N° 42
Juillet

http://www.bartolini.fr/bone

Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Juillet 2005
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Les dix derniers Numéros :
EDITO

INDIGNATION !!!

    Chers Amis

    L'inauguration de la stèle de Marignane dédiée aux Martyrs de l'Algérie Française a soulevé une vague de protestation, d'indignation suivie d'une interdiction par le Préfet des Bouches du Rhône.

    Pour mériter tant de haine, pour être sali par des gens pourris jusqu'à la moelle, qui sont ces Martyrs ?

    Ce sont, des petites gens qui ont cru naïvement en la parole d'un félon, l'as des mystificateurs de l'histoire : le grand Charles.
    Ce sont, aussi, des militaires qui ont cru en leur âme et conscience pour faire leur devoir, respecter leur parole et leur engagement.

    Tous ces Martyrs morts inutilement pour la France, ont cru aussi à la grandeur, la générosité, l'honneur, la justice de la France et de sa sainte : la grande Zorha.

    Ces hommes, qu'une sale guerre civile et fratricide a entraîné dans un mouvement de défense et de protection des populations vouées au terrible choix de la valise ou du cercueil que leur promettaient les sanguinaires ; Ces hommes, oui ces Hommes méritent des stèles dans les cimetières de manière que les rescapés habitant chaque région que l'ont dit encore française, puissent aller se recueillir en signe de devoir de mémoire.

    Il ne faut pas oublier que ces hommes ont pour la grande majorité été tués, martyrisés, fusillés sous les ordres de De Gaulle, par ses terroristes barbouzes, par une justice avilie et dans la haine d'une partie de la population de France. C'est vrai que cela est un lourd fardeau que la France porte et qu'elle devra assumer. Les affres de l'histoire lui rappelleront longtemps cette infamie.

    L'histoire est un éternel recommencement, les hommes n'en retiennent pas les leçons ou ne savent pas s'en souvenir pour tenter de garder la véritable paix entre eux. La France devra se remémorer le combat de ces êtres humains pour leur drapeau et leur pays, sinon elle connaîtra aussi la valise ou le cercueil, d'ici une dizaine d'année, lorsque l'indépendance de la France Musulmane sera revendiquée par le terrorisme ambiant de ce pays.

    Vérité, Mémoire, Souvenir devraient être les mots quotidiens de chaque homme afin que la Paix des hommes et des âmes l'emportent sur des doctrines fanatiques entretenues et exploitées par des malfaisants se réclamant de soi-disant mouvements antiracistes ou de droit de l'homme. Sans parler des mouvements politiques qui en tirent les ficelles pour leur propre compte.
    Tous ces malfaisants se réjouissent lorsqu'une personnalité d'un monde moralisateur, maire de Paris appose une plaque de rue ou de place à la gloire du terrorisme qui a combattu la France. Là, il n'y a pas indignation des gaullistes car cela va dans le sens de leur doctrine, à savoir la souillure de leur pays.
    Je dis leur pays, car il n'est pas le mien (tel qu'il est) puisqu'il ne me reconnaît pas comme français. Mon passeport en atteste, je suis un apatride comme me l'ont fait remarquer les autorités algériennes. A l'heure actuelle, je ne comprends plus les Pieds-Noirs à vouloir continuer à se battre pour l'honneur d'un pays qui n'a ni reconnaissance, ni honneur, ni respect pour les morts. D'ailleurs, à dater de ce jour, je lève du site le chant des Africains. C'était celui de mes parents qui sont venus se faire casser la gueule pour cette France, ce n'est plus notre chant, du moins plus le mien.

    Jeudi 23 avril 2005, le Président de la République a installé officiellement la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), pour lutter contre toutes les discriminations.
    A cette occasion, il a déclaré entre autres :

    " Les discriminations ne concernent pas seulement certaines catégories de la population. Elles concernent, en réalité, des millions de personnes.

    Elles touchent un nombre grandissant de nos concitoyens en raison de leurs origines : descendants d'immigrants, de réfugiés, de harkis. Elles frappent nos compatriotes d'outre-mer qui apportent tant à notre pays et à notre culture depuis des siècles. La couleur de la peau, la consonance d'un nom ou d'un prénom, l'accent, voire une simple adresse, tous ces signes ne veulent rien dire en République. Pourtant, ils nourrissent trop souvent les discriminations et les comportements de rejet, comportements aussi irrationnels que destructeurs.

    La lutte contre les discriminations est un combat pour la justice et pour le respect. C'est un combat pour la République. C'est un combat qui se gagnera par l'affirmation et la défense des principes républicains.

    Face aux discriminations, nous devons avoir une volonté politique sans faille. Nous devons nous inscrire dans la fidélité à nos valeurs et à ce que nous sommes. Nous devons les traquer sans relâche partout et pour tous. Nous devons faire évoluer les esprits et redonner confiance dans la République à ceux qui sont victimes de discriminations.
    C'est cette voie que pour ma part j'ai choisie pour la France. Et c'est la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité qui en sera le fer de lance.

    Sa mission est d'aider les victimes de discriminations à faire valoir leurs droits et à faire respecter leur dignité. C'est une mission essentielle pour que l'égalité des droits et des chances soit toujours une réalité dans notre pays.

    Car l'égalité n'est pas un principe gravé une fois pour toutes dans le marbre. C'est un principe vivant qu'il faut sans cesse affirmer et enrichir, défendre parfois. De sa vitalité dépend celle de notre contrat social. Je suis sûr que vous saurez, par votre action, incarner pleinement cette conception d'une égalité en mouvement, au service des valeurs de la France et au service de tous nos concitoyens. "

    MONSIEUR CHIRAC, faites respecter les lois et les belles paroles que vous avez prononcées ; Remontez les bretelles à votre ministre des Anciens Combattants et votre Préfet pour la discrimination dont ils ont fait preuve dans l'histoire de la stèle de Marignane ; Criez aussi votre indignation contre cette levée de bouclier et faites fi de ces mouvements subversifs néfastes à votre pays.

    Des traîtres, des porteurs de valises ou des déserteurs ont droit à des médailles, des noms de rues ou places publiques en reconnaissance de leurs infamies et de leur participation aux tueries d'innocents, européens et musulmans.

    Des bons français, du moins l'ont-il cru, sont morts pour combattre ces infâmes personnages et eux n'auraient pas droit au respect par une stèle dans des cimetières. Qui pratique la discrimination et l'inégalité de traitement ?

    Doit-on cacher nos morts ou disparus ?
    Doit-on taire ces génocides ?
    Pieds-Noirs, dites : NON, NON et NON, ASSEZ ; n'acceptez plus de telles ignominies, sinon vous en serez réduit à faire de la figuration et à servir de faire valoir à des hommes politiques. Vous en avez une autre preuve, c'est le mur des disparus qui sera érigé dans une enceinte privée, ancienne PRISON, dans un quartier mal famé de Perpignan. Vous avez certainement entendu ou vu les reportages sur les émeutes du mois de mai 2005 dans ce quartier. Une souscription est déjà lancée par le Cercle Algérianiste, refusez-là. Refusez cet ignoble marchandage politique.

    A quand un vrai mémorial pour tous les morts innocents de cette sale guerre civile et fratricide, comme ont su le faire les Espagnols ?
    C'est la seule solution pour la réhabilitation de leur mémoire et pour l'instauration d'une paix entre les communautés.

    C'est le début des vacances estivales et comme chaque année, cela nous rappelle un terrible souvenir. L'exil forcé avec son lot de souffrance qui nous a meurtri et que rien n'effacera.
    Néanmoins, je vous souhaite de bonnes vacances, "Bône" lecture, et rendez-vous à la rentrée.

Merci à tous                                   Jean Pierre Bartolini                         

        Diobône,
        A tchao.


Aprés votre visite,
(---n'oubliez pas de Cliquer --- )

Ce qu'ils en pensent
N° 2 de Février 1950
de M. D. GIOVACCHINI
Envoyé par sa fille


         Le succès de cette modeste publication est réconfortant. Il ne m'appartient pas d'en définir les raisons. Peut-être répondait-elle à une nécessité ? Le choix des sujets et l'esprit frondeur qui anime un grand nombre de lecteurs ont pu aussi faciliter cette audience profonde qu'elle a connue.

         Encouragé, je continuerai à dire ce que je crois être la vérité, au mépris de tous les préjugés, sans crainte aucune des puissants et de la séquelle " d'agenouillés " qu'ils traînent dans leur sillage, tant pis pour ceux qui vivent parmi les remords qu'ils ont accumulés, ou qui se délectent dans les méfaits du sectarisme, de l'esprit partisan et de l'affairisme.

         Je prends la légitime précaution de pouvoir prouver ce que j'affirme. D'accord avec ma conscience, je ne crains pas les coquins effrayés par la lumière. J'éprouve même une joie indicible à m'attaquer aux grands, à tous ceux qui tiennent le travail sous le joug de leur force matérielle et de leur orgueil insolent, Et, n'agissant pas en vit flatteur du peuple, je ne me gênerai pas pour dire à de mauvais bergers comment ils compromettent son unité et sa cohésion, unique moyen de réaliser son salut.

         Je n'attends de ma témérité - et il faut parfois du courage pour dire même des vérités connues et admises - ni reconnaissance ni, avantages. Il me suffira de savoir que j'ai visé juste, et que j'ai écrit ce que tant de couards et de solliciteurs pensent tour bas.

         Je demande seulement au lecteur de juger avec objectivité. La seule question qu'il a le devoir et le droit de se poser à la lecture d'un quelconque pamphlet, est la suivante : EST-CE VRAI ? ".

         Après avoir lu et admis l'authenticité de ce qui est mis, noir sur blanc, il n'a plus, sous peine de forclusion morale, à balbutier des critiques ou à médire, pour justifier la servilité qui l'enchaîne à ses maîtres.
         D'ailleurs " viser juste et sourire " telle est la règle inflexible que je m'impose. Avec les " munitions " que cette brochure me permettra de stocker, je pourrai mitrailler à l'heure voulue et en premier lieu, cette putride coalition d'intérêts ou est la fameuse " Union " dite républicaine.
         Que MM. P..., T..., F..., etc... soient bien persuadés qu'ils ne seront pas à leur aise sur un gril flambant neuf, fin prêt et à la mesure qui leur convient.
         Et tout cela sans peur des costauds ou des imbéciles !
         Déjà, nous avons demandé leur première impression à " nos grands hommes ".
         P..., qui, comme le poulpe, cuit dans sa graisse et dans ses eaux, m'a répondu sur un ton blasé et las :
         " Laisse-moi donc la paix. Que M... ne m'aime pas, Je le sais. Qu'A... et F... me sectionnent les tibias, je le sais aussi. Je me suis encoconné tout seul et il ne me reste plus qu'a baver dans mes propres fils. Mais, après fortune faite, j'aurai la ressource de pouvoir déménager, en disant merci aux Bônois ingénus qui me considéraient comme un homme à cran. Surtout, ne dis rien de mon passage en Corse et à Marseille ! Zitto ! "

         T..., drapé dans sa, toge de demi-Sénateur, m'a foudroyé en ces termes ; " Si vous voulez quelques dahlias dorés, çà ira, sinon, je dirai à mon fleuret de vous étriper vivant ! ! " Il ignore, le parvenu de la Lorraine, que mon bras est plus long de quatre centimètres que le sien et que je ne me bats qu'au pistolet à bout portant ".

         Le F... menu et clignotant, que je n'ai pu rencontrer, m'a fait dire que mon " roman " l'avait laissé indifférent, Quel sang froid ! Le même dont il faisait preuve à, Metz sous la capote d'infirmier crânement endossée par dessus deux chandails en pur Mérinos...
         Mais le " roman " va continuer pour la grande joie de ses propres amis : A..., P..., les ceusses de la Transat, des Transports Maritimes, les radicaux et les M. R. P., et surtout de ses Collègues de l'assemblée Algérienne et du Conseil Général.

         Dans une encoignure de la Souricière qui orne la Place Jean Bulliod, j'ai heurté mon excellent ! ami Ch. M..., impeccablement cravaté, portant bien plus beau que le moussaillon délabré de la Touache.
         Vade retro, Satanas ! m'a-t-il crié, et, sans sourire comme à l'accoutumée, me lança tout ceci : " Je ne te dirai pas que je n'aime pas P..., et encore moins T... et F... parce que tu le répéterais. Fais ton mea culpa et débarbouille-toi dans ta propre purée. Cela t'apprendra à jouer la vertu. Quand tu parleras de moi, trempe ta plume dans de la vaseline, sinon je te baptiserai " spongieux ".

         Donnant libre cours à ma curiosité, je parvins péniblement à me faire introduire chez Robert P..., solennel marmiton, absorbé par des études sur la " sauce madère ".
         " Mon vieux, me dit-il à, mi-voix, depuis que l'Hôtel d'Orient est devenu, après Washington et Moscou, la troisième capitale du monde, je suis surmené. Grâce à René M... qui m'a promis un petit coin dans sa poche, je signerai un traité de paix avec T.... il n'est plus possible qu'un président de ma classe soit en état de guerre froide avec le roi du pinard.
         Tu conviendras que les graves préoccupations qui peuplent mon vaste cerveau, ne me permettent pas d'attacher quelque importance aux productions de pauvres écrivailleurs.
         Laisse donc les " grands " à leur travail. Tiens ! je te quitte. Au bout du fil j'ai STALINE et TRUMAN ",
         Je partis, ému, avec l'impression que je venais de quitter vraiment un grand homme.

         Et, pour trouver une diversion agréable, j'acceptai un repas offert aimablement par le diabolique Henry A..., toujours cousu de malice en fil blanc. Il y avait parmi de bons mets et de bons vins, trois curés, - trois seulement ! - compagnons intéressants, fort dignes du Paradis.
         En si sainte compagnie, Henry, maçon apostolique, me confia d'une voix pleine d'onction : "Tu sais que je veux être Maire de Bône. Vas-y donc sur P... et F... surtout. Tout ce qui les atteint facilite ma tâche. Je te promets de ne pas livrer Bugeaud aux vaches des tribus du P. P. A, et du Manifeste. Et puis, fais-moi tenir 50 exemplaires de ta brochure que je glisserai aux Membres de l'Assemblée Algérienne. André essaie de se donner une contenance, mais il en est encore malade...

         Surtout, ne parle jamais de moi sinon je mets à tes trousses toutes les plumes de la basse-cour radicale" !!

         Mais quittons tous ces petits " grands hommes ". Les lecteurs nombreux et avides de lire du nouveau, me pressent de continuer à dégonfler les baudruches.
         " Allez-y, m'ordonnent-ils en chœur ". Il est salutaire que tous ces augures soient fustigés d'une main ferme.
         La vérité est toujours bonne à dire : elle purifie l'atmosphère politique, et incite les vaniteux à se rendre moins encombrants.

         Et c'est bien ce que je tâcherai de faire... et avec le sourire.



LES CHRONIQUES BÔNOISES
                      Par René VENTO                    N°21

Le tragique destin d'un couple d'holothuries


       Il était une fois, près des rivages d'une coquette ville qui s'appelait Bône, une espèce marine que les scientifiques appelaient holothurie. Les Bônois avaient de suite remarqué que la forme de cet habitant de la mer évoquait un sexe masculin dans de bonnes dispositions. Doués d'une imagination débordante et pratiquant un langage truculent, les Bônois baptisèrent cette espèce du nom trivial de " catsomarine ". Puis, un jour, une grande partie de la population de Bône fut exilée en Patosie mais les catsomarines restèrent dans leur mer natale et continuèrent à se multiplier au rythme des saisons sans se soucier des vagues de l'Histoire qui déferlaient sur la terre des hommes.

       Plus de quarante ans après, à Toche, vivait paisiblement un couple de catsomarines qui avait élu domicile près d'un rocher couvert d'oursins. Lui se prénommait Augu, comme son ancêtre ; elle, c'était Fifine, prénom de son arrière-grand-mère. Augu était plein d'attention pour sa femelle qu'il gavait avec des résidus de bromedge abandonnés par les poissons ; Fifine veillait sur les petits pour qu'ils ne plongent pas sur les oursins comme l'avait fait autrefois un Bônois imprudent, tout près du trou carré.


AUGU

FIFINE

       Le cadre de notre histoire étant tracé, écoutons le fabuleux destin d'Augu et de Fifine raconté par eux-mêmes puisque chacun sait que les catsomarines parlent depuis que la Déesse de la mer leur a accordé ce pouvoir en reconnaissance de leur contribution à la fertilité de l'espèce humaine.

AUGU  Oh Fifine, t'y entends pas des pas en dessur la surface de l'eau ?
FIFINE Zotche, tu te crois au lac de Tibériade il y a 2000 ans ! Même si la location des pédalos elle est hors de prix à Toche, les Annabis y vont pas marcher sur l'eau pour faire des économies !
AUGU  Ecoute oh Gatarelle ! On dirait qu'y sont deux et qu'y marchent vers nous.
FIFINE Je crois que t'ias raison ! Y sont deux et y parlent : ferme-la que j'écoute.
AUGU  Je vois quatre jambes plein de poils qui avancent ! Challah qu'y marchent sur un oursin comme ça y dégagent de notre territoire.
FIFINE Chut ! Y parlent mènant. Je crois comprendre qu'un y s'appelle Rachid et l'autre il a un nom de schkol ! Y s'appelle Pierre…… Non, Jean-PIERRE ;
AUGU  Et qu'est-ce qui disent ?
FIFINE Rien qu'y jurent des morts et qui finissent leurs phrases par DIOCANE !
AUGU  Pôvres de nous y sont revenus !
FIFINE Qui ça ?
AUGU  Les Bônois qui zétaient partis en Patosie. Pourvu qui nous refassent pas le coup du père Bébert de la Colonne !
FIFINE Cuila-la qui s'était fait un génocide avec nos aïeux en les transformant en pilules affreudisiaque !
AUGU  Même que ce Bébert y s'avait monté une usine qu'elle s'appelait la Catsocoop. Areusement que l'usine elle a fermé après son départ aussinon jamais on serait nés !
FIFINE Aga les ! Aga les ! Y sont entrain de nous regarder par dessus l'eau : pourvu qu'y soient guitches !
AUGU  Même qu'y sont guitches, y vont nous voir car l'eau elle sert de loupe.
FIFINE Je crois q'tias raison pourquoi j'ai entendu qui nous ont traités de tête de neu !
AUGU  Entention Fifine, y a une main qui cherche à t'attraper
FIFINE Entention derrière toi, y en a un qui vient de se faire une mayonade !

       Hélas, en moins de deux, Augu et Fifine sont capturés et introduits au fond d'une bouteille plastique coupée, remplie d'eau de mer. Les voici à présent dans un hôtel du centre ville, apeurés mais assez conscients pour essayer de deviner les intentions de leurs ravisseurs.

AUGU  Mamami, les Bônois y nous ont faits prisonniers ! Assaouar ça qui vont faire de nous deux ?
FIFINE Dans la voiture qui nous ramenait de Toche, j'ai entendu qui voulaient nous faire cadeau à un nommé René qu'il est soi-disant espécialiste en catsomarines.
AUGU  Pourvu que cet espécialiste y nous fait pas une autopsie pour voir si on peut encore servir d'affreudisiaque !
FIFINE T'en fais pas, ménant les Bônois qui sont tous vieux y zont le Viagra ! On risque rien.
Je me demande si ce René y cherche pas à se monter un élevage de catsomarines Bônois à Marseille et que c'est nous que nous s'en allons être les reproducteurs de l'espèce.

AUGU  Challah que notre Dieu, le grand Tanoute, y t'entend comme ça on va passer le temps à s'envoyer en mer !
FIFINE Tu penses qu'à niquer ! t'ias oublié qu'on a laissé les petits à Toche !
AUGU  Porcamisère, c'est la franche vérité ! Pourvu qu'y a la grève des transports dimanche comme ça y sont obligés de nous rejeter à la mer.

       Hélas pour eux, contrairement à la Patosie, il n'y avait jamais de grève des transports dans leur pays . Augu et Fifine furent tranvasés dans un bocal rempli d'eau de leur mer natale puis le bocal fut enfermé dans un sac bourré de pâtisseries locales . Nous retrouvons le sac sur un tapis roulant dans le hall d'embarquement de l'aéroport autrefois appelé " Les Salines ". Ecoutons les dernières paroles d'Augu et de Fifine.

AUGU  Michquine ! Oh Fifine ! Je crois que cette fois on s'en va à de bon à Marseille.
FIFINE Gardons l'espoir ! Peut-être que les douganiers de Marseille y vont nous rejeter à la mer quand y vont nous voir arriver !!
AUGU  Peut-être aussi que les douganiers d'Annaba y vont pas nous laisser passer pourquoi on n'a pas de visa de sortie !!
FIFINE On dirait qu'on est arrêté : j'entends le douganier qui gueule après une valise qu'elle est coincée devant nous.
AUGU  J'ai un mauvais pressentiment car une vieille prophétie bônoise disait qu'ici il fallait choisir entre la valise et le cercueil. Si la valise elle passe, alors le bocal y sera notre cercueil.
FIFINE Je fais les cornes pour que cette prophétie elle arrive pas !
AUGU  Tu sens pas qu'on nous soulève ?
FIFINE Atso, j'ai l'impression qu'on s'envole en errière ! Et en avant ménant ! Qu'est-ce qui nous arrive ?
AUGU Je crois que j'ai compris : ce gougoutse de douganier y nous a pris pour un bélier ! Y décoince la valise en tapant dessur ac le sac où on est dedans ! Tu nous as porté la schcoumoune avec tes cornes !
FIFINE. Au secours Augu ! le bocal y s'a cassé et l'eau elle se coule partout dans le sac.
AUGU Adieu ma Fifine, bientôt on va mourir ! lâchons tous nos boyaux dans le sac comme ça y restera un souvenir de nous à l'arrivée en Patosie du sud..

       Et c'est ainsi qu'Augu et Fifine se vidèrent avant de rejoindre le paradis des holothuries tandis que leurs dépouilles mortelles furent jetées sans cérémonie dans une poubelle de l'aéroport. L'odeur nauséabonde se dégageant du sac imprégna les pâtisseries qu'il contenait, les rendant inconsommables. Mais comme les goûts des chiens diffèrent de ceux des hommes, les gâteaux à l'arôme de mer et de catsomarine furent appréciés par le chien du dénommé Jean-Pierre , qui, après son festin, fut pris d'une soudaine envie de copuler avec les chiennes du quartier.
       A défaut de pouvoir se reproduire en terre de Patosie, Augu et Fifine avaient au moins permis la multiplication de l'espèce canine. Reste à connaître l'influence de l'ADN des holothuries sur le développement hormonal du fœtus canin. Un beau sujet de thèse pour un descendant de Bônois s'intéressant à l'évolution animale.

       Je dédie cette histoire à Rachid HABBACHI, en lui souhaitant un prompt rétablissement, et à Jean-Pierre BARTOLINI, pour m'avoir permis de partager avec lui un moment insolite, mais combien inoubliable, de son voyage à Bône.

FIN

Ça qu'on vous a pas dit … !
Christian AGIUS      N° 27
le Maltais de la route de Bugeaud,
y ramasse dans les poubelles de luxe…
ma, tombe de ses morts, c'est la franche vérité !!!

Ja fait du hand ball au lycée Saint-Augustin ac mon prof Petiton, un calamar d'Algérois qui s'arrêtait pas de faire le farfaton. On allait jouer contre Philiville la tap… Ma, j'arrête là aussinon les philivillois y vont me faire la baroufa.
Tout ça pour te dire que ja pas gagné 310.000 €, dessur l'argent public, comme ce tanoute de Richardson au club " Chambéry-Savoie "……


Tia voté ça que tia voulu au raffarindum. Rien à carrer.
Ma est-ce que tu sais que en dedans le teste de la constitution, qui ça ramassé le saucisson, y zont utilisés :
220 fois le mot " Royaume-Uni ou Grande Bretagne ; 141 fois le mot " marché " ; 50 fois le mot " Malte " ; 47 fois le mot " Hongrie " ; 42 fois le mot " Lettonie " ; 26 fois le mot " Luxembourg " ; 21 fois le mot " Pays Bas " ; 12 fois le mot " Grèce "…………………..ma 10 fois le mot " France "…………..
C'est pas fini !
176 fois le mot " banque " ; 38 fois le mot " commerce " ; 29 fois le mot " concurrence " ; et…………………………
Pas une seule fois les mots " patrie " ; " honneur " ; " christianisme "………….


Sarcloseille y se distingue dessur les plateaux de télévision (et ailleurs..) comme l'ennemi violent du fromage de Hollande ! Hein….
Sauf que, diocane, y sont copains le soir au restaurant et y se tutoient !....


La télévision TF1 elle a gelé les embauches : makkache le flouss………..
Ma pas pour Guillaume Debré, le fifils à Jean-Louis, président du palais-gruyère,…… nommé correspondant à Washington….. Cinquante journalistes y zont gueulé………….pour des clous !


Diocane, le téléthon y me fend le cœur ! Ces pauvres petits myopathiques !!
Reusement tout le monde y donne des sous, même ceux qui zont les oursins en dedans les poches !
Seulement, y faut que tu m'essplique pourquoi la directrice de cette association elle s'a fait construire une très belle villa, ac l'argent des dons……….et des dindons !


Y en a marre de tous ces " zitrongers " ! C'est pas Galouzeau qui le dit, ma les journalistes algériens, l'Algérie elle est envahie par les…Chinois !


Tu vas te taper le cul par terre, ma la police israélienne elle a gantché un néo-nazi ac un swastika tatoué dessur le bras gauche.
C'était un…………………….militaire de Tsahal (l'armée) !!!!!!


Il a des klaouis, le gouvernement ! Arregarde l'affaire du lundi de pentecôte : tout le monde y doit travailler pour les chibanis ! Ouais, tout le monde ?
Sauf……………………………..l'assemblée nationale qu'elle a fermé ses portes ce jour-là jusqu'au 31 mai !!!


Le président de la raie publique il assiste traditionnellement à la finale de la coupe de France du foutebol.
Ma, cette année, Chirac il avait mieux à faire : y s'est tiré chez Schroeder pour le travail, qu'il a dit……
La franche vérité, c'est que les Renseignements Généraux y lui ont dit de pas venir, pourquoi il allait se ramasser une madone de bronca par le public, juste après le raffarindum……


C'est nous les champions ……….etc………..
Ouais.
Ma faudra que tu m'esspliques pourquoi aucune grande entreprise n'a été créée depuis 1991 ?


Les petits propriétaires de l'île de Ré y sont contents de l'impôt dessur les grandes fortunes !
Tu vas vite comprendre : ac le prix au mètre carré des terrains en dedans cette île (700 zorros !!!!), ceux qui gagnent 10.000 zorros par an y payent 8.500 zorros d'ISF !!!
Alors y vendent aux promoteurs ou à……..Jospin !


Diocane, la Cour des Comptes elle surveille tous les fourbis d'la nation ! Ouais, sauf qu'elle surveille pas que seulement 213 magistrats dessur 396 y travaillent dedans ses effectifs……….
La suite au prochain numéro :
te fais pas de mauvais sang,
J'en ai encore des tas en dedans les tiroirs….

LE PLUSSE DES KAOULADES BÔNOISES (28)
La "Ribrique" de Rachid HABBACHI
LE DEBARQUEMENT DU 6 JUIN 2005

      Ch 'ais pas si que j'vous l'ai déjà dit, mais ouai ! main'nan j'm'en souviens, qu'est-ce que j'deviens tchoutche alors, y a que la dépêche de l'Est qu'elle est pas au courant.
      Oilà, on m'a enlevé ça qu'y fait le prncipal en dedans mon vente, l'estomac et ça, ça s'est fait le jour anniversaire du débarquement. A partir de main'nan, tous les 6 juin que dieu y fait, rappelez vous le débarquement de 1944 et çui-là là de 2005. Pourquoi çui-là là de 2005 ? Eh ben ! pasque quan on enlève l'estomac à quèqu'un, on lui débarque quèque chose et ça, on m'a fait, on m'a débarqué l'estomac.
      Vous savez tous combien je suis chien mort et je sais que vous allez tous dire chic, y va nous faire la fiesta et tout et tout, eh ben ! pour une fois, j'vais ête bon prince, j'vous invite tous à une loubia monstre. Atso !…j'vais pas espliquer à toutes les tchoutcharelles de Patosie de Bône et d'ailleurs ça que c'est une loubia…Vous insistez, bon, loubia, en arabe et en tchapagate aussi, ça veut dire haricot, pas seulement, c'est aussi la façon d'accomoder ce digne féculent, de le cuisiner.
      Moi j'vais pas trahir la bonne vieille recette de ma mère, de ta mère, de nos mères et de leurs mères, j'vais juste lui apporter une p'tite touche personnelle, j'te jure, j'mens pas. Tu sais, l'estomac qu'on m'la débarqué et que chez nous z'aut' on s'l'appelle gras double moi, vite fait bien fait, j'l'ai fait mette au congélateur pour pas qu'y sent le choléra le jour de not' réunion. J'vais vous l'faire revenir aux p'tits ognons après, j'y ajoute une p'tite boîte de tomate en conserve et j'rajoute de l'eau. Une fois l'eau bien bouillue, je rajoute la loubia mise à tremper la veille pour qu'elle vient bien tendre et tu laisse mijoter jusqu'à tout il est cuit.
      Après ça, diocane, les doigts tu t'les lèches…Pourquoi ? d'abord pasque c'est bon et après, pasqu'une loubia faite avec un gras double élevé à l'abri d'la lumière pendant 66 ans, diocamadone, y peut ête que bon comme les vins qu'y z'ont vieilli dedans les vieux tonneaux en chêne. Et en plusse, ce purée de gras double, quel goût tu crois il a hein ? Allez devine un peu si que t'y es pas caplate…Il a un goût de grappe poilue, t'y as déjà vu ça ? Qué c'est, qué c'est, tu préfères une bouillabaisse ? Ô purée de baouèle, ça c'est une idée, une bouillabaisse au gras double, une idée, ça c'est. Allez les enfants, changement de programme, c'est plus une loubia, c'est une bouillabaisse avec plein d'la harissa dedans.

      Dédiéé cette kaoulade à ceux qui ont eu la délicatesse de parler de la politesse des autorités civiles d'Annaba alors même qu'ils ne les ont jamais rencontrées.

Rachid HABBACHI

       Laurent Ropa,
               écrivain bônois.
2ème PARTIE       

Laurent Ropa, écrivain bônois.
Sa vie
La ville de Bône à travers
quelques extraits de ses écrits.

Un marâicher enrichi.

         "Changio était devenu, depuis quelques années, la gloire des jardiniers de Bône. Portefaix sur les quais, aux minerais de fer et aux phosphates, puis journalier agricole, il avait loué, enfin, cinq hectares de terre à l'ombre du domaine de Clément Et-Tsop, alors en pleine splendeur. Il rappelait plaisamment ce temps où, avec son âne et sa carriole grotesques, n'ayant pour harnachement que des cordes usées et du fil de fer, il était la risée de ses riches voisins. Depuis, ayant acheté sa ferme et trente autres hectares dont il eut à défricher une partie, il constitua une véritable forêt d'arbres fruitiers.
        Sa prospérité crût plus rapidement encore depuis qu'il s'avisa d'expédier une partie de ses produits en France. A partir de décembre, artichauts et petits pois empilés dans des tonneaux ; plus tard, les pêches : cueillies encore dures, elles traversaient la mer, de mai à juillet, par centaines de cageots. "

         Phosphates et minerais arrivaient ensuite sur le port. Les gisements du Kouif ont été découverts en 1892 et exploités à partir de 1897. L'embarquement se faisait au quai ouest de la petite darse. La société s'est installée ensuite sur la future place de la gare.

La livraison en ville.

         Tous les matins, très tôt, les jardiniers viennent en ville livrer leur production.
        " Peu à peu, les airs s'apaisent; la clarté d'un bec de gaz troue la nuit de sa flamme maigre et frileuse; la pluie continue de tomber, mais de plus en plus fine.

        Les fers d'un cheval, un roulement : ces bruits se rapprochent, résonnent dans la rue bordée de hautes maisons... Un tombereau... Avec sa petite lanterne, oeil clignotant, il tourne à l'angle de la rue Perrégaux, passe dans la lumière du bec de gaz qui projette son ombre fantastique et bondissante, se dirige à tâtons vers le monument plongé dans un silence sépulcral.

         Il s'arrête vers le milieu. Le conducteur, qui était assis sur le devant, les jambes pendantes, saute sur le pavé, saisit le cheval par le mors, fait reculer, puis avancer, recommence ce va-et-vient plusieurs fois; enfin, le chariot se trouve rangé contre le trottoir : exactement à cet endroit, on devine une large grille dont la partie supérieure est à claire-voie et à laquelle on accède par trois marches."

        A l'Ouest, on entend un claquement sonore de becs de cigognes jouant des castagnettes de bon matin. Bientôt, le pavé retentit du bruit d'un tombereau qui s'arrête de l'autre côté de la place. Enfin, quatre carrés de lumière brillent au-dessus d'une porte : Jean, le cafetier, à l'intérieur du Bar d'Apollon, prépare le café. Après quelques minutes, il ouvre, déversant, dans la rue, un large flot de jour et de chaleur. Le débit est étroit mais tout brillant, avec ses grandes glaces convexes ou concaves, son comptoir de marbre blanc, ses panneaux peints qui firent l'émerveillement des jardiniers, ses chaufferettes rutilantes et la gaîté joviale du patron au teint vermeil, au ventre prospère retenu par une large ceinture élastique, tête nue et en bras de chemise en toute saison et à toute heure du jour ou de la nuit."

         La première mairie avait été aménagée dans la vieille ville, au bas de la rue vieille St-Augustin, angle rue Jemmapes près de la Place d'Armes. L'immeuble a été détruit en 1942.
        En 1856, ouverture de Bab-el-Djdida, la nouvelle porte ou Porte Saint-Augustin qui pousse la ville hors des murs.
        En 1888, construction de l'Hôtel de ville avec son socle en granit du Cap de Garde et ses colonnes en marbre du Filfila.


        Face à la porte, un terrain cédé à la commune où sera édifié le théâtre pour remplacer l'ancien établissement de la vieille ville. Il sera inauguré en 1854 et détruit par les bombardements de 1942.
        Derrière le théâtre, sur des terrains vagues s'installent le marché aux légumes, dit marché français, et à 200 mètres, autour d'un monument religieux musulman et d'un fondouk, le marché, dit arabe.

        
        La construction du marché français date de 1876, place de Strasbourg, avec sa structure métallique (maison Gabelle de Marseille). Construction carrée, façade principale vers la rue Négrier. Il sera détruit aussi en 1942.

         "De minute en minute, maintenant, les voitures arrivent, se rangent les unes derrière les autres.

Il en vient de toutes les directions et chaque région de la campagne possède son secteur autour du marché. Par le Nord, débouchent les jardiniers du Cimetière et de l'Oued-Kouba, à l'aspect sauvage et misérable; Ils alignent leur attelage sordide à l'écart, dans la rue des Laitiers. Ceux de
        l'Orphelinat et du Ruisseau d'Or, dont quelques­uns assez bien équipés, arrivent par la rue Gambetta et par la rue Bugeaud; ils stationnent dans la rue Lemercier. De temps à autre retentit un roulement rapide et des sabots trottant vigoureusement : voici les grands jardiniers de l'Aâlig et de l'Oasis, claquant fièrement du fouet, illuminant de vastes espaces avec leurs phares aveuglants : leur quartier est la rue du Théâtre...

        En files serrées, les véhicules chargés de légumes et de fruits assiègent le marché : les premiers arrivés se placent le plus près possible des quatre portes ; les derniers se casent où ils peuvent. En saison d'abondance, ils refluent assez loin, parfois dans les rues avoisinantes.

         Changio, le fils de Mario, Peppo, le fermier de Mario maintenant enrichi, Lah-Lah. de l'Oasis, quelques autres encore conduisent au marché deux, quelquefois trois voitures pleines ; alors, le plus déshérité a sa petite vente ; on en voit qui, à dos d'âne ou de mulet, apportent quelques corbeilles de figues, de cerises, d'abricots ou de prunes qu'ils étalent sur le trottoir. A la fin de l'été, la rue Négrier est embouteillée par des chars de toutes formes et de toutes dimensions chargés de melons et de pastèques dont on élève des monceaux odorants sur la place, contre les murs de la Halle, et de caisses de raisins aux grains dorés qu'on expose sur les trottoirs presque sans interruption depuis le Marché aux légumes jusqu'au Marché arabe. Certains jours, on voit des chameaux accroupis tranquillement au milieu de la rue, parmi le va-et-vient de. la foule des marchands, tournant la tête à gauche, puis à droite, incessamment, avec une curiosité de sauvages, pendant qu'on les charge de fruits et de légumes à transporter vers le Sud."

        Edifié en 1885, le marché arabe, improprement appelé ainsi, était un ancien fondouk. Il n'occupait pas tout l'espace qu'occupa après sa destruction le marché moderne : du côté de la rue Gambetta, un terre-plein permettait aux chameliers de parquer leurs dromadaires. Il fut promis qu'il serait reconstruit à l'identique vers le Boulevard Lavigerie.

        D'après Arnaud, c'était le plus beau monument de la ville après la mairie.
        Du côté de la rue Gambetta, il y avait un mausolée dédié à Sidi-Djaballah.

         Puis,
        "Les arrivages se font de plus en plus rares; les rues qui entourent le marché sont combles ; les buvettes, Bar d'Apollon (Jean Gauci), Café de Sainte-Hélène, (d'après le prénom de la fille de Jean Camilleri), Café du Théâtre (Louis Xerri), le Café de Saint-Joseph, regorgent de monde : jardiniers, revendeurs, détaillants de la Halle, épiciers venus pour faire leur provision de fruits et de légumes, mais, aussi, par curiosité, pour respirer l'air du marché et, surtout, l'air de la communauté natale, car, à cette heure, on ne rencontre guère, là, que des Maltais ; beaucoup sont obligés de rester debout."

         Les cafés ne manquaient pas : le café des quatre saisons de Greck, le café des deux halles (2 marchés français et arabe), angle rue Négrier et Mesmer. Le café du théâtre de Louis Xerri était le plus important et il restait ouvert toute la nuit.


        C'est là que se faisaient les transactions entre Maltais producteurs et Maltais revendeurs, avant même l'ouverture de la porte du marché. Surtout dans le bar d'Apollon aux murs revêtus de miroirs déformants, appartenant à Jean Gauci, turfiste acharné, propriétaire d'un cheval aveugle.

        Il y avait d'autres cafés célèbres à Bône, situés plus vers l'autre côté du Cours Bertagna. Ours et Witowski, dans la vielle ville, Café Couronne, du Port, café Riche, etc…

La neige.

         Luigi, c'est le fils aîné, Laurent Ropa, lui-même.
        " L'épreuve la plus rude que Luigi eût connue datait du premier hiver. Jamais il n'avait tant neigé ; l'Eydough était blanc et le vent qui en descendait pénétrait jusqu'aux os.


        La neige ayant fondu, la Seybouse déborda, envahit la plaine, entraînant arbres arrachés, gourbis démontés, bestiaux surpris ; les routes, en maints endroits, étaient devenues des rivières... L'eau montait de jour en jour. Des nouvelles sinistres se répandaient ; des voitures, disait-on, avaient été emportées, avec cocher et cheval, sur la route, au pont d'Hippone.
        Au jour de la plus grande crue, le jeune jardinier prépara sa vente comme d'habitude. Il désirait profiter des circonstances pour réaliser quelques bonnes affaires : mauvais temps, bon marché. Es-Signor était cloué au lit par, la fièvre. Dora voulait empêcher son fils de faire le voyage; comme il ne se rendait pas à ses prières, elle demanda à son mari d'intervenir.
        - Il fera comme il voudra, avait répondu celui-ci ; je ne le commande pas...

        Ce n'est que plus tard, quand l'eau se fut complètement retirée, que Luigi raconta ses émotions de cette terrible nuit : le tombereau dans l'eau jusqu'au moyeu pendant près de trois kilomètres ; partout, sur la terre et au ciel, de l'eau, de l'eau qui ruisselait et qui mugissait... Pour se diriger, dans cette ombre et dans cet océan, une petite lanterne, grosse comme le poing, dont Bou Terma, maudissant le sort qui l'avait placé dans une si périlleuse situation, du haut des bottes de légumes sur lesquelles il était posé, projetait la lumière toujours près de s'éteindre…


        Et ils arrivèrent ainsi au rond-point d'Hippone, près du pont, là où le Ruisseau d'or, changé en fleuve, coupant court, franchissait le chaussée pour s'unir à la Bou Djimah tumultueuse dont les grondements sauvages, sous les arches, se confondaient avec ceux de la mer démontée et toute proche…"

         Le pont d'Hippone sur la Bou-Djimah (la rivière de la mosquée), d'origine romaine fut longtemps le seul pont qui permettait de se diriger vers l'intérieur, vers Duvivier, La Calle, Guelma. Voir le tableau "Départ du Duc de Nemours et du général Damrémont pour le siège de Constantine en 1837" . Tableau du capitaine Genet, Musée de Versailles.

         Le cours d'eau coulait sur l'emplacement de l'avenue de la Marne (ancienne route de Guelma), de la rue Prosper Dubourg et arrivait à la mer au niveau de la gare.
        Problèmes d'envasement, besoin de terrains pour la gare du Bône-Guelma, 1874), ont conduit à son détournement dans un lit artificiel, en 1878.
        On avait conçu un projet de port et de canal par le Champ de Mars, les Prés salés, le cours de la Zafrania, le Ruisseau d'or et l'Oued Kouba vers Chapuis, pour l'établissement d'un avant-port entre la colline des Anglais et la plage Fabre.

Le cimetière (Kâline).

         "Chaque fois qu'elle allait au cimetière de Bône, Mlle Agius était frappée par le grand nombre des tombes maltaises qui s'y pressent, des plus humbles aux plus somptueuses, les unes encore neuves, les autres datant des premières années de la colonisation française, des centaines de Bonici, de Camilleri, de Farrugia, de Zérafa, de Mikalef, de Debono, de Zamith. Ils débarquent en Afrique armés seulement de leurs bras et de leur tête, ils vivront d'un morceau de pain et d'une sardine salée, mais plus d'un de ces va-nu-pieds parviendra rapidement à la fortune et aux honneurs. Il faut des soldats ? Voici André Gatt, surnommé Abderahman-el-Malti, terreur des Arabes, et le baron de Piro, colonel au 16e de Ligne à Constantine, commandeur de la Légion d'Honneur. Des commerçants, des colons ? Pas de ville, petite ou grande, depuis Gabès jusqu'à Oran, pas de campagne où l'on ne trouve au moins une grande entreprise maltaise, sans compter les milliers de petits fermiers et boutiquiers, artisans ou marins. Pour combattre la concurrence des vins algériens, les vignerons du Languedoc ne les baptisent-ils pas algéro-maltais ?... On a besoin d'administrateurs ? Joseph Grech fut Premier Interprète de la Résidence à Tunis et Consul de France, un autre Grech, Résident au Ministère de l'Intérieur, Mgr Polimeni, évêque de Sfax. Des littérateurs ? Fernand Gregh pourrait répondre.
        - Mon père fut un luthier maltais de Philippeville émigré à Paris."

Joanonville.

         "Au petit trot de sa jument, elle (Kâline) fut en un instant à la plage de Joanonville qui s'arrondit en une courbe immense jusqu'au cap Rosa brillant au soleil du matin. La mer était aveuglante par les feux qui s'y jouaient. Mlle Agius mit pied à terre en un point qui n'est jamais fréquenté ; attacha sa monture à une barque abandonnée, se dévêtit, se jeta nue dans l'eau. Elle n'avait jamais pu trouver de plaisir à se baigner en public. De temps en temps, elle sortait pour inspecter l'horizon.

         Comme elle quittait la plage, elle remarqua, dans les dunes, des touffes de fleurs blanches étoilées, avec un oeil doré, doux et candide... Des narcisses, éclos la nuit dernière sans doute... Jacqueline arrêta sa jument, sauta sur le sol, émerveillée, les yeux dilatés par la joie, un sourire attendri épanouissant angéliquement sa bouche.
        Elle gagna l'hippodrome de l'Allélick, s'engagea sur la piste où elle lança la jument à toute bride."
        Un champ de courses avait été aménagé sur les champs dépendant de la ferme des Subsistances Militaires de la subdivision de Bône, hébergeant un dépôt de remonte, qui fut cédée ensuite aux civils.
        Tous les dimanches et lundis de Pentecôte, courses, fantasias, fêtes. L'escadre faisait escale à Bône à cette occasion.
        Avant 1914, quelques meetings aériens ont eu lieu. Sur un terrain concédé à la Cie Air Union par le Ministère de la Guerre.1930, création d'un terrain d'aviation et des "Ailes bônoises" qui organisa sa première manifestation.
        L'association disposait d'un hangar de 550 m² , d'un club house. Les travaux avaient été financés par les Etablissements Bertagna.
        L'aéro-club s'est installé ensuite sur l'aérodrome des Salines en 1939.

         Mlle Agius et Séraphin, son compagnon, se promènent sur le site d'Hippone.
        "Le jeune homme avait peine à imaginer que là où il voyait des vergers, des jardins, des maisons et sous la route même qu'il foulait, il pût exister à deux mètres de profondeur les restes d'une Cité jadis florissante, plus antique que Rome. Elle était si parfaitement ensevelie qu'on la croyait réduite en poussière, balayée de la surface de la terre. Or, en 1883, en arrachant de vieux arbres pour creuser les fondations de sa villa, un colon fut intrigué par des vestiges qui l'arrêtaient à chaque coup de pioche - bases de murs, seuils de portes avec pivot de bronze, tronçons de colonnes, pans de mosaïques ...
        Il venait de découvrir Hippone.
        Depuis, on a mis à jour les merveilles de la somptueuse villa aux mosaïques, des tombeaux, un baptistère avec sa piscine attenant à une petite chapelle, les grands Thermes signalés par un énorme tronçon de maçonnerie au sommet cintré, et qui sont parmi les plus beaux et les mieux conservés que l'on connaisse... Ce monument, au nord de la villa Chevillot, est-ce la basilique de la Paix, le premier tombeau de saint Augustin ? Et là-bas, sont-ce les thermes de Socius où l'évêque, en présence du peuple d'Hippone, tint une conférence contradictoire avec le prêtre manichéen Fortunatus ? Voici, au pied du Gharf-el-Atram, un mur de gneiss en blocs atteignant jusqu'à quatre mètres de longueur et qui se raccorde à un mur calcaire de magnifique appareil portant un triple phallus en bas-relief…
        …sublime découverte de M. Triphallus, le conservateur du musée qui, pour elle, donnerait bien tout le reste d'Hippone... En relief dans la pierre, d'une facture parfaite, Séraphin fut obligé de reconnaître, dans un angle, un dessin semblable à ceux que tracent les voyous sur les murs, au charbon ou à la craie, pour figurer le membre viril… Cette vue, surtout dans les circonstances où elle se présentait à lui, le choqua brutalement et l'effara. Il n'était pas sans savoir bien des choses étranges sur les goûts et les mœurs païennes ; néanmoins, il pensait qu'on le mystifiait et il douta que cette sculpture fût Oeuvre des anciens. Il ne dit rien, eut toutes les peines du monde à se retirer de là et il fut plusieurs minutes sans oser lever les yeux sur sa compagne.


        Cependant, M. Triphallus exposait complaisamment l'origine du culte phallique, venu d'Égypte, tel qu'il l'avait appris de M. l'abbé Leroy, chanoine de Saint-Augustin. Séraphin fut longtemps sans dérougir. "

         Importance d'Hippo Regius avec ses 7 basiliques.
        Les ruines ont été découvertes lors de la construction des usines Borgeaud, puis un arrêté de non aedificandi a été pris et en 1908, la ville a achèté la villa Chevillot.
        Le culte du Phallus divinisé était très pratiqué chez les Grecs et les Romains.
        Originaire de l’Assyrie et de la Chaldée qui en faisait partie, il est passé chez les Egyptiens où Phallus, placé dans les temples, recevait des honneurs divins.


        Les monuments antiques des Egyptiens qui témoignent de l’existence de ce culte sont très nombreux, et leur manière de représenter le phallus est très variée : on en voit plusieurs isolés, ou sculptés sur une borne dans un sens horizontal, placé dans un tombeau comme un préservatif, un moyen propre à détourner les mauvais génies, que les anciens croyaient occupés à tourmenter les âmes des morts. Les Phallus, unis aux figures humaines, étaient très fréquents dans les monuments égyptiens. La, même pratique se retrouvait chez les Grecs et les Romains

         La plupart des monuments antiques nous offrent ce dieu-soleil, tenant en main son Phallus très apparent, et semblant, par cette attitude, prouver à ses adorateurs sa résurrection au printemps et sa vigueur renouvelée.
        Les personnages d'Osiris et d'Isis ne sont pas étrangers à ce culte.
        Osiris, le soleil, principe du bien, génie de la lumière, avait pour ennemi son frère Typhon, principe du mal, génie des frimas et des ténèbres. Ce dernier parvint à se saisir d’Osiris, et le renferma dans un coffre, qu’il jeta dans les eaux du Nil.
        Cette disparition d’Osiris est une allégorie grossière de la saison rigoureuse, où les nuits, plus longues que les jours, l’absence de la végétation, l’engourdissement de la nature, annoncent le triomphe du génie des ténèbres et de la mort sur le génie de la lumière et de la vie.
        Isis (la lune), femme d’Osiris, fit de longs voyages pour retrouver le corps de son époux. Ce fut à Byblos, en Phénicie, et à l’époque du printemps, qu’elle en fit la découverte. Elle emporta aussitôt le coffre qui contenait ce dépôt précieux ; mais, voulant visiter son fils Horus (dieu du jour), elle le déposa dans un lieu secret, loin des regards des mortels.
        Typhon, chassant pendant la nuit, aperçoit le coffre, reconnaît le corps d’Osiris, s’en empare, le coupe en quatorze ou en vingt-six parties, et les disperse çà et là.
        Isis, affligée, recherche avec soin les parties éparses du corps de son cher Osiris. A chaque partie qu’elle retrouve, elle élève en son honneur un monument. Elle parvint à les recouvrer toutes, excepté la partie sexuelle que Typhon avait jetée dans le Nil, et qui était devenue la proie des poissons.
        La déesse, pour remplacer cette partie perdue, en fit faire une représentation, et lui rendit les mêmes honneurs funèbres qu’avaient reçus les autres parties du corps d’Osiris.
        Elle voulut même marquer sa prédilection pour ce simulacre de la virilité, en le faisant placer dans les temples et en l’exposant à l’adoration des peuples
        Telles furent les variétés progressives qu’éprouva ce simulacre en Égypte D’abord, Phallus simple et isolé, puis Phallus double, triple ; Phallus uni à un corps quelconque, arbre, borne, terme, etc. ; Phallus adhérent à une, figure humaine, sans désignation ; enfin, adhérent à celle désignée sous le nom du dieu Osiris.


        Chez les Romains, le culte du Phallus et de Priape ne devait pas y être oublié. Cette divinité y fut longtemps en grande considération.
        Les Romains désignaient assez généralement Bacchus sous le nom de Mutinus,.Liber ou de Pater liber, de même qu’ils donnaient souvent à Vénus le nom de Libera.

         Varron nous apprend qu’à Lavinium, la fête du dieu Liber durait un mois, pendant lequel on se livrait à la joie, à la licence, à la débauche ; les chansons lascives, les discours les plus libres répondaient aux actions. Un char magnifique portait un énorme Phallus, et s’avançait lentement jusqu’au milieu de la place publique. Là, se faisait une station, et l’on voyait alors la mère de famille la plus respectable de la ville, venir placer une couronne de fleurs sur cette figure obscène
        Plein d’indignation pour cet usage, saint-Augustin s’écrie, en nous instruisant des motifs de cette cérémonie : « Ainsi, pour apaiser le dieu Liber, pour obtenir une récolte abondante, pour éloigner des champs les maléfices, une femme vénérable est obligée de faire en public ce qu’elle ne devrait pas permettre sur le théâtre à une prostituée ! »
        « De quelle honte, de quelle confusion, dit-il ailleurs, ne devrait pas être saisi le mari de cette femme si, par hasard, il était présent à ce couronnement»
        Le Phallus isolé était, chez les Romains, nommé Mutinus ou Tutinus.
        Lorsqu’il était adhérent aux Hermès ou Termes, on le nommait Priape.
        « C’est une coutume considérée comme très honnête et très religieuse, dit saint Augustin, parmi les dames romaines, d’obliger les jeunes mariées de venir s’asseoir sur la masculinité monstrueuse et surabondante de Priape»
        On varia à l’infini les formes de ces amulettes ithyphalliques : les unes présentaient le Phallus combiné avec le mullos ou la figure du sexe féminin
        Considéré comme une amulette, comme un fétiche portatif, le Phallus recevait le nom de fascinum, et était d’un usage très fréquent chez les Romains. Ils ne connaissaient point de préservatif plus puissant contre les charmes, les malheurs et les regards funestes de l’envie. C’était ordinairement une petite figure du Phallus en ronde-bosse, de différente matière ; quelquefois, c’était une médaille qui portait l’image du Phallus. On les pendait au cou des enfants et même ailleurs.
        Il y eut des fascinum doubles et triples ou figurés par deux et trois branches partant du même centre. Les triples Phallus étaient fort en usage dans l’antiquité
        Il en existe en France au pont du Gard et à l’amphithéâtre de Nîmes, qui sont isolés.
        Quelquefois cette idole, avec ses attributs indécents, était placée sur les chemins. C’est alors que Priape était confondu avec Mercure et le dieu Terme. Scaliger dit avoir vu un pareil Terme dont le Phallus servait à indiquer le chemin. Cet Hermès phallique se trouvait à Rome dans le palais d’un cardinal.
        Le Phallus, ajouté à une borne itinéraire, devait préserver les voyageurs d’accidents, tout comme le Phallus, ajouté à un tronc d’arbre, devait détourner des champs voisins les accidents nuisibles aux récoltes ; c’était l’opinion constante des anciens, et la cause unique de l’érection d’un si grand nombre d’idoles du dieu Priape.
        On plaçait encore son idole dans les vignes, les vergers, les jardins ; mais il n’y figurait plus comme l’emblème du soleil fécondant la terre au printemps, et donnant une nouvelle vie à toutes les plantes. Il n’était que le vil gardien d’un verger ou d’un jardin, un épouvantail placé pour éloigner les voleurs superstitieux, les enfants et les oiseaux[30].

La procession à Saint-Augustin.

         Jacqueline Agius assiste à la procession vers Saint-Augustin. Elle est incroyante.


        "La fête a été annoncée, la veille par l'embrasement de la Colline sur laquelle, légère et flamboyante dans la nuit terrestre, la basilique surgissait, pilier d'un pont mystique élancé vers le ciel. Jusqu'au matin, les marchands ont roulé leurs voiturettes à bras ou à âne ; le bruit des roues et des pas était accompagné par les coassements des canards et des oies, les grognements des porcelets qu'on emportait dans des cages ; à l'aube, tôt venue, les forains dressaient encore les dernières tables.

         L'air, en ce matin, tout autour de la ville, est d'une douceur de ciel ; les chemins sont comme partis pour un saint voyage.


        Par les sentiers de l'Oued Kouba, des jeunes gens et des jeunes filles s'avancent dans la joie, les garçons jouent de l'accordéon et dansent ; leurs compagnes brunes et rieuses, coiffées d'un mouchoir, leur lancent des pommes rouges de la montagne et agitent des palmes et des roseaux. Des hommes et des femmes, blancs de poussière, les souliers à la main, prient en marchant sur les longues routes. Les pèlerins affluent non seulement des villages et des petites villes voisines, mais aussi de Philippeville, de Tunis, de Constantine, de Bougie à plusieurs centaines de kilomètres. A partir de neuf heures, Hippone devient le centre du monde, les routes qui y conduisent connaissent un mouvement de grande bataille ; fourgons, charrettes sur lesquelles on a installé des bancs et des chaises, jardinières, vieilles diligences sorties de leur retraite, breacks de toute forme et de tout âge s'égrènent dans toutes les directions. A mesure que l'heure s'avance, les véhicules forment, de la Ville à Hippone, une file continue et dense que doublent des voitures de location au grand galop de chevaux étiques sonnant frénétiquement les clochettes et les grelots de leur collier ; quelques rares automobiles prises dans ce filet qu'elles s'efforcent en vain de rompre, hurlent d'impatience.

        Passé le pont romain, l'encombrement est tel dans l'étroit chemin défoncé et bordé d'oliviers centenaires que les piétons sont obligés d'envahir les jardins ; un nuage s'est formé, il s'épaissit, s'étend, si opaque qu'on ne se voit pas à cinq pas.

        Et quel vacarme ! Cris de folle gaieté, chansons sur tous les airs et tous les tons reprises en chœur, jurons des cochers, plaintes des femmes que la poussière suffoque, exclamations effrayées au heurt de deux chars, claquement des fouets, grincement des roues. C'est miracle qu'au souvenir des vieillards les plus chenus, de ceux qui connurent le temps où la messe de Saint-Augustin se faisait en plein air, dans les ruines de la citerne d'Adrien, aucun accident grave ne se soit produit. La plupart des véhicules s'arrêtent aux premières pentes ; alors commence la prise d'assaut de la colline embrasée, maintenant, par le soleil. Les vieux et les sages suivent le sentier qui contourne doucement la hauteur ; les plus pressés coupent au plus court. De temps en temps, on s'arrête pour respirer, s'éponger, boire un coup à la gourde ou à la gargoulette ; on s'interpelle, on s'excite ; le nombre se grise de soi-même avant de communier dans la foi. Tout au long du chemin, sur les plates-formes autour de la statue du Saint, les forains ont installé avec leurs tables, leurs vitrines ou leurs cages ; marchands de confiserie, de nougats, de tartes aux tomates et aux sardines, de raisin, de glaces, de limonade, de souvenirs de piété. Sous les oliviers, des centaines de familles sont déjà campées, quelques-unes ont choisi et retenu leur emplacement la veille, autant que possible à l'abri du soleil de midi ; on sacrifie des poules ou des canards, on épluche des pommes de terre, d'énormes pastèques attendent à l'ombre au pied d'un arbre qu'on les découpe en belles et fraîches tranches rouges, à côté de la jarre d'eau et de vin ; des feux s'allument dans des trous ou entre deux pierres.

        Mais là-haut, les cloches sonnent, survolant tous les bruits de la terre. La Basilique blanche, surgie miraculeusement de la ténèbre des ruines et des siècles, chante solennellement la gloire du ciel. La foule se presse, fervente ; malgré les dimensions de l'église, le plus grand nombre demeure sur la vaste esplanade qui, elle-même, ne peut contenir tout le monde : riches commerçants maltais arrivés en breack et dont les femmes et les filles se parent de toilette de soie et de bijoux en or; officiers de la garnison aux uniformes étincelants ; vieilles dévotes qui prient à haute voix en égrenant leur chapelet ; élégantes arborant fièrement l'avant-dernière mode de Paris, campagnards gauches et timides, leurs gros souliers poudreux, la veste sous le bras ; tout le peuple des quartiers pauvres, les femmes des dockers et des pêcheurs graves et pensives, le visage encadré par la ligne souple et gracieuse du mouchoir de soie piqué de fleurs brillantes.

        Bientôt un souffle puissant et pathétique passe soulevant puis brisant les voûtes de la terre, les orgues ouvrent toutes grandes les portes du ciel et les âmes s'y élancent en un unanime ravissement.
        Grand Augustin, écoute la prière
        Monter de cette plage où le croissant régnait.

        Dans l'aube radieuse de l'autel, l'officiant paraît : c'est Don Joseph. Il se prosterne aux pieds du Maître, se tourne vers les fidèles. Il incarne si suavement celui qui se sacrifie chaque jour pour la rédemption du monde que tous les cœurs en sont émus. Jacqueline éprouve une secousse exquise. Elle ne prie pas, l'ayant désappris depuis longtemps ; elle ignore la signification des gestes du prêtre, mais elle les suit si attentivement qu'elle en est charmée.

        Elle voit bien que Joseph ne la regarde pas, qu'elle est pour lui une fidèle comme les autres. Autour d'elle, les femmes se demandent qui est ce prêtre. L'une dit : « Qu'il est beau, Jésus-Marie ! » Une autre exprime son ravissement en murmurant : « On a envie de lui envoyer des baisers ! » Jacqueline s'enivre d'une émotion qui, lentement formée dans son cœur s'y épanouit comme une rose à la rosée des matins d'avril. Elle se sent attirée vers Joseph par un appel délicieux, profond, chaste, auquel elle ne sait quelle voix répond en elle. C'est bien cet appel-là qui la tient inquiète. Elle demeure immobile, debout, extasiée; son corps est inerte, froid, cadavre honteux ; il s'immatérialise peu à peu ; et Jacqueline sent alors toute, son âme s'élever, voler avec l'âme des cantiques et de l'encens, triompher là-haut avec les saints et les saintes des vitraux, dans les lumières et 42 les couleurs ineffables. Le thème du sermon, développé par un véhément Père dominicain, semble avoir été choisi exprès à son intention : « La chair combat l'esprit, et l'esprit combat la chair. »

         Combien d'entre nous ont fait cette procession, certes moins folklorique, mais les communions solennelles ont charrié des centaines d'enfants, cierge à la main, vers la basilique.
        Le pont romain se situait au pied de la colline et le chemin qui partait du pont d'Hippone avait été baptisé du nom de l'abbé Leroy, ancien chanoine de la basilique.
        On a longtemps cru que les citernes d'Hippone, encore intactes ( eau de l'Edough, puis de Bou Gles et de Bou Redhim ) étaient les restes du monastère de Saint-Augustin.
        Monseigneur Dupuch a fait établir desus l'autel de marbre blanc en montant à l'église actuelle avec une statue du saint confectionnée avec le bronze des canons de la casbah.
        Puis on a pris cela pour le tombeau de saint Augustin.
        Or les restes de saint Augustin ( mort en 430 à 76 ans en défendant sa ville contre les Vandales ) ont été emportés en Sardaigne en 499 puis à Pavie au VIIIème siècle. Châsse offerte par l'Armée d'Afrique.
        En 1842, Monseigneur Dupuch ramène en grande pompe le cubitus du bras droit du saint.
        En 2004, les restes de saint Augustin ont été amenés à Rome pendant une quinzaine et le pape a prié le saint patron pour la paix
        Idée de la basilique ; première pierre avec le Cardinal Lavigerie et Monseigneur Combes évêque de Constantine, achevée en 1909. Crypte 1886, coupole, 1892).
        1887 : volonté de Mgr Mickaël Mizzi de faire venir des Augustiniens de façon fixe en Algérie. Jusque là, c'étaient des prêtres maltais qui venaient prêcher le Carême et repartaient sur l'archipel.
        1923 : Mgr Bessiers, Mgr Thienard signent un accord avec le père Laurent Agius, provincial des Augustiniens à Malte.
        Mars 1933 : accord définitif pour une maison tenue par les Augustiniens . Arrivée depuis l'Australie, alors de Michel Mizzi, dépendant alors d'un prêtre recteur français. Paroisse de La Calle à Philippeville.
        Ils s'occupèrent ensuite de Sainte-Monique de Joanonville.

Conclusion

         Poète, romancier, littérateur,, Laurent Ropa a tiré son inspiration dans l'amour de Malte, son pays natal, et de l'Algérie, dans la nostalgie de la terre où il vécut son adolescence; et dans l'intensité de sa foi spiritualiste.
        Il connut plusieurs ruptures dans sa vie : le choix entre littérature et vie professionnelle, l'épreuve de la guerre, son départ d'Algérie, la mort de sa mère, son éloignement de la religion catholique, son retour à un certain mysticisme.

         "Pour moi, écrire n'est pas un passe-temps, une distraction, mais l'occupation essentielle. Ecrire, c'est méditer, prier, chanter. Une oeuvre littéraire : témoignage, testament, confession (dans le sens augustinien)."
        "J'ai peu écrit, à cause de l'extrême confusion de mon esprit qui m'astreint à une recherche très laborieuse de la forme. J'ai cependant encore trop écrit; on écrit généralement beaucoup trop: l'expérience de n'importe quel homme peut tenir dans un ou deux livres."

BIBLIOGRAPHIE

Jacq.-Antoine Dulaure             Les divinités génératrices (1805)
Louis Arnaud.                          Bône son histoire, ses histoires.
Hubert Cataldo                        Bône, 1832-1962,T 1.
Hubert Cataldo.                       Bône, Hippone la royale, T 2.
Hubert Cataldo.                       Bône de ma jeunesse.
David Prochaska.                    Making Algeria french. Colonialism in Bône. 1870-1920.
Félix Gaucher.                         Laurent Ropa et son oeuvre littéraire.
Frédéric Lemeunier.                Ropa, éxilé maltais.
Mallia Milanès.                       Laurent Ropa.
Pierre Dimech.                        Le personnage du Maltais dans la littérature algérianiste.
Aurore Verié-Cassar.             Un écrivain d'origine gozitane : Laurent Ropa.
Marc Donato.                          Elisa, la Maltaise.
Laurent Ropa                          Le chant de la noria
Kâline
Notre-Dame de la Vie

         Remerciements à Noëlle Dippolito qui entretient les contacts avec la famille Ropa, notamment avec Mme Raymonde Camilleri, née Ropa, petite-nièce de Laurent Ropa, Monsieur Richard Spiteri, professeur à l'Université de M'sida à Malte, Yves et Cathy Marthot.
        Les photos de la vidéo-projection ont été gravées et traitées par René Vento et Luc Verdi.

---------------------------------------

[1] Jean Gauci.
[2] Maréchal qui défit Abd-el-Kader. Gouverneur Général de l'Algérie.
[3] Jacques Lemercier, 1590-1660 - architecte, fut chargé par Richelieu de terminer le Louvre. La Sorbonne, le Palais royal..
[4] Le "gros cul", surnom d'un des ouvriers kabyles de Luigi.

ELLES SONT BIEN BÔNE
Par M. Fernand Bussutil dit OTTO BUS
Envoyé Par Jean Louis Ventura               N°12
ELLES SONT BIEN BÔNE
FERNAND BUS

A tous mes Amis bônois, si douloureusement éprouvés par les événements d'Algérie et dispersés dans tous les coins de France et du Monde, avec mes affectueuses pensées.

F.B.

" FUGIT IRREPARIBILE TEMPUS " (Virgile)
MOI, AUGU ET LE TELÉPHONE

     L'aut' matin, je me rencontre Augu qu'il avait une fugure de vendredi cinq. " Qu'est-ce ? ça va pas. Y t'a arrivé une accidente ou bien te t'a purgé ? que j'y dis. "
     " Non ! C'est Zézé, cet enfant de loup qui m'a joué un tour en première. Fugure-toi que d'accord ac Œil-de-Setche y m'a dit y a deux jours de çà qu'le Pont d'la Tranchée y s'avait croulé. Vite j'a pris un lindau et pis arrivé là-bas, j'a vu qui s'était payé ma tronche. "
     - Bien fait pour toi, le Bon Dieu y t'a puni que j'y dis. Ah ! Ah ! t'y as voulu travailler tout seul.
     -T'y as raison qui me répond Augu, ma moi qui te parle, depuis hier soir j'a trouvé un truc et mainant je vas me le mettre à exécution. La vengeance, c'est un plat qu'elle se mange froid, ac beaucoup du felfel…
     Oilà, te vas aller dans le bureau de Zézé et quand y sonne le téléphone, te le laisse décrocher le machin où on entend et ousqu'on parle et toi en douce en douce, te prends l'autre zécouteur à l'oreille et surtout n'en casse pas une.

     Comme y me dit je fais et j'arrive chez Zézé. J'lui parle d'la pluie et du bon temps, quant tout d'un coup le téléphone y tape, Dring… Dring… Dring… Zézé y décroche d'un côté et moi de l'autre et la conversation elle se dégage,
     - " Allô ! Allô ! qui dit Augu au bout de la ficelle, c'est Monsieur Zézé ? "
     - OUI, oui qui reupond Zézé, qui c'est qui est dans l'appareil ?
     - Ici c'est le contrôleur du téléphone
     - A vot'service Monsieur le P.T.T. ?
     - Eh bien ! Oilà... Vous m'entendez bien ?
     - Très bien.
     - Pas moi, pourquoi y doit y avoir un coup de circuit dans vot' appareil ; mais quelle position que vous occupez en ce moment ?
     - C'est une position antéressante, Monsieur, je suis représentant en z'étuiles et briques pleines à six trous.
     -C'est pas ça que je vous demande. Comment que vous êtes ?
     - Assis ou debout ?

     - Assis, M'sieur le P.T.T.
     - Alors, levez-vous M'sieur Zézé.
     Zézé y se lève et l'autre fugure de marbre y continue
     - Mainant M'sieur le représentant, comment que vous me sentez?
     - Très bien et vous ?
     - C'est mieux que t'a l'heure, ma c'est pas encore ça, alors, montez tsur la chaise.
     Zézé y monte tsur la chaise et Augu: " Ça va mieux M'sieur Zézé ? "
     - Voui, Msieur l'arrangeur, et vous ?
     - Fectivement, je vous entends, ma y a encore du fadinge. Montez tsur le bureau.
     Zézé y monte ac le tuyau encaustique dans l'oreille et y crie : Et alors ! ça va bien oui ou non.
     - C'est bien comme ça M'sieur Zézé, t'y as tout d'un tornaga tsur un arbre d'olives, 0 Dandalon… à la revoyure…. et y raccroche.
     Zézé, pâle d'la colère laisse-le qui jure pourquoi en descendant le bureau ac son pied y s'avait emporté le téléphone et en tombant y s'était tout démontibulé.
     Qui c'est qui pouvait tenir le sérieux après ça : les larmes, elles me coulaient comme si j'aurais frotté les yeux ac des oignons frais.
     Zézé y me montre la porte et avant d'la refermer tsur moi y me crie
     " Allez, toi aussi fais du vent journaliste, fangouliste que t'y es " et y me pousse dihors.
     Au coin d'la rue Augu y m'attendait ac un sourire d'un vendeur des Galéries et tout de suite on s'a été se taper un canari (une anisse ac du citron) à la santé de grand serin de Zézé. A Bône, y s'en passe toujours de bien bonnes….

BÔNE..    TU TE RAPPELLES
Par M. JEAN PERONI (Tome 2)
           envoyé par Mme Gauchi -- et Jean Louis Ventura                     N° 5
"Je me presse de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer. "
BEAUMARCHAIS
<====OOO====>

L'INDÉPENDANCE PREND POSITION

       "La discipline est la force principale des armées". Voilà une phrase que le 2e classe Ben Bella avait apprise par coeur dans son manuel du bon soldat, tandis qu'il préparait le peloton d'élève sous-officier de l'armée française. Et cette même phrase sans doute l'avait-il rabâchée à ses recrues lorsqu'on lui eût mis sur les manches les galons de sergent.

        Il avait également appris à l'armée que la sentinelle rend les honneurs à l'officier qui passe, dans un garde-à-vous que rien ne doit distraire. Sans quoi, au trou mon gars, scrogneugneu !

        Et pourtant M. Ben Bella, premier président de la République Algérienne, n'a pas infligé le moindre jour de prison aux sept hommes, chef de poste compris, chargés de lui rendre les honneurs à son arrivée à la préfecture de Bône.

        Ah ! cette arrivée. Pour un bain de foule, ce fut un bain de foule, et même un bain forcé qui ne tourna pas au tragique, on ne sait trop pourquoi.

        Tout avait pourtant été bien ordonné ; dans la cour de la préfecture avait été placée une garde d'honneur et, aux alentours, les gardiens de la paix jouaient du bâton blanc mieux que des majorettes.

        Bien avant l'heure prévue de "l'arrivée", la foule s'agglutina aux abords de la préfecture, compacte, grondante, grouillante, mouvante, ondoyante, venant de la Choumarelle et des Lauriers Roses, du Ruisseau d'Or et de la Ménadia, de Joanonville et de Chapuis, comme cent rivières cherchant un exutoire dans le minuscule espace cerné par la prison, le lycée, la cathédrale et la préfecture.

        Une buée âcre s'élevait et formait des halos jaunes autour des lampadaires. Des garçons effrontés, à l'âge où la sève bouillonne, profitaient de l'aubaine de cette compression humaine pour s'offrir, les coquins, avec la complaisance de l'obscurité, des plaisirs discrets. Allah leur pardonne ! C'était la première fois que le Dieu Ben Bella descendait sur la terre bônoise.

        Tout à coup on perçut dans le lointain ce sourd grondement qui fait onduler les foules. Mohammed Ben Bella s'engageait dans la voie triomphale du Cours Bertagna. Les hurlements s'amplifièrent, tandis que ces dames, sirènes aux poumons d'acier, lançaient leur you you stridents, tenaces, horripilants, à vous faire péter les boules Quiès.

        Sans attendre, les milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, massés devant la préfecture, poussèrent le fameux "Ya Ya Ben Bella", offert comme une monstrueuse prière au nouveau dieu. Ce fut d'abord une sorte de débandade vocale, mais à force de bonne volonté et avec l'aide de quelques chefs d'orchestre improvisés, les hurlements prirent un rythme mieux cadencé.

        Et Mohammed parut, marmouset hissant sa frêle silhouette sur ses ergots de jeune coq, debout dans sa voiture.

        Alors ?
        Alors, le délire fait place à l'hystérie. La voiture présidentielle est prise d'assaut. C'est à qui monte sur les ailes, sur le capot, sur les pare-chocs, n'importe comment, en grimpant sur les épaules des autres, en tirant à bras raccourcis sur ceux qui se croient installés définitivement, en jetant à terre les premiers occupants. On pousse, on tire, la frénésie devient indescriptible : une horde de chacals se jetant sur une carcasse, des loups se déchirant entre eux pour atteindre leur proie. Et l'on se bouscule, et l'on se piétine, et l'on s'écrase mutuellement pour approcher le Dieu Vivant, le voir, le toucher, hurler dans ses oreilles "Ya Ya Ben Bella".

        Ceux qui sont arrachés de la voiture tombent dans un magma humain, restent un moment suspendus, puis glissent jusqu'au sol pour être à leur tour piétinés, écrasés, avec des cris d'épouvante, des appels au secours que personne n'entend, des lamentations horrifiées. Le flux coince le reflux sans souci des coups de bâtons, des coups de poings, des coups de pied du service d'ordre.

        Quant au piquet d'honneur, il a depuis longtemps rompu les rangs; il crie, il hurle, il trépigne lui aussi. Comme le sergent et ses hommes se trouvent trop loin de la voiture pour avoir une chance d'y grimper, même en jouant de la crosse, ils prennent le parti de tirer en l'air toutes les cartouches qu'ils ont en réserve et entrent à leur tour dans l'hystérie collective.

        Ce fut peut-être à ces coups de feu que Ben Bella dut son salut. Qui les tirait, pourquoi, comment, sur qui ? Le reflux prit le dessus et Ben Bella, avec l'aide de ses gardes du corps enfin récupérés, put s'extirper de sa voiture.

        A bras d'hommes, il est porté jusqu'au cabinet du préfet il donne l'impression de faire du vol à voile sur le Golgotha. Le chef de l'Algérie Indépendante est en piteux état, plus de veste, la chemise en lambeaux, le visage tuméfié. Ses yeux sont vitreux, son regard effrayé, Buster Keaton peint par Le Greco. Après un long moment, entouré des autorités préfectorales qui sont dans leurs petits souliers, dans l'angoissant silence qui suit les avalanches, avec ses esprits il retrouve son sourire poupin qu'il replace sur ses dents blanches.

        Après tout, pouvait-il refuser de payer la rançon de la gloire ?

        Et puis, M. Ben Bella, algérien de souche, sait que ses coreligionnaires n'hésitent pas à pousser au paroxysme leurs manifestations de rue quand le sujet s'y prête. On les a vus lorsque l'Armée de la Libération entra dans Bône ; on les a surtout vus pour la fête de l'Indépendance.

        Cette nuit, les jeunes filles décidèrent de jeter leur bonnet par-dessus les moulins. Ce n'était en somme qu'anticiper sur les promesses de la Révolution Algérienne qui leur faisait miroiter la prochaine émancipation de la femme. Les voici donc dans la rue.

        La fête débuta gentiment. Garçons et filles grimpèrent dans des camions mis à leur disposition pour parcourir la ville en tous sens. Les uns et les autres gesticulent et crient leur joie à tue-tête, sans mauvaises idées, sans arrière-pensées. La foule massée de chaque côté des rues les acclame.

        Seulement voilà, sur des camions qui pouvaient recevoir une vingtaine de personnes serrées les unes contre les autres, ils furent bientôt quarante, puis cinquante, puis soixante. Et arriva ce qui devait arriver.

        Pour les filles, la bousculade était un jeu; elles conservaient toute leur innocence. Mais les garçons ne perdaient pas le nord. Les sens exacerbés et le désir à fleur de peau, ils entraînèrent leurs petites camarades dans les jardins. Comme la pilule n'avait pas encore été inventée, quelque quatre-vingts d'entre elles, chiffre officiel, furent hospitalisées le lendemain. Les petits rescapés ont aujourd'hui 13 ans.

        La vie ne devait pas s'arrêter pour autant.

        La preuve, c'est que pour venir en aide aux familles des chouada, on demanda à chaque algérien d'apporter sa contribution financière. Aux dames, en particulier, il fut recommandé de donner leurs bijoux. Or, pour une musulmane, le trésor le plus sacré est le bijou qu'elle porte en sautoir, en bracelet, en boucles d'oreilles. Celles qui en possédaient, mues par un sentiment patriotique auquel il faut rendre hommage, les apportèrent à la mairie comme il était prescrit.

        Et celles qui étaient trop misérables pour en posséder ! C'est à ne pas y croire ! Elles en achetèrent avec leurs pauvres deniers pour que leur participation fût plus vertueuse.

        Je les ai vus, ces bijoux, dans le bureau du président de la délégation spéciale, entassés dans de grands cartons ; dans son bureau, parce que Monsieur le Maire, méfiant, avait voulu être le seul responsable : la clé de son bureau ne le quittait plus. D'ailleurs, le magistrat municipal ne m'avait-il pas confié : "Les chèques doivent être rédigés à mon nom et l'argent versé entre mes mains pour plus de sûreté." On est honnête ou on ne l'est pas.

        L'était aussi cet écrivain public qui continuait à fonctionner à la Grande Poste. Je l'ai vu, pour 500 F, servir de témoin à une malheureuse venue toucher un mandat de 300 F. Le plus fort, c'est que la pauvre femme trouva la chose toute naturelle.

        Ce fut aussi tout naturel qu'à la fin d'une journée d'élections, on mit les journalistes à la porte de la salle de dépouillement : "Ne perdez pas votre temps, leur dit-on ; les résultats vous seront communiqués quand tout sera terminé."

        Que voulez-vous, il fallait bien que les Algériens prissent leur temps pour s'habituer à ces notions d'indépendance, si fraîches pour eux !

        Tant et si bien que personne ne trouva anormal cette promotion d'un gamin de 20 ans, magasinier à la ferme, nommé du jour au lendemain président du Comité de gestion d'un vaste domaine agricole. Le ministre de la Santé vint spécialement d'Alger pour l'introniser dans ses nouvelles fonctions. Le personnel au grand complet était rassemblé dans la grande cour. Après les salamalek d'usage, le ministre expliqua pourquoi il avait choisi ce jeune garçon parmi tant d'autres postulants :

        "Il est né dans le domaine, il y a vécu ses vingt premières années. Mieux que personne il le connaît."

        On ne pouvait trouver meilleurs prétextes.

        Le magasinier devenu grand patron avait des principes et les mit à profit. Fort de l'expérience acquise dans la promiscuité des ingénieurs agronomes français, il fit comme eux, exactement comme eux. S'inspirant du calendrier de l'année précédente, il sema, récolta, vendangea aux mêmes dates, sans se soucier des variations météorologiques qui perturbent la nature.

        Quelqu'un dans l'assistance demanda pourquoi le Ministre de l'Agriculture n'était pas venu à la place du Ministre de la Santé. La question avait été posée si doucement que personne ne put y répondre.

        Il faut tout de même savoir que l'Indépendance, ça s'apprend.

        Et puis, quand on a la Santé .....

A SUIVRE

BONNE ET MAUVAISE CONDUITE
BÔNE son Histoire
Par Louis ARNAUD

          AVANT 1832, il n'y avait à Bône, comme eau potable, que celle que l'on tirait des puits situés à l'intérieur de la Ville.

          Ces puits étaient assez nombreux ; le plus important (qui existe encore) était dans l'impasse d'Alger, non loin de la Place d'Armes.

          Ils étaient largement suffisants pour assurer la satisfaction des besoins de la population qui, à cette époque, n'atteignait pas deux mille habitants.
          Il n'en fut plus de même, trois mois après l'arrivée des Français. Les troupes de la garnison, dont l'effectif dépassa rapidement cinq mille hommes, affectèrent gravement la question de l'alimentation en eau potable de la Ville.

          Les autorités françaises se préoccupèrent donc de cette question, dès les premiers jours.

          Les puits existants furent l'objet de tous les soins on en fora de nouveaux et, le Général Commandant la Subdivision prit même, en 1836, un arrêté prescrivant que chaque maison devait être pourvue d'un puits ou d'une citerne,
          Hélas, les citernes furent généralement mal entretenues et les terrasses qui permettaient le ramassage des eaux pluviales n'étaient presque jamais assez propres pour éviter que les eaux ne fussent polluées.

          En 1835, le Général d'Uzer, pour parer à ces inconvénients, majeurs au point de vue de l'hygiène et de la salubrité, fii construire un aqueduc pour amener les eaux de l'Oued-Forcha qui coule au flanc de l'Edough, tout près de l'Hospice Coll, jusqu'à la Colline des Santons.

          Le Général Randon, dix ans plus tard, compléta l'oeuvre de d'Uzer en remontant plus haut, dans le Massif, pour capter le plus grand nombre possible de sources, qu'une conduite en tuyaux de fonte devait collecter pour que leur eau puisse ensuite être dirigée sur le vieux chàteau-d'eau de la rue d'Armandy qui n'existe plus aujourd'hui.

          Le Général Randon, s'il ne put assister à la réalisation de cette entreprise, eut du moins, la satisfaction de voir arriver à Bône, avant son départ qui eut lieu le 7 juillet 1847, les premiers éléments de cette conduite qui fut certainement l'une des premières du genre en Algérie.

          La " Seybouse " du 4 août 1847 indiquait, en effet, que " les tuyaux pour cette conduite d'eau, commandés " depuis longtemps, et qui devaient être rendus à Bône, en octobre ou novembre 1846, ne sont arrivés qu'au mois de juin dernier et ne sont pas encore entièrement livrés.
          " L'expédition, ajoutait le même journal, par les " Maîtres de Forges a été tardive et préjuciable à la population.
          " Le placement des tuyaux est commencé, et se poursuit avec activité. Mais ce travail ne pourra être achevé qu'au mois de septembre prochain ".
          Et le même journal profitant de l'occasion pour regretter encore " le peu de soins pris généralement par les habitants pour l'établissement, l'entretien et la propreté des citernes, réservoirs domestiques, dont à toute époque, l'utilité a été précieuse ".

          Cette conduite, plus que centenaire, est encore en place.

          Elle fut longtemps la seule à assurer les besoins de la Ville.

          Elle descend en pente rapide le long du flanc de la montagne, de si haut que l'eau parvenait sans peine à remonter jusqu'au vieux château-d'eau de la rue d'Armandy, point le plus élevé de la Ville, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser une pompe élévatoire pour l'y amener.

          Puis, elle était distribuée à tous les étages des immeubles de la Ville.

          Mais tout cela est au passé, car la conduite a perdu son importance de jadis et le château-d'eau de la rue d'Armandy a été démoli entièrement.

          La conduite d'eau de l'Oued-Forcha avait un débit suffisant pour alimenter la Ville tant qu'il n'y eut pas plus de 25.000 habitants.
          Elle recueillait alors le débit de 176 sources soigneusement captées et entretenues.
          Pour veiller sur elle, les fontainiers chargés de ce soin avaient établi un chemin qui suivait exactement le trajet des tuyaux de fonte.
          Ce chemin qui grimpait littéralement jusqu'à près de huit cents mètres d'altitude était communiment appelé " Les cinq cents escaliers ". Il permet encore, bien que mal entretenu, d'escalader très rapidement la montagne pour arriver à Bugeaud.

          Aujourd'hui, la conduite d'eau de l'Oued-Forcha est presque totalement abandonnée.
          Mais les tuyaux de fonte placés, en 1847, contre le flanc de la montagne sont toujours là, aussi solides qu'au premier jour.
          Ils ont été, justement à cause de l'excellent état dans lequel ils se trouvaient après presqu'un siècle de service, la cause d'une révolution du Palais, c'est-à-dire d'une rupture, non de conduite, mais de l'équilibre municipal de la Ville.
          Cette histoire vaut d'être contée, car elle est tristement révélatrice des moeurs d'une époque.
          La conduite de l'Oued-Forcha étant devenue insuffisante, il avait fallu aller chercher, jusqu'à 56 kilomètres, à Blandan, l'eau nécessaire à la population qui s'accroissait rapidement.
          Un peu avant la fin du siècle dernier, une conduite en ciment Pavin de La Farge, avait été construite pour amener cette eau des sources de Bouglès à Bône.
          Cette conduite, hélas, ne dura pas plus d'un quart de siècle.
          Insuffisamment étanche, le ciment au contact permanent de l'humidité se désagrégea rapidement et de grandes quantités de liquide se perdaient ainsi dans la plaine avant de parvenir à Hippone, dans les fameuses citernes d'Hadrien.
          Il n'y avait aucune façon de remédier à ce lamentable état de chose.

          Il fallait faire une conduite nouvelle.
          Le Maire de la Ville, Ferdinand Marchis, comparanj la désastreuse expérience de la conduite en ciment armé qui n'avait pas duré vingt-cinq ans, avec l'excellent état des tuyaux de fonte de l'Oued-Forcha qui servaient alors depuis quelque quatre-vingts ans, avait décidé de remplacer les vieux tuyaux de ciment qui s'effritaient lamentablement par des tuyaux de fonte. Ceux-ci avaient fait leur preuve et on pouvait être assuré qu'on n'aurait pas, avec eux, les mécomptes et les déboires que la conduite en ciment avait provoqués.
          Cette sage décision ne fut cependant pas du goût d'un groupe d'affairistes locaux qui évoluait tant dans les conseils qu'autour de l'Hôtel de Ville, à l'affût de bonnes affaires à faire.
          Ce consortium avait lié partie avec des fabricants de tuyaux en ciment armé qu'ils espéraient imposer pour la construction de la nouvelle conduite.
          Mais le Maire de la Ville tenait à la fonte, et il était tenace et honnête. Il était donc impossible de composer d'aucune manière avec lui.

          La coalition attendit patiemment le départ du Maire en vacances annuelles, pour se livrer, grâce à la complicité du 1"' Adjoint remplaçant le Maire absent, à une offensive brusquée pour enlever au Conseil municipal une décision favorable au ciment armé.
          La lutte fut épique et rude, et le Conseil finalement refusa de prendre la moindre décision pendant l'absence du Maire.
          Mais l'affaire avait été chaudement disputée et ce ne fut que grâce aux amis de Ferdinand Marchis que la petite " combinazione " des affairistes échoua.
          En effet, lorsque Ferdinand Marchis revint de France il mena rapidement à bonne fin la conclusion de cette affaire et la conduite de Bouglès fut reconstruite en tuyaux de fonte de l'Usine de Pont-à-Mousson.
          Mais si la ville de Bône trouvait un profit évident dans cette sage solution, les affairistes qui n'étaient dans les avenues du Pouvoir que pour y trouver des profits, avaient perdu une excellente occasion d'en réaliser de sérieux.
          C'est alors qu'ils décidèrent de mettre Ferdinand Marchis dans l'impossibilité de les empêcher désormais de spéculer sur les entreprises communales.
          Le renouvellement du Conseil municipal approchait. La conspiration s'organisa sournoisement, et, en 1925, Ferdinand Marchis fut battu par ceux qu'il avait empêchés de trahir les intérêts de la Ville.

          Depuis le début de novembre dernier des bandes rebelles se sont attaquées par trois fois, et tout récemment encore, sans trop grand dommage heureusement, à cette conduite, espérant ainsi priver d'eau une ville de plus de cent vingt mille âmes.
          La conduite qui parcourt près de soixante kilomètres, dans une région propice aux méfaits, pour venir des sources de Bou-Glès et de Bou-Reddine aux citernes d'Hippone aurait été particulièrement vulnérable si elle n'avait pas été constituée par de solides tuyaux de fonte.
          On peut aisément envisager l'étendue de la catastrophe qui se serait abattue sur la ville, si le consortium d'affairistes de 1923 avait pu parvenir à ses fins.
          Une conduite en ciment qui, sur une telle distance, passe souvent presque au ras du sol et parfois même à découvert aurait pu être entièrement détruite par de multiples équipes armées de simples pics, opérant simultanément, en une seule nuit et il aurait été impossible d'apporter le moindre remède, à l'oeuvre de destruction des nouveaux vandales.


BÔNE MILITAIRE
du CAPITAINE MAITROT
                              Envoyé par M. Rachid Habbachi                      N° 8

Bône Militaire                                                   44 SIÈCLES DE LUTTES
du XXIVème avant  au XXème Siècle après notre ère
Médaille de Bronze à l'Exposition Coloniale de Marseille 1906
Médaille d'Argent de la société de Géographie d'Alger 1908

Première Partie
HIPPONE ET BONE

CHAPITRE VII
Les comptoirs français et la Compagnie d'Afrique
1626-1794


        En 1626, le gouverneur de Narbonne, M. d'Argencourt, voulut renouveler l'expédition des Toscans et reconstruire le Bastion, mais, attaqué vivement par les Turcs et les Arabes, il n'eut que le temps de se rembarquer.
        Un capitaine corse, Sanson Napollon, très connu des Barbaresques, fut chargé d'arranger les choses à l'amiable et de réédifier le comptoir de La Galle, appelé alors Mers el Kharaz (port aux breloques) ou Mers el Djoun (port de la baie). Il réussit à passer un traité avec le Diwan (cotir d'Alger), le 20 septembre 1628.
        Le Bastion était rendu à la France qui devait payer une redevance de 26.000 doubles (à peu près un million et demi).

        Le capitaine adjoignit, à ce traité, un état des dépenses pour l'entretien des comptoirs s'élevant à 135.740 livres ; la maison de Bône y entrait pour 13.300 livres réparties de la façon suivante :
        A la ville...............................................................................................7.000
        Entretien de la maison et des cinq personnes qui y habitent..................4.000
        Aux chefs et officiers de la garnison........................................................800
        Redevance aux galères de guerre turques qui abordent à Bône................500
        Salaire des cinq employés.....................................................................1.000

        Total …………………………………………...................................13.300

        " La maison de Bône est très grande et logeable. Elle a été achetée des deniers du Bastion, comme les meubles et ustensiles qui y sont ".
        Mais Sanson Napollon, directeur de l'établissement, fut tué, en 1623, à l'attaque du fortin de Tabarca, fondé par la famille génoise des Lomellini (1) pour protéger les pêcheries de corail.
        Sanson Lepage le remplaça.

(1) Le corsaire tripolitain Dragut, pris, vers 1535, sur les rivages de la Corse, par Jean Doria, neveu de l'amiral génois, échut en partage au capitaine de Lomellini, de Gênes. Comme rançon, il offrit la possession de l'île de Tabarca pour la pêche du corail. Le bey de Tunis et Charles Quint confirmèrent cette donation. L'empereur s'engagea à construire une forteresse et à entretenir une garnison, à la condition que les Génois paieraient une redevance de 5 pour cent sur leurs affaires commerciales.
Mais la garnison n'ayant pas reçu de solde, les Génois reprirent leur liberté.
En 1540, le sultan de Constantinople, Soliman, confirma le privilège des Lomellini par un firman écrit sur parchemin en lettres d'or.
Le château fut restauré en 1.553.
En 1728 Jacques de Lomellini acheta l'île à ses parents pour 200.000 livres et la redevance de corail de 50 piastres.
Il plaça, dans le château, une garnison de 70 hommes, sous les ordres de Jean-Antoine Giano.
Il payait au dey de Tunis un tribut annuel de 40.545 livres 10 sous.
L'île lui fut enlevée par les Tunisiens, en 1741, à la suite d'une inconséquence du consul de France à Tunis poussé par sa maîtresse, alors que les Génois n'étaient pour rien dans cette affaire.
(Peyssonnel et Desfontaines).

         En 1637, les Turcs recommencèrent leurs déprédations, allant piller jusque sur les côtes de Provence. Richelieu arma alors en course le chevalier de Menty qui alla capturer les galères barbaresques dans le port même d'Alger. Ce fut encore le Bastion qui supporta les frais de cette mésintelligence. Ali Bitchenin arriva, mi-jour, à la tête de six galères, brûla l'établissement et emmena les habitants en esclavage. Les Arabes de Constantine, outrés de la barbarie de l'acte et aussi des conséquences qu'il entraînait pour eux, car cette destruction faisait disparaître la source de leurs bénéfices ; les Arabes, dis-je, se soulevèrent, battirent les Turcs à plusieurs reprises et leur imposèrent les conditions suivantes - " Les Turcs rebâtiraient le Bastion de France ainsi que ses dépendances, attendu que c'est là que, eux, révoltés, allaient échanger leurs denrées contre de bon argent, avec lequel ils payaient la lezma, de sorte que la ruine du dit Bastion les avait empêchés de ne plus rien payer ".

         Ce traité, du 7 juillet 1640, ne fut pas ratifié par Richelieu, mais ne resta pas moins en vigueur Jusqu'en 1658, an moment où le sieur Picquart s'embarqua, avec toute la garnison, laissant derrière lui un énorme passif. Le Diwan ne voulut plus entendre parler des Français et proposa le comptoir aux Anglais.
        Bône se ressentit de ces perturbations. Une partie des habitants s'était retirée dans l'Edough, comme ils l'avaient fait et le feront dans toutes les circonstances critiques (2).

(2) L'Afrique en plusieurs cartes nouvelles et exactes & en divers traités de géographie et d'histoire.
Là où sont descripts succinctement & avec une belle Méthode & facile. ses Empires, ses Monarchies, ses Estats & les Mœurs, les Langues les Religions, le Négoce et la Richesse de ses peuples.
Et ce qu'il y a de plus beau & de plus rare dans toutes ses parties & dans ses Isles Dédiée à Messire Nicolas Foucquet Vicomte de Melun et de Vaux Ministre d'Estât. Sur-Intendant des Finances & Procureur général de Sa Majesté par N. Sanson d'Abbeville géographe ordinaire du Roy A Paris chez l'autheur Rue de l'Arbre Sec, près de Sainct Germain l'Auxerrois DDDCLVI (1656), avec privilège pour vingt ans.

         En 1666, malgré les préventions d'Alger, le sieur Arnaud fut autorisé à créer la Compagnie Française. Les directeurs-administrateurs furent de Lafont, Masson, de La Fontaine et de Lallo ; le gérant fut M. Arnaud.
        Mais la zizanie se mit entre gérant et directeurs. Ceux-ci voulurent faire arrête Arnaud ; ce dernier se retrancha derrière le Diwan et la situation, qui avait nécessité des démarches officielles, était très tendue, quand Arnaud mourut subitement en 1674.

         Le chevalier d'Arvieux intervint auprès de la Cour d'Alger et fit nommer gérant le sieur de Lafont, à la condition qu'il payât 12.000 francs aux enfants d'Arnaud et ne les maltraitât pas. De Lafont, aussitôt installé, fit arrêter et conduire les jeunes gens, enchaînés, en France. Le dey d'Alger s'indigna, fit arrêter de Lafont, qui ne dut la vie qu'au consul de France à Alger, le frère Levacher, celui qui fut, plus tard, attaché à la bouche d'un canon, pour être envoyé en lambeaux sur l'escadre de Duquesne.

         La compagnie ne battait que d'une aile, par suite de ces tiraillements ; elle déposa son bilan et l'affaire fut reprise par un sieur Dussault, qui alla s'installer à La Calle.

         Lors du deuxième bombardement d'Alger par Duquesne, en 1683, le dey Mezzo-Morto envoya, aux Turcs de Bône, l'ordre de détruire les établissements. En arrivant à La Calle, ils trouvèrent le comptoir évacué ; l'amiral français, se méfiant des représailles, avait emmené les quatre cents colons à Toulon.

         En 1684, Dussault, de retour en Afrique, trouva les Anglais installés à La Calle, avec un bail expirant en 1694.
        Le 1er Janvier 1694, Pierre Hély, directeur de la Compagnie d'Afrique, pour des négociants marseillais, conclut un traité avec le Diwan. Il y était parlé de Bône en ces termes.

         Article 5. - Jadis, dans l'ancienne coutume, à la fin de chaque deux mois, le versement de cinq cents réaux était fait entre les mains du caïd de la dite ville de Bône. Maintenant, il n'est plus payé une obole entre les mains du caïd de Bône, mais, tous les deux mois, il faut verser, entre les mains de la personne investie, par moi, du titre d'Agha Noubadji (agha de la garnison) la somme de cinq cents réaux.
        Plus loin : " L'agent de la compagnie résidant à Bône, se rendra, quand bon lui semblera, au Bastion. Notre Agha lui en délivrera la permission. ".
        Les visites au Bastion n'eurent, d'ailleurs, bientôt, plus de raison d'être, car cet établissement fut abandonné, à cette époque, pour La Calle, dont le port était plus sûr et le climat plus sain. Une certaine année, de toute la garnison, il était resté trois hommes. (3).
        La compagnie, outre le privilège de la pêche du corail, avait le monopole du commerce avec la France.
        Dans cette même année, il se passa à Bône un grand événement militaire (4).
        La ville fut le point de concentration de l'expédition dirigée contre Tunis par le dey d'Alger, Hadj Chaaban.

(3) Desfontaines. - Voyage dans les Régences de Tunis et d'Alger, Ch. VII - 1783.
(4) A. de Voulx, conservateur des archives arabes des Domaines. - Le Tachrifat, recueil de notes historiques sur l'administration de l'ancienne Régence d'Alger (1853).

         Dans la première quinzaine du mois de Chaaban, dix navires amenèrent, après douze jours de voyage, des canons, de la poudre et deux cents tentes de soldats, dont cent prises dans la colonne (5) de l'Est.

         Dans la nuit de l'Aïd el Fethar (6), le dey arriva lui-même à la tête de quatre-vingts tentes de la colonne de l'Ouest, seize tentes de la colonne de Tittery et quarante tentes de cavaliers.
        La concentration de l'armée fut l'occasion de grandes réjouissances.
        Ce même jour, arrivèrent quatre navires de Tripoli, amenant, de ce pays, un renfort de cinquante tentes, qui furent dressées à côté de celles d'Alger.

         Après un séjour de trois jours, l'armée se mit en marche sur Tunis, renforcée des Tripolitains et des Arabes des tribus de l'Est : Beni-Masser, Baoun, Ainar Soltan, et Hanenchas; elle fut rejointe par hadj Chaaban, bey de Constantine.

(5) On appelait colonnes, dans la Régence d'Alger, des troupes disponibles pour les expéditions qu'ordonnait le diwan, notamment pour effectuer la rentrée des impôts. Elles prenaient souvent le nom d'Outhan, qui voulait dire contrée, suivi du nom de la région où elles devaient opérer. Elles étaient au nombre de trois, la colonne de l'Est ou de Constantine, celle de l'Ouest ou de Mascara et celle de Tittery.

         Ces colonnes étaient divisées en tentes ou Kheba de 19 hommes. Tous les soldats étaient Turcs, sauf les cavaliers et une partie des fantassins de Constantine (40 tentes) qui appartenaient à la tribu kabile des Zoliaouas. Ces derniers sont devenus les Zouaves.
        A chaque colonne, était adjointe une compagnie de cent Saghaïdji ou *préposés à l'eau.
        La concentration de l'expédition à Bône représentait donc
        Colonne de l'Est 1.900 hommes
        Colonne de l'Ouest 1.520
        Colonne de Tittery 340
        Cavaliers 760
        Saghaïdji 300
        Contingent de Tripoli 950
        Total 5.770
        Soit 6.000 environ avec les services et les états-majors.

(6) Désignation turque de l'Aïd el Seghir.

         Ce déploiement militaire ne gêna en rien les opérations des sociétés françaises.
        En 1707, la Compagnie du Cap Nègre fusionna avec la Compagnie Hely.
        En 1713, la nouvelle compagnie, qui, comme les précédentes, était aux mains des Marseillais, céda ses privilèges à la Compagnie d'Afrique. Des comptoirs furent fondés à Bône et à Collo. A La Calle, l'agent prit le titre de gouverneur et fut assisté d'une garnison de 50 hommes, commandée par un capitaine.
        En 1719, la société fut absorbée par la Compagnie des Indes, jusqu'en 1730, époque à laquelle une nouvelle Compagnie d'Afrique fut créée, qui prit, le premier Janvier 1741, le titre de Compagnie Royale d'Afrique.
        A travers toutes ces transformations, les établissements d'Afrique ne furent jamais bien florissants ; occupés, la plupart dit temps, par une foule de gens sans aveu, ne formant pas de colonie, puisque les femmes n'y étaient pas admises, exposés aux incursions des indigènes, obligés de payer tribut au pacha, ils étaient d'un maigre rapport. (7)

         En 1749, on trouve, dans les " Archives " du Consulat général de France à Alger " (8) la pièce suivante :

         " Mandons à M. Jean Baptiste Germain, chancelier de ce consulat, chargé de la caisse du commerce, de payer des fonds de ladite caisse, la somme de quatre sequins et demy, faisant trente-huit pataques et deux temins, pour le payement d'un courrier expédié à Bonne par nous, Lemaire, consul, afin de faire passer un paquet à Tunis par lequel nous aurions donné avis à M. Fort, consul de France, de la prise du bâtiment du capitaine Nicolas Herzoury, français, par un corsaire tunisien à Alger, le onzième septembre mil sept cent quarante-neuf.
        " LEMAIRE "

(7) V. Piquet. - La colonisation française dans l'Afrique du Nord.
(8) A. de Voulx (1865).

         En 1758, une partie des impôts des habitants de Bône fut supprimée, nous apprend le Tachrifat :
        " L'Amim des Djerabas de la ville de Bône envoyait, annuellement, au palais et par l'intermédiaire de l'Amim des Djerabas d'Alger, un bechmak de 100 sainia (impôt de 18 fr.) (9).

         " Les négociants de Bône versaient annuellement au trésor, un bechmak de 200 rials (120 fr.) Ce bechmak fut aboli en 1170 (1756). "
        En 1763, un bâtiment marseillais, moins pacifique que celui du capitaine Héroury, se défendit contre un pirate ; par vengeance, le diwan fit de nouveau une incursion à La Calle, après avoir fait bâtonner le capitaine marseillais jusqu'à la mort.

         En 1767, partit un règlement déterminant les obligations du gouverneur de La Calle et de l'agent de Bône.
        Il semblerait à étudier ce règlement, que les agents que la Compagnie avait eus à son service, jusqu'à ce moment, dans ses comptoirs, se conduisaient avec la désinvolture particulière à l'époque de Louis XV, se considérant, comme d'une essence supérieure à celle des infidèles dédaignant de s'occuper des questions, pourtant si importantes en matière commerciale, des mœurs, des usages, des goûts particuliers des gens du pays, leurs clients.

(9) Syndic des gens de Djerba (Tunisie). Ceux-ci étaient des commerçants en poteries et en tissus.

         On pourrait même croire que dans les bureaux, les employés faisaient fi des questions de subordination et même d'honnêteté en matière comptable, que les jeunes gens passaient leurs journées et leurs nuits à flirter au risque de soulever des troubles, toujours graves en pays musulmans. L'usure aurait également conquis place à la caisse, au détriment des Indigènes. Et de toutes ces causes, aurait découlé tout naturellement une baisse considérable dans le nombre et l'importance des affaires.

         C'est là une impression de prima lectione, sur laquelle il convient de ne pas s'arrêter ; il faut au contraire admirer la sagesse qui a présidé à la rédaction de ce règlement, ne critiquant pas à proprement parler, mais prévoyant les critiques possibles.
        Les meilleures relations existaient entre les agents de la Compagnie et les habitants de Bône qui se montraient très doux de caractère. On vivait dans la ville dans la plus entière sécurité, sauf en cas de complications politiques. Le commerce de la Compagnie n'avait d'ailleurs pas peu contribué à civiliser les Maures de cette contrée.
        Les affaires se traitaient en langue franque qui, à Bône, était un dérivé du provençal (10).

(10) Desfontaine, Ch. 1 et VI.

         COMPTOIR DE BONE. - L'agent de ce comptoir se rendra agréable au caïd, aux turcs et aux habitants de la ville dont il étudiera les moeurs, les inclinations et s'instruira à fond des usages établis par la justice pour découvrir et empêcher les contraventions que la Compagnie assure dans les différents articles de son commerce exclusif ; il recourra au bey de Constantine, dans toute occasion, après avoir consulté et pris l'avis du Gouverneur de La Calle, auquel il communiquera tout ce qui surviendra dans son comptoir, en vue d'agir de concert, pour le plus grand avantage de la Compagnie, qui ordonne à son agent de s'opposer, non seulement aux innovations dangereuses, qui peuvent porter préjudice au ommerce, mais d s'occuper de l'abolition des usages plus anciens, dont l'introduction ne peu être attribuée qu'à l'incapacité ou la faiblesse.

         " L'agent entretiendra le bon ordre et la subordination dans le comptoir et veillera à ce que tous les employés y remplissent exactement leurs obligations et qu'ils s'abstiennent surtout de fréquenter dans les maisons, en vue de prévenir les troubles et les avances qui peuvent en résulter.

         " L'agent aura l'attention la plus exacte à procéder, tous les mois, à une vérification de caisse où seront mis les dépôts, dont lui ou le caissier auront été chargés, la Compagnie voulant qu'il en soit tenu, pour la chancellerie, un état détaillé et circonstancié, dans un registre qui prouve le temps, la qualité des dépôts et l'époque où ils auraient été confiés ou retirés. Ce soin, duquel on ne s'écartera jamais, obviera à des abus ou inconvéneints prouvés par la Compagnie, qui défend de prêter aux habitants de Bône, autant pour ne pas perdre que pour ne pas, ensuite, s'endosser ceux qu'on voudrait obliger à payer.

         " L'agent surveillera le commis chargé des achats de cuirs et de cire que les premiers ne soient pas achetés au-dessus de leur juste valeur et que la cire ne soit pas falsifiée et, comme il arrive souvent que, sous différents prétextes, les Turcs demandent d'acheter de la cire, l'agent doit être attentif à n'en délivrer qu'à ceux qui se présentent avec une lettre du dey ou des officiers du Diwan d'Alger...

         " L'agent se donnera tous les soins possibles en vue d'être instruit du véritable motif auquel on doit attribuer le manque de traité et lui-même s'efforcera de ramener cet article, en tenant conjointement, avec le caïd qui y a intérêt, toutes les demandes relatives à un objet de cette conséquence ; les laines seront pesées par l'agent, avec toute la justice possible, pour encourager les vendeurs et !es engager à retourner.

         " De concert avec le Gouverneur de La Calle, l'agent réclamera d'avance les deux chargements de blé accordés par l'Ottoman, sans négliger les moyens et profiter de toutes les circonstances, pour se procurer l'achat de plus de denrées qu'il sera possible.

         " Des récoltes abondantes, le défaut d'interlopes et bien d'autres circonstances pourraient favoriser leur zèle et le besoin où se trouve la Compagnie d'augmenter son commerce.

         " L'agent tiendra un journal exact et fidèle de tout ce qui se passera dans son comptoir et du commerce que les interlopes feront à Bône ; il en fera passer une copie par tous les bâtiments, et une autre au gouverneur de La Calle, au moins une fois le mois et, comme la Compagnie a trouvé bon de réserver pour son compte toutes les parties du commerce particulier attribué autrefois à l'agent, celui-ci, en agissant toujours comme seul appelé à ce commerce, veillera à son extension et à le faire fructifier, autant qu'il dépendra de lui, en ne vendant point à crédit et en demandant d'avance tous les articles qui pourront avoir du débit.

         " Finalement, la Compagnie de Bône, pour éviter les détails, qui feront peu à peu la matière de ses lettres, de recommander à l'agent d'user de soins économiques qui, écartant toute dépense superflue, annoncent une bonne administration ; elle exige, de plus, que l'agent présente ses opérations, telles qu'elles sont, afin que la Compagnie et le gouverneur de La Calle parfaitement instruits, et analogues aux véritables circonstances. "

         Au lieu de m'astreindre à narrer les faits chronologiquement et sèchement, je vais me borner à reproduire un certain nombre de lettres des agents de Bône qui, aux faits, ajouteront des idées et des conclusions qui pourront peut-être donner un aperçu exact de l'organisation et du fonctionnement de cette vaste compagnie marchande.
        La première lettre, du sieur Bourguignon, agent à Bône, fait allusion à l'attaque projetée contre Alger, par l'escadre espagnole, commandée par Don Barcello.

         Bonne, 18 août 1783.

         " Quoique vous fussiez proprement dans le danger, j'étais ici dans une plus grande crainte que vous, attendu que nous n'avons affaire, quant aux habitants, qu'à des gens ignorants jaloux de notre commerce, quoique réduit à rien. Pillards, qui n'auraient souhaité qu'un désordre pour tomber sur notre maison, nous enlever les fonds de notre caisse et nous massacrer en cas de résistance de notre part et même sans cela, du côté des officiers, je craignais encore plus, attendu que le caïd (11) Agy Assein, qui est également mercanti, a tellement pris le dessus sur les autres, qu'il n'y a que sa volonté qui passe. Ce caïd est guerrier, juge souverain et législateur, tellement que l'Agha du Diwan, le cadi, le muphti et Sidi Cheikh se sont interdits de leurs fonctions, craignant ses emportements et ses violences et plus encore ses malices : Je ne veux pas dire autrement.

         " La quantité de fonds que nous avons en caisse, me faisait tout craindre de la part de cet officier qui, en apparence, fait valoir les ordres du bey pour protéger notre maison. C'était cependant lui qui mettait l'épouvante dans la ville en disant que les Espagnols étaient arrivés à Alger.
        " Il détruisait ensuite cette nouvelle et maltraitait ceux qui s'en occupaient, faisant des avances à tout propos et maltraitant tout le monde. Il a surtout tourné sa rage contre les papas (religieux) et les gens de la justice qu'il a bâtonnés et fait bâtonner, ces jours derniers.

         Il vint, un jour, chez nous, ne sachant sans doute que faire et y resta quatre heures et demie et cela pour me tenir les propos d'un enfant ou d'un imbécile. Il s'est toujours imaginé que je savais à quoi m'en tenir sur les entreprises des Espagnols et tâchait de me sonder pour tirer de moi ce que j'en avais appris. Cependant la première nouvelle que nous avons eue de la part de la Compagnie, ce n'a été que par le capitaine Etienne, arrivé hier, qu'elle m'apprend qu'il était décidé que les Espagnols allaient à Alger:

         " Ce caïd, dans sa visite, ayant surpris ma crainte dans le cas de troubles dans la ville, voulut me rassurer en me disant qu'il en faisait son affaire, qu'ainsi je n'eus rien à craindre de la part des Turcs et des Maures, mais que si je craignais quelque chose de la part des Espagnols, je l'en avertisse parce que, alors, il enverrait, chez nous, les argents qu'il a au compte du bey et les siens, que je ferai passer avec les nôtres à La Calle.

         " A quoi, je répondis, qu'il ne convenait point d'attendre l'extrémité pour prendre cette précaution, attendu que l'on courrait risque de ne pas y être à temps ; que mon avis était d'écrire au Gouverneur de La Calle de m'envoyer un moment plus tôt, sa frégate afin d'y embarquer nos fonds, ceux en quantité que nous avons du bey ainsi que ceux qu'il voudrait me remettre.
        " Le caïd s'étant opposé à cet avis, les choses en restèrent là.

         " Plusieurs jours après, M. Rainel, prévoyant qu'il ne pourrait m'expédier de quelque temps la frégate pour nous porter nos besoins, jugea à propos de nous l'envoyer avec du bois et du vin.

         " La frégate étant ici, voyant les continuelles vexations du caïd et que les enfants de trois à six ans demandaient à nos messieurs qu'ils rencontraient dans leur promenade de leur donner de l'argent, qu'autrement on les tuerait à la première occasion, jugeant que ces propos ne partaient pas de leur tête, mais de ce qu'ils entendaient dire à leurs père, mère, et autres, j'envoyai notre drogman chez le caïd pour lui dire que puisque la frégate se trouvait ici et que je ne pourrais l'avoir de longtemps, je pensais qu'il conviendrait d'en profiter pour faire passer à La Calle les fonds de la Compagnie et du bey et que s'il voulait en profiter pour ceux qu'il avait, ainsi qu'il me l'avait dit l'autre fois, il en était le maître.

         " Cet officier m'envoya dire qu'il n'y avait rien à craindre, qu'il avait donné des ordres à diverses nations maures qui nous environnent, de se tenir prêtes à se rendre à notre plaine, auprès de la ville, à la première demande qu'il en ferait. Qu'ainsi je n'eus rien à craindre.

         " Pour n'avoir rien à me reprocher, en, cas d'événements, je renvoyai notre drogman chez le caïd pour lui dire que la précaution que je voulais prendre n'ayant pas été approuvée par lui, je m'en déchargeais sur lui-même en cas d'événements fâcheux ; que ce que je faisais était pour le prévenir et me tranquilliser sur ce qui intéressait beaucoup la Compagnie et le bey.

         " Sur ce, il répliqua que je pouvais être en toute sûreté, laisser jour et nuit les portes de notre maison entièrement ouvertes et me reposer entièrement sur lui.?

         " Je m'en tins à son dire et ne pensais plus à cette affaire, d'ailleurs la frégate était partie. Le lendemain, notre drogman venant à son ordinaire chez nous, je lui vis un air courroucé, je lui en demandai la raison et me dit : " Ne voulez-vous pas que je sois fâché, je viens de visiter le caïd qui, d'abord, m'a reçu poliment, mais un instant après, en présence des chiaoux de la garnison, il m'a dit : Le capitaine de la Compagnie veut fuir ; si cela arrive, je te ferai pendre à la porte de sa maison.

         " Le drogman, surpris de ce propos, lui demanda qu'est-ce qui lui avait dit que je voulais fuir ; que c'était lui qui l'inventait : que d'autre part, il était Turc comme lui et officier et qu'ainsi il n'avait aucun pouvoir sur lui et il le quitta aussitôt.

         " Ce caïd a ensuite fait courir le bruit dans la ville que je voulais fuir et le disait à qui voulait l'entendre. Il est détesté de toute la ville qu'il tyrannise ; comme il est beaucoup emporté, on le craint et le bruit court que prévoyant que le bey le tirera de sa place, il joue de son reste et tire parti de tout ce qu'il peut ; ce qui fait dire à plusieurs qu'il veut mourir pour dire que par ses vexations, le bey ou quelque particulier résolu le tueront ainsi que peu s'en est fallu par deux fois que cela ne lui arrivât. Je ne vous ai fait ce long détail que pour vous faire connaître à quoi nous sommes sujets dans ce pays par le peu de protection que nous avons ".
        BOURGUIGNON,
        Agent de la Compagnie à Bonne.

(11) Les caïds avaient, comme insigne distinctif, une gandoura de damas rouge ornée de galons d'or, donnée par le Bey. (Peyssonnel - lettre 12).

         L'incursion des Espagnols, sur laquelle, il sera revenu dans la correspondance de la Compagnie, causait d'autant plus de troubles à Bône, que lors de l'expédition d'O'Reilly en 1775, les tribus de la région avaient envoyé au dey, " de Bône ", mais moitié à pied, moitié à cheval, 40.000 hommes ". On craignait des représailles.

------------------------------------

         Bonne, 9 mars 1784.

         " Je ne sais si je ne vous ai jamais entretenu sur le compte de Mohamed Benadoux, écrivain de confiance du caïd Agy Hassein et Mercanti aujourd'hui. Ce Benadoux, qui est Collin, était autrefois marmiton à la maison de la Compagnie de Collo. Il est aujourd'hui le sultan de Bonne, c'est lui qui est le caïd et qui mène tout le monde, chrétiens et maure, tambour battant. Il les pressure, on ne peut davantage. Ce pillage avec les étrangers et les gens de la ville m'importe fort peu, mais je suis irrité contre les manières insolentes de Benadoux qui veut nous mener la volonté et qui nous rend la vie dure".

------------------------------------

         Bonne, 2 août 1784.

         " Le corail devient toujours plus rare, surtout le beau, et, par surcroît de malheur, depuis quelques années, les Trapanais, Liparotes et autres pêcheurs de corail du royaume de Naples viennent en nombre avec leurs bateaux.
        " Partout où pénètrent ces bateaux, ils balayent le fond de la mer au point qu'ils n'y laissent point un brin de corail ; tout est enlevé par eux ; aussi la plupart de nos pêcheurs se sont retirés en France par la tartane du capitaine Mouton partie hier matin ".
        BOURGUIGNON.

         Le corail de Bône était beaucoup moins estimé que celui de La Calle, parce qu'en dehors de ce qu'il était noir, blanc ou rose au lieu d'être rouge, il reposait sur un fond de vase.
        Les branches, qui se cassaient, pourrissaient sur ce fond et lorsqu'elles étaient ramenées par les filets, elles avaient perdu considérablement de leur valeur.
        Aussi, les corailleurs disparurent-ils de Bône à La Calle, leur nombre diminuait ; de 40 équipages qu'ils formaient en 1735, il n'y en avait plus que 30, l'année suivante.

         Les bateaux corailleurs étaient montés : les provençaux par sept hommes, un patron, un pilote et cinq matelots ; les corses par huit hommes. Les provençaux pêchaient à la voile, les corses et les siciliens à la rame. Le patron se tenait au timon et maniait l'engin.
        Cet appareil se composait d'une croix faite de deux barres longues d'un mètre et grosses comme le bras d'un homme. Il était suspendu à un câble de 60 brasses (97 mètres 20) et une pierre de 25 kilogs environ était fixée au centre de l'appareil pour le faire descendre au fond de la mer.
        A l'extrémité de chaque bras, étaient attachés deux filets avec mailles de 20 centimètres en cordeaux de 5 millimètres. Ces huit filets étaient traînés au fond de l'eau ; le corail s'y accrochait, la barque faisait deux ou trois tours sur elle-même et on relevait l'engin. Les branches de madrépore qui s'échappaient des filets des bras, étaient recueillis par quatre autres filets fixés, au centre de l'appareil, par deux cordes d'une brasse (1m 92).
        Le produit de la pèche était divisé eu douze parts et demie : quatre au patron, deux au pilote, une à chaque matelot et une et demie à l'armateur. Le corail se vendait quatre fois par an, à Pâques, à la Madeleine (21 juillet), à la saint Michel (19 septembre) et à Noël.
        La Compagnie achetait le beau corail rouge à 14 livres, le menu rose, noir ou blanc à 4 livres. Elle l'expédiait en Egypte, à Tunis et en Guinée et le revendait de 48 à 96 livres. Quelques belles pièces atteignaient jusqu'à cent louis (12).

         Mais, malgré cette diminution du corail, le commerce prospérait ;

         le 12 janvier 1785, Bourguignon écrivait :

         " J'ai expédié jusqu'à présent 5.800 caffis de blé, ce qui fait 200 caffis en plus de vos accords avec Agy Messaoud ".

         Le caffi valait 620 litres, ce qui représente 124.000 litres de blé en excédent.
        Sur ces entrefaites, la peste avait fait son apparition à La Calle et à Bône, dès 1783 et elle devait régner en maîtresse dans ces deux villes jusqu'en 1829.
        Cette épidémie était entretenue à La Calle par les Nadis (Nehed) qui, ennemis des Français et tenus en respect par les 300 hommes et les canons de la garnison, manifestaient leur haine des chrétiens en jetant par-dessus les remparts les linges qui avaient servi aux pestiférés (12).

(12) Desfontaines, Ch. VII.

------------------------------------

         Barre, agent de la Compagnie à Bône, écrivait, le 14 mars 1786 :

         " La peste, à laquelle on ne songeait plus, vient de se renouveler chez les Nadis et de se manifester dans notre ville. Il mourut ici, depuis le 10 du courant, de cinq à six personnes par jour atteintes de cette cruelle maladie.
        " Nous prenons des précautions pour nous en garantir et j'ai fait poser, aujourd'hui, à cet effet, une barrière au-devant de la porte de la maison, pour empêcher que les Maures n'y communiquent.
        " Nous sommes dans une mauvaise passe et nous faisons tous des vœux pour que la mortalité n'augmente pas et la cessation de ce fléau. J'instruis le bey de ce qui se passe à ce sujet ".

------------------------------------

         Bonne, le 21 mars 1786.

         " La peste fait des progrès en ville il meurt journellement de 14 à 18 personnes ".

------------------------------------

         Bonne, le 1er avril 1786.

         " Guibert, notre caissier partira pour Constantine avec notre caïd merkanti dans peu de jours. Je le chargerai de parler au bey pour la réparation des magasins que nous tenons de lui en rente ; lui payer 300 piastres de Constantine l'année et ne pouvoir y rien mettre dedans à cause que la pluie perce les terrasses, c'est fort désagréable. Il y a deux ans et demi qu'il me manque de parole. Son caïd merkanti ne fait qu'y passer un peu de chaux qui ne tient qu'à la première pluie ; passé quoi, ils sont aussi mal arrangés qu'auparavant ".
        BOURGUIGNON.

------------------------------------

         Bonne, le 21 avril 1786.

         " La famine, qu'il y a à Tripoli de Barbarie, oblige le pacha bey d'expédier des bâtiments à Bonne pour chercher du blé.

         " Je vous ai fait part du changement de notre drogman Mahmoud que le bey a remplacé par Osman Martégal, Français ruiné, qui, dans le temps, a mis le désordre dans la maison de Bonne. Voyez de nous débarrasser de ce nouveau drogman et faites-nous rendre Mahmoud ".

------------------------------------

         Bonne, le 29 mai 1786.

         A Monsieur Ferrier, chancelier à Alger,

         " Je vous remercie de l'avis que vous me donnez du bruit qui court du dessein des Espagnols sur Bonne. La nouvelle en était publique dans cette ville et l'on se prépare en conséquence pour la défense.
        " Une petite tartane de Saint-Tropez, allant de Tripoli de Barbarie, ayant fait erreur dans sa route, a donné dans notre golfe et mouillé, avant-hier soir, à notre rade. Le lieutenant du Postillon y fut à bord, lui dit où elle était et la tartane repartit la nuit même pour Tripoli.
        " Les gens de Bonne disent que c'est un bâtiment espagnol qui est venu pour épier ce qui se passait. Comme nous sommes chrétiens comme lui, ils disent que nous leur faisons la main. C'est là, comme vous savez, la façon de penser des gens de ce pays qui ne distinguent pas les nations et jugent qu'elles pensent toutes de même et ne forment qu'un corps ",
        BOURGUIGNON.

------------------------------------

         Bonne, le 16 juin 1786.

         " J'ai avis de la Compagnie, par sa lettre du 31 mai, qu'elle a reçu la nouvelle de Mahon que le général Barcello avec une escadre composée de 4 frégates, 4 chebeks, 3 brigantins, 6 chaloupes canonnières et 5 à 600 hommes de troupe de débarquement, doit venir ruiner Bonne, La Calle et Bougie. Je viens de donner cette nouvelle au caïd qui va expédier deux cavaliers au bey. J'en profite pour demander à cette puissance, d'envoyer à La Calle, nos effets et de charger le reste sur quatre bâtiment ".
        BOURGUIGNON.

         La peste recommence à Bône et dans les environs ; 40 à 50 personnes meurent par jour. " Ce cruel fléau a détruit plus de la moitié des habitants : la ville est déserte, la mortalité est toujours plus effrayante, elle roule depuis assez longtemps sur 60 à 80 personnes par jour. La peste a enlevé hier 103 personnes ".
        L'épidémie disparaît vers le commencement d'août.

------------------------------------

         Bonne, le 17 octobre 1786.

         " Le caïd Moulay Hassein vient d'être destitué. .... Benadoux, dont M. Bourguignon vous a souvent parlé, a été mis aux fers.... Il y a eu, ce matin, rébellion. Divers Turcs avaient forcé la prison du caïd et l'avaient fait réfugier chez Sidi Cheik, d'où on l'a retiré de force ".

         La guerre faillit éclater en avril 1791, entre la France et la Régence ; une corvette arriva à Alger, battant pavillon tricolore ; les Algérois trouvèrent très mauvais que le rouge, couleur nationale des musulmans, fût placé au dernier rang.
        En 1792, Guibert, qui avait eu beaucoup à souffrir des accusations du bey Salah, le vit tomber avec joie ; mais l'ex-bey leva l'étendard de la révolte contre le dey d'Alger, après avoir massacré son successeur désigné. Les agents de Bône reçurent les ordres les plus sévères pour l'empêcher de s'évader.
        La République Française fut proclamée, à Alger, a la fin de 1792 et la nouvelle de ses victoires modifia l'esprit des Barbaresques.
        De nombreux convois de grains partirent pour la France, mais ces expéditions furent interrompues par les troubles de La Calle et la réapparition de la peste à Constantine.
        " Je suis toujours, écrivait Guibert, de Bône. le 30 octobre 1793, dans les ornières jusqu'au cou et avec peu d'espoir de m'en tirer bientôt, puisque je ne reçois point d'argent. Je prends patience et me résigne. Je viens de revendre une très grande partie du blé que j'avais depuis le mois de mars ".
        GUIBERT.

         La disette continuant dans le Midi de la France, le gouvernement fit faire des achats de grains en Afrique et envoya des instructions à Guibert.

         " Pleine de confiance dans le zèle, dans le patriotisme, dans les lumières et dans les connaissances locales du citoyen Guibert, la République attend, de lui, le plus grand succès possible dans les vues ci-après, pour l'exécution desquelles il ne négligera aucun moyen praticable.

         " Le comité d'approvisionnements maritimes en blé, établi à Marseille, a ordonné à Alger l'achat de tous les blés qu'on pourra s'y procurer pour être expédiés dans les ports de la République sur la Méditerranée….. Guibert est chargé d'arrêter tous les blés qu'il pourra pour le compte de la Compagnie d'Afrique et à ses périls et fortunes, s'il le juge convenable.

         " Si les Juifs ou les neutres ont, à Bône, des blés, Guibert tâchera, par tous les moyens de prudence, de les acheter, livrables dans un des ports de la République.... Il sera stipulé un prix seul et unique pour la charge du blé rendue en France….. Le blé doit être livré sain. Il sera payé au choix du vendeur, soit au lieu de débarquement, soit à Bône, soit à Alger, soit à Livourne, en telle monnaie qu'il sera convenu, après la livraison au lieu de débarquement.

         " Le citoyen Guibert est prié de garder, sur ses opérations et les nôtres, le secret en tout ce qui sera possible.... Deus prolegeat . !

         Alger, 7 pluviôse l'an 2 de la République française une et indivisible.
         VALLIERE et BRESSAN.

         Mais Guibert eut à surmonter les difficultés crées par les accaparements du bey et des Juifs et les intrigues anglaises ; malgré tout, il put, en avril 1794, expédier 1720 caffis de blé (786.400 litres).

         Nonobstant les services rendus et ceux qui pouvaient être encore rendus par la Compagnie d'Afrique, celle-ci fut abolie, peu après, par le Comité de Salut Public.

A SUIVRE       

LA FOURMI HEUREUSE
Envoyé par M. Marcel Treels

Toute ressemblance avec une histoire vraie ne serait que pur hasard !!!!!

Il était une fois ...

Il était une fois, une Fourmi heureuse et productive qui tous les jours arrivait de bonne heure à son travail. Elle passait toute sa journée à travailler dans la joie et la bonne humeur, poussant même la chansonnette.
Elle était heureuse de travailler et son rendement était excellent mais, malheur !, elle n'était pas pilotée par un manager...
Le Frelon, PDG de l'entreprise, considérant qu'il n'était pas possible que la situation puisse perdurer, créa un poste de manager pour lequel il recruta une Coccinelle avec beaucoup d'expérience.
La première préoccupation de la Coccinelle fut d'organiser les horaires d'entrée et de sortie de la fourmi. Elle créa également un système de compte-rendu et de fiches navettes.
Très vite, il fallut engager une secrétaire pour l'aider à préparer les dossiers et le reporting, si bien qu'elle recruta une Araignée qui mit sur pied un système de classement et qui fut chargée de répondre au téléphone.
Pendant ce temps là, la fourmi heureuse et productive continuait de travailler, travailler, travailler. Le Frelon, PDG de l'entreprise, était ravi de recevoir les rapports de la Coccinelle, si bien qu'il lui demanda des études comparatives avec graphiques, indicateurs et analyse de tendance. Il fallut donc embaucher un Cafard pour assister le manager et il fallut acheter un nouvel ordinateur avec une imprimante
Assez vite, la Fourmi heureuse et productive commença à baisser de rythme et à se plaindre de toute la paperasserie qui lui est dorénavant imposée.
Le Frelon, PDG de l'entreprise, considéra qu'il était temps de prendre des mesures. Il créa donc le poste de chef de service pour superviser la Fourmi heureuse et productive.
Le poste fut pourvu par une Cigale qui changea tout le mobilier de son bureau et qui demanda un nouveau fauteuil ergonomique ainsi qu'un nouvel ordinateur avec écran plat. Seulement, avec plusieurs ordinateurs, il fallut aussi installer un serveur réseau. Le nouveau chef de service ressentit rapidement le besoin de recruter un adjoint (qui était son assistant dans son ancienne entreprise) afin de préparer un plan stratégique de pilotage ainsi que le budget de son nouveau service.
Pendant ce temps-là, la Fourmi était de moins en moins heureuse et de moins en moins productive.
"Il va nous falloir bientôt commander une étude sur le climat social", dit la Cigale.
Mais, un jour, le Frelon, PDG de l'entreprise, en examinant les chiffres, se rendit compte que le service dans lequel la Fourmi heureuse et productive travaille n'était plus aussi rentable qu'avant. Il eut donc recours aux services d'un prestigieux consultant, M. Hibou, afin qu'il fasse un diagnostic et qu'il apporte des solutions. Le Hibou fit une mission de trois mois dans l'entreprise à l'issue de laquelle il rendit son rapport :
"il y a trop de personnel dans ce service".
Le Frelon, PDG de l'entreprise, suivit ses recommandations et .. licencia la Fourmi !

Moralité :

Ne t'avise jamais d'être une Fourmi heureuse et productive. Il vaut mieux être incompétent et ne servir à rien. Les incompétents n'ont pas besoin de superviseur, à quoi cela servirait puisque tout le monde le sait ! Si malgré tout, tu es productif, ne montre pas que tu es heureux au travail, on ne te le pardonnerait pas. Si tu t'obstines à être une Fourmi heureuse et productive, monte ta propre entreprise : au moins tu n'auras pas à faire vivre les Frelon, Coccinelle, Araignée, Cigale, Hibou et autre Cafard.
Lamentablement, tout ceci est basé sur des études scientifiques universitaires qui démontrent que la majorité des être humains tendent à devenir des parasites ...


COLONISATION de L'ALGERIE
  1843                           Par ENFANTIN                      N° 3 
INTRODUCTION - (SUITE)

        XI. - Quelques personnes ont songé à faire de l'Algérie le Botany-Bay de la France : ce serait imiter Rome, versant en Afrique, comme dans un égout, les vices et les misères de sa populace; ce serait aussi copier maladroitement l'Angleterre, parce que, Dieu merci ! La population indigène de l'Algérie - mérite plus d'égards et de respects que les quelques Sauvages crétins de, la Nouvelle-Hollande ; ce serait plus monstrueux que de ressusciter les boucaniers, les flibustiers, les pillards de l'Amérique, les massacreurs des îles Océaniennes et de l'Inde.
        Tout cela n'est plus digne du XIXème siècle et de la France.

        Beaucoup d'autres ont prétendu, en s'appuyant, il est vrai, sur de nombreux exemples d'insuccès, que la France était incapable de coloniser, tandis que les Anglais, les Hollandais et les Espagnols, et avant eux les Romains et les Phéniciens, étaient essentiellement des peuples colonisateurs. Mais si le mot de colonisation n'implique plus aujourd'hui l'idée de la destruction ou de l'asservissement des peuples conquis, que prouvent ces exemples du passé contre la France, puisqu'alors la dépopulation et l'esclavage étaient les deux moyens universels de colonisation ? Rendons grâces à Dieu d'avoir toujours été les moins habiles dans ces entreprises barbares; notre incapacité dans le passé est un signe de notre capacité actuelle et pour l'avenir; car il ne s'agit plus de dépouiller ou d'exterminer dés peuples, ni de leur donner des chaînes, mais de les élever au sentiment de civilisation, d'association, dont nous fûmes toujours les représentants les plus généreux, et je dirai aussi les plus persévérants. Jamais, dans cette voie, les plus grands mécomptes, les plus terribles revers ne nous ont fait reculer.

        Le mot de colonisation ne représente donc pas pour moi l'idée qu'il aurait pu rappeler à un Romain, ni celle que devaient en avoir les Anglais de la compagnie des Indes, ou les Anglo-Américains exterminateurs des Peaux-Rouges, ou bien les Espagnols ou les Portugais, lorsqu'ils ravageaient, à la suite de Colomb et de Vasco de Gama, les Indes Occidentales et Orientales. Je ne crains pas de le, dire, un Vandale, un Germain, un Arabe, auraient mieux compris ce que j'entends par ce mot, parce qu'ils entraînaient avec eux la FAMILLE.

        On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu; quelquefois elle s'est heureusement bornée à un partage (avantageux, il est vrai, au vainqueur) d'un sol et d'un climat désirés; Chez nous elle peut, et j'ose dire qu'elle, doit avoir pour but une association avec le vaincu, qui lui soit, en définitive, aussi avantageuse qu'au vainqueur.
        N'oublions pas que, dans notre siècle, la légitimité de notre conquête ou du moins de notre occupation d'Algérie, ne peut être soutenue que si nous y sommes les agents puissants de la civilisation africaine.(1)

        Je reprends maintenant les propositions que j'avais énoncées : je prie le lecteur de vouloir bien admettre, pour quelques instants au moins,
        1° Qu'il serait désirable de ne pas remettre en question, annuellement, en France, la conservation de l'Algérie
        2° Qu'il serait non moins désirable que notre droit fût formellement reconnu par les Puissances européennes, et d'abord par la Porte.
        3° Enfin, que pour combattre avec succès les Français qui voudraient que nous abandonnassions l'Algérie, et pour légitimer aux yeux, de l'Europe notre occupation et forcer les Puissances à reconnaître positivement cette légitimité, il faut rendre notre conquête moins coûteuse et même productive pour nous, et la rendre avantageuse à la civilisation et au bien-être de la population indigène ; et que, pour atteindre ce double but, nous devons nous hâter de coloniser un pays où nous n'avons encore fait que la guerre.

        Et j'ajoute surtout que, pour détruire l'obstacle qui, jusqu'ici, a paru le plus difficile à vaincre, pour détruire la résistance que nous éprouvons de la part des Arabes, il faut, tout en nous montrant à eux forts et redoutables par la guerre, nous montrer aussi forts et bienfaisants par la culture, par le travail. L'Arabe adore la force, dit-on souvent, et cela est vrai; mais il adore la force qui produit autant que celle qui détruit, il sait y voir la main de Dieu; il est intéressé autant que bravé.

        Après avoir indiqué sommairement la valeur que je donne au mot colonisation, j'ai longuement établi la différence qui existe entre une pareille oeuvre, entreprise de nos jours, et ce qu'on appelle la colonisation romaine, et j'ai montré que ce n'était pas seulement avec des entreprises qui remontent à vingt siècles, mais avec toutes les autres, que notre entreprise actuelle doit présenter des différences : la nôtre est complètement NEUVE ; elle n'a point, dans le passé même le plus rapproché, d'exemple à imiter, de modèle à copier; un seul fait suffit pour le prouver : nous n'aurons pas d'esclaves.

        Et c'est ce qui rend notre tâche bien difficile, mais aussi bien belle et bien grande, puisqu'elle est le premier signe d'un droit nouveau entre les nations, quelle que, soit leur croyance religieuse.
        Aujourd'hui on peut poser en principe, sans rencontrer de contradicteurs, que toute société qui doit se former du contact ou de la fusion de deux races, de deux peuples dont la civilisation est différente, de deux peuples dont l'un est vainqueur, l'autre vaincu, exige, à son origine surtout, une législation spéciale; le peuple vaincu ne pourrait recevoir immédiatement les formes sociales de la nation victorieuse, et le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout à fait neuves, les usages et les lois de la métropole.

        XII. - Notre politique n'est plus absolue, elle transige et concilie; elle fait une part équitable des besoins du vaincu aussi bien que des exigences du vainqueur; elle doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis.

        Ainsi, notre gouvernement de l'Algérie doit avoir sans cesse devant les yeux deux problèmes à résoudre, qui peuvent être énoncés de cette, manière:
        1° Dans quel sens faut-il modifier les institutions, les mœurs et les usages des INDIGENES, pour les faire entrer progressivement en société avec la population européenne ?
        2° Comment modifier les institutions civiles, militaires, administratives, religieuses, de la population EUROPEENNE, comment modifier même ses usages de culture, d'habitation, de vêtement, de nourriture, en un mot son hygiène, pour les approprier le plus vite possible au nouveau sol, au nouveau climat, aux nouvelles relations humaines que la France rencontre en Algérie ?

        Dans ces termes généraux, la double proposition que je viens d'émettre ne saurait être contestée; tout le monde sent bien qu'il y a quelque chose à faire dans ces deux directions, et que le gouvernement d'Algérie ne peut être le même que celui de la France, et ne saurait être non plus celui que des tribus arabes se donneraient, si nous n'étions pas les maîtres du pays. Personne ne pense même qu'il suffise de gouverner les colons d'Algérie comme s'ils étaient en France, et qu'il soit possible de gouverner les indigènes comme si nous étions nous-mêmes Africains et musulmans.

        XIII. - Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une question spéciale de gouvernement, les opinions sont loin d'être unanimes; et, par exemple, tous les militaires s'accordent sur ces points : que la guerre ne saurait être faite en Algérie comme en Europe; que le soldat doit y être autrement nourri, équipé, habillé, logé; que, la discipline ne peut être absolument la même qu'en France; que le service y doit être modifié; que les transports militaires doivent être appropriés au pays ; que les proportions habituelles entre les diverses armes doivent être changées; enfin, que le moral même du soldat et de, l'officier, dans un pays. et dans une guerre où le courage individuel est tout puissant et où les masses agissent peu, doit être autre que celui qui animait les soldats de la grande armée. 0n est d'accord sur tout ceci, dis-je, mais on varie énormément sur la conclusion pratique de toutes ces judicieuses observations ; si bien que, jusqu'ici, on a peu modifié notre armée sous tous ces rapports, et, lorsqu'on l'a fait, on l'a fait toujours sans système, et, pour ainsi dire, au hasard.

        je cite cet exemple parce que, je le répète, tout le monde, ici est d 'accord, au moins sur le but, et que les plus grands admirateurs de notre organisation militaire sont eux-mêmes obligés de convenir que notre armée française a déjà subi quelques heureuses modifications, pour devenir notre armée algérienne, et qu'elle doit en subir encore de profondes.

        XIV. - En serait-il de même si j'avais pris pour exemple, au lieu de l'institution militaire, notre institution administrative, ou judiciaire, ou religieuse ?
        Sous ces trois rapports, il faut l'avouer, les adversaires d'un gouvernement civil pour l'Algérie n'ont pas manqué d'exemples pour appuyer leur opinion sur la prééminence et l'excellence du gouvernement militaire. En effet jusqu'ici (et la chose semblerait merveilleuse, si elle n'avait pas d'ailleurs une explication très simple et très naturelle, que les partisans exagérés du gouvernement militaire se gardent d'apercevoir), jusqu'ici les actes administratifs, judiciaires, religieux, en un mot les actes civils en Algérie, n'ont pas porté le cachet de cette indispensable modification des institutions indigènes ou françaises. Généralement on a transporté, ou du moins essayé de transporter en Algérie l'institution française telle qu'elle est en France, et de, toutes pièces, et on a conservé intacte l'organisation civile, des indigènes; ou mieux encore, on n'a absolument rien fait pour constituer l'appareil administratif, judiciaire, religieux des indigènes, qui sont en ce moment, sous ce triple rapport, dans une complète anarchie.

        Mais n'est-ce pas précisément parce que l'administration, la justice et la religion, c'est-à-dire les institutions civiles, n'ont joué et pu jouer jusqu'ici qu'un rôle très secondaire en Algérie, que l'ordre civil n'a rien pu voir de haut, rien pu entreprendre de grand, rien pu réaliser de bon ? N'est-il pas vrai, en d'autres termes, que, de nos jours, en France, les militaires ne remplissent jamais de fonctions civiles importantes, et qu'ainsi ils doivent ignorer ce qu'il faudrait faire sous ce rapport, et n'aiment point ou ne peuvent pas s'en occuper? Leurs sentiments, leurs habitudes, les placent dans une sphère où pénètrent difficilement les sentiments et les habitudes des hommes qui ne travaillent pas, ne vivent pas et ne meurent pas pour la gloire, et surtout de ceux qui sont, par nécessité et même par devoir de famille, particulièrement occupés à gagner de l'argent. Les personnes qui blâment si amèrement ce qui a été fait jusqu'à présent, dans l'ordre civil, en Algérie, et qui s'en font une arme pour repousser l'idée d'un gouvernement civil, devraient d'ailleurs, en toute justice, faire remonter le blâme à qui de droit, à l'autorité; or, depuis douze ans, l'autorité, en Algérie, n'est-elle pas militaire?

        XV. - Qu'on justifie la nécessité du gouvernement militaire en Algérie, tant que nous n'avons dû y faire ou n'y avons fait que la guerre, à la bonne heure ! Mais dès que notre domination, préparée par les moyens destructifs de la guerre, pourra être confirmée, garantie, assurée; par les travaux productifs de la colonisation; dès qu'il s'agira sérieusement de faire de l'industrie agricole ou commerciale; d'établir des villages de colons, des ports de marchands; de fonder des familles ; d'élever et d'instruire une population coloniale ou indigène soumise à la France ; de régler les relations civiles, commerciales , morales, religieuses, de ces deux populations si différentes; d'étudier même, pour les diriger ensuite, les moeurs et les coutumes civiles de ces Africains, que les militaires n'ont abordés que pour les détruire, les refouler au désert ou les forcer de demander gràce; enfin dès que la guerre (et M. le général Duvivier lui-même ne donne pas ce nom aux combats d'Afrique) fendra à se transformer en une vigoureuse police (comme cela aurait lieu, dit encore M. le général Duvivier, si l'on adoptait sa solution de la question de l'Algérie), il est évident qu'il faudra avoir l'habitude de gouverner et de discipliner l'ordre civil, habitude que les militaires ne peuvent avoir.

        Je le répète, tout ceci a été impossible jusqu'à présent, et a dû, par conséquent, n'être pas entrepris ou être mal fait. Aujourd'hui même, les nécessités de la guerre jouent un rôle si capital dans nos affaires d'Algérie, et, d'un autre côté, le gouverneur général actuel est heureusement, quoique militaire plus, qu'habile, agriculteur si habile et si passionné, que nous sommes dans la meilleure position possible pour constituer le gouvernement de l'Algérie en vue de là domination des indigènes par la France, et en même temps pour préparer et commencer la colonisation européenne et l'organisation civile et agricole des indigènes.

        J'ai cherché, pendant mon séjour en Algérie et j'y étais préparé par trois années d'habitation en Égypte, à étudier et résoudre les principales questions qui sont renfermées dans ces trois grandes divisions de l'ordre civil: administration, justice, religion, en les considérant toujours du double point de vue de l'intérêt des populations indigènes et de, celui de la population européenne; ou plutôt encore, j'ai recherché le but commun vers lequel devraient tendre les institutions civiles que notre gouvernement colonial donnerait à ces deux populations si peu unies aujourd'hui, mais que le temps et les efforts de l'homme doivent progressivement rapprocher et même associer.

        XVI. - C'est dans l'ouvrage de M. le général Duvivier (Solution de la question de l'Algérie), ouvrage rempli d'ailleurs de vues élevées et de renseignements bien précieux, que cette horreur du gouvernement civil est le plus vigoureusement exprimée; et pourtant le général Duvivier veut " que le gouverneur général ne fasse jamais la guerre par lui-même, et qu'il ne sorte, pour ainsi dire, jamais de son cabinet (p. 24) " M. le générai Duvivier affirme, en outre et son autorité, en pareille matière, est d'un bien grand poids : qu'une colonne de deux mille baïonnettes et cent cavaliers, libre de tous ses mouvements et de toutes ses directions selon les circonstances, ne doit jamais être battue (p. 181); que la guerre d'Afrique ne mérite pas le nom de guerre (p. 174) ; que les fortes colonnes sont inutiles et dangereuses ; enfin, que si nos affaires étaient sagement conduites, il se présenterait infiniment peu d'actions de guerre (p. 174).
        Si tout cela est vrai, et je n'en doute pas pour le présent et bien moins encore pour l'avenir, je ne vois bientôt place, dans tout ceci, que pour des colonels ; c'est ce que dit M. le général Duvivier lui-même (p. 84), et il ajoute (p. 236) que son projet tend à diminuer excessivement les occasions de batailler en Afrique, et que la pratique des combats d'Afrique produit un résultat avantageux, tout au plus jusqu'au grade de colonel.

        Si tout cela est vrai, dis-je, je ne vois plus, dans le gouvernement de l'Algérie, aucun attrait et aucune occupation pour un homme qui aurait les facultés d'un habile général. La solution de M. le général Duvivier reviendrait donc à dire qu'il faut un gouverneur militaire; que ce militaire doit être peu militaire, mais bon administrateur et grand politique de cabinet. Or, ne serait-il pas plus naturel de chercher un homme un peu militaire et très bon administrateur et politique, parmi les habiles. administrateurs et les hommes politiques, que parmi les habiles militaires ? - Mais la discussion me paraît impossible avec une opinion résumée ainsi (p. 214). " Les chefs de l'armée sont sortis des rangs; - les chefs civils sont sortis des bancs de quelques écoles de pariage, des cabinets des avocats, des comptoirs des financiers; d'où pourraient dater entre ces têtes des ordres civils et militaires, des idées communes et une bienveillance réciproque? " M. le général Duvivier se trompe; généralement les Français ont plus que de la bienveillance pour l'armée.

(1) " C'est à un conquérant à réparer une partie des maux qu'il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s'acquitter envers la nature humaine, " Esprit des lois, liv. 1, eh. IV.

A SUIVRE

ASPECTS ET REALITES
DE L'ALGERIE AGRICOLE
Envoyé par M. Philippe Maréchal                    N° 9


Par cette Brochure qui sera diffusée par épisode au cours des Numéros suivants, nous allons faire découvrir des aspects et des réalités qui ont été déformées par les fossoyeurs de l'Algérie Française et dont les conséquences se poursuivent et dureront encore plusieurs décénies.
             

Les Techniciens
De l'Agriculture Algérienne
Vous présentent
ASPECTS ET REALITES
DE
L'ALGERIE AGRICOLE

" Quand je débarquai à Alger pour la première fois, il y a une vingtaine d'années, j'éprouvai une impression à laquelle, j'imagine, un Français n'échappait guère. J'arrivais dans un des rares coins du monde où nous pouvions nous présenter avec orgueil. "

Jérôme et Jean Tharaud.       

Exposés Généraux
Le Crédit Agricole Mutuel en Algérie
Sa mission au service des Agriculteurs
Européens et Musulmans

PAR
André de CAMBIAIRE
Docteur ès Sciences Economiques
Maître de Conférences d'Economie Rurale
à l'Ecole Nationale d'Agriculture d'Alger

     Tous les pays de grandes propriétés foncières ont connu des réformes agraires et la réforme Algérienne perd, de ce fait, le caractère exceptionnel que d'aucuns ont voulu lui attribuer, tant pour la critiquer que pour lui attribuer des mérites que ses auteurs n'ont pas expressément revendiqués pour elle.
     Que l'on opère par rachats ou par expropriations, toutes les réformes agraires, au moins dans une première phase, tentent de morceler les grands domaines pour attribuer la terre en pleine propriété au plus grand nombre possible de petits exploitants ou de salariés.
     Chacun connaît les mobiles sociaux, psychologiques et économiques présidant en général à toutes les distributions de terres ; mais, bien plus que de discuter les conditions de succès de la réforme à l'égard de ces considérations, le but de ce propos est d'informer, de dire ce qu'est la propriété foncière en Algérie et de présenter les grandes lignes des aménagements que l'on veut réaliser.

Comment se répartit la propriété foncière en Algérie ?

PROPRIÉTÉS APPARTENANT A DES MUSULMANS


Surfaces   
Nombre de propriétés
Superficie totale du groupe en ha
Moins de 10 ha ..
10 à 50 ha ..
50 à 100 ha ..
100 à 500 ha ..
Plus de 500 ha ..

TOTAL

391.000
118.000
17.400
5.000
600

532.000

1.850.000
3.013.000
1.226.000
1.108.000
474.000

7.672.1000


PROPRIÉTÉS APPARTENANT A DES EUROPÉENS

Surfaces   
Nombre de propriétés
Superficie totale du groupe en ha
Moins de 10 ha ..
10 à 50 ha ..
50 à 100 ha ..
100 à 500 ha ..
Plus de 500 ha ..

TOTAL

8.000
7.000
4.000
5.100
900

25.000

40.000
209.000
306.000
1.302.000
963.000

2.720.0000


     Ces données correspondent à la situation d'après guerre et il est certain que, depuis, le nombre des petites propriétés européennes a diminué de façon sensible.
     Il y a donc en Algérie quelques très grands domaines ; 33 d'entre eux dépassant une superficie de 2.000 hectares ; le plus grand est celui de la Compagnie Algérienne qui, en cinq propriétés différentes, compte 60.000 hectares. Parmi les très grandes propriétés, celles qui appartiennent aux Européens sont en général le résultat de la politique du Second Empire qui fondait la mise en valeur de l'Algérie sur des concessions faites à de grosses sociétés, à charge pour elles d'installer le plus possible d'exploitants locataires. Il faut noter que la répartition de la terre entre Européens et Musulmans est loin de ressembler à ce que l'on affirme d'elle trop souvent. De plus, pour fonder son jugement, il serait dangereux de ne considérer que les catégories de superficies, car, plus que partout ailleurs, les terres d'Algérie sont de valeurs et de productivité très différentes.

Quelles sont les tares du Régime Foncier en Algérie?

     AU POINT DE VUE JURIDIQUE :

     Dans l'ensemble, la politique française a tenu à respecter les coutumes, les traditions et les règles de droit des Musulmans ; le statut juridique des terres musulmanes est très complexe et constitue un véritable obstacle à la mise en valeur rationnelle.
     Les terres melk soulèvent moins de difficultés que les autres puisque leur condition juridique est voisine des terres francisées ; leur propriétaire dispose de la jouissance et de la nue-propriété. Pourtant les titres de propriété sont rarement établis et telle famille qui exploite est, au moment d'emprunter, incapable de prouver son droit. Lorsque cette preuve est faite, il arrive encore que l'on se heurte à une indivision surprenante entre les membres très éloignés d'une même famille.
     Les terres arch, et il y en a environ 2.000.000 ha en Algérie, sont des terres collectives dont l'exploitant n'a que la jouissance et pour lesquelles la propriété est le fait de la tribu depuis que l'Etat Français a abandonné à ces dernières la nue-propriété qu'il tenait normalement du Bey.
     Les terres habous ont fait l'objet d'une donation à la Mecque ou à une institution religieuse ou charitable. Cependant le donateur s'est désigné comme premier bénéficiaire et a désigné ensuite comme bénéficiaires, toute la suite des descendants mâles par les mâles ; les habens sont inaliénables, imprescriptibles et insaisissables.
     Tout ceci s'oppose brutalement à une mise en ordre rationnelle du terroir algérien et à l'utilisation maximum du sol cultivable.

     AU POINT DE VUE ÉCONOMIQUE :

     Dans le secteur de la petite propriété, les deux faiblesses que l'on rencontre d'ailleurs dans tous les pays sont le morcellement et le parcellement qui empêchent les opérations d'amélioration foncière ou de conservation des sols.
     Dans le secteur de la grande propriété, la faiblesse principale est la disproportion entre la superficie et la disponibilité des capitaux nécessaires pour une intensification indispensable de la culture ; le mal est vraiment caractéristique dans les régions irrigables où il convient de passer de la culture la plus extensive au système le plus intensif.

     AU POINT DE VUE SOCIAL

     Le législateur français a défini ses préférences à l'égard de la tenure des terres et toute la législation métropolitaine tend à favoriser la multiplication des propriétés familiales en faire valoir direct.
     On voit dans cette structure agraire un facteur de stabilité et de justice sociale. Nos dirigeants désirent étendre à l'Algérie les principes de cette politique agraire qui modifiera profondément le quadrillage foncier actuel, tout en assurant " la promotion économique et sociale des populations algériennes ".

Quels sont les remèdes proposés ?

     Les récents décrets de mars, avril et juillet 1956 se proposent de corriger les défauts du système actuel, sans modifier toutefois le régime juridique des terres dans le sens de la simplification et de l'efficacité.

     POUR LA LIBÉRATION DU KHAMMÈS

     Le khammessat est une institution ancienne, essentiellement répandue en milieu musulman, et qui réserve à l'exploitant un sort des plus malheureux puisqu'en ne percevant qu'un cinquième de la récolte, ce dernier est en général rivé à sa terre pour essayer en vain de rembourser les avances que lui a consenties le propriétaire.
     Dorénavant le partage des fruits se fera par moitié et le khammès sera libéré de toutes les obligations étrangères à la culture même du sol.

     POUR L'ACCESSION A LA PROPRIÉTÉ PAYSANNE

     Il est créé une "Caisse d'accession à la propriété et à l'exploitation rurales " ; son but est d'acquérir, par les moyens du droit privé et du droit public, des grands domaines pour les lotir et les distribuer à des petits exploitants.
     Elle peut acquérir tout " bien foncier à vocation agricole ", en général, et elle reçoit, en particulier, les terres des périmètres irrigables et des zones de défense des sols. Les unes proviennent des surplus expropriés, les autres sont transférées à l'occasion d'une politique de mise en oeuvre de gros investissements fonciers collectifs destinés à la conservation des sols.
     Il est prévu en effet que dans les régions irrigables les propriétés ne doivent pas dépasser 50 hectares ; 20 hectares sont cependant laissés pour chaque enfant jusqu'à la limite de cinq, et les propriétés en Société font l'objet de dispositions spéciales.

     POUR L'INTENSIFICATION DE LA CULTURE

     Il est fait une obligation, sous peine d'expropriation, de procéder à la culture irriguée partout où cela est possible.
     Il est en effet souhaitable que l'eau soit utilisée au maximum partout où l'Administration a consenti de gros efforts pour la capter, la conserver et la distribuer.
     D'ailleurs, il est prévu, par des procédés divers, de concentrer entre les mains de l'Administration la gestion de tout l'équipement hydraulique par expropriation des biens des associations syndicales.
     Pour l'ensemble du territoire, le législateur a transposé, à quelques nuances près, les dispositions relatives à l'aménagement foncier qui, dans notre droit métropolitain, s'articule en trois éléments : les échanges amiables, le remembrement et la réorganisation foncière. Il est prévu, avant de procéder au remembrement, une procédure destinée à préciser les titres juridiques et les limites des propriétés musulmanes.

     Voilà, brossées à grands traits, les données relatives à la propriété foncière en Algérie et les directions qu'entend donner le législateur à son évolution dans le cadre de la réforme agraire.
     Multiplier les petites propriétés au détriment des grands domaines, exploiter au maximum le sol algérien pour assurer l'accroissement de l'emploi et l'augmentation des niveaux de vie : tels sont les buts poursuivis.
     Beaucoup de capitaux, de nombreux techniciens, l'organisation des débouchés intérieurs et extérieurs : telles sont les conditions du succès.
     Provoquer une transformation profonde, ce qui ne veut pas dire obligatoirement brusquée, des coutumes, du genre de vie et du comportement des masses paysannes : tel est l'obstacle le plus délicat à franchir, celui où se mesurera l'efficacité de la France et la grandeur de son oeuvre de modernisation.


III - TEMOIGNAGES
A - ORANIE
Assi Bou Nif, village de colonisation
1848 - 1956

PAR
Daniel CHEVAIS
Ingénieur de l'Institut Agricole d'Algérie (1924)
Directeur des Services Agricoles
du Département d'Oran

1. Assi Bou Nif : 1848.

     Le 28 décembre 1848, le premier contingent de futurs colons arrive à Assi Bou Nif. Ils viennent des régions de France les plus variées Marne, Nièvre, Drôme, Pas-de-Calais, Doubs, Puy de dôme, etc.
Aspects et réalités de l'Algérie Agricole
Assi Bou Nif : < Maison du colon >, datant de 1850.
Peu de chaux dans le mortier. Toiture basse. Pas de plafond.
Maison de 2 pièces pour les familles. Maison de 1 pièce pour les célibataires

Aspects et réalités de l'Algérie Agricole
Assi Bou Nif : la tombe d'un des créateurs du centre.
Qui peut dire la somme de désillusions, de privations, de désespoirs, de ruines des premiers colons, qui maintenant reposent dans les modestes cimetières des petits villages de colonisation ?

     Aucune maison n'était alors construite ; seules quelques tentes indigènes étaient installées autour du point d'eau. Les indigènes vivaient de maigres troupeaux. Les familles des émigrants furent logées ensemble dans des baraques ou sous la tente, à proximité du puits, dont l'appellation indigène a été conservée comme nom du centre.
     En 1849, la construction de " maisons de colonie " se poursuit activement. L'étendue des terres concédées est de 800 hectares partagés en 80 concessions. Chaque colon reçoit au début une pioche, une binette, une fourche de fer.
     A cette même époque, une épidémie de choléra cause une grande mortalité.
     En 1850 et en 1851, de nouveaux contingents de colons viennent s'ajouter aux premiers arrivés qui ne voulaient pas abandonner. La plupart des nouveaux venus, d'origine alsacienne, se groupent dans le même quartier du village.
     En 1852, 25 maisons de quatre pièces et 9 de deux pièces, soit 59 logements, sont terminées. L'étendue des terres de concession est augmentée de 400 hectares. Le matériel du centre est le suivant : 27 bœufs, 4 chevaux, 2 mulets, 22 charrues, 6 herses, 9 jougs, 7 charrettes, 4 harnais, 89 pioches, 53 fourches, 69 bêches.

     Les terrains, assez mamelonnés, étaient couverts de chênes verts, d'oliviers sauvages, de lentisques et de palmiers nains. Cette couverture végétale cachait un sol souvent maigre recouvrant un sous-sol calcaire qu'il faudra désagréger en blocs et enlever pour pouvoir cultiver. Les premières récoltes sont dévorées par les bêtes sauvages qui peuplent la brousse environnante.
     Pour vivre, raconte un témoin (1), il fallut ramasser dans la campagne, selon la saison, asperges des champs, pissenlits, champignons, artichauts sauvages, etc. On consomma des escargots, des soupes à la tortue, des grives, des moineaux pris au piège.
     En 1855, une liste donne les noms de 19 colons qui ont, à cette époque, leur titre définitif ; 30 autres sont en instance de le recevoir. Il. Assi Bou Nif : 1955.

     En 1955, la population comprend 2.005 habitants
- 407 Européens;
- 1.598 Musulmans.
     La densité de la population dépasse 97 habitants au kilomètre carré. Ramenée à la surface labourable, la densité est de 162 habitants au kilomètre carré, chiffre élevé pour une commune rurale.

Aspects et réalités de l'Algérie Agricole
Assi Bou Nif : la Mairie et la Place principale du village.

(1) Renseignements puisés dans les documents de l'époque. en particulier " Tableaux des établissements français d'Algérie ", année 1846 et suivantes.

La surface de la commune est de 2.048 hectares qui se répartissent ainsi :

a) Terres labourables
     Céréales..................................................135 ha
     Légumes secs............................................18 ha
     Luzerne.......................................................6 ha
     Cultures maraîchères..............................139 ha
     Terres en jachère....................................149 ha
     Vignobles...............................................752 ha
     Agrumes et autres plantations fruitières...38 ha

     Total...................................................1.237 ha

b) Broussailles ; parcours ; chemins ; terrains urbains..........811 ha
     Cinquante-neuf exploitations occupent cette superficie, ce qui donne une surface moyenne de 21 hectares par propriété.
     On compte 600 ouvriers agricoles sédentaires.
     Pour progresser et faire vivre cette nombreuse population, les agriculteurs ont dû s'équiper. Encadrés d'hommes de valeur, ils ont mis sur pied une organisation technique et sociale fonctionnant à la plus grande satisfaction des populations européenne et musulmane.

     Ces quelques lignes et clichés évoquant le souvenir des fondateurs disparus et le labeur opiniâtre de la génération vivante relatent brièvement l'histoire d'un centre du Tell oranais, choisi en exemple parmi tant d'autres communes rurales analogues.
     La vie de ces petits villages illustre, d'une façon remarquable, les résultats fructueux obtenus par l'activité féconde de la communauté franco-musulmane lorsqu'elle collabore dans la paix

A SUIVRE       

QUAND L'ORAGE PASSA
par M. Robert Antoine                  N°14
DIVAGATIONS

AVANT - PROPOS

      Mes souvenirs ne seraient pas complets, si j'arrêtais mon récit au départ d'Algérie. Ma vie de reporter-photographe militaire dura jusqu'en 1969, et je vois quelque intérêt à coucher sur le papier cette période de mon existence.
      N'y voyez pas de suffisance malsaine, mais un simple témoignage pas toujours fiable, (car quand on a le nez dessus, on voit très mal la périphérie) mais honnête, sans tricherie, sans calculs.
      J'exprime ce que je crois, je ne veux convaincre personne, surtout pas les membres de ma famille et si le ton du moraliste l'emporte parfois sur le regard du témoin, n'en tenez pas compte.

      Si mes visions d'avenir ont été justes, j'aurai des regrets, si elles s'avèrent fausses, j'aurais le remords de ne pas les avoir envisagées.
      L'âge aidant, les petites misères de la vieillesse me préocuperont plus que l'Histoire, mais j'espère cependant que mes petits enfants me liront, comme on lit un vieux livre d'heures, avec un regard attendri sur le passé.
      Dans leur maturité, toutes ces vilenies des temps passés n'existeront plus, le règne du bonheur intégral sera proclamé....

      C'est un souhait, pas même un voeu.
      Mais qu'est un reporter photographe militaire ?
      C'est un homme avec un appareil photo, encadré par l'armée.
      Civil ou sous l'uniforme, derrière l'objectif de son appareil photo il essaie de faire partager des sentiments voire de témoigner, d'un événement.

      Mais rien n'est plus subjectif qu'une photo, encore faut-il faire passer l'émotion qu'on ressent. Rien n'est moins vrai qu'un instant, car il peut être démenti par le suivant... Seul l'ensemble représente la vérité.
      Le cadrage, la lumière, le moment sont les pinceaux du reporter, et il a pour toile de fond, la nature.

      Mes collègues, mes amis, dont certains laissèrent leur vie pour une photo, venaient de milieux et d'horizons différents, mais tous furent passionnés par ce métier.
      Un sentiment étrange nous habitait. Nous avions l'impression d'être dans un monde que les autres ignoraient encore. Nous vivions parfois avant que l'actualité ne soit diffusée au monde. .. une existence décalée dans le futur ...

      Côtoyant les grands reporters de la presse internationale, nous avions par rapport à eux peu de moyens et beaucoup moins de notoriété.
      Ces grandes signatures se servaient cependant copieusement de nos photos d'opérations en Algérie et précédemment en Indochine.

      J'ai eu moi-même quelques exclusivités, mais, hélas, jamais mon nom au bas de la photo. Cet anonymat me faisait parfois rager, mais j'avais choisi l'ombre du père Joseph, j'étais un militaire.

      Je vais donc essayer de vous faire partager les reportages qui ont eu quelque intérêt pour moi, tant sur le plan de la découverte, que des émotions. J'ai évité volontairement ceux de la guerre d'Algérie, j'en reparlerai ailleurs. J'ai rencontré beaucoup de monde, j'ai appris à jauger les caractères, les sentiments, les vertus et les faiblesses de chacun. Drogué dés l'âge scolaire par le beau principe républicain de " LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE ", j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que sans VERITE, la Liberté démocratique tourne à l'imposture, que l'égalité en droit, se superpose à l'Egalité de fait . La République a une belle façade, mais la restauration intérieure est urgente. Assez de litanies, pardonnez d'avoir été si long sur des généralités. Je vous emmène plonger dans les abysses, il me faut ce genre de reportage, après l'Algérie que je viens de quitter et qui me tord le coeur.

PLONGEE DANS LES ABYSSES

      Nous sommes en 1961 et le train de nuit, qui m'amène de Paris à Toulon met 12 heures pour arriver à destination. J'ai dû changer à Marseille, car la portion Marseille - Toulon n'est pas encore électrifiée. Une bonne grosse locomotive à vapeur m'amenera à destination en crachant ses dernières escarbilles.
      Je passe une partie de mon existence dans les trains, transport pratique mais qui devient à longueur d'années quelque peu lassant. Ma jeunesse compense la fatigue, bien que ce serait mentir que de prétendre être frais comme une rose, à l'arrivée. Une jeep m'attend à la sortie de la gare, direction l'Arsenal où j'embarque sur un navire spécialement conçu pour "Archimède".

      Archimède, c'est le sous marin du Professeur Tournesol. Peint en jaune vif, avec sa rampe de phares qui épousent une partie de ses formes arrondies, il est là, tel un jouet pour savants, attendant le bon vouloir de ceux-ci pour révéler aux monde les mystères des abysses.
      Aujourd'hui, les savants ne sont pas à bord.

      Nous quittons le quai et faisons cap vers le large de Toulon, pour essayer notre bel engin, avant qu'il parte vers le Japon et la fosse des KOURILES qui serait l'endroit le plus profond des océans - moins 11000 mètres dit-on .....
      Nous n'en sommes pas là, cet après midi; une petite plongée à -2000 mètres sera suffisante pour analyser certains paramètres qu'exige une telle expérience.

      Déjà sur le pont les matelots de notre marine s'affairent pour une mise à l'eau, deux hommes montent à bord....

      Je suis l'un d'eux, c'est l'équipage d'Archimède de ce jour.

      Les hommes-grenouilles barbotent autour du bâtiment attendant que la grue vienne déposer Archimède dans son élément.
      Débarrassé des chaînes qui le retiennent, le voici ballotté au gré des vagues.
      L'opération est longue, et le roulis n'est pas agréable dans la sphère très étroite où nous sommes enfermés.
      Dernières vérifications d'étanchéité par les plongeurs, et nous nous enfonçons doucement dans un bleu transparent qui deviendra de plus en plus sombre, jusqu'à devenir complétement noir.

      Au début de la plongée nous avons un contact radio - téléphone mais dès que nous passons à moins 100 mètres, plus de radio. Un fil téléphonique nous reliera quelques temps encore avec la surface, puis le silence....
      Nous nous enfonçons, inexorablement, dans un calme profond de plus en plus pesant. Le pilote, comme beaucoup de marins, n'est pas bavard, est sa tâche prenante. L'oeil rivé à ses manomètres, il contrôle tout et moi je ne sais rien. Le bathyscaphe est en fait un genre de ballon dirigeable où l'on a remplacé le gaz par de l'essence (fluide plus léger que l'eau), le lest sera de la grenaille de plomb, la nacelle est remplacée par la sphère où je me trouve.
      Tout va bien à bord, et c'est presque une joie quand une partie de la rampe des phares d'Archimède sont allumés.
      Les lentilles optiques qui servent de hublots ne permettent guère une bonne photogrphie. La faune que nous rencontrons est rare, fugitive, et il faut être spécialiste pour reconnaître tels poissons, tels crustacés, tels vers d'eau.
      Le profondimètre marque moins 1000 mètres ; nous descendons inexorablement vers le fond.

      Des ombres fugaces s'éloignent dans le noir, je vis ces instants très intensément et j'imagine mille scénarii.
      Rêverie dans un monde irréel, fantasmagorique. Je suis réveillé par mon pilote les yeux toujours rivés sur ses cadrans qui m'indiquent moins 1000.

      Le Cosmos, et les profondeurs marines sont les espaces de découverte du XXéme siècle qui ont engendré les plus folles chimères des hommes depuis que celui-ci sait réfléchir. Ces merveilles sont assujéties à une technique que l'on ne maîtrise pas sans être spécialiste. Il existe là une frustration qui m'empêche de jouir pleinement de cette expérience. Entre mon pilote et moi, un monde. A lui l'étanchéité, l'assiette, l'utilisation des batteries... moi j'ai le regard fixé vers l'extérieur, cherchant à identifier quelques monstres marins, à imaginer le refuge de la dernière sirène entourée d'un troupeau de licornes...

      Pour moi, le capitaine NEMO est là et, hélas, je ne suis que NED LAND...
      Moins 2000 mètres. Le cadran indique cette profondeur que répète le pilote. BRAVO ! Quelque peu déçu, je n'ai pas rencontré de sirènes....
      Nous arrivons au fond et la rampe d'éclairage donne une lumière irréelle. Imaginez un seul lampadaire éclairé dans la ville de Paris plongée dans le noir. Je me tortille me contorsionne pour aligner mon objectif vers les hublots pour fixer sur la pellicule une faune rare et inconnue de moi.

      Quatre photos de qualité médiocre prouveront la vie à moins 2000m.
      Hélas ce n'est pas une première, les Américains et le Professeur Picard ont déja vérifié l'existence d'êtres vivants à des profondeurs bien plus importantes ; nous nous contentons de confirmer...
      On vient de lâcher quelques grenailles de plomb et l'aiguille du profondimètre a pris le sens inverse, nous allons vers le point "O" nous remontons. Les grandes lumiéres sont éteintes pour éconnomiser les batteries, un phare veilleuse nous situe dans le "nulle part".

      Mon coéquipier devient plus loquace, il m'explique que nous ne savons pas exactement où nous allons nous retrouver en surface, car il est possible que nous ayons dérivé. Le sonar qui fait ses débuts n'est pas encore très fiable et l'attente peut être longue avant que l'on ne soit repérés.
      Le sonar eut des bontés pour nous et nous ne fûmes ballotter qu'une petite heure.

      Les plongeurs nous arrimes, la grue nous hisse, nous respirons l'air frais de la fin d'après midi, avec joie.

      Je suis content d'avoir vécu cette expérience mais je n'ai rien d'un sous-marinier.... Archimède a continué sa vie sans moi, avec quelques aléas.
      Je ne l'ai pas suivi au Japon pour le voir plonger dans la fosse des KOURILES, qui était prétendument la plus profonde du monde. On estimait sa profondeur à moins 11 000 mètres. Hélas, elle ne faisait qu'un peu plus de 9 200 mètres. ( Descente effectuée par MM. HOUOT & WILLM le 25/07/1962.)
      Auparavant, les Américains étaient descendus à plus de 10 916 mètres avec le bathyscaphe "TRIESTE" dans la fosse des Mariannes Pacifique Nord.

      Archimède avait perdu.

      Je revis en 1970 mon vieil Archimède, rouillant tranquillement sur un ber. On a toujours quelque tristesse à regarder les choses vieillir, surtout quand elles font partie de vos moments de grande émotion.
      L'émotion était d'autant plus forte que je venais à Toulon pour rendre un dernier hommage aux sous-mariniers de l'Euridice perdu au large de Toulon, là où nous avions plongé avec Archimède.

A SUIVRE
Histoire écrite en l'an 2001 par Robert ANTOINE
Photographies de l'auteur

A ma femme, à mes filles
A M. et Mme Roger Fauthoux
A ceux qui m'ont aidé à retrouver
une documentation perdue

M. ANTOINE nous fait l'honneur de la diffusion, par épisodes sur notre site, de ce livre de souvenirs. Pour ceux qui voudraient posseder ce livre, il est vendu par l'auteur au prix de 25 Euros (hors frais d'envoi).
Adresse de courriel, cliquez ICI --> : M. Robert Antoine


LETTRES A UN METROPOLITAIN
Envoyé par Mme Anne Marie Berger/Gallo
Par le CERCLE D'ÉTUDES ALGERIENNES
ÉDITIONS REGIREX

La franchise ne consiste pas à dire beaucoup, mais à dire tout, et ce tout est bientôt dit quand on est sincère, parce qu'il... ne faut pas employer beaucoup de paroles pour ouvrir le cœur.
Mme de MAINTENON.
(Lettre du 21/10/1708 à Mme de St PERIER.)
      
Remarque liminaire pour la première édition

 
       Cet opuscule, né de réflexions d'hommes parmi lesquels il n'y a aucun écrivain de métier, est sans prétentions.
       Pas même celle d'affronter ses lecteurs sous une forme définitive.
       Ses auteurs considèrent en effet cette première édition comme une ébauche que contribueront à façonner les remarques - désirées nombreuses - du public.
       C'est à tel point vrai que dès maintenant, il paraît important d'apporter une précision ou si l'on veut un certain éclairage à la lettre n, 8.
       La transition qu'entend ménager le statut évolutif préconisé ne peut être considérée comme une atteinte au principe d'égalité, posé une fois pour toutes et de manière irrévocable, qui vaut pour tous les hommes et toutes les femmes de l'Algérie.
       Il est précisé en particulier, que la distinction au sein de la population de l'Algérie, de deux fractions, correspond à la constatation d'un fait et qu'elle ne saurait entraîner, pour l'une des deux, une "minorité juridique" quelconque. Tout citoyen français, quel que soit son degré d'évolution, doit jouir, dans tous les domaines et, singulièrement, dans le domaine politique, de la plénitude des droits que la constitution attache à ce titre.
       La durée de la période évolutive ne peut être actuellement fixée, mais, eu égard aux progrès manifestes accomplis par l'ensemble de la communauté musulmane dans son adaptation aux structures démocratiques et aux responsabilités que recherchent avidement de nombreux Musulmans dans les institutions communales ou départementales, il y a tout lieu d'imaginer qu'elle sera courte.
       Qu'est-ce à dire ? Coïncidera-t-elle simplement avec la " période d'apaisement " dont a parlé le Président de la République ? Serait-il raisonnable de la prévoir plus longue ?
       C'est sans doute prématuré de vouloir trancher.
       Et c'est précisément un des points auquel nous aimerions, nantis de l'avis de nos lecteurs, apporter des développements complémentaires dans notre prochaine édition.
       Afin de cerner ce problème avec toute la rigueur souhaitable, nous nous proposons également d'ajouter bientôt à cet ouvrage le projet d'un texte de loi qui traduirait en termes juridiques le principe évolutif que nous essayons de définir. Aussi bien comptons-nous sur vos critiques.
       Nous voudrions bien que leur nombre nous prouve que ce problème de l'Algérie s'est installé dans les esprits et qu'il n'en sortira pas avant que ne règne sur cette terre la paix durable, la paix française.

AVERTISSEMENT

       Ce livre est l'œuvre d'une équipe. Le Cercle d'Etudes Algériennes est constitué par un groupe d'hommes et de femmes que leur qualité de citoyens français investit du droit, et du devoir, de se pencher sur le drame qui déchire leur province.

       Parmi ces hommes et ces femmes il y a des israélites, des chrétiens et des musulmans. Les uns sont originaires de Métropole ; les autres sont nés en Algérie. Ils sont absolument libres de toute attache politique.

       Partageant depuis six ans les angoisses de leurs concitoyens, ils vivent ce qu'on est convenu d'appeler " le problème algérien " et ils pensent que la seule manière de résoudre un problème, c'est d'en posséder d'abord tous les éléments.

       Ils se sont efforcés de rassembler toutes ces données, car la méconnaissance de la plupart d'entre elles a conduit certains esprits, par ailleurs éminents, à commettre, avec la plus parfaite bonne foi, de redoutables erreurs.

       Les auteurs de ce livre ne vous demandent pas de les suivre aveuglement : ils ont seulement voulu vous fournir les moyens de vous former votre propre opinion et de déterminer, en votre âme et conscience d'hommes libres, où est la vérité. Ils souhaitent. plus encore, vous ouvrir les yeux sur la véritable nature du " problème algérien " qui a depuis longtemps dépassé l'humble destin des habitants de cette terre.

       Ils n'attendent de leur oeuvre aucun salaire, cet ouvrage ne comportant, bien entendu, aucun droit d'auteur.

       Ils espèrent une seule récompense : que ceux qui, ayant lu ce livre. auront été convaincus, deviennent à leur tour des propagandistes de la vérité, qu'ils le répandent autour d'eux aussi largement que possible, afin que tous ensemble, nous parvenions à exorciser le démon du Mensonge.

       Le Cercle d'Etudes Algériennes.


Connaître sans juger c'est souvent modestie et vertu, mais juger sans connaître c'est toujours indiscrétion et témérité.
BOURDALOUE : Sermon sur le Jugement téméraire.
      

LETTRE N° 1

       Le 1er novembre 1954, le F.L.N. faisait exploser ses premières bombes et commettait ses premiers assassinats. La France était alors en train de perdre tout ce qui avait constitué son empire colonial. Le sort de l'Indochine avait été réglé à Genève où les vaincus de Dien-Bien-Phû n'avaient eu à signer que leur capitulation. La Tunisie mettait les Français à la porte, alors que l'encre n'était pas encore sèche, qui avait servi à parapher les accords dits "de l'indépendance dans l'interdépendance ". Le Maroc recevait sa pleine autonomie et se hâtait d'expulser les Français qui n'avaient pas été massacrés à Meknès ou à Oued-Zem et à déboulonner les statues de Lyautey, car la reconnaissance est un fardeau plus lourd à porter que le poids d'un péché.

       Parti des Aurès (1), le terrorisme s'étendait progressivement à l'ensemble de l'Algérie : autos mitraillées sur les routes, musulmans égorgés et abandonnés au revers des fossés. fermes attaquées et incendiées, bombes, enfin, explosant dans les grandes villes et fauchant à l'aveuglette femmes et enfants, européens et musulmans.

       Dans le bled, le fellah, que le collecteur de fonds du F.L.N. avait dépouillé de ses maigres ressources, se terrait dans son gourbi ; le colon, dans sa ferme isolée, s'enfermait dans son réduit, et dans les villes, les femmes anxieuses guettaient le retour de leurs enfants et de leur mari, folles d'angoisse d'avoir entendu la lourde détonation d'une bombe.

       Pourquoi ces massacres ? Pourquoi cette explosion de haine et ce déchaînement de violences ?

       Certaines gens qui croient détenir le monopole de la pensée, eurent tôt fait d'en donner l'explication : il y a en Algérie, disaient-elles, près de dix millions d'indigènes qu'exploite depuis plus d'un siècle une poignée d'européens, des envahisseurs qui, après les avoir subjugués par les armes et dépouillés de leurs biens, les maintiennent en état d'asservissement économique et politique. En Algérie, comme dans les autres pays colonisés par les européens, les indigènes opprimés prennent conscience de leur état et entreprennent de secouer le joug. de libérer leur patrie et de recouvrer leur indépendance. Les colonialistes reçoivent le châtiment de leur cupidité, et cette aspiration des peuples colonisés à disposer d'eux-mêmes s'inscrit dans le cadre d'un large mouvement de libération qui est conforme au "sens irréversible de l'histoire ".

       Non seulement il était vain de s'opposer à l'inéluctable, mais encore, disaient les augures, l'intérêt de la France exigeait que l'indépendance fût offerte à l'Algérie, en expiation des fautes commises, afin de sauvegarder ce qui pouvait encore être sauvé, c'est-à-dire un minimum de liens économiques et culturels.

       Telle était l'explication et telle était la conclusion.

       Il y eût cependant en Algérie un certain nombre d'esprits non conformistes pour penser que dans son élégante simplicité, ce schéma ne satisfaisait pas à toutes les données du problème.

       Les militaires n'aiment pas être vaincus, et pour la quatrième fois en dix ans, ils se voyaient sur le point d'amener le pavillon avant même d'avoir combattu, ce qui est tout de même difficilement compatible avec les traditions de l'Armée française. Or, ceux qui avaient dû abandonner successivement l'Indochine, la Tunisie et le Maroc, ne pouvaient manquer d'être frappés par le fait que chaque fois les événements s'étaient déroulés selon un processus identique, comportant d'une part, le même déferlement d'atrocités destinées à terroriser les autochtones et à affoler les Européens et, d'autre part, les mêmes thèmes de propagande dont une certaine presse métropolitaine se faisait l'écho avec une complaisance d'allure suspecte.

       Les Européens d'Algérie sont plus d'un million. La plupart sont nés sur cette terre. Certaines familles y vivent depuis quatre ou cinq générations et ont parfois perdu toute attache avec leur pays d'origine. Et si, comme tous les peuples neufs, ces néo-français ont un esprit un peu trop positif, du moins sont-ils à l'abri des angoisses de l'introspection et du masochisme intellectuel.

       A défaut de pouvoir se livrer à ces subtiles analyses qui font le charme de la presse spécialisée, ils ont, du moins, l'avantage d'être au contact permanent des réalités et la possibilité de saisir, intuitivement, des choses que le cœur comprend quand la raison ne les comprend pas encore.

       Et ce qu'ils savaient bien c'est que, pour la plupart, ils n'étaient pas de gros et riches colons, mais que la majorité d'entre eux n'étaient que des employés, des commerçants, des ouvriers, des fonctionnaires, de petits cultivateurs travaillant durement sur un sol parfois ingrat, comme on en trouve dans toutes les villes et toutes les campagnes de France et d'ailleurs.

       Ils furent très étonnés d'apprendre qu'ils étaient d'ignobles colonialistes et qu'ils s'étaient honteusement enrichis des dépouilles arrachées aux indigènes, eux qui bien souvent n'auraient pu économiser, au cours d'une vie entière, assez d'argent pour aller visiter la France autrement qu'en qualité de mobilisés.

       Ils furent encore davantage surpris de s'entendre traiter de "petits blancs", expression qui sous-entend un mépris invétéré et une conduite vexatoire à l'égard des indigènes, c'est-à-dire de ces musulmans qu'ils côtoyaient depuis les bancs de l'école, à l'atelier, au magasin ou au bureau et avec lesquels ils se retrouvaient au stade ou au bistrot.

       Et ces musulmans qu'un irrésistible mouvement de libération devait lancer à l'assaut de la puissance colonialiste, ne paraissaient pas tellement pressés de rejeter les envahisseurs à la mer. Il fallait même que le F.L.N. les massacre par centaines pour exalter l'enthousiasme de ces opprimés. Certaines confidences, qui se font seulement de coeur à coeur et que les journalistes ne recueillent jamais, laissaient en outre penser que la masse des fellahs se fût aisément satisfaite d'une simple amélioration de leur condition matérielle et de la seule qualité de citoyens français, qui leur paraissait contenir davantage de garanties de dignité et de justice que l'indépendance dont les peuples tunisiens et marocains semblaient plus encombrés que réjouis.

       Il y eut enfin ce qu'un journal parisien appelait naguère "l'étrange sortilège" que l'Algérie exerce sur tous ceux qui y viennent.

       On avait déjà observé qu'un nombre important d'intellectuels métropolitains avaient demandé à servir dans les Sections Administratives Spécialisées (S.A.S.), attirés par la perspective des contacts humains à établir et que, placés au coeur des réalités, ils avaient dû, honnêtement réviser certains de leurs jugements.

       il était également remarquable que les jeunes appelés métropolitains, venus par milliers servir en Algérie dans des conditions à la fois pénibles et dangereuses, n'eussent jamais causé d'incident. Il y avait pourtant parmi eux une certaine proportion de communistes ou communisants dont beaucoup en Métropole avaient tenté de saboter les envois de troupes et de matériel.

       Toutefois, qu'un jeune appelé se prenne soudain d'un amour immodéré pour un pays qu'il découvre dans les yeux d'une belle fille de vingt ans, est un genre de déviationnisme qui demeure dans les normes de la psychologie courante. Mais M. Soustelle, membre du Comité des intellectuels antifascistes, nommé à Alger par M. Mendès France, et qui au bout de six mois emploie son immense talent à défendre les " colonialistes " ? Mais M. Lacoste, dont les convictions socialistes sont insoupçonnables, et qui, placé à la tête de l'Algérie par M. Guy Mollet, secrétaire général de la S.F.I.O., en vient à dénoncer la menace d'un " Dien-Bien-Phû diplomatique" et à conseiller, horresco referens, les manifestations qui aboutirent au 13 mai ? Récemment, M. P. Delouvrier ayant prononcé, dans des circonstances dramatiques, des paroles étonnantes, les milieux politiques de Paris invoquèrent, pour les excuser et les désavouer, " le climat passionnel " qui régnait à Alger.

       Et si le " sortilège algérien" était dû tout simplement au fait que la vérité est différente de tout ce que l'on a dit jusqu'à présent '? Et si la " passion " qui a conduit M. Delouvrier à tenir d'étranges discours était seulement l'impérieux besoin qu'éprouve un honnête homme, de dire la vérité dont il a soudain pris conscience ?

       Et si les trop simples explications étaient fausses, si les données du " problème algérien " étaient autres que celles dont on s'est trop rapidement satisfait ?

       Alors, tout homme de bonne foi aurait l'inéluctable devoir de reconnaître qu'il a été trompé, et la mission sacrée de faire triompher et la vérité et la cause de la France.

(1) Un des premiers actes de terrorisme fut l'assassinat, parmi les passagers du car reliant Arris à Mchounèche, de l'instituteur Monnerot et du caïd Saddok qui essayait courageusement de sauver son jeune compatriote.

A la date du 7 juillet 1960 le nombre des victimes s'élève à :
Français de souche nord-africaine : 13.086 tués, 10.023 blessés.
Français de souche européenne : 1.870 tués, 4.910 blessés.


COMMUNIQUE
Envoyé par M. Maurice VILLARD

 DEVOIR DE MEMOIRE

Le COLLECTIF DES ASSOCIATIONS DU GRAND BITERROIS
L'A.C.E.P - ENSEMBLE
L'AMICALE DES BONOIS - CONSTANTINOIS et TUNISIENS
L'AMICALE DES HAUTS PLATEAUX de SETIF

Invitent leurs adhérents,
toutes les familles des Français d'A.F.N. et leurs amis

A L'inauguration d'un marbre

PROVINCE DE CONSTANTINE
EN MEMOIRE DES VICTIMES CIVILES ET MILITAIRES
DE L'ALGERIE FRANCAISE
A SETIF DU 8 MAI 1945 A JUILLET 1962


Qui sera apposé sur notre Mémorial au Cimetière neuf de Béziers

Ce jour nous nous recueillerons également à la mémoire des
Victimes du 5 juillet à ORAN
et nous associerons à ce souvenir tous les morts de notre Algérie Française

 Mardi 5 JUILLET 2005 à 11 h au pied de la stèle de nos quatre martyrs
Au cimetière Neuf de Béziers
Soyez tous présents


Bône - Annaba
" Ville de ma naissance "

Je dédie mon livre


A la mémoire de mon arrière-arrière-grand-père maternel Jean-François Teddé, médecin natif de Sardaigne qui s'installa le premier à Bône en 1842.
A mes arrières-grands-parents Antoine Teddé et Victor Bailly
A mes grands-parents Jean Raoul Teddé et Victor Honoré Bailly
A mon père Victor et ma mère Nelly
A mon épouse, mes enfants et petits enfants,
A toutes nos familles alliées
Aux derniers porteurs du nom de nos familles de l'Algérie Française.
Pierre -Yves Teddé
Julien et Antoine Bailly
A vous tous Bônois de toujours.

Georges Bailly-Teddé Nice 2003
   

    Bône-Annaba, Ville de ma naissance, de Georges Bailly, retrace l'histoire de la construction de la ville depuis Hippo-régius, ville de Saint Augustin, située à deux kilomètres de la cité actuelle.
    Il évoque l'évolution de cette petite bourgade soumise au 19ème siècle par la force au Bey de Constantine et libérée par l'arrivée des Français en 1832.

    Puis grâce à cette colonisation, son entrée dans le monde moderne, avec la création d'un grand port.
    Il révèle les actions des différents maires, qui la placèrent à la quatrième position des villes de l'Algérie française.
    Il décrit avec de multiples exemples, quartier par quartier, la vie des habitants dans la cité au 19 et 20ème siècle, les efforts de tous et en particulier des agriculteurs pour amener de plus en plus de bien-être aux habitants de toutes confessions.
    Puis il souligne la déception de la rébellion, la période de guerre, l'abandon de la mère patrie et le départ !
    Mais après tant d'épreuves, et d'années de séparation, il se veut optimiste pour l'avenir en retrouvant aujourd'hui la cité de son enfance heureuse et ses habitants, détaillant les transformations de la ville musulmane algérienne.
    Georges Bailly est né à Bône le 17/4/1938, dans une famille de commerçants, installés depuis 1842 dans cette cité.
    Au lendemain de l'indépendance, il s'est installé à Perpignan, dans les Pyrénées Orientales, puis s'est rapproché de ses enfants établis dans la région Provence Alpes-Côte d'Azur.
    Pour réaliser son ouvrage, le premier, il a constitué une collection de cartes postales anciennes, compulsé des archives familiales, des photos d'amis et de ses récents voyages à Annaba.


    Pour commander ce livre s'adresser à M. Bailly Georges par téléphone : 06.10.77.47.78
    ou par Email : georges.bailly@free.fr
    Prix du livre : 20 Euros, port compris.

ANNONCE
envoyé par M. Paul Mouraret

CIRCUIT - SÉJOUR
Du dimanche 23 Avril au dimanche 30 Avril 2006

Dimanche 23 Avril 06
         Départ de Marseille à 10H 35 Arrivée à Alger à 11H 05 puis
         Départ pour Béjaïa - Tichy Diner-Nuitée.
Lundi 24 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Puis Départ pour Jijel Déjeuner puis
         Continuation Par la Corniche, et les gorges de Kerrata vers Sétif
         Diner- Nuitée à l'Hôtel.
Mardi 25 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Visite des Cimetières. Tour de ville. Déjeuner
         Après-midi libre, Diner Nuitée à l'Hôtel.
Mercredi 26 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Matinée libre Déjeuner
         Après-midi libre, Diner-Nuitée à l'Hôtel.
Jeudi 27 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Puis Départ pour Constantine Déjeuner
         Tour de Ville, La Corniche, le Pont suspendu et retour vers Sétif.
         Diner-Nuitée à l'Hôtel.
Vendredi 28 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Puis Départ Pour Alger Déjeuner à Béjaïa ou à Alger
         Diner-Nuitée à l'Hôtel.
Samedi 29 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Tour de Ville Visite de N. D. d'Afrique. Déjeuner
         Après-midi libre Diner-Nuitée à l'Hôtel.
Dimanche 30 Avril 06
         Petit Déjeuner à l'Hôtel. Déjeuner libre. Puis transfert à l'Aéroport
         Envol pour Marseille à 13H 05 Arrivée vers 15H 30.


Pour Renseignements et Réservations
Téléphonez à M. Paul Mouraret au
04 67 72 80 21 - Heures Repas



MESSAGES
S.V.P., lorsqu'une réponse aux messages ci dessous peut, être susceptible de profiter à la Communauté, n'hésitez pas à informer le site. Merci d'avance, J.P. Bartolini

Notre Ami Jean Louis Ventura créateur d'un autre site de Bône a créé une nouvelle rubrique d'ANNONCES et d'AVIS de RECHERCHE qui est liée avec les numéros de la seybouse.
Après avoir pris connaissance des messages ci-dessous,
cliquez ICI pour d'autres messages.
sur le site de notre Ami Jean Louis Ventura

--------------------


De Mme Anne-Marie MOUTON

Mon père est né à Bône en 1945 et s'appelle Paul Charles MOUTON.
Sa mère (donc ma grand mère) a eu 13 enfants et mon père est le plus jeune. Elle s'appelait Carmen MIFSUD.
J'aimerais rentrer en contact avec des personnes ayant connu ma famille.
J'aimerais beaucoup lui faire plaisir et lui apporter d'autres éléments de son enfance.
Merci de prendre contact avec moi par mail. Merci et j'espère que mes recherches aboutiront grâce à ce site d'une excellence totale.
Adresse : annemarie.mouton@wanadoo.fr

De M. Philippe Bracale

Je voudrais rentrer en contact avec des personnes qui auraient pu fréquenter mes grands parents à Bône.
Mon grand-père était musicien et jouait de la clarinette dans les enfants de Bône il s'appelait Jules Bracale et ma grand-mère s'appele Fernande Azzopardien.
Espérant un heureux dénouement, merci d'avance.
Adresse : philippe.bracale@neuf.fr

De Mme Anne Marie Berger

"Marie-Antoinette Graziani souhaite retrouver son amie Babeth:MAGLIOLO Elisabeth."
Contacter Anne Marie Berger qui transmettra.
Adresse : amye.berger@club-internet

De M. Bruno Clement

Bonjour je fais des recherches sur des personnes ayant connus mes parents famille Clement et Melis.
Adresse : brunoclem@yahoo.fr

De M. Patrick Mazzella

Bonjour, ma mère, Denise Eulo, étant née à Bône le 12 juin 1935 voudrait retrouver des photos de classes de l'école du marché aux blés du CM1/CM2 en date de 1946, 1947 et 1948.
Elle aimerait aussi avoir des contacts avec des collégues qui ont travaillés en 1952/1954 aux chaussures André cours Bertagna.
Vous remerciant par avance.
Adresse : patrick.mazzella@free.fr

De Mme Francine VUILLERMET

Je recherche Henri LARUE de BONE qui doit avoir environ 63 ans, prof. de lettres
Le connaissez-vous ? Merci
Francine VUILLERMET (de Chanzy / Sidi Ali Ben Youb - Oran)
Adresse : cenlingmed@wanadoo.fr

De M. Jean Pierre Ferrer

Le 9 juin 1956 , un attentat fit de nombreuses victimes à Constantine.
Une des blessées de cette journée, dont le nom de jeune fille était PERGOLA , recherche la liste des autres victimes. Merci d'avance de nous aider à la reconstituer.
Jean Pierre Ferrer
Adresse : jeanp.ferrer@wanadoo.fr

De M. Jicky Cole

Je souhaiterais savoir si quelqu'un à connaissance de l'état du cimetière de RANDON?
Notamment de l'état de la tombe de la famille de Monsieur Marcel CAMILLERI.
Je suis une amie de cette famille exceptionnelle d'humanité et de charisme, mais le sujet semble toujours aussi douloureux ce qui est très compréhensible; c'est pourquoi j'essaie discrètement d'obtenir quelques informations par l'intermédiaire du site de Bône.
En vous remerciant par avance
Jicky C.
Adresse : sevigner@wanadoo.fr

De Mme Sylvia Heckel

Qui aurait connu la famille STORA à Bône (Gustave, Odette, Jacqueline, Patrick)?
Ils sont partis en 1962 pour aller habiter à Paris. J'aimerais faire une surprise à mon mari. J'espère avoir des réponses. Merci beaucoup
Sylvia Heckel
Adresse : sylheckel@hotmail.com

De M.


Adresse :

DIVERS LIENS VERS LES SITES

Chers amis
Le collectif Guelmois vous invite à visiter son site sur la nouvelle adresse
Vous retrouverez votre site sur la page des sites Pieds-Noirs des Pyrennées Orientales, avec Bône et Palikao à l'adresse suivante :
http://www.piednoir.net
Pour le collectif GUELMA FRANCE, le webmaster
gilles martinez
=====================================

le site de Bône de notre ami Jean Louis Ventura a été mis à jour
partie retrouvailles le toit collectif bônois
la marine en Algerie ajout de photos de monsieur Bonhomme son père a fait son service militaire a Bône
http://perso.wanadoo.fr/jlvbone/
Une visite à réserver.
=====================================

Bonjour à tous, ce message pour simplement vous dire que des nouveautés figurent sur mon site. Photos - Plans de Bône ( une première partie ) donné par Roland Siniscalchi et une page pour "avis (petit) de recherche " que plusieurs Bonois ont réclamés.
http://perso.wanadoo.fr/gabyroux.bone/accueil.htm

Ca vaut un petit détour amical. Gabriel Roux, son créateur. ADRESSE : rouxgaby@wanadoo.fr
=====================================

Plus de cent dix ans, c'est le signe d'une belle vitalité, bien à l‘image des Spahis légendaires, ainsi qu'un repère fabuleux dans l'histoire de l'une des plus chevronnées associations d'anciens combattants. C'est en effet en 1895 que le "Burnous" s'est constitué, afin d'entretenir ces liens si forts de fraternité militaire qu’unissaient alors tous ceux qui avaient servi dans les escadrons de cette cavalerie que l'on appelait « indigène ».
Pour tous ceux là, d'hier et d'aujourd'hui, le « Burnous » garde vivante cette amitié solide, dans laquelle se reconnaissent tous ceux qui ont eu l'honneur de le porter. http://perso.wanadoo.fr/le.burnous/ .
Bien cordialement. Francis JOSSE jossef@numericable.fr
=====================================

cliquez ICI pour d'autres messages.

AU GOLF
Envoyé par Mme Michèle Raphanel

Une femme commence une partie de golf.
Elle frappe sa balle et voit celle-ci heurter un homme qui fait son parcours pas loin devant elle. Elle le voit mettre immédiatement ses mains serrées ensemble entre ses deux jambes et tomber au sol. Immédiatement, elle se presse d'aller le voir. Il est tordu de douleur au sol dans la position fœtale. Elle lui demande pardon et lui explique ensuite qu'elle est physiothérapeute et qu'elle sait qu'elle pourrait diminuer sa douleur s'il la laissait faire.
- Oooh... nnooon, dit-il. Ce n'est pas nécessaire, tout va aller pour le mieux tout à l'heure, dit-il avec le souffle court. Mais elle insiste pour lui faire un traitement et finalement il se laisse faire. Gentiment, elle enlève ses mains d'entre ses jambes, ouvre son pantalon et place ses mains à l'intérieur en le massant... délicatement... Après quelques minutes, elle lui demande :
- Comment vous sentez -vous ?
- ça fait du bien, mais j'ai toujours mal au pouce !!!


Vous venez de parcourir cette petite gazette, qu'en pensez-vous ?
Avez-vous des suggestions ? si oui, lesquelles ?
En cliquant sur le nom des auteurs en tête de rubrique, vous pouvez leur écrire directement,
c'est une façon de les remercier de leur travail.

D'avance, merci pour vos réponses. ===> ICI


Numéro Précédent RETOUR Numéro Suivant