musulman rebelle ne peut finalement concevoir sa libération que par un châtiment exemplaire, une vendetta.

               La guerre d'Algérie, fut un djihad qui ne voulut pas dire son nom. Et la spoliation des biens des Pieds-Noirs, rien d'autre qu'une gigantesque razzia à l'antique.
               " Les chrétiens à la mer ! ", voilà, au-delà de l'idée légitime d'indépendance, l'objectif inavoué de cette guerre. Objectif atteint.
               C'est dans cette pulsion séculaire fortement enracinée, ce que Marc Bloch appelait " les obscures profondeurs de la vie mentale "(89) , qu'il faut en effet comprendre l'attitude du FLN vis-à-vis des Européens d'Algérie. Qu'est-ce que l'Algérie française ? L'Algérie française, c'est l'histoire de l'esclave chrétien et du juif persécuté d'hier (c'est-à-dire de l'Algérie d'avant 1830 (90)) devenus grâce à la conquête française les " maîtres " du pays, et c'est tout simplement cela que n'ont pas supporté certains personnages belliqueux. Voilà la véritable raison de l'exode de 1962, et du slogan " la valise ou le cercueil ". C'est ainsi seulement qu'il faut comprendre la volonté du FLN de " redonner à l'islam sa place " : la place du maître, qui dispose comme bon lui semble de ses " protégés " juifs et chrétiens. " Quand l'Infidèle est le plus fort, courbe-toi, / Mais s'il est faible, alors chasse-le ", rappelait opportunément aux musulmans le FLN à la fin de la guerre d'Algérie. Voilà le seul " sens de l'Histoire " auquel croyaient la plupart des combattants du FLN, même sens de l'Histoire auquel croiront les terroristes Palestiniens et ceux des musulmans qui visent la destruction du christianisme libanais.

               Pour en revenir à Israël, notons que Jacques Soustelle, Marcel-Edmond Naegelen et Georges Bidault comme Albert Camus, quatre hommes qui, bien qu'ayant de nombreuses divergences politiques se rejoignaient toutefois pour refuser de céder au diktat du FLN, rejeter le tiers-mondisme, le panislamisme et le " sens de l'Histoire ", étaient tous solidaires de ce petit pays. Est-ce le hasard ?
               En effet il faut savoir qu'avant le passage du général de Gaulle au pouvoir, qui vit successivement, en 1962, l'abandon des Pieds-Noirs aux tueurs du FLN, puis, en 1967, à l'occasion de la guerre des Six-Jours, le lâchage d'Israël au profit des pays arabes les plus extrémistes, la quasi-unanimité de la classe politique française, à l'exception de la gauche communiste et d'une fraction de l'extrême droite, soutenait vigoureusement Israël, pays dont la France était alors le principal allié. Inversement, Israël était l'un des principaux soutiens de la France dans sa lutte contre le FLN, et l'OAS elle-même chercha à nouer des contacts avec ce pays. Il aura fallu les " accords d'Evian " pour que s'amorce un changement radical du rapport entretenu par la France et les Français envers Israël, où l'on vit apparaître contre lui une sorte de coalition " anti-impérialiste " rassemblant communistes, gauchistes, progressistes et de nombreux gaullistes, ayant eu pour effet de détériorer progressivement son image.

               La politique gaulliste en Algérie, les " accords d'Evian " ont abouti à ce que les thèses du FLN et du Parti communiste des années 1950, sur l'Algérie comme sur le conflit israélo-palestinien, soient devenues la doctrine quasi-officielle de l'Etat français. C'est la raison pour laquelle un président de la République classé à droite, le gaulliste Jacques Chirac, en visite en Algérie en 2003, a pu s'humilier en allant déposer une gerbe de fleurs devant le monument aux " martyrs " du FLN... Même Jacques Chirac qui, apôtre de la " politique arabe " de la France, fut d'ailleurs très proche de Yasser Arafat, le chef des terroristes Palestiniens. Chirac coche d'ailleurs toutes les cases puisqu'à ceux qui dans les années 1980 l'invitaient à soutenir davantage les chrétiens du Liban menacés - ce qu'il refusait de faire -, il répondait, à propos d'eux : " Ces gens ont abandonné leur pays. Ils ne pensent qu'à l'argent " (91). Mépris qui n'est pas sans rappeler celui du général de Gaulle envers les Pieds-Noirs d'Algérie.

               Jacques Soustelle, dès 1964, déplorait que " la France officielle ", en signant les accords d'Evian avec le FLN, accords consistant selon lui à nier " l'existence et le droit de vivre d'un des deux peuples de l'Algérie " (en l'occurrence le peuple pied-noir), se soit " ralliée au dogme panarabe " et se soit par conséquent " reniée elle-même ". Près de soixante ans après, rien n'a changé.
               La mise à l'écart de la gauche et la droite " Algérie française ", et son corollaire, " l'axe de Gaulle-Sartre ", ont donc eu des conséquences non seulement sur la politique intérieure, mais également sur la politique extérieure de la France. De Gaulle, nous l'avons vu, en mettant fin à toute présence française quelle qu'elle soit en Algérie comme en Afrique, voulait faire de la France le pays leader du Tiers-Monde, en cherchant, pour cela, à plaire aux Etats arabes (grands producteurs de pétrole) et à se rapprocher de certains pays communistes, dans le but d'affaiblir l'Amérique et le camp occidental. La voie ayant été tracée par le " grand Charles ", ses successeurs ont dû suivre... jusqu'à faire de la France elle-même un pays du Tiers-Monde !

               Les parcours de deux intellectuels, Michel Grimard et Philippe de Saint-Robert, décrits dans le livre " Chirac d'Arabie ", illustrent bien la profonde dérive d'une partie du mouvement gaulliste au lendemain de la guerre d'Algérie :
               C'est le même enthousiasme qui a porté les pas de Philippe de Saint-Robert vers cette région du monde. Jeune intellectuel gaulliste, il publie en 1970 Le jeu de la France en Méditerranée, première tentative de théorisation de la politique arabe de la France. Découvrant cette région juste après la guerre des Six-Jours, il se rend en Libye dès 1969, puis en Irak en 1971. A Paris, il se lie avec [Mahmoud] Hamchari, le représentant de l'OLP [Organisation de Libération de la Palestine], et prend l'habitude d'évoquer ces sujets lors de tête-à-tête avec Pompidou. [...]
               Par leurs écrits et leurs attentes, ces hommes et ces femmes ont planté le décor et fourni le substrat émotionnel de ce qui devait devenir la politique arabe de la France. "(92)

               Mais ce n'est pas tout : le Mahmoud Hamchari en question, représentant des terroristes Palestiniens de l'OLP en France, par l'intermédiaire de son " ami " le gaulliste Philippe de Saint-Robert, aurait fait passer ce message de menaces au président de la République Georges Pompidou : " Aussi longtemps que la France [maintiendra] son embargo sur les ventes d'armes à Israël, il n'y [aura] pas d'attentats en France. "(93) Et voilà des Français qui, après avoir cédé entièrement au chantage des terroristes du FLN, doivent ensuite gérer le chantage au terrorisme de leurs " amis " Palestiniens !

               Evoquons aussi Louis Terrenoire, figure du gaullisme qui en 1971 se rendit à Alger en compagnie du barbouze Lucien Bitterlin pour y rencontrer Yasser Arafat. Mais il y a mieux : Louis Terrenoire, lors d'une autre visite à Alger en 1968, en tant que président de l'" Association de Solidarité Franco-Arabe ", après avoir salué la " Résistance " palestinienne et comparé la politique israélienne à celle des armées de Hitler, osait écrire, tenez-vous bien, dans un message adressé au ministre algérien des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika :
               " L'Association de solidarité franco-arabe [...] se veut avant tout attachée à la sauvegarde du peuple palestinien spolié et solidaire des centaines de milliers d'Arabes chassés du sol de leur patrie. [...] J'ai pu déclarer à la presse que je considérais l'orientation du gouvernement de la République algérienne comme exemplaire parce que fondée d'une part sur la volonté nationale de survie des " occupés " et des exilés et, d'autre part, sur la morale internationale. " (94)

               Vous avez bien lu ce passage surréaliste : le Français Louis Terrenoire, grande figure du gaullisme, se rend en Algérie en 1968 auprès du ministre FLN Bouteflika pour dénoncer l'exode et la spoliation de 600.000 Arabes de Palestine, allant jusqu'à faire référence à " la morale internationale ", alors même que six ans plus tôt, 1.000.000 de Pieds-Noirs, de nationalité française, ont eux aussi été " chassés du sol de leur patrie ", l'Algérie, et par ce même Bouteflika ! Mais là-dessus, M. Terrenoire ne trouve rien à redire ! En d'autres temps, cet homme, aurait été simplement considéré comme traître à sa patrie, avec toutes les conséquences fatales que ce choix implique. Mais puisque de Gaulle, en violant la Constitution, a lui-même collaboré avec le FLN pour chasser les Pieds-Noirs de leur pays, que pouvait-on lui reprocher ?
               N'est-il pas révoltant de voir des politiciens gaullistes pleurer sur le sort des réfugiés Arabes de Palestine au nom de " la morale internationale " (qui plus est à Alger !), quand ces hommes n'ont jamais eu un seul mot de compassion pour le calvaire de leurs compatriotes Français d'Algérie ? Une telle attitude, n'est-elle pas le signe d'une profonde décadence morale ?

               Mais Louis Terrenoire devait récidiver, jusqu'à glorifier le djihad islamique ! Se rendant une nouvelle fois à Alger en 1975, il osera, en effet, y comparer " l'action de la Résistance française luttant contre l'idéologie nazie au rôle des moudjahidin dans le dur combat de la décolonisation "(95) . Sans commentaire.
               Malgré cela, ce sont les hommes de gauche " Algérie française " comme Robert Lacoste ou Albert Camus qui, d'après le discours médiatique officiel, se seraient " fourvoyés " en luttant pour la civilisation contre la barbarie du FLN et pour avoir soutenu, en Algérie, la solution qui leur paraissait la plus apte à faire vivre sur une même terre deux peuples ayant du mal à s'entendre, ce sont ces hommes que l'on qualifie d'" égarés " et d'" hommes perdus ", tandis que ces gaullistes et autres " militants de la décolonisation " qui frayaient avec les nationalistes et les terroristes Arabes les plus intransigeants et les plus fanatiques, sont considérés eux comme ayant suivi le bon " sens de l'Histoire "...

               Soutenir l'Algérie française dans l'égalité de tous ses habitants, ou, à défaut, des garanties concrètes assurant aux Pieds-Noirs la possibilité de se maintenir dans une Algérie indépendante, comme le faisait l'OAS, conduisait à se faire traiter d'" assassin ", de " fasciste " et de " nazi " ; en revanche soutenir la destruction de l'Etat d'Israël et l'exode total de ses habitants, comme l'ont longtemps préconisé, il faut le rappeler, Yasser Arafat et l'OLP, sera considéré par ces mêmes gens, qu'ils soient gaullistes ou gauchistes, comme un combat " noble " mené par des " Résistants ". Cherchez l'erreur... Après une telle inversion des valeurs et un tel abaissement de l'Occident, portés aussi bien par des hommes de gauche que par des hommes de droite, comment s'étonner de la situation actuelle de la France et de l'Europe ?
               Un jour peut-être, l'Histoire jugera...
               Non seulement hautement contestable sur le plan humain, cette " politique arabe " n'a en plus de cela rien apporté à la France sur un plan purement matériel. Car de Gaulle et ses fidèles auraient peut-être bien fait d'écouter Jacques Soustelle, qui prévenait que " le " monde arabe " est un client à qui l'on doit toujours consentir des avances, mais qui ne rembourse jamais. "(96) Jugement amplement confirmé par le choc pétrolier des années 1970, et par les nombreux attentats perpétrés sur le sol français dès les années 1980. C'est la raison pour laquelle le spécialiste en géopolitique Roland Lombardi, à propos de cette " politique arabe " de la France née de la livraison de l'Algérie au FLN, a parlé, récemment, avec un certain euphémisme, d'un choix dont les " succès seront bien hasardeux " et " très mitigés " .(97)

               Reconstituons les pièces du puzzle : de Gaulle qui livre l'Afrique française, l'Algérie, les Harkis et les Pieds-Noirs au FLN et au nationalisme arabe dans l'espoir de faire de la France le pays leader du Tiers-Monde face aux deux blocs américain et soviétique, allant jusqu'à adopter, tout au long des années 1960, sur la scène internationale, un discours anticolonialiste de foire en cherchant à apparaître comme " le plus grand décolonisateur du siècle " (" Vive le Québec libre ! "). Parallèlement à cela, de nombreux intellectuels gaullistes tel Philippe de Saint-Robert, fascinés par le Tiers-Monde - et en particulier le monde arabe - dans sa lutte contre l'Occident, à l'instar d'une grande partie de la gauche française. On comprend mieux maintenant pourquoi la France, aujourd'hui, devient de plus en plus un pays du Tiers-Monde...

               Comme nous l'avons vu la guerre d'Algérie, pour les " militants anticolonialistes " n'était après tout qu'une étape, décisive, certes. Mais les grands défenseurs des " peuples opprimés ", une fois éradiqué le peuple pied-noir conformément à leurs vœux les plus chers, sont cependant vite passés à autre chose. Le conflit israélo-arabe, avec ses " colons juifs ", ses Israéliens " ultras " ou ses Israéliens " de gauche ", ses Arabes " spoliés " et ses " Résistants ", avait tout pour leur plaire, rien qui ne puisse les dépayser. Voici comment le jeune historien Misha Uzan décrit l'attitude de ces intellectuels de gauche pro-FLN vis-à-vis d'Israël et du conflit au Proche-Orient :
               " Cette gauche, qu'on appelle plus généralement tiers-mondiste à l'époque, reste sans aucun doute très majoritaire tout au long des années 1970. Son poids dans l'approche du conflit est tout à fait primordial, car cette gauche intellectuelle - il ne s'agit pas de la gauche politique - juge uniquement selon ses propres repères idéologiques. La thèse anticoloniale, on l'a vu, y est omniprésente. [...] Jugeant en fonction de leurs critères et de leurs références, les parallèles avec la guerre d'Algérie, dont le souvenir est encore très proche, ne manquent pas. D'un Jean-Paul Sartre qui se doit d'approuver le terrorisme, " seule arme des faibles ", comme il l'a fait pour le F.L.N., à Jean Daniel ou Pierre Vidal-Naquet qui y font référence dès qu'il s'agit de répression ou de torture, la guerre d'Algérie, véritable moment tournant de l'ensemble de la gauche française selon une analyse de François Furet, devient le point de comparaison du développement de la gestion des territoires de Cisjordanie-Gaza, sous la tutelle d'Israël après 1967. Cette ligne interprétative produit une image d'Israël qui se détériore avec le temps. " (98)

               (Notons, entre parenthèses, que Misha Uzan, lorsqu'il décrit la guerre d'Algérie comme un " véritable moment tournant de l'ensemble de la gauche française ", confirme notre thèse.)
               Le polémiste Jacques Hermone, dans son pamphlet " La gauche, Israël et les Juifs " paru en 1970, était quant à lui plus " direct " :
               " Le nouvel antisémitisme de gauche est désormais solide et vivant. Gauchistes, communistes, progressistes fumeux et ultras du pan-arabisme sont entrés dans une étrange coalition au sein de laquelle figurent encore gaullistes " de gauche " (et parfois de droite), et chrétiens " de gauche " ou prétendus tels. " (99)
               Exactement la même coalition qui huit ans plus tôt, s'est acharné - avec hélas beaucoup de succès - sur les Pieds-Noirs ! Pour preuve, la façon dont Soustelle décrivait les " barbouzes " de Bitterlin et autres " sections anti-OAS " en 1962 : " maffias où se rencontrent néo-gaullistes, progressistes et communistes "(100) ... On retrouvera cette même coalition liguée contre les USA lors de la guerre du Viêt-Nam. Souvenez-vous : c'est l'époque où le " grand décolonisateur " de Gaulle souhaitait apparaître comme le leader du Tiers-Monde !

               Inutile de dire que ces " anticolonialistes " de profession resteront - et restent toujours - silencieux face à l'expulsion par les Etats arabes de près d'un million de juifs dans les années 1950-1960, face à l'exode pied-noir, face aux persécutions récurrentes touchant les " chrétiens d'Orient ", mais encore face à la colonisation turque de Chypre et au drame vécu par 200.000 Chypriotes grecs chassés de leurs foyers suite à l'invasion, la partition et le nettoyage ethnique organisés par la Turquie en 1974. Ces gens n'étant motivés que par la haine de soi et la haine de tout ce que représente l'Occident, et l'Occident seul, il y a bien longtemps qu'ils ont fait le tri entre les " bonnes " et les " mauvaises " victimes, les " bons " et les " mauvais " racistes. Ainsi que l'écrivait Soustelle dès 1962, peu avant que les prétendus " accords " d'Evian ne soient signés, " accords " consacrant le triomphe de cette gauche tiers-mondiste, " ces progressistes, chrétiens ou non, [...] ne brillent ni par la clairvoyance ni par la logique. Enragés " décolonisateurs ", ils condamnent chez nous toute trace d'oppression et de racisme, mais admettent tout et approuvent tout dès lors que les oppresseurs sont noirs au lieu d'être blancs ou musulmans au lieu d'être chrétiens. Vous avez toujours tort si vous portez le chapeau, toujours raison si vous portez la chéchia. "(101)

               En quoi a finalement consisté la politique du général de Gaulle à l'égard des Pieds-Noirs, en 1962 ? Mais cette politique est très simple à comprendre ! La livraison des Pieds-Noirs au FLN revient en effet au même que si demain, la communauté internationale décidait de céder tout le territoire d'Israël et de livrer ses habitants aux islamistes du Hamas - tout en prenant soin, pour la forme, d'inviter le Hamas à bien se comporter avec ses nouveaux citoyens juifs... Que ferait le Hamas dans une telle situation ? Oui, que ferait-il ? Eh bien nul besoin d'être devin pour comprendre qu'il persécuterait et expulserait immédiatement les Israéliens de leur terre ancestrale, comme le FLN autrefois, a chassé et massacré les Pieds-Noirs et les musulmans partisans de la France après le prétendu " cessez-le-feu " du 19 mars !

               On découvre de même un phénomène assez troublant dans les figures parallèles du " bon Juif " et du " bon Pied-Noir ". Jacques Hermone a écrit, toujours en 1970 :
               " Gauchistes, communistes, progressistes de tout poil ne peuvent supporter le Juif que sous la forme du renégat qui dissimule une identité lui faisant honte derrière une phraséologie révolutionnaire vide et creuse. Ce Juif-là, ils le tolèrent et même l'admettent parmi eux " .(102)
              
               Changez le mot " Juif " par celui de " Pied-Noir ", et le tour est joué !
               En effet, de même que le gauchisme culturel, qu'on le veuille ou non, aboutit automatiquement à mettre en avant les personnalités juives " de gauche " hostiles à Israël (comme par exemple Jean Daniel) et autres militants autoproclamés de " la paix ", situation obligeant a contrario les Juifs plutôt solidaires de l'Etat hébreu, de leur côté, à se faire les plus discrets possible au risque de passer pour des " ultra-sionistes " " anti-arabes ", de même le consensus né des accords d'Evian, automatiquement a abouti à mettre en avant la figure du " bon Pied-Noir ", du Pied-Noir dit " de gauche ", qu'il soit " pied-rouge " ou " libéral ". Figure du renégat et du soumis passant son temps à cracher sur sa communauté pour mieux s'en distinguer et donner l'impression que contrairement aux autres Pieds-Noirs lui n'est " pas raciste ", lui prône " la réconciliation ", lui conspue l'OAS et a " le courage " de saluer la cause du FLN, etc. On peut citer dans ce petit monde, de 1962 à nos jours, MM. Jules Roy, Guy Bedos, Albert-Paul Lentin, Jean Pélégri, Jean-Pierre Elkabbach, Roger Hanin, Jacques Berque, Benjamin Stora (bien qu'il se défende d'être Pied-Noir), Jean-Luc Mélenchon, et bien d'autres encore tel le fils de Pied-Noir Cédric Villani, célèbre mathématicien qui s'est récemment illustré par son action pour la réhabilitation du terroriste FLN Maurice Audin, en tant que député La République En Marche. Eux sont les " bons Pieds-Noirs ", et grâce à cela invités réguliers des plateaux de télévision depuis des décennies. Les autres - c'est-à-dire la grande majorité des Pieds-Noirs -, qui s'obstinent à penser différemment seront écartés de fait, très vite rangés sous l'étiquette infamante du " facho " ou du " nostalgique de l'OAS et de l'Algérie française ", des pauvres types qui n'ont encore rien compris au " sens de l'Histoire ".

               Le " visionnaire " de Gaulle, n'avait sans doute pas imaginé jusqu'à quel point sa politique devait déplacer, sur le long terme, le curseur de l'opinion en faveur du gauchisme et du " Parti de la soumission ".
               Et pour ceux qui douteraient encore de l'existence de cette coalition gauchistes/gaullistes/FLN, une courte description de l'" Association France-Algérie " les aidera peut-être à y voir plus clair. Fondée en 1963 avec l'accord et le soutien du général de Gaulle, l'" Association France-Algérie ", que l'ancien journaliste au " Canard enchaîné " Nicolas Beau qualifiera d'" embryon d'un lobby pro-arabe en France "(103) , a pour but de favoriser une entente durable entre la République française et le jeune Etat algérien, et d'établir des relations de confiance et d'amitié entre les deux peuples dans le cadre de la " coopération franco-algérienne " - à l'heure où, rappelons-le, la plupart des harkis ont déjà été massacrés et où 95 % des Pieds-Noirs ont été chassés...

               Animée par le grand gaulliste Edmond Michelet, l'" Association France-Algérie " regroupera à la fois des gaullistes et anciens Résistants restés fidèles au Général, des journalistes " progressistes " et plus ou moins pro-FLN comme Jean Daniel, Jean Lacouture ou François Mauriac, des chrétiens de gauche comme Jean-Marie Domenach, des Pieds-Noirs tel Jules Roy ayant soutenu l'indépendance, le diplomate Stéphane Hessel, l'ancien négociateur français des accords d'Evian Robert Buron, l'ethnologue Germaine Tillion, l'ex-chef des barbouzes Lucien Bitterlin (encore lui !), ainsi que plusieurs militants anticolonialistes historiques. A par exemple adhéré à cette association David Rousset (1912-1997), célèbre homme politique et militant trotskyste, tiers-mondiste et violemment anticolonialiste. David Rousset est notamment l'un des fondateurs, en 1948, du parti d'extrême gauche " Rassemblement Démocratique Révolutionnaire " aux côtés de Jean-Paul Sartre, puis, en 1957, du " Comité Maurice Audin ". En accord avec la politique algérienne du " grand décolonisateur " de Gaulle, l'ex-trotskyste David Rousset, au lendemain de la guerre d'Algérie finira même par devenir... " gaulliste de gauche ", allant jusqu'à se faire élire député de l'Isère aux élections de juin 1968 sous l'étiquette de l'UDR, le parti gaulliste. Le voici, et dans toute sa splendeur, " l'axe de Gaulle-Sartre " !

               L'" Association France-Algérie " - et ceci est très troublant - annonce donc, dès le début des années 1960, la future pensée dominante actuellement véhiculée par la FNACA ou Benjamin Stora, jusque dans la mise en avant du " bon Pied-Noir " ayant soutenu l'indépendance et dénigrant continuellement les siens, puisque l'on y note la présence de Jules Roy. Les personnalités, de droite comme de gauche, ayant lutté jusqu'au bout contre l'ennemi (c'est-à-dire contre le FLN puisque, il faut le rappeler, le FLN était un ennemi), seront bien sûr totalement exclues de l'" Association France-Algérie ", autre nom de ce Parti de la soumission que nous avons évoqué plus haut.

               Mais il y a pire. Reconnaître l'épuration ethnico-religieuse des Pieds-Noirs, le caractère fondamentalement raciste du FLN et par conséquent la légitimité de la lutte à outrance menée contre cette organisation jusqu'aux derniers instants, l'absurdité des accords d'Evian et de l'immigration algérienne ayant suivi l'indépendance, admettre que tous se sont trompés et que la seule solution honorable en Algérie (quand bien même il n'aurait pas été certain que cette solution soit viable sur le long terme) reposait sur la reconnaissance du droit pour les deux peuples de ce pays à y vivre et à ne pas être opprimé par un autre, impliquerait un tel bouleversement, une telle révolution des mentalités que cela mettrait directement en cause en grande partie les mythes collectifs, les systèmes médiatique, culturel, universitaire et politique issus de la Cinquième République, aussi bien que des personnalités telles que Marguerite Duras, Françoise Sagan, Claude Sautet, André Breton, Guy Debord, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute, François Truffaut, Jacques Julliard, François Mauriac voire des centaines et des centaines d'autres, sans oublier le général de Gaulle en personne, mais aussi des journaux comme L'Express, L'Obs ou L'Humanité. Ces antiracistes de profession, complices de l'un des plus horribles crimes racistes qui soient ? Le général de Gaulle, symbole intouchable de la Résistance, se serait-il mis à genoux devant une organisation djihadiste ? Si bien que, comme l'écrit le philosophe Emmanuel Navarro la France est aujourd'hui coincée, empêtrée jusqu'au cœur même de ses institutions, par le problème algérien :
               "Indépendamment de la psychologie des acteurs, nous avons à prendre en compte la réalité du poids des institutions et de l'histoire des institutions où la vie sociale prend forme, explique-t-il. Les fondements de la cinquième république reposent sur la justification historique de l'indépendance inéluctable (des hommes premiers algériens) dans la configuration de soixante-deux. Constatons : il n'est pas de pouvoir possible, de conquête du pouvoir possible ou de partage du pouvoir possible à l'intérieur de la vie de la nation qui ne puisse se légitimer, à droite comme à gauche, dans l'acceptation des règles du jeu instituées par la cinquième république, dans la reconnaissance du bien-fondé de celles-ci, et, mieux, accompagnée d'une marque de reconnaissance pour l'œuvre de son fondateur, ce qui veut dire, en conséquence, par la reconnaissance de l'inéluctabilité de l'indépendance de l'Algérie, clef de voûte du pouvoir de celui-ci. Or la reconnaissance de l'inéluctabilité de l'indépendance de l'Algérie dans les conditions de soixante-deux mène logiquement à la justification des raisons de l'ennemi de 62. La France est institutionnellement, historiquement, objectivement, prise au piège de l'injonction à la soumission historique aux raisons de l'ennemi. Mais ce n'est pas tout. La soumission première a conditionné à son tour la quasi-totalité de sa politique internationale, parce qu'elle-même est structurée, qu'on le veuille ou non, autour de sa relation au monde arabo-musulman. Ne pas contrevenir aux fondements de l'Etat-FLN algérien, lui-même détenant sa puissance en grande partie de l'héritage de la cinquième République française, est donc à présent aussi une injonction liée aux conditions de possibilité de la politique internationale de la France. La reconnaissance des raisons de l'ennemi est non seulement un impératif de la vie intérieure de la nation, mais aussi de sa politique internationale. Où nous comprenons pourquoi " l'inéluctable " a toutes les chances de nous paraître avec le temps de plus en plus inéluctable. " (104)
               Les " accords d'Evian ", ou l'engrenage de la soumission...

               Voilà qui justifie pleinement ces mots de Jacques Soustelle, écrits deux ans seulement après la livraison de l'Algérie au FLN : " Un peuple qui renie une partie de lui-même, qui s'humilie devant une faction de meurtriers et lui abandonne ses propres frères, voilà ce que nous sommes devenus. [...] Or, un crime a été commis, à la fois le plus vil et le plus bête de notre histoire. La France ne sera redevenue la France que lorsqu'elle saura en rougir " (105), le même homme ajoutant plus loin au sujet des " accords " d'Evian, que " tout redressement honnête de la vie politique française, tout retour à la vérité et à la dignité passe nécessairement par la condamnation totale de ce honteux traité, de cet acte de trahison qui sera un jour effacé de notre histoire. " (106)

               Aussi Jacques Soustelle, qui en tant qu'ennemi acharné du FLN et grand défenseur des Français d'Algérie avait la liberté intellectuelle d'analyser avec lucidité et sincérité les raisons profondes ayant conduit à leur exode forcé, écrira par exemple, en 1987, que " le drame de l'Algérie est dû pour une large part au fait que même après cent trente ans de cohabitation, l'islam a opposé une barrière infranchissable à la fraction chrétienne ou juive de la population "(107) , déclaration marquée au coin du bon sens, tandis que de son côté la droite gaulliste, de concert avec une grande partie de la gauche s'acharnait encore au même moment à rendre l'OAS coupable de cet exode et à insinuer l'idée que les Pieds-Noirs, par leur attitude prétendument " irresponsable " auraient été les artisans de leur propre malheur, un mensonge nécessaire au plus haut point - et qui de nos jours encore se perpétue - dans le seul but de garder la face, de préserver le mythe gaullien et les bases de la " coopération franco-algérienne ", quand bien même ces gaullistes, dans leur for intérieur savaient très bien à quoi s'en tenir sur la réalité de cette histoire et sur les responsabilités de chacun dans l'exode des Français d'Algérie. Hélas !, la France paye aujourd'hui le prix fort de ces mensonges et ces non-dits. Quand lors de l'été 62, devant l'exode massif de centaines de milliers de Pieds-Noirs fuyant les persécutions, un Jacques Soustelle, un Maurice Allais, tous deux grands défenseurs des Français d'Algérie (Pieds-Noirs et Musulmans), n'hésitent pas à utiliser le terme de " génocide " pour qualifier cet évènement, la propagande gouvernementale, au même moment, s'acharne quant à elle à expliquer au peuple français qu'il ne s'agit là que de " vacanciers " s'apprêtant à repartir au plus vite au pays... Comment attendre des Français qu'ils restent vigilants face aux dangers qui les menacent après les avoir ainsi infantilisés ?

               Il se trouve, hélas !, avec le recul, que ce sont les intellectuels les plus pessimistes tels que Jacques Soustelle ou Maurice Allais qui ont eu raison, et même mille fois raison, au sujet de la guerre d'Algérie, des conséquences désastreuses qu'allaient entraîner les accords d'Evian, de la nature religieuse, raciste et fanatique du FLN, et de la difficulté, voire l'impossibilité pour deux civilisations antagonistes de cohabiter sur le même sol sans de puissants instruments de régulation ou de séparation. Or ces hommes, du fait de la politique de capitulation du général de Gaulle et de la volonté de ne pas remettre en cause le principe sacré des accords d'Evian, ont été bâillonnés, calomniés, parfois traités de fascistes, rejetés hors de la nation au profit de gens comme par exemple le " progressiste " Jean Daniel, qui dans leur naïveté, à l'heure de la guerre d'Algérie pariaient sur l'avenir en cherchant à faire croire aux Français que l'Etat algérien indépendant qui naîtrait respecterait l'existence de toutes les communautés du pays, ce dont il n'a bien entendu jamais été question pour le FLN. Et ce sont des gens comme Jean Daniel, qui, en croyant en la possibilité d'une Algérie indépendante " fraternelle " se sont plantés sur toute la ligne, qui, malgré tout, encore aujourd'hui sont présentés comme ayant été " lucides " et " visionnaires " sur le problème algérien... C'est ce camp de la naïveté qui l'a emporté avec les accords d'Evian, et qui, aujourd'hui encore, fait des ravages. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Jean Daniel, de nos jours, cherche une nouvelle fois à rassurer les Français au sujet des problèmes liés à l'islam, à l'immigration et au multiculturalisme, problèmes qu'il ne cesse de minimiser. Naïf un jour, naïf toujours !

               Et de Gaulle, de chercher la conciliation à tout prix, de négocier pendant deux ans avec le FLN pour aboutir au marché de dupes des accords d'Evian, et, une fois ces " accords " signés, de se féliciter que, grâce à eux, les Européens d'Algérie auront " toute leur place " dans l'Algérie FLN indépendante... Tout cela serait risible si ce n'était tragique. Car l'on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi le Général n'a-t-il pas écouté son ministre Jacques Soustelle lorsque, dès août 1959, ce dernier lui écrivait dans une note que " la création d'un Etat algérien, quelles que soient les précautions juridiques ou contractuelles, conduirait [à ce résultat] : cet Etat se dresserait rapidement contre la France [...] et en outre les pouvoirs y seraient très vite détenus par les fanatiques les plus extrémistes "(108) , le même homme prévenant que " le F.L.N. n'est pas un parti politique avec qui l'on puisse composer grâce à des concessions réciproques, mais une faction totalitaire à laquelle il faut tout céder ou ne rien céder " (109). Que de temps, que de vies perdus pour rien quand on y pense ! Là encore pourtant, Soustelle avait montré la voie : " L'Algérie est un territoire sur lequel vivent plusieurs peuples [qui] ne peuvent vivre ensemble [que] dans le cadre d'un Etat démocratique. [...] L'issue inévitable [dans le cas de la soi-disant indépendance] serait la partition de l'Algérie "(110) , prévenait-il, avec une extrême lucidité, en mars 1960. Or, plus d'un demi-siècle après, n'est-il pas temps de reconnaître que Soustelle avait raison ? Mais non ! On s'acharne dans le mensonge, on continue à endormir les Français en mettant en avant un journaliste d'extrême gauche, Pierre Daum, négationniste qui nous expliquait récemment que les Pieds-Noirs sont partis d'Algérie " de leur plein gré " ou parce qu'ils avaient " quelque chose à se reprocher " (sic), que le FLN n'a jamais voulu leur expulsion, et que la plupart des harkis n'ont eux-mêmes jamais été inquiétés et vivent aujourd'hui une paisible retraite en Algérie. Plus d'un demi-siècle après, " l'axe de Gaulle-Sartre ", ce poison mortel, est plus nocif que jamais.

               On ne compte plus, d'ailleurs, les signes de mépris et de racisme anti pied-noir de la part du général de Gaulle, de ses fidèles, et de nombreux intellectuels " anticolonialistes " de gauche, ces derniers ne reculant pas devant les pires clichés : " Un ramassis de descendants de déportés de droit commun, de négriers qui veulent conserver leurs privilèges ", a dit le général Katz, bourreau d'Oran. De Gaulle lui-même, après avoir reçu en 1964 son homologue algérien Ben Bella, de déclarer : " Ben Bella ne m'a pas fait mauvaise impression. Il a de l'assurance, mais sans jactance. [...] Il déborde d'éloges à l'égard des coopérants et notamment des instituteurs. Ah, si tous les colons s'étaient comportés ainsi au lieu de faire suer le burnous ! " Bien que Ben Bella lui-même ait confirmé à plusieurs reprises qu'il n'a jamais été question, pour le FLN, d'envisager une Algérie indépendante avec une présence pied-noire ! Ainsi ces hommes, comme beaucoup d'autres, n'ont rien compris au véritable " choc de civilisations " et à l'importance symbolique qu'a représenté la guerre d'Algérie, n'y voyant qu'une révolte anticolonialiste et nationaliste dirigée contre des " colons sueurs de burnous " - sans parler des nombreuses déclarations du général de Gaulle sur le prétendu " fardeau " ou le " boulet algérien ". On reste en effet frappé par l'imprévoyance et l'inconscience du général de Gaulle. Comment cet homme, n'a-t-il pas deviné qu'en capitulant, en s'alliant et en collaborant avec l'ennemi - qui plus est un ennemi pratiquant, qu'on le veuille ou non, le djihad islamique ! - contre ses propres compatriotes et coreligionnaires, après avoir ainsi choisi, ou donné l'impression de choisir les Arabes " contre " les Pieds-Noirs, les musulmans " contre " les chrétiens, tout cela en les calomniant à l'aide de toute sa propagande en insinuant l'idée qu'ils seraient responsables de leur malheur pour avoir " fait suer le burnous " ou " soutenu l'OAS ", comment n'a-t-il pas deviné qu'après ça, la France sombrerait inévitablement dans une profonde décadence morale ?

               " Que serait l'évacuation de l'Algérie par la France, sinon un reflux de l'Occident et de la Chrétienté ? "(111) , prévenait Alain Peyrefitte. Eh bien nous y sommes, à un point tel qu'il ne l'aurait sans doute même pas imaginé.
               " J'en suis arrivé à considérer avec beaucoup d'autres que l'Afrique du Nord aujourd'hui, est le dernier banc d'épreuve de la vitalité, sinon de la grandeur française. Il dépend de notre génération, de sa volonté et des sacrifices qu'elle saura consentir que l'épreuve soit satisfaisante en Algérie [...]. Puisse-t-elle, cette génération, ne pas porter devant l'histoire l'infamante responsabilité de la décadence française et ne pas encourir la malédiction éternelle de tous ses frères européens et musulmans abandonnés "(112()) , prévenait, au commencement de la guerre d'Algérie, le maréchal Alphonse Juin, héros de la Libération de la France. Même un homme de gauche comme Albert Camus, qui était pourtant loin d'être un " ultra de l'Algérie française ", alertait ses compatriotes sur le fait que céder à toutes les revendications du FLN signifierait " pour la nation française le prélude d'une sorte de mort historique "(113) ... Plus de cinquante ans après, chacun peut juger de la pertinence de leurs propos.

               Certes, s'élevant au-delà du terrorisme intellectuel en vigueur, de plus en plus de Français, devant le sombre avenir qui menace leur pays et leur civilisation, commencent à s'interroger sur le bien-fondé de la politique algérienne du général de Gaulle - politique basée, il faut le rappeler, sur la trahison. C'est par exemple le cas du regretté Raphaël Draï, du philosophe Michel Onfray, de l'historien et journaliste au " Figaro " Michel De Jaeghere ou encore du jeune spécialiste en géopolitique et Docteur en Histoire Roland Lombardi, qui dans un ouvrage récent ose (oui, il ose...) remettre en cause la légende gaullienne et la prétendue " inéluctabilité " de la livraison de l'ensemble de l'Algérie au FLN. " Comment à notre époque moderne, une nation pouvait-elle envisager une quelconque politique d'indépendance et de " grandeur " sans inspirer le respect [...] ? ", s'interroge-t-il avant de conclure : " On peut alors affirmer que la politique de De Gaulle et des Américains durant la guerre d'Algérie fut alors une erreur par le seul fait d'un manque de vision à long terme ", R. Lombardi ajoutant que " dans cette " guerre contre le terrorisme ", quarante ans avant les conséquences du 11 septembre 2001, nous sommes en droit de nous demander si [...] certains défenseurs de l'Algérie française, avec à leur tête [...] un Jacques Soustelle [...], n'avaient peut-être pas tout compte fait une guerre d'avance... " (114)

               Venons-en maintenant aux accusations et aux sous-entendus manifestés par la propagande gaulliste, envers les hommes de gauche ennemis du FLN.
               On remarque en effet que les admirateurs du général de Gaulle, constatant la catastrophe intersidérale qu'a représenté et que représente encore sa politique algérienne, constatant également l'impossibilité de remettre en cause l'image sacrée de leur idole, cherchent aujourd'hui de plus en plus à faire diversion, quitte - car plus c'est gros, mieux ça passe - à faire passer les partisans de l'Algérie française pour de pauvres idiots, de braves républicains universalistes qui se seraient trompés sur toute la ligne, voire de naïfs précurseurs de SOS Racisme et de l'idéologie multiculturelle qui auraient œuvré sans le savoir à l'" islamisation " de la France en cherchant à faire des Algériens musulmans des Français, alors même que le général de Gaulle, de son côté, aurait été seul à comprendre, nous dit-on, que " les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français "... Et tout le monde, aujourd'hui, de se mettre à citer des propos que ce dernier aurait tenus en privé, telle une obscure métaphore sur " l'huile et le vinaigre ", ou encore cette phrase : " les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! ", etc., etc., etc. La France est d'ailleurs tombée tellement bas que l'on fait de ce type de propos dignes d'un pilier de comptoir et que n'importe quel idiot du village aurait pu tenir, le signe de l'intelligence surhumaine d'un homme visionnaire et lucide comme personne !... On a même vu récemment Eric Zemmour, aveuglé par son gaullisme, insinuer l'idée dans son livre " Le suicide français ", que les partisans de l'Algérie française seraient les véritables responsables du regroupement familial et du laxisme migratoire de ces dernières décennies ! Lorsqu'on sait que ces mêmes partisans de l'Algérie française, hier encore étaient traités de fascistes et de nazis, on se dit que ces hommes auront eu droit à toutes les étiquettes... Mais pourquoi un tel acharnement, et sur une si longue durée ? Et pourquoi tant de contradictions dans le discours gaulliste ?

               Sans revenir sur les raisons de chacun, précisons d'abord que contrairement à ce qu'on cherche à nous faire croire, la plupart de ceux que l'on a appelé les " partisans de l'Algérie française " ne se battaient pas pour une Algérie française " éternelle ", mais cherchaient d'abord à vaincre le FLN (et vaincre le FLN, à l'époque, était sans doute un des plus grands services que l'on pouvait rendre à l'Humanité), proposer une solution politique au conflit, et sortir ce pays du sous-développement. La légende montée de toutes pièces de " de Gaulle visionnaire " à propos de l'Algérie, de la démographie musulmane ou de l'islam ne relève par conséquent que d'une vaste fumisterie et d'un incroyable " piège à cons ", l'ensemble des écrits des partisans de l'Algérie française démontrant que ces derniers étaient tout autant, voire bien plus conscients que le général de Gaulle, des nombreux problèmes posés par l'Algérie, l'explosion démographique musulmane ou bien l'islam. Et d'ailleurs, quand bien même la politique d'" intégration " préconisée par Soustelle aurait échoué de manière retentissante, ne valait-il pas mieux constater cet échec en Algérie, de l'autre côté de la mer, plutôt que de le constater en France, ancienne Métropole réduite aujourd'hui à un petit hexagone ?
               Sans développer trop longuement sur ce point car ce n'est pas le sujet (je vous invite à lire mon article " De Gaulle visionnaire ? " paru dans " La Seybouse " de juin), il faut aussi savoir qu'avant d'être des " partisans de l'Algérie française ", ces hommes étaient surtout des " PARTISANS DE LA SOLIDARITE NATIONALE ", et qu'ils auraient très bien pu concevoir, comme nous l'avons vu plus haut, des solutions intermédiaires entre l'Algérie française et l'indépendance totale, à la seule condition que ces solutions soient conformes aux Droits de l'Homme, au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qu'elles n'impliquent pas l'exode et le massacre de leurs compatriotes d'Algérie et si possible qu'elles sauvegardent certains intérêts stratégiques. Nous avons déjà évoqué la partition, solution certes douloureuse, mais que l'intransigeance fanatique du FLN rendait inévitable en cas d'indépendance de l'Algérie. Voici par exemple ce qu'écrivait à ce sujet Jacques Soustelle, grand connaisseur de l'Algérie (contrairement à de Gaulle) :
               " A mon sens, [le partage] ne pourrait être qu'une issue de désespoir [...] ; issue fatale cependant si l'aveuglement de certains métropolitains [...] prétendait acculer les Européens à l'exil. Car c'est à cela précisément qu'ils ne consentiront jamais. Autrement dit, la véritable question n'est pas : " Pacification, partage ou abandon ", mais : " Partage (au milieu d'un désastre général), si l'on renonce à la pacification et si l'on admet l'abandon. " (116)" ;;; " Il est bien évident [...] que si l'on rend en quelque sorte leur liberté aux diverses populations de l'Algérie, celle qui est de culture française doit se voir reconnaître tout comme aux autres le droit de disposer d'elle-même. On ne saurait la condamner à choisir entre le massacre et l'exil. " (116)

               Il est temps que les avocats du général de Gaulle nous expliquent quel risque y avait-il pour que Colombey-les-Deux-Eglises devienne " Colombey-les-Deux-Mosquées " et pour que la France succombe à la démographie musulmane en cas de partage de l'Algérie !
               Et puisqu'il est désormais admis par le Français moyen que de Gaulle fut " visionnaire " à propos de l'Algérie, amusons-nous à une petite comparaison :
               Comparons avec ce même Jacques Soustelle, chef de file des partisans de l'Algérie française. Citant, en 1956, en pleine guerre d'Algérie, un tract du FLN annonçant aux Français :
               " Rappelez-vous bien, quand nous serons indépendants, dans un minimum de temps nous combattrons aussi les 800 kilomètres carrés que nos ancêtres ont envahi en France. Voici les limites : Poitiers, St-Etienne, Lyon, les environs des Alpes et des Pyrénées. Toutes ces villes et ces terres sont celles de nos ancêtres.

               Après la guerre d'Afrique du Nord, nous allons envahir les 800 kilomètres carrés qui nous appartiennent, et les ports de Toulon, de Marseille, de Bordeaux, etc... ",

               Soustelle, lui, prend la menace du FLN au sérieux et écrit :
               " Ces outrances peuvent faire sourire. On souriait aussi, en France, dans les années 1933-1940, quand les séides d'Hitler annonçaient leur intention, non seulement de reprendre l'Alsace, mais de rattacher au grand Reich tout le Nord de la France sous prétexte qu'il était de peuplement germanique. On a beaucoup moins souri par la suite. " (117)
               Et l'on recommence aujourd'hui à beaucoup moins sourire...
               Maintenant comparons avec le général de Gaulle. Le jeune Alain Peyrefitte, plaidant pour le partage, lui lance, à la fin de l'année 1961 : " Vous ne pouvez pas faire de plus grand cadeau aux gens du FLN que d'annoncer notre retrait ! C'est tout ce qu'ils souhaitent ". Ce à quoi de Gaulle répond : " Grand bien leur fasse ! "... Grand bien leur fasse !
               Et malgré cela, après plusieurs décennies d'une propagande gaulliste ayant contaminé toute la société française, c'est un homme tel que Jacques Soustelle qui est aujourd'hui considéré comme un naïf et comme une " cervelle de colibri " pour avoir proposé une politique d'" intégration " en Algérie, et c'est le général de Gaulle que l'on prend pour un " grand visionnaire "... Dérision !
               Continuons sur notre chemin et amusons-nous à une autre comparaison :
               Le maréchal Juin, lui aussi partisan de l'Algérie française et de l'intégration, affirmait dans les derniers temps de la guerre d'Algérie :
               " Il n'y a pas de place, que je sache, en pays d'Islam pour le Roumi [= le chrétien] dans un Etat indépendant. " (118)

               Comparons maintenant ces propos réalistes du maréchal Juin avec d'autres tenus par le général de Gaulle, quelques mois avant la signature des accords d'Evian. Discutant avec Alain Peyrefitte, ce dernier l'alertant sur le fait que " si nous remettons l'Algérie au FLN, ils ne seront pas 100 000 [rapatriés], mais 1 million ! ", de Gaulle répond avec assurance :
               " Pensez-vous ! Sur le million des Français de souche, il y en a moins de cent mille, les colons avec leurs familles, qui profitaient du régime colonial et qui, évidemment, cesseront de pouvoir le faire. Mais les autres s'adapteront à la situation nouvelle que créera l'indépendance. L'Algérie nouvelle aura besoin d'eux et ils auront besoin d'elle ".
               Visionnaire n'est-ce pas ?

               Abordons maintenant le thème de l'immigration. L'occasion aurait sans doute été trop belle, pour une propagande gaulliste aux abois, de voir d'anciens partisans de l'Algérie française plutôt de gauche, favoriser ensuite, par leurs discours ou par leurs actes, l'immigration algérienne ou le multiculturalisme. Eh oui, après tout, la plupart de ces hommes ne luttaient-ils pas pour " l'intégration " et pour faire des " arabes " d'Algérie des Français à part entière ? N'étaient-ils pas, ces hommes, un peu " cosmopolites " sur les bords ? Or, manque de chance pour les admirateurs du Général, il se trouve que ce sont les représentants de cette gauche dite " Algérie française " qui les premiers, dès les années 1960, alerteront sur les dangers de l'immigration algérienne massive déclenchée par l'indépendance... C'est le cas par exemple du socialiste Marcel-Edmond Naegelen qui, au milieu des années 1960, au moment où le général de Gaulle est toujours au pouvoir, insistait sur le danger représenté par " la présence sur le sol français, réduit à peu de chose près à l'hexagone, de cette masse de plus d'un demi-million d'hommes de nationalité étrangère, [posant] un problème sans précédent au gouvernement et au peuple français. Leur nombre ne cessant de croître, il prend de plus en plus l'importance d'un danger pour la sécurité intérieure. Désormais une minorité, [...] permanente dans son épaisseur et son imperméabilité, est installée dans nos régions industrielles les plus actives où se trouvent les organes essentiels de la vie française. Autour de nos mines, de nos grandes usines, de nos chantiers où se préparent les forces économiques de demain, se rassemblent des foules de plus en plus nombreuses de prolétaires qui ne parlent pas, ou qui parlent mal notre langue, qui n'ont pas nos habitudes et nos croyances, nos besoins et nos modes de vie, qui se sentent eux-mêmes un corps étranger dans la société française. [...]

               Nos plénipotentiaires à Evian n'ont pas songé ou n'ont pas voulu songer au danger que représenterait en cas de guerre cette présence dans notre pays de plusieurs centaines de milliers d'étrangers ou d'ennemis. Il leur fallait croire à la collaboration franco-algérienne et miser sur elle. Mais il n'est rien d'éternel dans les choses humaines et les accords et ce qu'on a appelé l'esprit d'Evian, n'ont pas duré plus longtemps qu'un coucher de soleil sur le lac. Les problèmes demeurent et, parmi eux, celui de la présence en France d'une masse grossissante de prolétaires algériens. Seuls, une rapide et considérable amélioration de la situation économique en Algérie, la disparition du chômage, la hausse du niveau de vie, la fin de la misère générale, le retour massif de ces travailleurs vers leur pays d'origine et l'arrêt à peu près total des départs pour la France pourraient le faire disparaître. Or l'Algérie n'entre pas dans une ère meilleure, la situation ne cesse de s'y aggraver. " (119)
               Oui, l'auteur de ces lignes était bien socialiste. Mais un socialiste patriote qui connaissait bien l'Algérie, qui a voté NON aux accords d'Evian, qui défendait les intérêts de la France, des Pieds-Noirs et Harkis, et non, contrairement au général de Gaulle et à ses alliés gauchistes, les intérêts du FLN. Un socialiste qui avait une préférence pour les neuf porte-drapeaux de Mostaganem plutôt que pour leurs assassins(120) . Un socialiste qui enfin, sans être un " fanatique " de l'Algérie française souhaitait la mise en œuvre de la solution la plus française, la plus intelligente, et la plus honorable à ce conflit.

               Jacques Soustelle à son tour, en véritable visionnaire alertera régulièrement, dans les dernières années de sa vie, sur le danger mortel représenté par cette immigration algérienne.
               Enfin l'humaniste Maurice Allais, dont nous avons vu qu'il plaidait pour un partage de l'Algérie entre Pieds-Noirs et musulmans, dénonçant le " crime contre l'Humanité " et le " génocide " commis selon lui par le régime gaulliste contre les Pieds-Noirs et Harkis, alertait également, dès l'été 1962, sur les conséquences catastrophiques que risquait d'entraîner les accords d'Evian en ce qui concerne l'immigration algérienne :
               " Sur le seul plan économique et en cas de chômage massif en Algérie, ou en France, ou dans les deux pays à la fois, serait-il sage de donner à tout moment la possibilité pour tout Musulman de se réclamer de la nationalité française dans le cas de Musulmans ennemis de la France, alors que des Musulmans amis pourraient être empêchés de quitter l'Algérie sous des prétextes divers.

               Tant que la France disposait du pouvoir politique en Algérie, elle avait de multiples moyens de ralentir, voire de stopper, l'arrivée de travailleurs algériens en France. A l'avenir cette possibilité n'existera plus et si l'on suivait la déclaration de M. Pompidou, un nombre illimité de Musulmans pourraient à tout moment, sans limite de temps ni aucune restriction, venir s'installer en France et y jouir de tous les droits civiques. Est-ce là une position raisonnable ? Même si l'on s'en tient aux accords d'Evian, il résulte de la Déclaration des garanties (article 2) et de la Déclaration relative à la Coopération économique et financière (article 7) que tout Algérien aura à tout moment la possibilité de venir résider en France et d'y bénéficier de tous les avantages sociaux ? Est-ce là une clause raisonnable si un chômage massif vient à se constater en France ? Est-ce là une clause raisonnable, alors que la population algérienne doit doubler à bref délai ? "
(121)
               On comprendra mieux l'inquiétude de Maurice Allais lorsque l'on saura qu'aujourd'hui encore, plus de cinquante ans après, les Algériens profitent de certaines dispositions inscrites dans les accords d'Evian pour venir s'installer en France...

               Comme on le voit, la propagande gaulliste sur l'Algérie n'est en réalité pas plus solide qu'un château de cartes, et il suffit de rien pour le faire s'écrouler. De Gaulle visionnaire ? A vous de juger. En ce qui me concerne, j'ai tendance à dire Naegelen visionnaire, Juin visionnaire, Soustelle visionnaire, ou Allais visionnaire !
               Ainsi ce n'est pas en épluchant des textes de loi sur le regroupement familial, mais davantage en se penchant sur cette alliance inattendue apparue aux derniers temps de la guerre d'Algérie entre de Gaulle et le FLN contre les Pieds-Noirs, les harkis et leurs défenseurs, ainsi qu'entre la jeune génération de la gauche anticolonialiste (opposée à la vieille gauche patriote) et la droite restée fidèle à de Gaulle, qu'il faut comprendre le futur laisser-aller de la France dans le domaine migratoire - ainsi que dans bien d'autres domaines. Et, le fait que les derniers défenseurs de l'Algérie française et/ou des Français d'Algérie furent souvent les premiers à dénoncer, dès les années 1970-1980, ce qu'ils estimaient être le " danger " d'une immigration " incontrôlée " - ainsi du socialiste Naegelen, de Jean-Marie Le Pen, Jacques Soustelle, Georges Bidault, Maurice Allais, Michel Poniatowski ou Pascal Arrighi, sans même parler des anciens de l'OAS ayant rejoint le Front National... -, ne relève sans doute pas du hasard. Inversement, et aussi surprenant que cela puisse paraître au premier abord, puisque l'indépendance était censée couper les liens brutalement et par la violence entre la France et l'Algérie, la plupart des partisans Français du FLN - sur qui le général de Gaulle s'est appuyé pour mener à bien sa politique algérienne - se sont ensuite illustrés par leur discours en faveur de l'immigration maghrébine.

               Au grand dam de la France - car les effets d'une telle politique se font sentir lentement et sur la longue durée -, le général de Gaulle semble donc s'être à la fois trompé d'alliés, d'adversaires, et d'ennemis.
               La vérité est qu'il n'existe - sauf exceptions - pas un seul écrit, pas un seul discours, pas un seul témoignage d'un ancien " partisan de l'Algérie française ", de droite ou de gauche, ayant fait l'éloge de l'immigration et de la société multiculturelle. C'est exactement l'inverse en ce qui concerne les anciens sympathisants du FLN et leurs héritiers, avec qui Charles de Gaulle a jugé bon de s'allier contre les premiers.

               Nous conclurons en citant Edouard Daladier (1884-1970), homme d'Etat de gauche républicain et patriote, figure du Parti radical-socialiste, qui, dénonçant la propagande " anticolonialiste " alors en plein essor venant de l'extrême gauche communiste, écrivait, en 1926 :
               " Nous considérons, nous autres, la souveraineté française comme l'armature qui permet à nos colonies d'avoir une existence personnelle, et nous estimons que, si elle venait à disparaître, ce ne sont point les sociétés indigènes qui en profiteraient. Elles retomberaient au morcellement féodal dont nous les avons tirées. Elles retomberaient sous la domination des féodaux asiatiques ou africains, dont c'est notre honneur d'avoir détruit la tyrannie. Par quoi se traduirait la prétendue libération des peuples opprimés ? Par un retour et un accroissement des misères et des souffrances.
               Quels qu'aient pu être, quels que soient encore parfois les abus de notre politique - et, ces abus, les républicains sont résolus à les détruire - nous avons le droit de proclamer que la France a eu l'honneur d'introduire dans tous ces pays la paix française, la sécurité des personnes et des biens. Nous commettrions une véritable folie et un attentat contre l'humanité elle-même si nous laissions mettre en péril cette armature qui maintient la paix et qui est la sauvegarde du progrès. "
(122)
                                                            Marius Piedineri
A suivre

NOTES
        61 Vie française, 30 juin 1961 (cité par Maurice Allais dans L'Algérie d'Evian).
        62 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, Plon, 1962, p. 217.
        63 Faut-il partager l'Algérie ?, p. 358.
        64 Faut-il partager l'Algérie ?, p. 50-51.
        65 Cité par Georges Dillinger, dans Le meurtre des départements d'Algérie, Atelier Fol'Fer, 2008, p. 133.
        66 Cité par Alain Peyrefitte dans Faut-il partager l'Algérie ?, Plon, 1962, p. 357.
        67 Marcel-Edmond Naegelen, Une route plus large que longue, Robert Laffont, 1965, p. 53-54.
        68 Dominique Venner, De Gaulle, La grandeur et le néant, Editions du Rocher, 2010 (1ère éd. 2004), p. 277.
        69 Pierre Méallier, La guerre d'Algérie à travers les tracts de l'O.A.S., Mon Petit Editeur, 2012, p. 148-149.
        70 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 13-14.
        71 Lire à ce sujet Roland Lombardi, Israël au secours de l'Algérie française, L'Etat hébreu et la guerre d'Algérie (1954-1962), Editions Prolégomènes, 2009.
        72 " L'Etat d'Israël n'est pas accepté pour ce qu'il est, pour ses droits et pour ce qu'il fait, mais par sentiment de compassion. Cette compassion constitue, aujourd'hui comme alors, une raison presque première ", écrit Misha Uzan dans son article Israël et les intellectuels français de 1967 à 1982.
        73 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, Plon, 1962, p. 283.
        74 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 43-45.
        75 Jacques Soustelle, Le drame algérien et la décadence française, Réponse à Raymond Aron, Plon, 1957, p. 46.
        76 Georges Bidault, Algérie, l'oiseau aux ailes coupées, La Table Ronde, 1958, p. 7.
        77 Albert Camus, Chroniques algériennes, 1939-1958, Actuelles III, Editions Gallimard, 1958, p. 22-23.
        78 En permettant à Maurice Allais, au printemps 1962, d'exposer ses idées dans les colonnes du journal.
        79 Faut-il partager l'Algérie ?, p. 345.
        80 Faut-il partager l'Algérie ?, p. 131.
        81 D'après Alain Peyrefitte, cité par Daniel Garbe, dans Alfred Fabre-Luce, Un non-conformiste dans le tumulte du XXe siècle (François-Xavier de Guibert, Paris, 2009).
        82 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle.
        83 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Editions de l'Alma, 1962, p. 23 et p. 253.
        84 Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, Editions Complexe, 1995, p. 109.
        85 Jacques Hermone, La gauche, Israël et les Juifs, Editions de La Table Ronde, 1970, p. 255-256.
        86 Dominique Venner, De Gaulle, La grandeur et le néant, Editions du Rocher, 2010 (1ère éd. 2004), p. 245.
        87 René Guitton, Ces Chrétiens qu'on assassine, Flammarion, 2009.
        88 Voir Bat Ye'or, " Le facteur dhimmi dans l'exode des Juifs des pays arabes ", Pardès, 2003/1 (n°34), p. 33-60.
        89 Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou le Métier d'historien, Paris, Armand Colin, 1997 (1ère éd. 1949), p. 45.
        90 Un million de chrétiens, capturés sur les côtes européennes (italiennes, espagnoles et provençales surtout) par les pirates Barbaresques, ont été mis en esclavage dans les villes d'Afrique du Nord (Alger, Tunis, Tripoli…) essentiellement du XVIème au XVIIIème siècle. Quant aux Juifs d'Algérie, soumis à une application très restrictive du statut de dhimmi, leur oppression sous la Régence turque n'est plus à démontrer. La France, débarquant à Alger en juillet 1830 libèrera les derniers esclaves chrétiens présents et délivrera les Juifs de leur condition humiliante. Et, fait très troublant, les lieux d'origine d'une grande partie des Européens qui migrèrent en Algérie à l'époque française (côtes du Levant espagnol, Baléares, Italie du Nord et du Sud, Midi de la France, Corse, Malte) coïncident au kilomètre près avec les lieux d'origine des chrétiens emmenés autrefois en esclavage à Alger et en Afrique du Nord sous la Régence turque (voir Bartolomé Bennassar, Lucile Bennassar, Les chrétiens d'Allah, Perrin, 1989). On peut donc dire sans exagérer que les Pieds-Noirs sont les descendants directs de ces esclaves chrétiens d'Alger.
        91 Eric Aeschimann, Christophe Boltanski, Chirac d'Arabie, Les mirages d'une politique française, Grasset, 2006, " Chapitre 2, Contes et légendes des amitiés franco-arabes ".
        92 Eric Aeschimann, Christophe Boltanski, Chirac d'Arabie, Les mirages d'une politique française, Grasset, 2006, " Chapitre 2, Contes et légendes des amitiés franco-arabes ".
        93 Ibid.
        94 Jacques Soustelle, Vingt-huit ans de gaullisme, La Table Ronde, 1968, p. 474.
        95 Edmond Jouhaud, Serons-nous enfin compris ?, Albin Michel, 1984, p. 28.
        96 Jacques Soustelle, Vingt-huit ans de gaullisme, Editions de la Table Ronde, 1968, p. 352.
        97 Roland Lombardi, Israël au secours de l'Algérie française, L'Etat hébreu et la guerre d'Algérie (1954-1962), Editions Prolégomènes, 2009, p. 125 et p. 128.
        98 Misha Uzan, Israël et les intellectuels français de 1967 à 1982.
        99 Jacques Hermone, La gauche, Israël et les Juifs, Editions de La Table Ronde, 1970, p. 172.
        100 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Editions de l'Alma, 1962, p. 258.
        101 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Editions de l'Alma, 1962, p. 22.
        102 Jacques Hermone, La gauche, Israël et les Juifs, Editions de La Table Ronde, 1970, p. 234.
        103 Nicolas Beau, Paris, capitale arabe, Le Seuil, 1995, p. 118.
        104 Emmanuel Navarro, Enquêtes d'Algérie, Le culte des hommes premiers, Tome 1, Bannissement, L'Harmattan, 2016, p. 120-121.
        105 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, Editions du fuseau, 1964, p. 15-16.
        106 Jacques Soustelle, Sur une route nouvelle, op. cit., p. 70.
        107 Jacques Soustelle, " Second tour et troisième force ", in Revue des Deux Mondes, juin 1987, p. 574-583. A lire sur jacques-soustelle.blogpost.fr.
        108 L'espérance trahie, p. 112 (extrait d'une note remise par le ministre Jacques Soustelle au président de Gaulle le 26 août 1959, intitulée " Note complémentaire sur le problème algérien ").
        109 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Editions de l'Alma, 1962, p. 306.
        110 Jacques Soustelle, Interview à Face the Nation, CBS News, 27 mars 1960.
        111 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, Plon, 1962, p. 132.
        112 Jean-Christophe Notin, Maréchal Juin, Editions Tallandier, 2015, p. 585.
        113 Albert Camus, Chroniques algériennes, 1939-1958, Actuelles III, Editions Gallimard, 1958, p. 205.
        114 Roland Lombardi, Israël au secours de l'Algérie française, L'Etat hébreu et la guerre d'Algérie (1954-1962), Editions Prolégomènes, 2009, p. 126 et p. 138.
        115 Jacques Soustelle, Le drame algérien et la décadence française, Réponse à Raymond Aron, Plon, 1957, p. 41.
        116 Jacques Soustelle, L'espérance trahie, p. 304.
        117 Jacques Soustelle, " La rébellion algérienne dans le cadre du pan-arabisme ", in Revue de Défense nationale, juillet 1956, p. 823-827.
        118 Cité dans Claude Martin, Histoire de l'Algérie française, Tome 2, Robert Laffont, 1979 (1ère éd.1963), p. 236.
        119 Marcel-Edmond Naegelen, Une route plus large que longue, Robert Laffont, 1965, p. 284-295.
        120 Référence au sacrifice des neuf porte-drapeaux musulmans des anciens combattants de Mostaganem (petite ville de l'Ouest algérien), tour à tour menacés, condamnés à mort, puis exécutés par le FLN, en punition de leur fidélité sans faille à la France et à son drapeau, entre 1957 et 1960. Voici leurs noms : Tcham Kouider (assassiné le 14 février 1957), Caid Mechta (assassiné le 21 juin 1957), Bensekrane Yahia (assassiné le 8 août 1957), Hennouni Besseghir (assassiné le 5 octobre 1957), Hadj Gache (assassiné le 27 août 1958), Bey Bagdad (assassiné le 14 juillet 1959), Addad Ali (assassiné le 11 septembre 1959), et Rhamouni Lakdar (assassiné le 7 novembre 1960). Quant au suivant, Belarbi Larbi, qui survécut, il fut " rapatrié " en France en 1962, emportant avec lui son drapeau.
        121 Maurice Allais, L'Algérie d'Evian, Editions Jeune Pied-Noir, 1999 (1ère éd. chez L'Esprit Nouveau, 1962), p. 46-49.
        122 Yvon Lapaquellerie, Edouard Daladier, Flammarion, 1940, p. 191-192.


Ma Mère d'Algérie
Envoyé par M. Jean Claude Puglisi



QUELQUES PAGES D'UN VIEUX CAHIER

Source Gallica

Souvenirs du Général Herbillon (1794 - 1866)
Publiés par son petit-fils

        CHAPITRE IX
        Expédition contre les Zerdezas, et dans l'Edough (février 1843). - Expédition dans les montagnes de Collo (avril 1843). - Expédition contre les Hanenchas (mai et juillet 1843). - Le duc d'Aumale prend le commandement de la province de Constantine (décembre1843). - Herbilllon est envoyé à Batna.

        Les nouvelles fonctions assignées au colonel Herbillon ne l'arrachent pas à sa vie d'action; bien au contraire, et pendant qu'il commande le 61e à Philippeville, il va participer à une nouvelle série d'expéditions. L'année 1843, pour sa seule part, en comporte quatre qui s'échelonnent de février à juillet. Celle des Zerdezas, celle de l'Edough, de Collo et celle des Hanenchas. Pour les trois premières, le général Baraguay d'Hilliers avait le commandement suprême des troupes, pour la dernière, Herbillon commandait en chef la colonne expéditionnaire. Passons-les en revue, puisqu'elles constituent les événements saillants de sa vie militaire durant cette année.

        Les Zerdezas, d'abord, placés entre Philippeville, Bône et Guelma, interceptaient toute communication entre ces points importants. Bien armés, ils organisaient des incursions chez leurs voisins pour y faire des razzias. Très inquiets de voir les Français établis sur la limite de leur territoire, mais enhardis par leur impunité, ils répandaient la terreur chez les tribus soumises.
        Depuis la prise de Constantine, on essayait de la conciliation vis-à-vis des Zerdezas, sans obtenir d'autre résultat, d'ailleurs, que de les rendre plus insolents de jour en jour. Le général Baraguay d'Hilliers, se rendant compte de l'importance de leur soumission, prit toutes ses dispositions pour entrer chez eux en février 1843. Deux colonnes furent formées : l'une, composée de trois bataillons du 61e, descendait de Philippeville avec le colonel Barthelémy, commandant le Cercle de Philippeville comme chef de ce détachement (dont je faisais naturellement partie), l'autre partait de Constantine sous les ordres du général lui-même.
        Le départ eut lieu le 13, les deux fractions coordonnant leurs mouvements pour parcourir le plus rapidement possible le territoire des Zerdezas.

        Le 14, nous passions le défilé du Safouas, et le 1er bataillon commandé par le capitaine Désombiers, explora les ravins de Bou-Médine, en chassa les Arabes et leur enleva 400 têtes de bétail.

        Le 16, du camp d'Aïn-Sousse, le commandant de Montagnac fut envoyé en reconnaissance; il se mit à la poursuite d'un troupeau considérable qu'il ne put atteindre que dans le pays des Ouled-Meniah. Les spahis de Philippeville sous les ordres du capitaine Ambert s'étaient beaucoup trop avancés, ils furent en un instant entourés d'une grande quantité d'Arabes et ne durent leur salut qu'au commandant de Montagnac qui, ayant fait prendre le pas de course à sa troupe, arriva de sa personne avec quelques voltigeurs à l'endroit où les Arabes et les spahis étaient aux prises. Il dégagea ces derniers, s'empara d'un troupeau d'environ 1.500 têtes de bétail qu'il conduisit au camp du général Baraguay d'Hilliers qui était proche. Nous rentrions le 25 à Philippeville, après avoir parcouru tout le pays.

        La tribu rebelle se rendit à discrétion, fit sa soumission, acquitta les amendes qui lui avaient été imposées et reçut des mains du général, un caïd pris dans la famille qui, de tout temps, l'avait gouvernée...
        Cette expédition, qui dura dix jours, produisit un effet merveilleux sur toutes les tribus insoumises et prépara celle de l'Edough, qui eut lieu immédiatement après et qui ne fut que la suite de celle des Zerdezas, ces deux pays étant limitrophes. (L'Edough s'étend en bordure de la mer à l'ouest de Bône.)
        Les tribus de cette région formaient un repaire de tous les brigands, les voleurs qui fuyaient l'autorité et les châtiments des Français. Elles servaient aussi de refuge aux mécontents, inquiétaient les alentours de Bône. Il était d'autant plus urgent de les soumettre qu'un fâcheux marabout, Sidi Zerdoud, d'un fanatisme outré, y avait établi domicile.

        Ce prétendu saint homme avait prêché la guerre sainte et avait soulevé contre les Français les populations nombreuses de la' plaine du Safsaf, des Zerdezas et du Djebel Edough. Traînant à sa suite toutes ces hordes désordonnées, il avait porté l'audace jusqu'à vouloir s'emparer du camp de El Arouch (au sud de Philippeville), où était le 22e de ligne. Repoussé avec perte, il avait continué ses prédications et il n'attendait que le moment opportun pour frapper l'imagination de ses coreligionnaires par un coup hardi.
        Sidi Zerdoud était un de ces hommes dangereux qui, ne désespérant jamais, savent se plier aux circonstances. Il connaissait trop la haine que les indigènes portent aux chrétiens pour ne pas compter sur leurs passions. Il nourrissait encore l'espoir de nous susciter de nouveaux ennemis et de nous créer de grands embarras.
        Telle était la situation pressante qui détermina le général Baraguay d'Hilliers à agir de la même façon dans l'Edough que chez les Zerdezas. Il dirigea la première colonne, le colonel Barthelémy la seconde avec la 61e, que je commandais.

        La conduite de ce bon régiment fut admirable ; c'est à lui que l'on dut la prise du fameux marabout dont on voulait la tête.

        Le départ eut lieu le 25 février 1845. Le 2 mars, deux bataillons du 61e tentèrent de cerner le Cap de Fer où le marabout était censé s'être réfugié. L'opération ne donnant pas de résultat, fut reprise le lendemain par le commandant de Montagnac et la tête de Sidi Zerdoud fut rapportée au général Baraguay d'Hilliers.
        Cette prise importante termina l'expédition. Le 4 mars la colonne se mit en route pour gagner ses quartiers. Le retour fut pénible. Des pluies torrentielles gonflaient les torrents, alourdissaient les sacs. Le 7 au soir seulement, le 61e rentrait à Philippeville.
        De cette époque, ce pays resta soumis. On put exploiter la forêt de l'Edough. On fit un chemin de Bône au sommet de cette montagne et jamais depuis il ne fut nécessaire d'y envoyer des troupes.
        Les bataillons rentrés à Bône, Constantine et Philippeville se préparèrent à se mettre en route pour l'expédition des montagnes de Collo, qui eut lieu au mois d'avril de la même année.

        La route de Constantine à Philippeville, protégée insuffisamment par les camps d'El Arouch et de Smendou et par la responsabilité imposée aux tribus des crimes commis sur leurs territoires, n'offrait pas une sécurité absolue pour les voyageurs. Les coupables se réfugiaient dans les montagnes, chez les Kabyles de Collo qui, par leur position, avaient toute facilité pour inquiéter la route et mettre leur butin à l'abri de toute atteinte. Le même ordre de combat que précédemment fut adopté. Le colonel Barthelémy prit le commandement de la colonne formée du 61e de ligne, de deux escadrons de spahis et de deux pièces de montagne.
        C'était la première fois que nos armes allaient être portées dans ce pays inconnu. Aussi, on s'attendait à une vive résistance et le 61e de ligne agissant en colonne séparée, était enchanté de la mission qui lui était confiée. Sa conduite prouva que le général ne s'était pas trompé dans la confiance qu'il avait mise dans ce régiment.

        La colonne Barthelémy quitte Philippeville le 7 avril 1843. Dès le premier jour, les commandants de Montagnac et d'Exea se firent remarquer en enlevant à la tête de leurs bataillons les défilés qui donnent accès sur le territoire de Collo, défendu par les indigènes. Le soir même, les Kabyles dirigèrent une attaque de nuit sur le camp et c'est encore le bataillon d'Exea qui fut chargé de la repousser. M. le commandant d'Exea donna en cette circonstance preuve de grand sang-froid et de courage.

        Du 8 au 26 avril, la colonne parcourut la région et rayonna dans tous les sens. Le 27, je fus envoyé avec le 1er bataillon pour pousser une pointe dans le pays d'Arh-el-Arch. Je n'avais avec moi que 320 hommes et nous eûmes affaire à des contingents nombreux qui nous harcelèrent vigoureusement. Faute de cartouches, on dut se replier avec 3 hommes tués et 17 blessés.

        Il fallait en toute hâte quitter ce pays difficile (ravins profonds, escarpés et excessivement boisés) et cela d'autant plus vite que les cartouches étaient épuisées... Les blessés furent pansés, les morts enlevés. On ne laissa absolument rien entre les mains des Kabyles et nous rentrâmes au camp à 6 heures du soir, rapportant comme trophées des fusils, des yatagans... Officiers et soldats se conduisirent bien, et le manque de munitions ne les empêcha pas de battre en retraite avec le plus grand calme et sans précipitation.

        Le 29, nouvel exploit du commandant de Montagnac, dans une reconnaissance vaillamment conduite. Du 30 avril au 15 mai, quelques coups de fusil seulement furent échangés avec les Kabyles qui firent soumission et payèrent les amendes imposées.

        A peine les troupes ont-elles regagné leurs cantonnements que le général Baraguay d'Hilliers prépare une nouvelle campagne. Dès qu'il présume que ses hommes se sont reposés de leurs fatigues, il donne l'ordre d'envahir le pays des Hanenchas. Nous avons vu précédemment la rivalité ancienne entre Resky et Asnouï qui se disputaient tous deux l'autorité sur ces importantes tribus. Nous savons qu'à la suite d'une fausse démarche du général Guingret, Asnouï rompit les négociations un instant engagées pour sa soumission éventuelle. Cela se passait en 1839. Depuis ce temps, le caïd avait vécu indépendant et pour conserver son prestige, il avait organisé un goum nombreux, bien monté, avec lequel il en imposait aux tribus environnantes. Ce goum était la terreur des pays soumis à notre autorité.
        Trois colonnes furent formées : la première à Constantine, sous les ordres du général Baraguay; la seconde à Bône, avec le colonel Senhiles; la dernière à Philippeville, sous mon commandement.

        Cette colonne était composée de six compagnies d'élite du 61e, le bataillon du 31e, le bataillon des chasseurs à pied d'Afrique, 2 pièces de montagne, 150 chevaux pris dans l'escadron de Guelma, le détachement des spahis de Bône, un détachement des spahis de La Calle ; en tout 1914 hommes.
        Le départ eut lieu le 20 mai, de Philippeville. Le 23, la colonne passe à Guelma. Dans la nuit du 24 au 25, les Arabes font contre le camp établi à Oued Maïlha une démonstration hostile. Le 25, la journée fut marquée par une attaque des indigènes.
        Arrivés à la-hauteur du Djebel Nouidir, nous aperçûmes une grande quantité d'Arabes réunis sur les pentes boisées de cette montagne et manifestant l'intention d'arrêter notre marche; je fis faire halte à la colonne.

        Le 3e bataillon d'Afrique reçut l'ordre de mettre les sacs à terre et de gravir au pas de course la montagne qu'occupaient les Arabes. Ce mouvement se fit avec rapidité et les Arabes furent débusqués de toutes leurs positions. Pendant que cette attaque s'exécutait, les spahis de Guelma se portèrent sur la route de Fedj-Mortha, afin de couper la retraite à l'ennemi. Le 61e, avec tout le convoi, suivit la même direction, le 31e formait l'arrière-garde. Les Arabes se retiraient au fur et à mesure que nous avancions. Sur le plateau de Oued Cham, ils se trouvèrent réunis en grande quantité. Le commandant de Montagnac reçut l'ordre de laisser le convoi sous la garde du 31e, de passer avec son bataillon d'élite le Fedjj Maïktell et une fois arrivé près de Hadjara, de faire poser les sacs à terre et d'attaquer vigoureusement ces groupes.

        Vigoureux officier et d'une grande intelligence, il se mit à la tête de son bataillon, se porta au pas de course contre les goums qui prirent immédiatement la fuite. Le commandant les poursuivit et ce fut en ce moment qu'ayant eu à lutter contre un Arabe et se penchant sur son cheval, son pied glissa de l'étrier. Entraîné par le poids du corps, il tomba de cheval et se cassa le poignet droit.
        L'escadron des spahis de Guelma étant arrivé, se mit à la poursuite des Arabes qui se sauvèrent du côté de Oued Riven.
        Le capitaine Vacheron du 31e s'étant trop avancé, les cavaliers d'El-Asnouï que celui-ci conduisait lui-même parurent vouloir reprendre l'offensive; alors je me portai rapidement à leur rencontre avec 2 compagnies d'élite et une pièce de montagne, ce qui les arrêta et les obligea à se retirer précipitamment.

        Le 26 mai, la marche en avant se poursuit, une reconnaissance est poussée chez les Ouled Ahouïr. Il y eut un combat au ravin de Grebji ; le 3e bataillon d'Afrique aidé du 31e, délogea vigoureusement les Arabes.

        Le 27, je me mis en route à 5 heures du matin pour repousser les Ouled Ghuir jusque dans leurs derniers retranchements, mais à peine étais-je sorti du camp que les grands de la tribu vinrent à ma rencontre et firent leur soumission.
        Je changeai alors de direction et je me portai chez les Méchallas. Tous les ravins furent fouillés et il s'ensuivit une prise assez importante.

        Le 29, le lieutenant-colonel de Mac-Mahon amena un convoi au camp.

        Le 30, je pris avec moi le 3e bataillon d'Afrique et le bataillon d'élite du 31e et je me rendis chez les Emmahias qui mettaient une extrême mauvaise volonté à payer l'impôt. Nous leur prîmes 597 bœufs, 1.400 moutons et 63 chevaux et mulets. La chaleur devenait torride et cette journée fut très pénible. Le 1er juin, la colonne de Philippeville rencontra la colonne de Constantine. A plusieurs reprises railleurs il y eut rencontre entre les trois détachements.
        Le 6, je me mis en route en emmenant avec moi tous les otages fournis par les tribus, précaution prise pour assurer le paiement et la tranquillité du pays. Arrivé près de la plaine d'Adjarah, à un passage de défilé très étroit, profitant de la difficulté du chemin, à un signal donné par l'un d'eux, les otages essayèrent de se sauver. La garde fit feu sur eux. Deux d'entre eux furent tués. Un se sauva et le plus coupable, celui qui avait fomenté la fuite, fut fusillé sur place.

        Les journées suivantes amenèrent la pacification des territoires traversés. El Asnaouï et ses partisans ont fui jusqu'au-delà de la frontière de Tunis, prêt à revenir quand les Français auront quitté leur pays. La mesure prise par le général Baraguay Hilliers et signalée par la lettre suivante va heureusement mettre leurs projets à néant : Djebel Guehl, 20 juin 1843.
        Au Gouverneur général de l'Algérie.
        A la suite des opérations dont je vous ai rendu compte dans mon rapport du 9, il ne nous restait plus rien à soumettre des tribus qui, dans l'Est, obéissaient à El Asnaouï.
        Il fallait seulement forcer à revenir celles qui, à sa suite, avaient émigré sur le territoire tunisien. Pour y parvenir, j'ai renforcé Herbillon d'un escadron de spahis et lui ai dit d'établir son camp au milieu des champs de ces tribus révoltées et de faire couper leurs grains par les tribus soumises si elles se refusaient plus longtemps à reconnaître notre autorité. Le résultat ne se fait pas attendre puisque à la même date,
        Herbillon écrit :
        Les douars des Hanenchas qui s'étaient sauvés sur le territoire de Tunis commencèrent à rentrer; le 23, je recevais la visite des grands des Hanenchas et le 27, El Asnaouï est abandonné définitivement; les peuplades sont frappées d'une amende de 15.000 francs. La mainmise est complétée par la nomination, le 30 juin, du cheik Mohamed-ben-Salah, investi par le général Baraguay.

        Le 19 juillet, le lieutenant-colonel de Mac-Mahon arrive à 1 heure de l'après-midi à Souk-Arrhas, pour me remplacer avec une nouvelle colonne, et après m'être occupé de la constitution de nouveaux goums, le 24, je reprenais le chemin de Philippeville, où j'arrivais le 29.
        L'expédition avait duré du 20 mai au 29 juillet.

        Le pays des Hanenchas fut parcouru en tous sens. Les nombreuses tribus qui occupent ce vaste pays furent visitées. Toutes vinrent faire leur soumission; des contributions furent frappées et payées. Les Hanenchas qui avaient abandonné leur pays pour suivre El Asnaouï vinrent se soumettre à Mohamed-ben-Salah, leur nouveau caïd. Je laissai donc au lieutenant-colonel de Mac-Mahon un pays organisé et soumis.
        Le maréchal de camp d'Hilliers, nommé lieutenant-général le 6 août 1843, cède sa place à la tête de la province de Constantine au prince Henri d'Orléans, duc d'Aumale, qui prend le commandement en décembre 1843; Bugeaud, gouverneur général, a été fait maréchal de France le 31 juillet de la même année.

        Le duc d'Aumale devait voir son attention captée de suite par la longue série de succès remportés par le colonel Herbillon au cours des années de campagne d'Afrique qu'il compte déjà à son actif. Aussi, le 10 juin, alors qu'il a besoin pour une mission de confiance d'un officier, il songe à lui et lui écrit :

        Constantine, le 10 juin 1844.
        Mon cher Colonel,
        Afin de recueillir le fruit de mes dernières expéditions et de parer à toutes les éventualités, je me suis décidé à faire occuper, pendant quelque temps et jusqu'à nouvel ordre de M. le gouverneur général, par des forces qui puissent devenir agissantes, le point important de Batna.
        Comme les quatre grands caïds formés dans le Belezma relèvent provisoirement de ce commandement et qu'il a besoin d'être exercé avec suite et avec une certaine entente du pays et des affaires, je me suis décidé à vous le confier.

        C'est peut-être en ce moment le poste le plus important de la province et je ne doute pas que vous n'y répondiez à ce que j'attends de vous. Faites donc vos dispositions pour vous y rendre et remettez au lieutenant-colonel Canneau le commandement de votre régiment.
        Je compte vous voir arriver à Constantine avant le 20 courant.
        Agréez, mon cher Colonel, l'assurance de ma considération très distinguée.
        Signé : Le Lieutenant-général H. D'ORLÉANS.

        Au reçu de cette lettre, Herbillon remet son régiment au lieutenant-colonel et quitte Philippeville le 16.
        J'arrivai à Constantine le 17, à 3 heures de l'après-midi.

        Le 18, je déjeunai avec Son Altesse Royale, qui me donna ses instructions. Je quittai Constantine le mercredi 19 juin et le 20 au soir, j'étais à Batna.

        Après Guelma, Batna. Les remarquables dispositions montrées par le colonel Herbillon dans la direction active des affaires arabes, dans l'impulsion donnée au développement rapide du Cercle dont il a conservé quatre ans le commandement, il va de nouveau les appliquer avec persévérance au nouveau centre d'action qui lui est offert. Sa reconnaissance va à celui qui lui fournit une nouvelle occasion de se distinguer et d'utiliser sa rare intelligence du caractère et de la politique arabes. Aussi sa mémoire lui dicte-t-elle, en 1853, cet éloge du prince d'Orléans :
        Je me rappelle avec orgueil mon séjour en Afrique où, dans des moments difficiles, je fus choisis et employé par des officiers généraux de réputation et entre autres par le prince duc d'Aumale, jeune homme d'une grande capacité, d'une grande facilité de travail et qui apportait dans le commandement intelligence et discernement. Aussi suis-je fier d'avoir été digne de sa confiance.

        Le Moniteur du 17 août 1844 associe dans un même hommage le Prince et ses collaborateurs et l'extrait suivant qui concerne Herbillon, visiblement inspiré par le Gouvernement, prouve que la confiance du duc d'Aumale était partagée par ceux qui étaient alors au pouvoir. Après l'énumération des actes du nouveau commandant de la province de Constantine, nous lisons :
        De tels faits parlent assez haut pour faire comprendre tout ce que la France doit au jeune général à qui cette grande mission était confiée, ainsi qu'aux hommes dont il a mis en œuvre l'infatigable dévouement. Au premier rang sans doute, il est juste de placer le colonel Herbillon, à qui une grande connaissance du pays, une volonté énergique de se consacrer tout entier à l'Algérie, a donné les moyens de rendre de très grands services dont les rapports du Prince sont la preuve la plus honorable et la plus positive.
        Le colonel Herbillon prend donc possession du commandement de Batna.

        Ce fut le 21 juin qu'on quitta l'ancien camp qui n'était que provisoire, pour aller s'établir sur l'emplacement désigné pour l'établissement définitif du camp.

        Le 22, les bataillons du 31e et du 2e de ligne et, quelques jours après, un bataillon de mon régiment (61e) me fut envoyé.

        Le camp fut divisé en quatre carrés : l'un pour le commandant en chef et l'administration, un pour la cavalerie, un pour l'infanterie ; Le dernier pour le génie et l'artillerie. Les tentes furent immédiatement dressées.
        Je parcourus tous les environs, je fis travailler à la fontaine, M. le capitaine Devaux qui était resté dans l'ancien camp comme chargé des affaires arabes me les remit et me quitta.

        Dès le lendemain, 23, les Arabes se rendirent à ma tente.
        Je donnai mes instructions aux caïds et aux cheiks et je pris définitivement le commandement du poste de Batna, qui devint Cercle et ensuite subdivision pendant les quatre ans que j'y restai.

        Le Gouverneur général ne donne son approbation définitive à cette transformation qu'au mois de septembre 1844, et on attendit ce moment pour commencer les travaux d'aménagement définitifs. C'est donc du 22 juin 1844 que date l'origine de la ville de Batna. Herbillon nous donne à ce sujet l'historique du monument commémoratif qu'il voulut ériger :
        Pour rappeler la date précise de la prise de possession, je fis élever une colonne retirée des ruines de Lambessa (à 4 kilomètres de Batna). On devait placer en haut de cette colonne le buste de Son Altesse Royale le duc d'Aumale. Il me fut annoncé par lettre du colonel Jamin, aide de camp de Son Altesse Royale, en date du 16 janvier 1847, ainsi conçue :

        Paris, le 16 janvier 1847.
        Mon Général,
        J'ai attendu que le buste de S. A. R. Monseigneur le duc d'Aumale fut terminé par l'artiste qui en est chargé pour vous annoncer que S. A. R. accédait avec plaisir à votre demande. Il faut actuellement que ce buste soit coulé en plâtre. Il subira les critiques de l'exposition, puis sera exécuté en marbre de Batna; S. A. R. est en uniforme d'officier , Herbillon était maréchal de camp depuis 1846, général, en burnous jeté sur l'épaule droite. Il est dans les proportions que vous avez désignées.

        Permettez-moi, mon Général, de profiter, etc., etc.
        L'Aide de Camp de service,
        Signé : JAMIN.

        La révolution de 1848 a annulé ce projet, comme beaucoup d'autres. La colonne a été dressée, mais le buste manque et a été remplacé par le Drapeau tricolore. Très heureux encore que l'on ait conservé intacte cette marque matérielle qui porte le souvenir de la prise de possession du pays de Batna, à laquelle mon nom sera attaché, car j'ai posé la première pierre du premier établissement militaire.
        La main-d'œuvre militaire, la seule qu'on puisse utiliser pour le moment, va faire les frais de l'établissement d'un poste stable.
        Le brave 61e, mon régiment, commença les constructions, travailla aux fontaines, défricha les terres, planta les premiers arbres et donna la principale impulsion. Des moulins furent construits, un camp fut établi dans la forêt des Cèdres ; des arbres séculaires furent abattus, des briqueteries établies ainsi que des fours à chaux. Des maisons furent construites aux colons; des routes furent tracées et commencées.

        Si bien qu'en 1847, quand Herbillon quittera Batna, il pourra écrire : Il y avait un hôpital, une caserne, des écuries entièrement terminées. Le petit pavillon du commandant supérieur, les hangars-baraques pour la troupe et celui qui servait de logement aux officiers, avaient été conservés.
        Nous avons jeté un coup d'œil rapide sur ces détails d'installation pour n'avoir plus à y revenir. Là ne se bornaient pas d'ailleurs les occupations d'Herbillon.

        A peine arrivé à Batna, je poussai des reconnaissances jusqu'au pied des montagnes et par des courses réitérées je parvins à forcer les Achaiches à se soumettre, exemple qui fut suivi par les tribus de la plaine. Cela facilita l'expédition que le général commandant la province de Constantine voulait entreprendre dans le Djebel Aurès.
Le lieutenant-général Bedeau a succédé à Constantine au duc d'Aumale.
C'est donc à celui-ci que revient la première idée de cette expédition, mais son départ l'empêcha de mettre à exécution cette course.

        
A SUIVRE


Chantiers nords-africains
           Trouvé à la BNF            01-1933  

 LA DESTINÉE D'UN SITE
Par M. J. COTEREAU, Ingénieur de Polytechnique,
Lauréat de l'Académie des beaux-arts

              Les pages remarquables que nous reproduisons ci-après ont été écrites par M. J. Cotereau, pour la grande revue métropolitaine "Le monde Colonial illustré " qui les publia dans un numéro spécial consacré à l'œuvre de la France en Algérie. Tous les Algérois sauront gré à notre éminent collaborateur et ami d'avoir ainsi chanté, dans une prose magistrale, les charmes de leur belle cité et espoir d'un avenir urbain chargé de prospérités.

De la préhistoire au gratte-ciel

              Le nomade préhistorique qui, le premier, dressa sa tente, devant la mer, sur les collines où devait se bâtir Alger, si les soins de sa vie précaire lui en laissèrent le loisir, put admirer, avec I émoi des religiosités primitives, le site qui se déroulait sous ses yeux. La côte s'incurvait autour d'une baie semée d'îlots ; vers elle s'épanouissaient les contreforts des montagnes occidentales, coupés de ravins tortueux, frangés de plaines littorales. L'homme résolut de se fixer. Il pria sans doute les Dieux de bénir la terre choisie.

              Les Dieux l'avaient bénie, en effet. Nous disons plutôt, aujourd'hui, que des facteurs de divers ordres lui avaient assigné sa destinée. L'harmonie purement esthétique qu'évoque pour nous le mot " site ", la seule qu'eût pu ressentir le premier des Algérois, en traduisait une autre plus profonde. La nature offrait à l'homme le socle d'une capitale.

              Amorcé par l'émoi d'un primitif, poursuivi à travers l'histoire par les efforts des fondateurs et des régénérateurs, du Romain qui bâtit Icosium, du prince Bologguin qui construisit El-Djezaïr, des Barberousse qui en firent la grande ville des Corsaires, de Bugeaud qui l'instaura cerveau d'une colonie, le développement de la cité commence à peine à entrer dans sa phase consciente. C'est le moment d'en dégager, dans la mesure du possible, les principes directeurs...

Une vocation tardive

              Le site, disions-nous présageait la capitale. D'aucuns le contesteront, tant la vocation fut tardive. Nous répondrons tout de suite : l'Algérie manquait à Alger...
              Ce qui a existé de longs siècles, c'est seulement la Berbérie, terre de contradiction, d'invasion et d'anarchie; Méditerranéenne certes, comme nous le voulons aujourd'hui, sœur de l'Espagne, de la Provence, moins séparée de l'Europe par la mer que de l'Afrique par le désert. Africaine cependant, massive et continentale, hantée par l'énorme présence du Sahara à l'arrière-plan. Un pays à double face.

              Une telle géographie a rendu l'histoire hésitante. Nous voyons l'Afrique du Nord, tantôt s'agréger au concert européen, tantôt s'intégrer dans le monde sémitique. Nous voyons les villes maîtresses, suivant ces flux et ces reflux, s'établir tantôt sur la côte, tantôt fort loin dans l'intérieur.

              L'Afrique Romaine, on le sait, avait fourni à l'Empire, non seulement du blé, mais même des orateurs, des écrivains et des empereurs. Caesarea, capitale de la Maurétanie Césarienne, était un Alger approximatif.
              Après l'invasion arabe, par l'Egypte et la Libye, se construisirent d'autres villes, éphémères comme des mirages ou bientôt figées dans leurs prières, Sidi-Okba, la Calle, Sedrata, Tahert, Tlemcen. Et sur l'axe de l'Algérie, Achir, l'une de ces villes, fut un Alger face au désert. Absorbé par l'Islam, le Maghreb fut un Alger face au désert. Absorbé par l'islam, le Maghreb ignore l'Europe.

              A la fin du XVe siècle, les relations se rétablissent. Les républiques côtières inaugurent l'ère de la Course. L'Espagne impose à l'une d'elles la cession d'un îlot qui en commande le port. Les habitants, lassés de cette servitude, appellent à leur secours des pirates levantins. Ceux-ci chassent les chrétiens, subjuguent les citadins, réduisent les Etats de l'intérieur, offrent leurs conquêtes au Sultan, font d'une ville inconnue la capitale du pays et de la piraterie. Alger s'est réalisé.

              Le Maghreb une fois de plus a retourné son activité; il guettera les galères, et non plus les caravanes.

              Même choisie par le hasard, notre ville n'en était pas moins le plus beau nid de pirates que présentât le littoral ; sa position centrale l'éloignait également des avancées de l'Europe, l'assurait le mieux possible contre les retours offensifs. La courbe de la côte, le régime des vents et le relief du sol la rendaient presque inexpugnable, soit par la terre, soit par la mer. Elle était née pour dominer la Méditerranée latine, comme une araignée l'aire de sa toile.

              Mais sa puissance s'arrêtait à quelques lieues vers l'intérieur. Une activité contre nature lui interdisait de s'occuper du pays qu'elle eût dû régir. Capitale, elle n'osa l'administrer. Port, elle en négligea le commerce. Elle se laissa aller à la paresse et à l'anarchie. Sa dignité ne tenait qu'à sa mission détestable : l'Islam, qui avait ruiné la terre, l'avait chargée de ruiner la mer.

              Une seconde intervention de l'Europe modifia la situation. Le 5 juillet 1830, la France s'empara d'Alger.
              Autour de la première conquête se cristallisa un pays qui lui emprunta son nom. La structure de ses montagnes, la sauvagerie de ses cours d'eau, la surface de ses déserts, le caractère de ses autochtones avaient voué la Berbérie au morcellement politique. Par la réduction des distances, des obstacles et des dissidences, le génie occidental lui imposa l'unité et le nom nouveau d'Algérie.

              Dira-t-on que ce fut encore par le hasard d'une conquête ? L'étude scientifique et, si j'ose dire, la rationalisation du pays dégagèrent les grandes lignes de ce chaos millénaire et marquèrent le nœud à Alger.

              La plaine de la Mitidja, jadis encerclement de miasmes, devint pour la ville nouvelle un diadème de riches cultures, pour son port, un gage d'activité. Les premières routes militaires relièrent ce noyau d'un côté à la plaine du Chéliff, de l'autre à la Kabylie et aux plateaux de Sétif. Ainsi put s'établir la grande artère algérienne qui relie Rabat à Tunis. Alger, l'ayant déviée vers lui par l'attraction propre des villes, devint l'escale de ce long trajet, le nœud des communications tant routières que ferroviaires, le centre administratif, la capitale intégrale. La route de Médéa lui avait déjà livré le Sud...

              L'homme reconnut alors qu'il s'était une fois de plus borné à rendre conscientes les aspirations confuses de la nature. Comme le démontre M. le Professeur Gautier dans son étude magistrale sur la structure de l'Algérie, la nouvelle capitale marque la chute en la mer d'un axe structural du pays, de l'arête montagneuse que jalonnent le Hoggar, Laghouat et Médéa.
              Obsédée par l'évidence des subdivisions longitudinales, Tell, Hauts-Plateaux et Désert, la géographie classique avait trop peu remarqué une ligne moins visible. C'était là pourtant la limite de deux Algérie bien distinctes, quant à la formation géologique, quant au relief, au climat et à la végétation : à l'Ouest des plaines agrestes ; à l'Est, des chaînons boisés. Comme cet axe marque, d'autre part, une avancée du désert à cent kilomètres des côtes, on peut dire qu'il constitue, dans un pays sans voies navigables, une artère d'écoulement naturelle, moins manifeste qu'un cours d'eau, mais utilisable à sa place. Caesarea et Achir s'étaient déjà établis en cette région centrale, au nœud de trois Algérie. Alger les y supplanta.

La France fixe la destinée d'Alger

              Les Turcs avaient exploité la position du port de guerre. Les Français mirent en valeur celle du port de commerce. Ils lui livrèrent fertilisés, comme une zone de richesses à drainer pour l'exportation, à irriguer par l'importation, les maquis et les marécages où les Turcs l'avaient isolée.

              Certes les longueurs parallèles du littoral et de l'intérieur valurent à notre port autant de concurrents que d'arrière-pays à desservir ; et le centre de l'Algérie n'en a pas centralisé le commerce maritime.

              Mais il reconquiert sa suprématie dans l'ordre international. Sa position reste centrale, comme aux temps barbaresques, quoique pour d'autres buts et avec une autre envergure, non plus entre Malte et Gibraltar, mais sur la ligne Mer du Nord-Suez. Les navires de cette ligne sont conduits à y faire escale, pour se réapprovisionner en combustibles, cependant que les matelots et touristes, en route vers l'Orient, vont en chercher dans divers quartiers un avant-goût conventionnel.

              Alger, ville orientale ? vieux cliché anachronique, maintenu par le snobisme, absurdité géographique ! J'ai tenté d'expliquer la capitale par les symétries impressionnantes qui s'équilibrent sur elle. Une dernière la justifie d'une façon définitive : sa position sur l'axe de la France, face aux côtes de ce pays. L'attraction de celui-ci s'est exercée de plus en plus sur la vieille terre berbère, jusqu'à l'entraîner dans son orbite. Les Espagnols n'ont pas conquis Alger, ni les Romains toute l'Algérie. Celle-ci était destinée à être mieux que Française, un morceau de France vraiment. A en croire la théorie de Wegener sur les migrations des continents, les deux terres qui avaient fait bloc se seraient un jour détachées, seraient parties à la dérive vers des destinées contraires. Par la mer interposée, l'homme les a reliées, grâce à des ports prédestinés. En face de la Métropole, Alger s'est montré le plus proche. C'est par lui que la colonie reçoit les dons les plus précieux de son initiatrice latine, les individualités d'élite et les productions de l'esprit. Alger, nombril de l'Algérie, est ainsi le point où afflue, dans cette maison filiale et encore embryonnaire, le sang de la nation mère.
              Ailleurs, suivant les vis-à-vis, c'est un autre sang qu'on transfuse: à l'Ouest, Espagnol, et à l'Est, Italien. Dans ce creuset ethnographique que reste cette vieille terre, à la veille peut-être d'une synthèse parfaite, la France, si elle veut, large d'esprit et point chauvine, y convier d'autres races, a cependant le devoir de maintenir sa primauté, si ce n'est même pour la valeur de son idéal, par son simple droit à la vie. Son intérêt supérieur est donc de contrarier l'éparpillement, trop conforme à l'âme Berbère, de son annexe africaine autour de centres secondaires, d'en affirmer un principal où elle puisse dominer. Et c'est ainsi qu'en dehors de toute discussion technique, elle doit faire Alger la tête du Transsaharien et des lignes aériennes.

              D'une façon plus générale, concentrer sur cette ville les prérogatives des capitales, réaliser pleinement le site prédestiné. Le panorama sur la baie est une façade superbe, mais quelque peu fallacieuse, dont le plan ni les intérieurs ne savent tenir les promesses.
              Il est temps de restaurer en architecture saine, suivant les traditions aryennes, ce que l'âme orientale a bâti dans l'illusion, de renier El-Djezaïr, de retrouver Icosium. La capitale française a englobé la ville turque par elle-même assez sordide et grevée encore des tares des demi-civilisations. Autour d'un quartier central, cloaque massif et surpeuplé, d'autres se sont établis, allongés en chapelets entre la mer et les collines, desservis indéfiniment par une rue quasi unique où le commerce s'est concentré.

              Cependant, vers les hauteurs, se sont élevés peu à peu, en quête d'un air plus sobre, d'abord les maisons de plaisance, puis les immeubles de rapport. Le faubourg industriel s'est établi logiquement vers l'Est sur des terres plates, attirant le port vers lui, obligeant les ingénieurs à construire digues et darses le long d'une côte sableuse exposée aux vents du large. Le développement urbain, conditionné par un site rigide, s'est poursuivi instinctivement, trop souvent sans règles précises, gêné par les lenteurs administratives et les servitudes militaires, faussé par l'esprit de spéculation et le mépris de l'art propres aux pays neufs. Des rues trop étroites, des maisons trop hautes qui bouchent des vues, des enclaves intempestives encombrées mal à propos par des hôpitaux, des casernes, des manutentions et des ateliers. Un redressement énergique s'imposait, pour entraver l extension des dégâts, pour arrêter la cristallisation d'une ville en des formes déjà surannées.

              Enfin, la blancheur de la ville devra chanter sous le soleil. La souveraine d'un pays est aujourd'hui sa capitale, corps et âme; la beauté qui lui est nécessaire plus qu'à une reine de carnaval... Que le plan s'établisse en fonction de la mer, par des parallélismes de boulevards et des échappées d'avenues ; en fonction aussi des collines, par des belvédères fleuris et des promenades de crêtes. Que les monuments et les maisons, rompant avec les pastiches des styles du Dey Hussein ou du roi Louis-Philippe, retrouvent l'enchantement des visions orientales et l'harmonie gréco-latine par le modernisme logique des piliers, linteaux et terrasses. Que des horizontales planent, que des verticales s'exaltent, harmonieuses dans le paysage, par le fer et par le béton ! Que la ville en amphithéâtre adapte ses édifices à son aspect synthétique, de façon à être elle-même le plus beau de ses monuments ! L'immigrant est accueilli par une cité si royale qu'elle en est toute diadémée. Ce contact inoubliable doit préfacer l'enchantement progressif qui prendra l'étranger au cœur et l'intègrera dans l'âme de sa nouvelle patrie. Il faut que l'admiration des rues et des monuments, et aussi bien le prestige des institutions intellectuelles prolongent l'impression première, fassent sentir dès les premiers pas sur la terre nord-africaine le rayonnement de notre pays.
              Des réalisateurs sont intervenus, administrateurs et urbanistes. Un plan d'extension a été dressé ; des règlements établis. Les quartiers morts et pourris vont être ressuscités, celui de la Marine entre autres, îlot d'insalubrité dans le large courant urbain, deviendra une zone ouverte à l'air, au soleil, à la vie, et son activité civique fera le foyer d'Alger... Autour de lui, de proche en proche, le site s'organisera. Par des routes plus ouvertes sur la campagne, disposée pour mieux chanter invitation au voyage, la ville se reliera mieux au pays dont elle est la tête. Sa gare actuelle mise à la ferraille, en sera conçue une autre qui centralise tous transports, ferroviaires ou automobiles, aériens ou maritimes. Agrandi et mieux abrité, le port conseillera I'escale, ses relations avec la France seront plus économiques, plus rapides, plus fréquentes...
              Le génie de celui-ci doit s'appliquer à ce site qui l'appelait depuis des siècles. Exauçant pleinement l'oraison panthéiste du primitif évoqué au début de cet article, il doit collaborer dans cette tâche avec la montagne et la mer, divinités tutélaires, dispensatrices de suprématie.
J. COTEREAU,              
Ingénieur de l'Ecole Polytechnique.              
Lauréat de l'Académie des beaux-arts.              
A SUIVRE

L'Organisation Armée Secrète
" Le sursaut d'un peuple qui ne voulait pas mourir ".
Par M.José CASTANO,
" L'OAS a été écrasée par une répression telle qu'aucun état civilisé n'en avait jamais déclenché une semblable contre ses propres nationaux " (Jacques Soustelle)

       Depuis plusieurs mois l'Europe subit une vague migratoire sans précédents en passe de déstabiliser ses institutions. De pauvres hères accostent par milliers nos rivages dans l'espoir d'y trouver le paradis et bientôt ils seront des millions… C'est " Le Camp des Saints ", roman d'anticipation écrit en 1973 par Jean Raspail qui se réalise sous nos yeux...
       Cependant dans cet imbroglio où la misère côtoie l'intérêt et l'intrigue, il est une catégorie de migrants envers laquelle j'éprouve une aversion particulière : Les lâches et les poltrons.

       En effet, alors qu'en Afghanistan des soldats occidentaux continuent de mourir, que les pertes françaises se sont élevées à 89 tués et qu'au Mali 11 de nos garçons sont déjà tombés pour défendre la liberté de ces nationaux, je n'accepte pas de voir ces derniers, dans la force de l'âge, déserter leur pays. " Ils fuient la guerre ", clament-ils à l'envi relayés en cela par la bien-pensance française... Mais un pays, ça se défend ! On ne fuit pas quand le danger sévit sinon cela s'appelle désertion… démission… lâcheté… traîtrise…
       Si ces jeunes gens dans la force de l'âge refusent de se battre, qui va le faire à leur place ? Cent de nos meilleurs soldats sont déjà tombés dans ces régions étrangères et hostiles pour un rêve de liberté qu'ils voulaient offrir à d'autres. N'est-ce-pas suffisant ?
       Si ces hommes ont tourné le dos à leur pays, c'est qu'ils ne l'aiment pas. Comment dans ce cas pourraient-ils aimer la France ? Parallèle saisissant et contrastant entre ces derniers refusant le combat et cherchant leur salut dans la fuite et ces " soldats perdus " de l'Algérie française excluant toute idée de capitulation, de démission et d'abandon.
       Contrairement aux migrants, face à l'adversité, ces Français d'Algérie surent redresser la tête, s'unir et se défendre dans un combat inégal, cruel, inexorable, d'autant plus cruel et inexorable que chacun savait qu'il s'agissait du dernier… du combat du désespoir. Alors, un sigle… trois lettres allaient leur ramener l'espoir :
Organisation Armée Secrète

       Ce sigle représentait un idéal de combat contre le déracinement et contre la honte. Il n'avait aucun caractère politique, puisque spécifiquement charnel.
       C'est après l'effondrement du putsch, d'avril 1961, que l'OAS devait atteindre la notoriété en Algérie et ne devint vraiment active qu'au lendemain de cette chose extraordinaire qui ne fut qu'une vaste fumisterie : la trêve " unilatérale " décidée par Paris et qui permit aux rescapés de l'Armée de Libération Nationale (A.L.N) de reprendre la population en main aussi bien dans les campagnes que dans les centres urbains. Attentats, égorgements, mutilations se multipliaient. Devant les cadavres des égorgés et les visages grimaçants des mutilés, toute velléité de résistance s'effondrait. Le ressort se brisait. Les Musulmans fidèles à la France étaient les premières victimes ; la peur, peu à peu, les menait dans les rangs du FLN.

       " De Gaulle veut notre mort ! " Ce fut le cri de guerre et de désespoir d'un million d'Européens qui, las d'apprendre le massacre de familles françaises, s'organisèrent en commandos. Les magasins arabes flambèrent à leur tour, le plastic détruisit des bains maures. Les affrontements, les combats de rues se multiplièrent sans que les forces de l'ordre n'arrivent à juguler cette flambée de violence. L'Algérie entière était déchaînée. Les " stroungas " explosaient partout et aux grenades lancées dans les tramways et les autobus par le FLN, répondaient les mitraillages des cafés maures. Partout du sang, des morts qu'on enjambait dans les rues. La folie s'était emparée de ce pays autrefois si paisible et si heureux.
       De nouveau la presse se déchaîna qualifiant de " monstrueux " les attentats commis contre les Musulmans. Elle baptisa du nom de " ratonnades " ces actions désespérées et affirma sans vergogne que " les tueurs nazis de l'OAS se livraient au racket et au massacre sur les Musulmans et les " patriotes " gaullistes ! "

       Faute de protection de l'armée ou de la police, la population européenne se faisait justice elle-même appliquant la loi du talion, condamnable par son aveuglement, mais explicable par les souffrances endurées depuis sept années.
       On oubliait la terreur qui avait régné depuis si longtemps, on ne se souvenait plus des charniers de Mélouza et d'El-Halia, des bombes du stade d'El-Biar et du casino de la Corniche, on ne prêtait aucune attention aux grenades du FLN qui explosaient chaque jour dans les quartiers européens, les cafés, les écoles, aux arrêts d'autobus. On feignait d'ignorer les enlèvements qui se multipliaient dans tous les coins du territoire, les égorgements et les viols. Seuls importaient les " ratonnades " que le journaliste, Yves Lavoquer, comparait aux " pogroms de la Russie tsariste et aux massacres nazis " !…

       L'OAS était une révolte : révolte des habitants de toute une province qui se sentaient abandonnés par la mère Patrie et qui se voyaient placés dans l'alternative suivante : quitter leur sol natal et devenir des déracinés ou rester sur place pour subir les spoliations et les vengeances, le couteau, la balle et la hache. Et qui formait ses rangs, sinon des hommes courageux, le plus souvent des humbles qui n'avaient ni privilèges à défendre, ni fortune à sauver ?
       L'OAS, c'était à la fois, le combattant de l'ombre, l'enfant qui collait une affiche et mourait le pinceau à la main, le vieillard qui guettait et sifflait à l'entrée d'un quartier pour avertir de l'arrivée des " forces de l'ordre ", la ménagère qui transportait des tracts dans son panier en allant au marché et ces familles qui hébergeaient les légionnaires du 1er REP après la dissolution de cette prestigieuse unité. Elle était une armée d'ombres, l'armée miraculeuse de l'amour et du malheur. Elle représentait, pour la population d'Algérie, le dernier espoir et l'ultime recours contre un désespoir passionnel. C'était la bouée de sauvetage à laquelle le naufragé tente de s'accrocher.
       Ses éléments se battaient non par ambition, non par intérêt, mais parce qu'un sentiment sur lequel aucun raisonnement n'avait de prise -l'attachement profond à la terre natale- les avait conduits à la révolte. L'OAS c'était, comme l'a écrit Alain Peyrefitte, " le sursaut d'un peuple qui ne veut pas mourir "

       Une évidence s'imposait cependant : S'il n'y avait pas eu le FLN, il n'y aurait pas eu d'OAS. Si de Gaulle avait laissé l'armée abattre le FLN - comme elle aurait pu le faire - il n'y aurait pas eu non plus d'OAS… c'est une vérité première.
       Durant un an elle fit la guerre, comme le FLN la fit durant sept ans et, pour son malheur, les Français de Métropole ne retinrent d'elle que ses aspects les plus noirs. Ils ignoraient - ou feignaient d'ignorer - les exactions du FLN, des barbouzes et des gendarmes mobiles. Ils ne considéraient déjà plus l'Algérie comme un département français… et ils s'en fichaient. Ils souhaitaient se débarrasser au plus vite du " boulet algérien " -terme propre au général président- Les communistes jubilaient et poursuivaient leur propagande de destruction basée sur la sempiternelle rengaine : " Les pauvres Musulmans exploités par les salauds de colons ", terme englobant tous les Européens d'Algérie, qu'ils fussent employés, ouvriers, commerçants ou fonctionnaires, tous issus d'une immigration désirée… quand elle ne fut pas imposée par la Métropole avec les déportations de 1848 et 1870.

       Pour autant, l'OAS ne désarmait pas. Dans certains points du bled dont l'armée se retirait progressivement depuis l'été 1961, elle avait tenté l'implantation de maquis pour lutter directement contre l'ALN sans populations interposées et dans le secret espoir de dégager une portion de territoire où son autorité serait reconnue. Guelma, Bouira, Tipasa, Coléa… autant de vains essais. Les commandos furent encerclés par l'armée et, incapables de tirer sur des soldats français, se rendirent. L'ultime et spectaculaire tentative eut lieu dans l'Ouarsenis, le 29 mars 1962 et se solda par un sanglant échec et la mort de l'un de ses chefs, le commandant Bazin. Trahie, l'OAS, au lieu des alliés qu'elle attendait (les harkis du Bachaga Boualam et deux unités régulières de l'armée) tomba sur des concentrations de forces FLN dix fois supérieures en nombre dont il a été affirmé -et jamais démenti- qu'elles avaient été amenées à pied d'œuvre par les véhicules des gendarmes mobiles français. Un combat désespéré qui alla jusqu'au corps à corps s'engagea. Les hommes de l'OAS qui échappèrent à la tuerie furent pourchassés et quand ils furent rejoints, sauvagement abattus. Ce fut là la dernière bataille de l'OAS… son Camerone !

José CASTANO
22 septembre 2015
Courriel : joseph.castano0508@orange.fr


Il est tard, maintenant, dors mon fils.
Envoyée par différentes personnes

  Discours prononcé à la Conférence du Stage (réunion annuelle des avocats): éloge d'Hélie Denoix de Saint-Marc    

Vous trouverez ci-dessous un très beau discours prononcé en décembre 2017 lors de la rentrée solennelle de la Conférence du Stage qui est une grande fête annuelle des Avocats à laquelle viennent assister des représentants des Barreaux du monde entier (environ 1 000 personnes). La tradition veut que le 1er Secrétaire fasse l'éloge d'un personnage célèbre et le second Secrétaire relate un procès tout aussi célèbre. Cette année, le premier Secrétaire avait choisi de faire l'éloge de… Hélie Denoix de Saint Marc:

Mère, voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu, mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus, et qu'ils ont tant aimée.
        

        Tu as raison, c'est drôle un nom de famille.
        Parfois ça ne veut rien dire mais ça dit tellement de choses sur celui qui le porte.

        Un patronyme on le reçoit à la naissance, on le transmet un peu plus tard, on en est pas vraiment propriétaire.
        Du coup, c'est précieux, ça s'entretient ; c'est la dernière richesse de celui qui n'a rien, et tant qu'on a un nom, on est encore, quelqu'un.

        Chez nous tu vois on en évoquait plein des noms tout le temps : Nom de scènes, de plume, d'emprunt, des noms à coucher dehors, de jolis noms qui rappelaient des comptoirs et des rivages lointains.

        Bon faut dire qu'à la maison,
        Y avait des noms qu'on n'avait pas le droit de prononcer en vain ; et bizarrement, qu'on prononçait souvent, en vain.

        Et parmi tous ces patronymes l'un d'entre eux m'étonnait par sa sonorité, c'était un nom étrange et à rallonge, qui ne m'était pas familier, il ne ressemblait pas à ceux qu'on entendait.
        Et pourtant sa seule évocation, suggérait qu'il recelait des Denoix de Saint Marc ! Un drôle de nom celui d'un chevalier d'un corsaire ou d'un aventurier.

        Quand on est grand on le sait, Denoix de Saint Marc, c'est un nom de Ministre ou de commission, un nom qui fleure bon l'administration.
        Bref ! Denoix de Saint Marc c'est un nom de gens sérieux un nom de gens bien …
        Un nom, pour lequel on fait des éloges, pas des procès.
        …
        Ecoute, écoute le grésillement des transistors.

        " Non rien de rien, … "

        21 avril 1961, depuis quelques mois on diffuse cette chanson ; Edith Piaf l'a dédiée aux légionnaires engagés en Algérie depuis 7 ans déjà.

        Dans les maisons bourgeoises, on entend des airs de swing et de jazz qui se mêlent aux chants traditionnels arabo-andalous que crachent les gargotes alentours.

        A la rentrée solennelle du Barreau de Paris, le Premier Secrétaire fait l'éloge d'un Confrère, le Deuxième Secrétaire doit faire le réciter d'un procès.

        Soudain, la musique s'arrête et la radio éructe un message incompréhensible

        " Le 1er REP quadrille Alger avec à sa tête le Commandant Hélie Denoix de Saint Marc, le Général de Gaulle ! déclare l'état d'urgence ! ". Le reste des noms et des informations se perd au milieu des ondes.

        A Bordeaux un ancien résistant se souvient d'un jeune camarade idéaliste.
        A Rennes, et à Paris des anciens déportés revivent avec émotion une nuit de décembre 1943.

        Un jeune partisan vietnamien réchappé miraculeusement de l'enfer des vietminh lui ! pense à ce commandant rencontré dans les vallées du Tonkin.

        Ce 21 avril 61, le Général Challe arrivé clandestinement à Alger avait convoqué Hélie Denoix de Saint-Marc pour lui révéler son plan, et lui proposer de prendre part à un coup d'Etat.
        " Notre action n'a rien de fasciste ou d'antidémocratique, nous souhaitons contraindre De Gaulle à revoir sa position et à négocier. "

        Denoix de Saint-Marc a 39 ans, l'acte est grave quelles qu'en soient les raisons, il le sait bien. Pourtant en moins d'une heure son choix est fait, il prendra part au putsch. Ce soir-là il réunit ses hommes et leur dévoile le plan, pas un ne refuse. Ni dans les marches ni dans le danger, ni même dans les défilés, personne ne sépare la légion.

        En une nuit le 1er REP s'est emparé des places fortes, l'aéroport, l'hôtel de ville, la radio.

        Challe prend la parole " Je suis à Alger pour tenir notre serment, celui de garder l'Algérie. L'armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n'auront jamais d'autres buts. "

        En réalité, De Gaulle à Paris est serein, il sait tout du complot, il sait que Challe n'a pas d'appui et que le projet est voué à l'échec. Il laisse faire, le coup est un prétexte idéal pour s'arroger les pleins pouvoirs, et déclarer l'Etat d'urgence.

        Le lendemain il prononcera pour la forme une allocution évoquant à tort " un quarteron " et non un quatuor " de généraux en retraite ".

        Retiens, le pouvoir, c'est d'abord une parole, une voix.

        Le coup est un échec, les putschistes sont lâchés ; les soldats doivent déposer les armes et rentrent dans leur caserne. Ils sont immédiatement mis aux arrêts, et transférés au fort de Nogent.

        Le soir les gardiens les entendent chanter à tue-tête cette chanson de la môme dont ils ont amendé quelques strophes.

        Ni le bien qu'on m'a fait, ni la prise du corps d'Armée d'Alger.
        Sous le feu, quand un camarade tombe, en marchant, et même au fond d'une geôle, à la légion ! On chante !

        L'officier lui, est loin de ses hommes.


        5 juin 1961 Imagine, Paris, l'île de la cité,
        Imagine, une salle comble, on est venu de partout pour voir l'homme que le Roi veut déshonorer.

        Le procès passionne autant qu'il divise et la beauté du lieu elle, tranche avec l'ambiance de la salle.
        Les hautes fenêtres laissent passer la lumière d'un bel après-midi ; au plafond, une toile de Bonnat, la Justice pourchassant le crime.

        La grande salle d'audience de la 1ère Chambre de la Cour d'appel de Paris est un choix qui ne doit rien au hasard.
        L'endroit est si beau et si solennel qu'aujourd'hui encore Magistrats, avocats et greffiers y prêtent serment.

        Cette salle c'est un symbole, 15 ans plus tôt on y avait condamné Laval et Pétain.

        C'est ici qu'on juge les traitres.

        Depuis un mois on s'affaire, en 30 jours à peine, tout a été refait pour l'occasion.
        Là des spots de lumières au cas où les audiences viennent à s'éterniser, ici des micros pour les témoins.
        Pas de place pour le doute, tout le monde doit comprendre de quel côté se trouve la justice.

        Transféré depuis la prison de la santé dans un camion grillagé, Hélie Denoix de Saint Marc est entravé, et pourtant les quelques escortes qui le croisent se mettent machinalement au garde à vous.

        Ses grands yeux bleus scrutent la salle,
        il n'a pas peur
        A la Légion on ne baisse jamais la tête ni devant la mort, ni devant Dieu.

        Fils d'avocat, il le sait bien, la justice a quelque chose de théâtral : il faut humilier l'accusé, le contraindre à la pénitence.
        Mais l'officier refuse la mise en scène imposée
        Béret vert, uniforme d'apparat, et décorations sur la poitrine, pas question de perdre la face dans cette passe d'arme, dans ce duel entre l'épée et les robes.

        Tant pis pour le résultat.

        A côté du décorum, le verdict non plus n'est pas négligé.
        Tout a été pensé, réfléchi pour aboutir à une condamnation exemplaire.

        L'institution d'abord, au lendemain de la reddition De Gaulle commande un " Haut Tribunal militaire " sorte de juridiction ad hoc pour juger les félons.

        Pas de recours possible, le Haut Tribunal militaire juge en dernier ressort.

        Retiens ! La justice politique ne se déjuge jamais, elle ne supporte pas la contradiction. Seul espoir envisageable, une grâce absurde présentée à celui-là même qui avait créé cette institution.

        En un mois à peine l'instruction, le déféré, l'acte d'accusation, tout est bouclé sur ordre, les rares interventions des juges ne sont que de pure forme.

        Retiens dans les procès politique c'est le Prince qui juge pas la justice.
        Le Tribunal aussi est composé sur ordre,
        Maurice Patin qui officie habituellement à la Chambre criminelle de la Cour de cassation est choisi pour présider les débats, il est flanqué d'éminents juristes des Présidents de Cour d'appel, et de militaires de haut rang.

        Quelques jours plus tôt on avait déjà jugé Challe et Zeller les architectes du putsch.
        Le cas Denoix de Saint Marc lui, est différent, il n'a pas le profil convenu du réprouvé ; il n'est ni un idéologue ni un factieux.

        Le Président Patin pose quelques questions pour la forme parce qu'il faut bien faire semblant toujours le même rituel:

        - Nom : Denoix de Saint Marc
        - Prénom Marie Joseph Hélie

        - Avez-vous déjà été condamné ?
        - Oui par les Allemands.

        Patin est furieux, cette marque d'arrogance, n'annonce rien de bon. Il reste pourtant impassible pas question d'engager un débat sur la légitimité des causes que chacun défend. Il faut absolument éviter que le putsch ait son martyr ou son héros.

        C'était pourtant juste, issu d'une vieille famille du Périgord, Hélie Denoix de Saint Marc n'a que 18 ans lorsque, indigné par la défaite, il entre en résistance.

        Ici même dans cette salle nombre d'anciens camarades de toutes tendances politiques confondues sont venus témoigner pour dire qui ! est Hélie Denoix de Saint Marc. Les témoignages s'enchainent chacun raconte ce qu'il sait de l'accusé. Par petite touche, un portait, se dessine.

        Monsieur le Président nous avons rencontré Hélie Denoix de Saint Marc une nuit de juillet 43
        Alors que nous tentions de rejoindre la France libre nous avons été dénoncés par notre passeur arrêtés, livrés à Gestapo puis déportés dans des wagons plombés, envoyés au camp Buchenwald et affectés dans un camp de travail.
        Buchenwald, une longue valse avec la mort.
        Dans cet enfer, on perd son nom, on n'est plus personne Hélie Denoix de Saint Marc lui, a disparu : Il n'est plus que le Matricule 20543.
        Enfin, lorsque ce 11 avril 45, les américains libèrent le camp, ils découvrent des cadavres entassés dans des fosses communes à peine recouverts par la terre.

        Et pourtant, du bout du camp émanent des râles d'agonie.

        Les libérateurs aperçoivent les corps décharnés de ces vivants en sursis. Saint Marc est de ceux-là, gisant inconscient parmi les mourants dans cette baraque putride.

        23 ans, 42 kg, rongé par la dysenterie, il a perdu la mémoire et oublié jusqu'à son nom.

        30 survivants sur un convoi de 1 000 déportés ; renvoyé chez lui, il n'en parlera plus.

        Et comme pour conjurer le sort il intègre l'école des officiers de St Cyr, et choisit de commander des régiments de la légion étrangère dont le gros des troupes est composé d'anciens de la Wehrmacht de la SS.

        Pas le temps pour la rancœur ou la haine. La légion est une patrie, où l'on pardonne presque tout !
        "Monsieur le Président ! Notre génération n'a pas connu de valeur fixe nous avons appris à nous fier à notre conscience seule ; cela avait conduit notre camarade en déportation en 43, cela le conduit aujourd'hui à la prison de la Santé. ".

        A la barre on évoque également l'Indochine et ses traumatismes, des mois à sillonner un pays, à former des partisans contre les Vietminh à se battre et à mourir avec eux.

        Et puis un jour fin de mission. Ordre d'évacuer la zone.

        " Jamais, jamais nous n'oublierons l'incompréhension et la peur sur les visages des villageois à l'annonce de notre départ. Le cauchemar des coups de crosse sur les doigts des irréductibles incrédules s'accrochant aux rebords des camions français.
        Des coups de crosses sur les doigts de nos frères d'armes, finissant par lâcher pour s'écraser dans la poussière ".


        " C'était les ordres ! ".

        Pour le Général Ingold membre du jury, chancelier de l'ordre de la Libération, déporté-résistant et Gaulliste de la première heure cette histoire a quelque chose de familier.

        Sollicité quelques jours plus tôt par des proches de Saint Marc, Ingold avait accepté d'intercéder en sa faveur à condition qu'il fasse pénitence et présente ses regrets.

        L'accusé avait remercié ses amis mais catégoriquement refusé.
         " Je ne regrette rien, j'ai agi en conscience, et je le dirai à l'audience ".

        Dans son coin, l'Avocat Général reste silencieux, il note méthodiquement ce qui est dit en attendant son heure.
        Jean Reliquet n'a pas été choisi au hasard ;

        Ancien procureur général à Alger, il a parfaitement en tête, les enjeux historiques liés à ce procès.
        L'Algérie. Une terre meurtrie, une terre qui mange ses enfants.
        Des attentats, dans les cinémas, aux terrasses de cafés, dans les salles de concert,

        On tue pour trois lettres,
        M.N.A.,
        F.L.N.,
        O.A.S.

        On tue pour venger Guelma, on tue pour venger Sétif, on tue pour la Nation, on tue pour être libre sur sa terre.
        On tue au nom du tout puissant du miséricordieux ; on guillotine, aussi, au nom de la France.

        Imagine une guerre où l'ennemi est sans uniforme agissant parfois sous le masque d'un vieillard, d'une jeune fille ou d'un enfant.
        La grande muette veut faire parler, elle torture.

        Pour Reliquet, cette pratique est indigne de la République, il alerte ses supérieurs, interpelle sa hiérarchie.
        Aucune réaction, l'homme est seul avec ses convictions, les impératifs sécuritaires l'avaient emportée sur ceux de la justice.

        L'épée l'avait emporté sur la robe.

        Retiens bien ! L'histoire finit toujours par condamner les peuples, qui sacrifient leur droit pour leur sécurité.

        Appelé pour rétablir l'ordre et la souveraineté nationale De Gaulle avait fait volteface, pour lui l'égalité risquait d'entrainer un exode massif des algériens en métropole.
        " La France est un pays de clocher, hors de question de rebaptiser Colombey ".

        Seule solution rationnelle : l'indépendance.

        La métropole le soutiendra, elle a les yeux rivés vers l'Amérique et la consommation elle se désespère de voir sa jeunesse périr dans une guerre qui ne dit pas son nom L'Armée ne comprend pas.

        Depuis sa cellule, l'accusé lui, a préparé une déclaration

        "Monsieur le Président Ce que j'ai à dire sera simple et court. Depuis mon âge d'homme, j'ai vécu pas mal d'épreuves : Résistance, Gestapo, Buchenwald, l'Indochine, Suez et l'Algérie.

        Saint Marc explique comment on en arrive là, comment on passe d'officier exemplaire à celui de soldat perdu.

        " Un jour, on nous a dit qu'il fallait envisager l'abandon de l'Algérie. L'angoisse a fait place au désespoir et nous avons pleuré en nous souvenant de l'évacuation de la Haute-Région,
        Diên Biên Phû, l'entrée du Vietminh à Hanoï, des villages abandonnés et des habitants massacrés.

        Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d'Afrique, à tous ceux qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient une mort affreuse.
        Nous pensions à notre honneur perdu.

        On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son métier, pas de se dédire, de tricher ou de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l'obéissance, il y a la discipline.

        Depuis quinze ans, je suis Officier de Légion. j'ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. " C'est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d'honneur, que le 21 avril, j'ai fait mon libre choix.

        Terminé, Monsieur le président. "

        Patin reste impassible pas question d'accorder à cet instant une quelconque solennité
        Ironie de la scène la justice est aux ordres, le militaire lui, est libre.

        Les consignes sont presque dictées pas d'acquittement.
        L'Avocat Général Reliquet, l'homme qui s'est opposé à la torture et dressé contre l'armée tient peut-être sa revanche.

        Depuis des jours il est encouragé par sa hiérarchie, et par les plus hautes personnalités pour requérir une peine exemplaire.

        Dans cette pièce commandée par De Gaulle il joue le dernier acte.

        Messmer alors Garde des sceaux le convoque ; lui parle des intérêts de la Nation et du danger que représentent les fanatiques.

        Retiens ! On invoque toujours les intérêts de la nation pour insulter la justice

        On lui enjoint de requérir une peine de 20 ans
        20 ans pour punir, pour venger un affront
        20 ans pour effacer une cause et un nom

        Problème : Reliquet, croit au droit pour tous et en tout temps en Algérie contre le FLN et les communistes, en métropole contre les putschistes, il pense que Code pénal est suffisant et qu'on n'a pas besoin de loi d'exception pour satisfaire les puissants ou l'opinion publique.

        La peine envisagée contre Denoix de Saint Marc n'est ni juste ni adaptée.

        Puisque Reliquet s'entête Michelet Ministre des armées et Messmer lui ordonnent par courrier de requérir la peine évoquée. Pas d'objection possible les ordres sont les ordres et il faut obéir.

        Tant pis, l'Avocat Général se lève prend un bloc de feuille et s'approche du Président.

        " Article 33 du Code de procédure pénale le Ministère Public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données,
        Voici mes conclusions. "


        Posant le tas de feuille sous le nez du Président, il poursuit immédiatement

        " Elles sont fidèles aux consignes qui m'ont été données vous y trouverez la peine exigée… "
        " J'entends pourtant, au terme du même article conserver ma liberté de parole… et requérir autrement "
        " La plume est serve certes, mais la parole est libre "


        L'instant est rare et surprenant on n'a presque jamais vu ça. Les murmures de réprobation dans la salle laissent à présent place à un brouhaha.

        " Silence ! Silence dans la salle ! "
        Patin réprouve manifestement la démarche de Reliquet qui enchaine : " La faute si lourde soit elle, ne saurait effacer 20 ans d'héroïsme ".

        Il faut une peine juste et adaptée, juste et adaptée.
        " 4 à 8 ans de réclusion criminelle ".

        Et Reliquet de conclure " beaucoup plus que cette peine l'abandon du métier des armes sera une sanction bien plus terrible pour ce soldat héroïque ".

        A ce moment précis l'espoir est permis, Reliquet semble avoir entrouvert la porte et la défense tient quelque chose.
        Le mot acquittement se murmure dans la salle.
        L'instant est incroyable !!

        Au tour de la Défense de prendre la parole, les chances sont minces, mais il faut s'engager dans chaque interstices tout exploiter, ne rien laisser au camp d'en face.

        Cette plaidoirie je la connais par cœur !

        La procédure d'abord ! Un Tribunal spécial, c'est une marque de défiance envers le peuple. L'accusé comparait devant un Tribunal fantoche créé par l'article 16 spécialement pour punir et jeter l'anathème.

        Quelle différence avec Riom, ou les sections spéciales ?
        Par sa forme et par son but il est discrédité.

        De plus comment considérer ce jury comme impartial et ce procès comme équitable alors qu'on a déjà condamné Challe et Zeller quelques jours plus tôt pour les mêmes faits.

        Les faits ! La Ve République est un coup d'Etat née d'un coup d'Etat ; le pouvoir a sciemment laissé faire pour asseoir une légitimité qui lui faisait défaut et engager des réformes institutionnelles.

        Le putsch avorté a été instrumentalisé pour servir les intérêts du pouvoir en place.

        Les faits encore ! l'homme a agi par fidélité à un serment, redoutant nous dit-il un massacre à venir.
        L'histoire dira comment, la France aura traité les pieds noirs et les harkis.
        Un mot pour les juges enfin, leur rappeler que 20 ans plus tôt ces militaires, avaient eux-mêmes désobéis.

        Un mot pour l'homme peut être aussi enfin, la vie d'Hélie Denoix de Saint Marc est une tragicomédie qui veut qu'au gré des caprices des puissants, on porte pour les mêmes faits, tantôt un uniforme d'officier et tantôt celui d'un bagnard.
        Mais rien de tout cela n'a été dit.

        Cette plaidoirie c'est la mienne.

        On avait laissé à l'accusé deux jours seulement pour choisir son conseil, deux jours pas plus.
        Jacques Martin-Sané un fidèle du Maréchal s'était proposé spontanément ; les proches de Saint Marc l'avaient pourtant mis en garde sur le profil de son avocat.

        Qu'importe, il avait donné sa parole d'officier.

        Me Martin-Sané n'a pas saisi la main tendue par le parquet, et s'est contenté d'une plaidoirie grandiloquente et un peu surannée pour réclamer l'absolution.
        Peut-être n'avait-il pas vraiment compris qui, était Hélie Denoix de Saint Marc.

        Oui je sais le soleil se couche, mais écoute encore un peu

        Imagine la Cour des Invalides, des hommes en Képi blanc au garde à vous, réunis autour d'un vieil homme.

        Cassée par les rhumatismes la silhouette a perdu de sa superbe, mais le regard lui, est resté le même.
        Ses grands yeux bleus, scrutent l'horizon.

        Déporté à 20 ans, dégradé, et emprisonné à 40, Hélie Denoix de Saint Marc a été successivement gracié, amnistié, puis réintégré dans son grade de commandant.
        Non par décision de justice, mais par décrets successifs ; des caprices de Prince.

        Aujourd'hui, 28 novembre 2011, il est fait Grand-croix de la légion d'honneur. " À titre militaire et au titre de l'Algérie ".
        …
        Soudain tout le monde se fige.
        Aux morts !

        A quoi pense-t-il ?

        Quelques vers de Péguy que je t'ai récité sur les fils et sur la terre,
        Une peine de 10 ans prononcée à la hâte ce 5 juin 1961,
        A tous ces hommes morts pour la France, par la France

        Ministère Public contre Denoix de Saint Marc, c'est l'histoire d'un procès qui n'aura duré qu'une après-midi et le procès d'une histoire, une histoire d'homme aussi.

        Tu as raison c'est drôle un patronyme mais ça dit tellement de choses sur celui qui le porte.

        Je ne comprenais pas vraiment pourquoi mon père me contait ce récit, peut-être qu'avocat lui-même, il me donnait tout simplement une leçon d'homme et de justice.
        Peut-être aussi, parce que là-bas dans un vieux cimetière près de Constantine notre nom, est encore inscrit sur quelques pierres tombales laissées à l'abandon.

        Un nom enraciné dans une terre qu'il n'a jamais revue que je ne connais pas et dont je me souviens.
        Ce que je sais en revanche c'est que cette histoire tu la raconteras à ton tour, en lui donnant le sens que tu voudras.

        Il est tard, maintenant, dors mon fils.

 " On ne naît pas fort, faible ou volontaire.     
On devient fort, on devient lucide "
H.D.S.M.



POUR INFORMATION
Envoyé par M. Eric Wagner
IN MEMORIAM ANNABA
ASSEMBLEE GENERALE DE L'ASSOCIATION 2018
COMPTE - RENDU SYNTHETIQUE

Clôture de l'exercice 2017
        
         Sur convocation du Bureau, l'Association In Memoriam Annaba a tenu sa quatorzième Assemblée Générale le 09 juillet 2018, dans les locaux de l'Institut Français d'Annaba.

         Sur les 18 membres à jour de leur cotisation, 11 étaient présents :
         - Mesdames Claudine BENHAMADOUCHE, Michèle CHEKROUN, Aicha DAHEL, Nicole DAHMANI, Marie MENAR, Yvette PIC,
         - Messieurs : Amara ALLAF, Youcef BENABBAS, Laurent BERCHER. Alain PIC, Ali ZEMMOUR
         - 3 associations amies étaient présentes ou représentées : l'AJOC par Monsieur le Professeur Youcef Benabbas de Constantine, les Enfants de Thaghaste et l'Amicale des Callois avaient donné procuration à la Présidente.

         Après avoir remercié de leur présence les participants et, notamment, Monsieur Patrick Poinsot, Consul Général de France,et regretté l'absence d'un représentant de l''APC d'Annaba, invitée à participer à cette réunion, et avant de présenter le Rapport d'Activités de l'Association, la Présidente a tenu à rappeler brièvement les buts de l'Association :
         - assurer un devoir de mémoire en oeuvrant pour la protection des sépultures "françaises" des cimetières de l'Est algérien ;
         - représenter les familles absentes d'Algérie, ou leurs associations, auprès des Autorités Consulaires et Algériennes ;
         - en fonction des ressources disponibles, engager des travaux d'entretien.

RAPPORT D'ACTIVITES

         Relations avec les associations établies en France et situation des cimetières visités en 2017

         - Outre les échanges de courriel, le contact avec l'Amicale des Callois s'est manifesté par une rencontre à El Kala avec Monsieur Curcio en septembre, en compagnie de Madame Patricia Parachini, Consule adjointe en charge de la gestion des sépultures françaises de la circonscription. Monsieur Curcio nous a fait part de la subvention accordée à l'Amicale des Callois par la région PACA. Complétée d'un montant de 2.000 Euros de l'Amicale, cette subvention d'un montant de 32 000 euros, a permis la restauration de 217 sépultures en 2017/2018.
         - Les enfants de Thaghaste (Souk Ahras) ont réalisé la réfection d'un local destiné à être un lieu de recueillement pour les visiteurs : invitation a été faite par Monsieur Quaranta, à Monsieur le Consul et à l'Association pour son inauguration en septembre 2018. Monsieur Quaranta fait part des problèmes créés par le frère du gardien qui s'était approprié ce local, l'intervention de l'APC et de la police a du être requise. En août 2017 une rencontre informelle avait permis à Mr Quaranta d'évoquer ces problèmes avec Mme Parachini.
         - Concernant le cimetière de Besbes (ex Randon) le gardien Monsieur Boukhris nous fait part régulièrement des problèmes avec les riverains dont le portail bloque l'accès direct au chemin vicinal menant au cimetière. La situation a été portée à la connaissance de l'APC de Besbes et à la Wilaya d'El Tarf : ce courrier demeure sans effet.
         - Concernant les cimetières de Skikda et Stora, l'ASCA a été mise en relation avec le Père Michel Guillaud Curé de Skikda pour diverses démarches dont le choix d'un entrepreneur.
         - Au cimetière chrétien de Constantine le risque d'effondrement d'une partie du mur d'enceinte surplombant un quartier à forte densité humaine n'a pas toujours pas été pris en charge par l'APC.
         - Au cimetière juif de Constantine une gardienne a été nommée officiellement par l'APC, suite au décès en 2016 de l'ancienne gardienne "auto-proclamée". Monsieur le Professeur Benabbas évoque les conflits liés à ce changement de gardiennage, la fille de la gardienne décédée refusant de quitter les lieux. Ceci se répercute sur l'accueil fait aux visiteurs. L'AJOC a fait réaliser le registre des sépultures (il n'existerait pas de registre d'inhumations) les personnes qui recherchent une tombe peuvent contacter l'AJOC référant Monsieur Nakache
         - A Batna, à l'approche de la Toussaint, l'APC a effectué un nettoyage du cimetière (information de Mme Pic) et le cimetière de Lambese Tazoult est régulièrement entretenu par l'APC.
         - En août 2017 Mme Parachini et Mme Menar ont effectué une visite aux cimetières de Ben M'Hidi, Besbes et Dréan. Le portail et le mur du cimetière de Ben M'Hidi démolis lors d'un accident ont été réparés par l'APC, suite à l'intervention de Monsieur le Consul Général.
         - En novembre 2017 la présidente d'In Memoriam a accompagné Mme Parachini dans sa visite des cimetières de Skikda, Stora et Azzaba. Le cimetière de Skikda est "relativement" en bon état de conservation, celui de Stora est entretenu, par contre le cimetière de Azzaba qui jouxte un cimetière musulman très bien entretenu, est lui totalement profané…
         - Suite à une information, en octobre l'association s'est rendue au cimetière chrétien d'El Hadjar : ce cimetière est complètement saccagé, mur défoncé, tombes profanées etc
         - Une visite au cimetière de Seraidi par Monsieur Allaf a relevé le manque de respect des habitants riverains qui y déversent leurs ordures ménagères.
         - Le cimetière d'Annaba

         En février 2017 et suite aux graves profanations de sépultures le programme de visites régulières proposé par Monsieur le Consul a démarré, volontaires des associations et personnel du consulat ont parcouru le cimetière et un constat a été fait. Pour diverses raisons cet exercice n'a pas été renouvelé.
         Cependant, au cours de l'année, des membres In Memoriam se sont rendus assez souvent sur le site, pour des recherches de tombes ou accompagnement de visiteurs :ils constatent que les dégradations se poursuivent et concernent, à présent, des sépultures situées dans des allées proches de l'entrée, endroits pourtant faciles à surveiller….
         Assez souvent (l'après-midi) aucun gardien n'est présent…
         Le mur d'enceinte jouxtant le chantier de construction du Tribunal, détérioré lors des travaux a enfin été restauré par l'APC
         En 2017, le mur côté ouest a été reconstruit par l'APC, comme prévu de longue date ; mais il n'est pas du tout défensif, il doit être rehaussé d'une barrière en métal. Au moment de rédiger ce PV les travaux ont démarré (1er août 2018) : une barrière hérissée de piques est en train d'être posée : esthétique oui, mais dissuasive ?)

Les activités de l'Association en 2017

         Des demandes de recherches de sépultures aux cimetières d'Annaba, Constantine, Skikda ont été sollicitées par mail ; si des visiteurs venus de France se sont rendus au cimetière d'Annaba (notamment une personne revenant pour la première fois depuis 1961) aucun contact n'a eu lieu avec l'une ou l'autre des associations d'anciens Bônois.

         Dépôt traditionnel de gerbes du souvenir le 2 novembre aux cimetières d'Annaba et El-Kala.

         Notre Association a pris en charge la réfection de dix tombes au cimetière chrétien de Batna pour un montant de Deux Cent Mille Dinars.

         La question de la conservation et de la numérisation des registres d'inhumation soulevée lors de l'AG de 2016

         L'association a commencé à essayer de localiser les registres, seuls les cimetières des grandes villes semblent avoir tenu des registres d'inhumations.
         - Au cimetière d'Annaba selon certaines informations une trentaine de registres existaient dans les années 1990. En 2018, malgré les difficultés d'accès aux registres déposés chez l'ancienne gardienne, nous avons pu recenser 5 registres de 380 pages et 5 de cent pages.
         - A Constantine, au cimetière chrétien une armoire métallique (achetée par l'ancien gardien selon les dires de son fils) renferme un très grand nombre de registres, mais ils n'ont pas été recensés
         - A Batna, un registre est conservé à la paroisse catholique
         - A Souk Ahras, il existe 1 registre
         - A El Kala, l'Amicale des Callois a procédé au recensement des sépultures
         - A Skikda les registres sont conservés chez le gardien : nous devons aller les consulter.
         - Des recherches restent à faire dans les autres cimetières : Sétif, Tebessa, Jijel, etc.
         - Dans les cimetières juifs, il ne semble pas y avoir de registres : à Constantine, l'AJOC a missionné un architecte pour procéder au recensement et à l'identification des tombes ; à Annaba, ceci avait été fait à la demande de l'Association de Monsieur HADDAD mais très peu de tombes avaient pu être identifiées et nous n'avons plus de contacts avec cette Association depuis le décès de Monsieur HADDAD.

         Ce projet a un coût élevé. Dans le cadre du nouveau dispositif STAFE (Soutien Au Tissu Associatif des Français de l'Etranger du Ministère des Affaires Etrangères), In Memoriam Annaba a déposé en juin 2018, par le biais du Consulat Général de France, une demande de subvention de 3 800 euros soit 50% du montant estimé du projet de numérisation des registres d'Annaba. Nous développerons ce projet lors de la prochaine AG …

         Dans ce cadre, nous projetons d'installer une armoire dans le dépositoire du cimetière d'Annaba, cette armoire recevra les archives de l'association. Avec un peu d'aménagements, le dépositoire pourrait devenir un lieu d'accueil pour les visiteurs et lors de sépultures.

Informations Générales :

         L'Association publie ses informations sur Facebook à l'adresse inmemoriamannaba
         Son adresse mail est : in.memoriam.annaba@gmail.com
         La Présidente peut être contactée par téléphone au :05 52 14 94 00

         Ne possédant pas de bureau, il est difficile de pouvoir rencontrer les adhérents et de solliciter leur aide, leur avis, dans les recherches sur plans, courriers ou autres tâches.

         A compter du mois de septembre 2018 nous pensons assurer une permanence une fois par mois (jour à définir) à l'IFA avec l'accord de son Directeur, Monsieur Furic, à qui nous adressons nos vifs remerciements. Nous remercions également Monsieur le Consul Général pour sa proposition d'un lieu de réunion au consulat, mais nous préférons opter pour l'IFA, plus facile d'accès.

         Remarques générales, notées lors des débats :

         Le respect des cimetières et des sépultures se perd, quel que soit le type de cimetière, et les communes ne s'en occupent pas beaucoup. C'est un peu le "tonneau des Danaïdes"…

         Dans la plupart des cas les gardiens résidant sur place se bornent à occuper le logement et finissent par "privatiser" les lieux :
         - A Annaba, à titre d'exemple : culture et vente de plantes et terreau, activités de guérisseuse de l'ex gardienne dans le cimetière même ;
         - A Annaba, Batna, Skikda : extension du logement initial, absence totale de respect des lieux (ordures, etc.).
         D'où un mauvais accueil des visiteurs, l'impression d'être des intrus, etc.

         Monsieur le Consul demande à être informé des dépassements constatés afin d'alerter les autorités locales ; l'association doit parallèlement effectuer la même démarche, même si les chances de succès de ces démarches restent faibles.

Activités du Consulat en 2017

         A l'invitation de la Présidente, Monsieur le Consul Général a informé l'assistance des actions entreprises par le Consulat en 2017.

         Le Consulat a quasiment clôturé en 2017 le programme de regroupement des cimetières autorisé par Décret en accord avec les Autorités Algériennes :
         - A Tébessa : ont été regroupés les cimetières de Morsott (11 sépultures) et Bekaria (62 sépultures)
         - A Mila, ont été regroupés les cimetières de Tadjenanet (56 sépultures), Tiberguent (63) ;
         Ce programme s'achèvera en 2018 avec le regroupement de Zeghaia et d'une partie du cimetière de Mila.

         L'édification d'un nouveau monument aux morts au cimetière chrétien d'Annaba par le "Souvenir Français" est encore à l'état de projet.

         Des cimetières ont fait l'objet de travaux de désherbage et de restauration de sépultures :
         - A Annaba, le consulat a entrepris d'importants travaux de réparations et de nettoyages dans les carrés M et N : 100 tombes restaurées.
         - A Seraidi : nettoyage du site
         - A Ben M'hidi : fermeture de 20 caveaux

         Vu les restrictions budgétaires, le Consulat ne peut pallier en permanence l'absence d'entretien des sépultures par les familles ni se substituer aux APC pour la réfection des enceintes et le désherbage.

         Vu leur coût important, de telles opérations seront de moins en moins possibles, y compris pour le cimetière d'Annaba même s'il est voisin des locaux et presque "vitrine" du Consulat, et il faut encourager les familles à imiter l'exemple donné par l'Amicale des Callois, les Enfants de Thagaste, les Enfants de Besbes Randon, l'Association de Sauvegarde des Cimetières de Skida et Stora !

RAPPORT FINANCIER

         Le Trésorier présente sommairement le Rapport Financier (ci-joint en annexe) distribué aux participants.

         Les seules dépenses régulières de fonctionnement enregistrées sont les Frais Financiers retenus par la Banque (Société Générale Algérie) pour la tenue du compte DA : les membres du Bureau assurent, personnellement, leurs dépenses de déplacements, télécommunications, affranchissements, en plus du temps consacré à l'Association.
         Le montant des Cotisations des membres couvre ces frais et les dépenses occasionnelles comme l'achat des gerbes de fleurs pour la commémoration du 1er Novembre.
         Par contre, les travaux (cette année 2017 la fermeture de 10 tombes au cimetière de Batna pour un peu plus de Deux Cent Mille DA) doivent être financés par des Subventions ou réduisent significativement le montant des ressources financières de l'Association…

         Dans la situation actuelle, avec des disponibilités de 4 500 Euros et 172 000 DA, le Bureau ne peut pratiquement pas engager de dépenses d'entretien de cimetière, ni d'investissements pour la numérisation des registres sans obtenir une aide extérieure.

RENOUVELLEMENT DU BUREAU

         Le mandat de quatre (4) ans du Bureau actuel porte sur les exercices 2015 à 2018. Lors de l'Assemblée Générale de clôture de l'exercice 2018, en début 2019, l'Assemblée devra élire un nouveau Bureau. Selon les statuts, ce Bureau se compose au minimum de quatre membres : Président, Vice-Président, Secrétaire Général, Trésorier.

         La Présidente sollicite les membres de l'Assemblée et les invite à solliciter leurs connaissances à ce sujet.

APPROBATION DE L'ASSEMBLEE

         Suite à la présentation du Rapport d'Activité et du Rapport Financier et aux débats de ce jour, plus personne ne demandant la parole, la Présidente demande l'approbation de l'Assemblée.

         Après vote à main levée, en l'absence de tout Vote Contre ou Abstention, les Rapports sont déclarés "Approuvé à l'unanimité des présents".
         Après les remerciements du bureau pour la confiance apportée à son action, et ses remerciements à Monsieur le Consul Général, et aux membres de l'Assemblée la Présidente déclare la clôture de l'Assemblée Générale.
         La séance est levée à 19 heures.

La Secrétaire Générale                               La Présidente
Nicole Dahmani                                          Marie Menar

POUR INFORMATION
Envoyé par Annaba Patrimoine
Restauration de la Vieille ville d'Annaba :
Les étudiants en architecture s'impliquent

6 MARS 2018
https://letemps-dz.com/?p=9473

             Profitant de la visite de travail du ministre de la Culture, M. Azzedine Mihoubi, samedi dernier, les étudiants du département en architecture de l'Université Badji Mokhtar ont exposé les travaux relatifs à la restauration de la Vieille ville. Un travail sérieux et une analyse complète de plusieurs bâtisses faisant partie du patrimoine de la ville ont été passés en revue et, les propositions de restauration ont retenu l'attention de la délégation ministérielle.

             La faisabilité de cette restauration redorera le blason de plusieurs vieux bâtis dans et autour de la mythique Place d'Armes. C'est ainsi que de la mosquée El Bey jusqu'aux ruelles abritant les anciennes maisons de familles, le vieux bâti est au centre des préoccupations des étudiants en architecture qui ont pour seuls paramètres, l'historique des lieux et un retour à leur image originelle. Ces jeunes filles et jeunes gens ont eu à visiter plusieurs endroits avant de tracer leurs plans de restauration.

             Dar Ali Tatar, Dar Boudjeddi, Dar Chiraffia, Dar Cherskaski, Dar Hellel ou Laouissi, ainsi que le hammam Bensalem ou le centre de transit Thomas Garcia font partie des innombrables lieux visités. Le Ministre de la Culture les a félicités du travail accompli en leur promettant qu'ils seront associés au plan de protection et de sauvegarde de la Médina d'Annaba. Il a notamment précisé que les bureaux d'études algériens passent avant les étrangers qui reviennent trop chers à l'Etat.
             Actuellement 28 bureaux d'études nationaux sont à l'œuvre pour le compte du ministère de la Culture et leur nombre pourra tripler, dans un proche avenir.

             Pour le ministre, la ville d'Annaba dispose de tous les atouts pour devenir l'une des plus belles cités du bassin méditerranéen, à l'instar d'Alger, Oran, Constantine ou Skikda. "Chaque ville a ses propres spécificités et Annaba est un joyau à préserver", dira M. Mihoubi en citant des lieux historiques, telles la mosquée millénaire d'Abou Merouane, la Casbah, etc.… Le directeur de la Culture, Driss Boudiba, a profité de l'occasion pour faire un historique de la ville d'Hippo Régius, l'ancienne résidence des empereurs devenue par la suite Bouna, puis celui de Bône devenue Annaba. Notons enfin que, parmi les jeunes futurs architectes, trois d'entre eux ont reçu des attestations d'honneur et, il est fort possible qu'ils auront à participer à la restauration de la Place d'Armes qu'ils connaissent maintenant sur le bout des doigts.

Amir N.               

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Je crois que n'importe quelle personne qui s'intéresse
à ce qui touche à la culture est forcément conduite
à s'intéresser à tous les domaines artistiques
Jean-Jacques DELUZ

             Annaba, perle de l'Est algérien. Une ville millénaire qui fut marquée par plusieurs civilisations depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Chacune de ces civilisations a laissé ses traces, témoignant de la longue et riche histoire de ce pays.

             Concernant la médina de l'époque ottomane, considérée comme le noyau de la ville d'Annaba ; elle fut marquée entre autre par l'édification d'une mosquée dite " Djamaâ el Bey " . Érigée en 1791 par le bey de la province de Constantine, Saleh Bey, cette mosquée connaît un statut particulier chez les bônois. De style mauresque, la mosquée du bey est couverte de coupoles, surmontée de deux minarets, l'un sobre de forme cylindrique, coiffé d'un dôme conique de style ottoman (rite hanafite), l'autre de type maghrébin de plan carré (rite malékite). L'antécédent de Saleh Bey, Mustapha El Oueznadji n'a gardé que le minaret hanafite. Une cour précède la mosquée et un portique extérieur ajouté en 1852 pour aligner la façade de la mosquée à la place d'arme.

             Comme la majorité des bâtisses de la médina, la mosquée Saleh Bey est dans un état de dégradation avancé et menace de tomber en ruine.
             Une ébauche d'intérêt commence à susciter la préoccupation de la population annabi, tant étudiants que citoyens lambda, qui s'étaient mobilisées pour sauver ce monument. Après la dégradation qu'il a connu suite à la réhabilitation initiée, inadéquate pour un édifice nécessitant autant une restauration qu'une retouche esthétique.
             Aujourd'hui, des actions bénévoles pour la restauration du monument montent au créneau. Des jeunes ont commencé par le nettoyage et la restauration de la menuiserie et du minaret qui était inaccessible, utilisé comme dépôt.

             Aujourd'hui des campagnes de collecte sont lancées par le biais des réseaux sociaux et le site internet ( http://annaba-patrimoine.com/ ) pour l'achat des matériaux. Ces actions justifient l'attachement des annabis au monument de leur ville, et reflètent la conscience de la société vis-à-vis l'importance de l'amélioration et la sauvegarde du patrimoine culturel dans lequel ils s'identifient.
             Une bataille remportée mais pas la guerre, les bônois doivent contribuer à ce type d'action pour sauver non seulement la Mosquée Saleh Bey mais tous les monuments de la ville qui risquent de disparaître.

Auteur: Marwa Menaifi               

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Restauration du Minbar ottoman de la mosquée du Bey
             Ce minbar du Bey date du 18ème siècle. Plus de deux siècles d'histoire !
             Ornementé de feuilles et de fleurs et décoré par les fameux muqarnas.

             Le minbar a été volontairement vandalisé et découpé en deux à la fin des années 90 par des ignorants extrémistes, leur but étant de le détruire car il répondait pas à leur vision rigoriste du minbar.
             Aujourd'hui, pour le sauver, nous avons constitué une équipe d'architectes experts afin de le restaurer.
   



LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.

             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens d'ajouter Petit, Clauzel, Guelât Bou Sba, Héliopolis, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.

             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Duvivier, Duzerville, Herbillon, Kellermann, Milesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Penthièvre, Randon, Kellermann et Millesimo, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.

POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:

http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.

 




NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers

ZAÂLANE L’A ANNONCÉ, JEUDI DERNIER, À ANNABA

Envoyé par Angèle
https://www.liberte-algerie.com/actualite/500-milliards-de-dinars-pour-la-modernisation-des-ports-dannaba-et-de-cherchell-298004

Par Liberté Algérie / 11/08/ 2018   l Par M. A. ALLIA

500 milliards de dinars pour la modernisation des ports d’Annaba et de Cherchell
Le ministre des Transports et des Travaux publics, Abdelghani Zaâlane, en visite de travail à Annaba.


           En visite de travail à Annaba, avant-hier, le ministre des Transports et des Travaux publics, Abdelghani Zaâlane n’aura pas été tendre avec les responsables locaux de son secteur. Au cours de cette visite marathon qui l’a mené de l’aéroport Rabah-Bitat au port autonome d’Annaba en passant par les chantiers de construction de tronçons routiers, beaucoup de cartons jaunes ont été distribués à chacun des cadres concernés.
             Le premier à subir les foudres du ministre aura été le directeur de l’entreprise Batimetal, à laquelle a été attribué le projet de réalisation de la nouvelle gare maritime d’Annaba ; un projet qui accuse un retard de plus de 5 mois. “Vous savez que nous avons déjà résilié le contrat avec Batimetal pour la réalisation de la gare maritime de Béjaïa, et ce, à cause des retards justement. Nous avons souffert avec vous à Alger et à Béjaïa”, a lancé le ministre au responsable du suivi des travaux, qui est resté sans voix. Et d’exiger du maître d’œuvre défaillant que les travaux soient achevés et le projet livré avant la fin mars 2019 afin que la nouvelle gare maritime soit opérationnelle, dès la prochaine saison estivale sans faute. “Respectez les délais ou bien nous allons prendre les mesures qui s’imposent”, a intimé Abdelghani Zaâlane, sur un ton qui n’admettait pas de réplique.
             Répondant à une question d’un journaliste, il se félicitera du déblocage des crédits qui seront alloués aux ports d’Annaba et de Cherchell et qui s’élèvent à 500 milliards de dinars, dira-t-il. “Le dégel des budgets fait suite à l’adoption de la loi de finances complémentaire 2018. Ainsi le port d’Annaba se verra confier le transport des produits des mines de phosphate du Djebel Onk (Tébessa) alors que celui de Cherchell, qui est à vocation commerciale surtout, sera le plus grand port du pays”, a promis le ministre.
             Au niveau de la gare ferroviaire d’Oued Ziad, où il a fait une halte, les responsables de la SNTF ont soumis au ministre les différents problèmes rencontrés sur le chantier du déidoublement de voie et de modernisation des installations sur la ligne Annaba-Ramdane Djamel sur une distance de près de 93 kilomètres.
             Si la modernisation des installations avance relativement bien, le dédoublement sur le tronçon Annaba-Oued Ziad sur un linéaire de 13,5 km est, en revanche, en souffrance. “Le contrat avec l’entreprise qui était chargée de la réalisation a été résilié. Un appel d’offres a été lancé et l’ouverture des plis se fera dès septembre”, a expliqué l’un des cadres de la SNTF au ministre, qui a assuré, qu’il suivra personnellement ce dossier.

             Abdelghani Zaâlane s’est ensuite rendu à l’aéroport pour s’assurer que les travaux de réalisation et d’extension du parking à avions ‘E’, d’une superficie de 73 800 m², se déroulaient bien.
             Avec une capacité de 11 avions, ce parking viendra s’ajouter au parking ‘J’ dont la capacité est de 4 appareils. En chemin vers le port d’Annaba, le ministre s’est arrêté sur la RN44 pour voir le site où deux viaducs vers la cité Seybouse et El-Hadjar seront prochainement réalisés.
             Il a, par ailleurs, effectué une halte à quelques centaines de mètres de l’entrée du port d’Annaba pour inspecter l’échangeur et le viaduc de Sidi Brahim à l’entrée sud de la ville, mis en service il y a de cela quelques semaines. Le ministre des Transports et des Travaux publics a commencé sa visite par l’inspection du projet de réalisation d’un chemin touristique reliant Ras El-Hamra à Oued Bagrat sur une longueur de 6 km, avant de se rendre sur le chantier de l’échangeur reliant la RN44 à la nouvelle ville de Draâ Errich.
             Le ministre a tenu à inclure à sa visite le port de pêche de Chetaïbi, où des travaux d’aménagement sont en souffrance depuis 7 longues années.
             Sur place, les responsables de l’entreprise en charge de la réalisation de ce projet, qui devait être livré en janvier 2014, ont tenté de rassurer le ministre en lui indiquant que l’avancement des travaux a atteint les 95%.
A. ALLIA           


Allah et les femmes au pays d’islam

Envoyé par Gilbert
https://www.liberte-algerie.com/chronique/allah-et-les-femmes-au-pays-dislam-423


Liberté-Algérie   l Par M. Amine Zaoui 28/06/ 2018

Je zappe, rien de spécial ! Je m’ennuie. Tout le monde zappe. Si tu zappes, tu tombes sur l’imprévu !

         Ce qui s’est passé avec moi, effectivement. Je zappe, et je tombe sur une chaîne de télévision qui diffuse la lecture du Coran, en boucle. Et cela n’est pas, ni bizarre, ni choquant. Normal. En ce temps qui court, le Coran est devenu un fond de commerce, comme les autres fonds de commerce.
         J’adore la lecture du Coran sur la voix du célèbre réciteur Abdelbasset Abdessamad. Il fut l’ami du roi Mohamed 5 et de son fils le roi Hassan 2. Il fut aussi un amateur des belles voitures ! Un collectionneur. Connu aussi comme séducteur des femmes !
         Abdelbasset Abdessamad fut le liseur exceptionnel du Coran ! Je zappe et je tombe sur sa belle voix chantant avec extase le texte coranique Epris par la belle voix du réciteur Abdelbasset Abdessamad, je fais arrêt sur cette station tv !
         Mais ce qui m’a bouleversé, c’est les annonces qui défilent en images accompagnant cette belle lecture.
         Des annonces proposant des remèdes magiques pour agrandir l’organe génital masculin ! Des recettes magiques sous la lecture du Saint Coran !
         Au suivant, et d’autres annonces offrant des médicaments magiques pour régler les déficits d’accouplement, chez hommes comme chez les femmes! Assurer un bon «lit» et une bonne nuit ! c’est possible! Et tout cela est diffusé sous la lecture du Coran, à la belle voix de cheikh Abdelbasset Abdessamad !
         Au suivant, d’autres annonces arrivent, exposant des solutions pour rendre les rapports intimes fluides et sans douleurs !! toujours sous la lecture du Coran et la belle voix de l’ami du roi Hassan 2 et de son père Mohamed 5.
         Au suivant, d’autres réclames pour les femmes qui cherchent une chevelure longue et sexy ; et sous la lecture du Coran, la sourate de Youssef. Au suivant, une autre annonce sur la meilleure et efficace méthode d’épilation des organes féminins intimes… toujours sous la belle voix de la star coranique Abdelbasset Abdessamad !
         Au suivant, Abdelbasset Abdessamad récite et les annonces défilent : des femmes à la recherche d’un homme musulman, croyant et salih, et elles acceptent le rôle de la deuxième, la troisième femme ou même la quatrième épouse ! Des hommes qui cherchent une deuxième, une troisième ou une quatrième femme, bien sûr avec des critères hautement signalés, sous la lecture du saint Coran à la voix du réciteur inégalé Abdelbasset Abdessamad !
         Je zappe, et je tombe sur une autre chaîne télévisée, même programme, même réclame, même texte lu, le sacré Coran, avec un seul changement, ici, ce n’est plus la voix de Abdelbasset Abdessamad mais une autre plus sensible encore celle du cheikh Abdourrahmane As ‘Soudais !
         J’éteins la télévision. Je me dis, et je vous dis en toute franchise: il y a un problème d’ordre psychologique ou culturel dans cette société ?!
         Sans philosopher la chose, ni tarder sur ce qui se passe autour de nous, dans nos médias, dans nos rues, je dis, je vous dis : la frustration sexuelle a gagné toute la société !
         Les parlements Irakien et Yéménite, dont les deux pays sont noyés dans la guerre et le sang, discutent, avec beaucoup d’intérêt, un problème énorme : il faut baisser l’âge de la mariée de quatorze ans à neuf ans ! Quelle préoccupation !! Et personne ne bouge le petit doigt, El Azhar se tait !
         Et quand la Tunisie demande l’égalité femme homme dans l’héritage, le monde musulman et islamiste hurle ! Condamnant cette égalité humaine.
         Chez les musulmans, le nom d’Allah est souvent cité dès qu’on parle de la femme ou du rapport à la femme !
         Les hadiths pleuvent de partout, dès que l’homme musulman cherche à dévorer l’intime féminin !
         Les versets coraniques se versent sur la tête de la femme la condamnant dès qu’il s’agit de la liberté de son corps et de son destin! Le corps féminin est la propriété de la tribu, de l’homme et de la rue !
         On parle beaucoup sur le respect de la femme, et nous sommes les premiers qui harcelons cette belle créature !
         On parle de la mère est on oublie que nos mères étaient des jeunes filles pleines d’amour et pleines de vie !
         Le musulman ne peut pas imaginer que sa sœur dort avec son mari avec toute sa liberté corporelle !
         Le musulman n’arrive pas à accepter que sa fille est entre les bras de son homme, son mari !
         Je zappe et encore une fois d plus je tombe sur une autre chaîne de télévision qui diffuse une belle lecture du Coran et des annonces…
         Et je zappe, et cette fois-ci pour voir l’émission «La Grande Librairie»!
A. Z.           

RÉHABILITATION DES VIEUX QUARTIERS DE CONSTANTINE

Envoyé par Alain
https://www.liberte-algerie.com/est/eviter-le-cauchemar-de-2015-297990

Liberté-Algérie  Par - Iness Boukhalfa 11/08/ 2018

Éviter le cauchemar de 2015
Pas moins de 29 cités sont concernées par des travaux de réhabilitation.


           Une initiative qui a pour but de donner un nouveau visage aux immeubles vétustes dont la plupart datent de l’ère coloniale.

           Une autre vaste opération de réhabilitation des vieilles bâtisses concernant 29 cités sera lancée incessamment à Constantine, par la Direction du logement conjointement avec les services de l’Office de promotion et de la gestion immobilière (OPGI). Annoncée au courant de la semaine dernière par la wilaya de Constantine, cette opération touchera, en premier lieu, dix quartiers en attendant qu’elle soit généralisée à d’autres cités et artères de la ville. Près d’une vingtaine d’autres quartiers recensés nécessitant également des travaux de mise à niveau, seront à leur tour réhabilités dès la finalisation des procédures administratives par les services de la wilaya de Constantine.
           Parmi les quartiers concernés, l’on citera la cité Daksi-Abdeslam, Sidi-Mabrouk, Ziadia, cité des fonctionnaires, avenue Aouati-Moustafa et la cité Cnep à Djebel-Ouahch. Cette vaste opération concernera également des rues des communes de Didouche-Mourad, Hamma- Bouziane, Aïn Smara et Ibn Ziad. Une initiative qui a pour but de donner un nouveau visage aux immeubles vétustes dont la plupart datent de l’ère coloniale, consistera en différents travaux d’étanchéité, à la réhabilitation des cages d’escalier et des portes, à installation de nouvelles conduites des eaux usées et au ravalement des façades des bâtiments concernés. Selon les premières estimations des services de la wilaya, le coût de l’opération avoisinera les 54,1 milliards de centimes.
           Les travaux de réhabilitation ont été confiés, apprend-on, à 32 entreprises locales et 12 bureaux d’études. À ce titre, il est bon de rappeler que la ville de Constantine a connu plusieurs opérations de ce genre avant, pendant, et même après l’évènement “Constantine, capitale de la culture arabe 2015”.
           Des opérations qui ont touché uniquement les bâtisses et immeubles qui se situent dans les grandes artères de la ville et qui ont fait couler beaucoup d’encre de par les nombreux obstacles qu’elles avaient rencontrés dont l’absence de main-d’œuvre qualifiée pour certains types de tâches, le peu de sérieux des entreprises engagées sur certains lots ce qui avait généré des retards et des situations inextricables pour les citoyens et les bâtisses elles-mêmes à l’exemple du boulevard Belouizded (ex-Saint-Jean) et autres, où les travaux n’ont jamais été finalisés. Aussi, espérons que l’on aura tiré les leçons des flops récents et que cette fois-ci, l’on improvisera moins.
          
Iness Boukhalfa           


Une marina à la plage La Caroube

Envoyé par Eloi
https://www.elwatan.com/regions/est/annaba/une-marina-a-la-plage-la-caroube-02-07-2018


El Watan   Par MOHAMED FAWZI GAIDI - 02/07/ 2018

Le maire de Annaba met fin à la gestion clandestine des plaisanciers et jet-skis
L’opération devrait générer des recettes importantes pour la commune
Bonne nouvelle pour les propriétaires de bateaux plaisanciers et de jet skis


           La commune de Annaba a dégagé un plan d’eau sur le côté gauche de la plage La Carouble pour accueillir les engins nautiques de plaisance de toutes les dimensions, dont la gestion du lieu a été confiée à une entreprise privée.

           «L’entreprise retenue pour gérer ce plan d’eau, transformé en marina, va équiper le lieu d’un quai flottant autour duquel s’amarreront les plaisanciers et autres engins nautiques», annonce Merabet Farid, maire de Annaba.

           En effet, cette initiative évitera l’anarchie qui s’installait chaque saison estivale dans cette paisible plage, où des préposés «parkingueurs de la mer» squattent le lieu. Au fil des années, ce dernier s’est transformé en une propriété privée.
           Une perte sèche pour le Trésor public. Ce qui a généré une colère sans précédent des concernés, car habituellement ce plan d’eau est exploité durant la saison estivale, car il rapporte au moins 60 000 DA/mois/bateau.

           «L’installation d’un quai flottant répondant aux normes sécuritaires permettra d’identifier les propriétaires des plaisanciers, des jet-skis et même des embarcations des riverains, souvent non enregistrées au niveau des services des gardes-côtes. La clandestinité de ces dernières est motivée par le trafic d’êtres humains (harraga) et de corail. Désormais, cette activité est réglementée.

           Et si par malheur un incident se produit, l’auteur sera vite identifié administrativement à travers son engin»,
estime le P/APC. L’initiative de ce dernier n’est pas une première, cependant.

           Merabet Farid s’est imprégné, vraisemblablement, de l’expérience de la plage «Bouna Beach», qui assure, depuis plusieurs années, le même service.

           Dans ce domaine, faut-il le relever, elle demeure une référence en matière de gestion des quais flottants.

           Autre bienfait de cette initiative, louable à plus d’un titre, les entrées financières qui, ajoutées aux revenus des parkings et des espaces de ventes, consolideront les caisses de la commune de Annaba, dont les dépenses sont aussi importantes que les ressources. Ainsi, la saison estivale 2018 promet une réussite sans équivoque.

           Avec la vigilance du chef du 5e secteur urbain, Mansouri Belkacem, le respect de l’environnement est observé en détail. «Je veille au petit grain tout au long de la Corniche pour rendre plus agréables les vacances des habitants de Annaba et les visiteurs de la ville de Saint Augustin et Sidi Brahim», s’engage cet élu, dont l’expérience dans la gestion des lieux n’est plus à évoquer.

           Sur le plan sécuritaire, l’engagement de la Gendarmerie nationale est sans faille, faut-il le relever.

           En effet, aucun parasol, chaise ou table ne sont imposés aux estivants dans toutes les plages. Ces équipements de la mer sont néanmoins disponibles à la demande des estivants. Les éléments en tenue verte sillonnent jour et nuit le boulevard pour sécuriser les lieux dont la présence, à elle seule, est plus que dissuasive.
MOHAMED FAWZI GAIDI                      


Après les hydrocarbures, l’exportation des imams a débuté !

Envoyé par Eliane
https://www.liberte-algerie.com/chronique/apres-les-hydrocarbures-lexportation-des-imams-a-debute-420


Liberté (Algérie)   Par Amine Zaoui - 26/05/ 2018

Nous sommes devenus, et louange à Dieu, un pays exportateur d’un produit rare et unique. Une marque inégalée dans le monde du commerce international. Nous exportons, et louange à Dieu, et pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante une marchandise hors nos exportations en hydrocarbures, le gaz et le pétrole ! Et nous sommes fiers !

           Nous sommes, le premier pays au monde exportateur d’un produit appelé : les imams. Nous exportons cette production rare vers notre ancien colonisateur, la France. Un colonisé exporte vers un ancien colonisateur ! Un colonisateur importe d’un ancien colonisé !
           Mais qu’est-ce que signifie ce : produit imam ? Un produit emballé dans du carton, dans de la cellophane ou placé dans des barils ou dans des jerricans ? Un produit inflammable ou biologique ? Sucré ou salé ? Soluble ou liquéfié ?
           Une sorte de médicament pour l’estomac ? Un remède pour le cœur ? Une préparation pour le rhume ? Un antidote contre les douleurs de tête, une sorte d’aspirine ou d’Aspro ?
           Nous sommes devenus un pays exportateur, et louange à Dieu tout puissant et miséricordieux!!
           Nous exportons des imams vers la France afin qu’ils enseignent aux petits français, le vivre ensemble, le respect de la nature, l’égalité homme-femme, l’hygiène, la laïcité, le respect du travail et les horaires du travail !

           La France, notre colonisatrice d’hier, a besoin de notre marchandise imam! Sans notre produit magique la France ira tout droit dans le mur de l’Histoire !
           Parce que nous sommes une société où la philosophie du vivre ensemble est respectée, célébrée et défendues par nos imams d’abord, nous exportons cette crème intellectuelle !
           Cette soupe intellectuelle !

           Parce que nos imams n’insultent ni les juifs ni les chrétiens les vendredis, les samedis, les dimanches, les lundis, les mardis et les mercredis, cinq fois par jour, nous exportons cette produit imam pour enseigner comment lutter contre l’antisémitisme et contre le racisme !
           Parce que nos imams tolèrent et respectent ceux et celles qui optent pour un changement de religion, notre pays exporte ses imams pour dire aux Français chrétiens, ceux qui ont choisi la religion islamique, que chez nous : on respecte ceux qui partent de l’islam vers le christianisme ou vers le judaïsme !
           On exporte vers la France nos imams frappés par le seau de Tora Bora et du wahhabisme pour enseigner le vivre ensemble. Parce que chez nous, dans notre société clémente, on dit au premier juif rencontré au coin de la rue, s’il existe encore un : shalom ! Et au chrétien : bonjour ! Et aux minorités sociales : vous êtes chez vous, votre liberté individuelle est protégée. Et on dit aux femmes : Respect madame sans harcèlement aucun !
           Je me demande : Y-a-t-il un marché international pour les imams à l’image de celui consacré au pétrole, au gaz et à l’or ? Comment appelle-t-on cette bourse qui réglemente les cours des prix des imams ?

           Des spécialistes de la bourse internationale du marché des imams, affirment que dès que Daech avance le prix des imams augmente ! C’est bizarre !
           Quand Al Nosra frappe en Syrie ou en Égypte ou en France le prix des imams augmente aussi et automatiquement ! C’est magique !
           Quand les frères musulmans menacent la démocratie, les artistes et les femmes le prix du produit imam made in Algeria se multiplie par quatre ! Subhanallah !
           Et je me demande : Pourquoi est-ce que, ces jours-ci, le marché international des imams se trouve-t-il en mauvaise santé ? Tout simplement, parce que ces Russes, tête de boule de neige, perturbent les cours des prix de cette énergie céleste !
           Je suis fier de voir, enfin, notre pays se libérer de l’exportation des hydrocarbures. Il passe de l’exportation de l’énergie des hydrocarbures à l’énergie imam !
A. Z.                      


Gouvernement: De graves défaillances et des interrogations

Envoyé par Victoria
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5265452


Le Quotidien d'Oran   Par Ghania Oukazi - 26/08/ 2018

«Il y a eu des instructions strictes, ces jours-ci, du président de la République pour, qu'en premier, le gouvernement mette les moyens nécessaires pour prévenir et guérir ce fléau.»

           Ce sont les premières déclarations du ministre de la Santé bien après que le choléra ait touché un grand nombre de citoyens et placé l'Algérie, vis-à-vis du reste du monde, comme pays à risque et même à éviter. L'on se demande si, avec toutes les pressions extérieures qu'exercent certains pays puissants sur elle pour, qu'entre autres, elle intervient en Libye ou au Mali, l'Algérie avait-elle besoin en plus, d'un affront « infectieux ». L'on reste sidéré devant l'attitude d'un ministre de la République qui avoue avoir reçu « des instructions strictes » du président de la République pour «prévenir et guérir le fléau.» Hasbellaoui met ainsi l'opinion publique face à deux hypothèses : ou le président a effectivement donné des « instructions strictes » pour que le gouvernement réagisse vite face à la propagation du choléra, et dans ce cas, le ministère de la Santé a été incapable de réagir, promptement, face à l'apparition de ce fléau, ou alors le président n'a rien dit et que les propos tenus par le ministre de la Santé relèvent d'une propagande électoraliste absurde. Dans les deux cas, l'intelligence a terriblement manqué. Ce qui est aussi évident, c'est que dans les deux cas, le gouvernement confirme son incurie. Tout le monde sait que depuis qu'il est tombé malade, le chef de l'Etat ne reçoit aucun ministre ni lui parle au téléphone.
           S'il ne le faisait pas quand il était en bonne santé, l'on ne croit pas qu'il le fasse en étant malade. L'on se rappelle, lors d'une réunion des ministres arabes de l'Intérieur qu'un haut cadre du ministère de Nouredine Bedoui avait fait un lapsus révélateur en déclarant que «ce sont les instructions de Saï?, (Saïd ndlr), euh, Abdelaziz Bouteflika.» Que celui qui instruit s'appelle Abdelaziz ou Saïd Bouteflika, un gouvernement n'attend pas des instructions « venues d'en haut » pour réagir alors qu'il y a mort d'hommes.

           Le ridicule n'a jamais tué personne

           « Dès la déclaration du premier cas de choléra ou juste ses symptômes, il a fallu, tout de suite, isoler le malade et la région où il a été infecté, déclencher le plan 'Orsec' et prendre les mesures nécessaires pour que le fléau ne se propage pas,» affirme un médecin. Comme de tradition, le gouvernement n'a pas su anticiper les événements. « Un gouvernement qui attend que la présidence de la République prenne des décisions, c'est qu'il ne sert à rien et qu'il faille alors le renvoyer chez lui, » estime un observateur. Si le ridicule n'a jamais tué personne, en Algérie, il fait des ravages monstrueux au sein de la société. En l'absence de l'autorité de l'Etat, les citoyens errent dans le sens qui les agrée, ils jettent leurs ordures dans les rues, démolissent leurs appartements pour en changer l'architecture, branchent leurs compteurs aux poteaux électriques publics, contredisent les lois de la République...
           Les institutions de l'Etat se cachent sous l'exigence de la préservation de la paix sociale pour laisser le pays sombrer dans l'indigence et l'illicite. Tout autant que le ministère de la Santé, celui du Commerce a, lui aussi, failli à ses responsabilités en laissant les commerçants vendre l'eau minérale à des prix exorbitants. Les propos dithyrambiques des ministres frôlent très souvent la fourberie. Les services de contrôle n'ont jamais eu les moyens nécessaires pour s'acquitter, convenablement, de leurs missions. Les contrôleurs d'un grand nombre de wilayas n'ont, même pas, de véhicules pour se déplacer. « On prend un taxi ou le bus, on se débrouille comme on peut, » nous dit un contrôleur.
           Pis, «en cas de contrôle dans les lointains douars, ce sont les services du ministère du Commerce du chef lieu wilaya qui nous envoient une voiture, sinon, on ne peut pas se déplacer, explique-t-il encore. Depuis très longtemps, le ministère sait que les pastèques -particulièrement- sont irriguées, dans beaucoup de régions, avec les eaux usées. »Les agriculteurs malhonnêtes agissent en toute impunité alors que leurs actes relèvent du crime. Encore une fois, il semble que le maintien de la paix sociale pour des considérations électoralistes ou pour faire réélire le président de la République, à chaque fois qu'il en a envie, permettent des fautes graves. La crédibilité de l'Etat a pris de sérieux coups de décrépitude. Celle de ses institutions et de ses responsables n'en a pas eu moins. Sinon, les hôpitaux, pour ne citer qu'eux, n'auraient pas été des mouroirs.

           Quand la compétence n'est pas une exigence

           Le ministère de la Santé a toujours fait le dos rond devant les graves dysfonctionnements des établissements de santé. Les graves pénuries de larges palettes de médicaments pourraient à elles seules expliquer l'incurie dans la gestion des affaires de l'Etat, celle de beaucoup de responsables et surtout l'absence de sanctions dans un pays où personne n'est tenu de rendre des comptes. Fait des circuits mafieux, la vente d'assiettes foncières à des particuliers qui se retrouvent quelques mois plus tard devant le juge pour avoir «acquis des biens d'autrui.» Un jeune émigré nous racontait qu'il était venu de l'étranger avec l'idée d'acheter un terrain pour construire, « une petite maison sur le littoral, mais j'ai été découragé par beaucoup de personnes parce qu'on m'a dit que je risquais d'être escroqué et que les autorités locales ou la justice ne pourraient pas m'aider. » Ce genre de malversations a fait le tour du pays. Le jeune émigré n'est pas le seul à se plaindre de tels agissements alors que les auteurs continuent de sévir.

           La ministre de l'Education a adressé, hier, ses « vifs remerciements » aux responsables du secteur qui ont pensé, selon elle, « à réparer les tables des classes ou peindre les murs des écoles.» C'est à croire qu'ils ont rendu service à la ministre alors qu'ils se sont seulement acquittés de leurs missions, les plus élémentaires, à la veille de la rentrée scolaire. Quand le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pense que le prix Nobel n'apporte rien à une université dont le chercheur l'aurait obtenu et qu'une moyenne de 10 n'a rien de plus qu'une moyenne de 19, alors le gouvernement devrait être démis de ses fonctions. Il est trop facile d'accuser les médias d'avoir «mal interprété les propos» d'un responsable. Le cafouillage du wali de Blida, son incapacité à composer une phrase correcte pour rassurer les malades du choléra, laisse pantois. Le choix des hommes n'a jamais répondu à des critères de compétences requises aux postes de responsabilités. Seule l'allégeance bête et disciplinée est exigée. Jusqu'à ridiculiser les gouvernants et la République.
Ghania Oukazi                      


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Contes derviches de Idries Shah  
Envoyé par Fabien

       Il était une fois une ville constituée de deux rues parallèles. Un derviche passa de l'une à l'autre. Quand il entra dans la seconde, les passants remarquèrent que ses yeux ruisselaient de larmes. « Quelqu'un est mort dans l'autre rue! » s'écria l'un deux. Tous les enfants du quartier eurent bientôt repris le cri du passant, qui parvint ainsi aux oreilles des habitants de la première rue. Or le derviche pleurait pour la seule raison qu'il avait épluché des oignons.

       Les adultes des deux rues étaient si affligés et pleins d'appréhension (car les uns et les autres avaient des parents de l'autre côté) qu'ils n'osaient pas approfondir la cause de ce tumulte.

       Un sage tenta de les raisonner. Aux habitants de la première rue, il demanda pourquoi ils n'allaient pas questionner les habitants de l'autre rue sur ce qui s'était passé. Il demanda la même chose à ceux de la seconde. Mais tous étaient trop désorientés pour prendre la moindre décision. Certains dirent au sage: « Nous croyons savoir que les gens d'à côté sont atteints de la peste. »

       La rumeur se répandit comme une traînée de poudre. Chacune des deux communautés fut bientôt persuadée que sa voisine était condamnée.

       Quand le calme fut plus ou moins revenu, il apparut aux uns comme aux autres qu'il n'y avait d'autre issue que la fuite. L'ordre fut donné d'évacuer la population.

       Les siècles ont passé, dans la ville désertée il n'y a pas âme qui vive. Non loin se trouvent deux villages. Chacun conserve la mémoire de sa fondation : dans l’un comme dans l'autre, on vous racontera comment, en des temps anciens, la population d'une ville menacée par un terrible fléau vint s'établir là, au terme d'un exode qui la sauva de la destruction.



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« La liberté d’information (FOI) ... est inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946, ainsi que par les Articles 19 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), qui déclarent que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».


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