N° 72
Avril

http://piednoir.net

Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Avril 2008
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Les dix derniers Numéros :  63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, ,
     Lili Boniche: Il n'y a qu'un seul Dieu       
EDITO

    Chers Amis,

   En réponse à une des lettres reçues avant et après l'annonce de mon prochain voyage. Sous forme d'édito, je réponds publiquement à cette lettre ironique, méchante, même insultante, mais signée et dénuée d'insanités dont font preuve d'autres imbéciles et qui vaut à leurs proses d'être mises à la corbeille de l'oubli. (Cette lettre verte et pas mure se trouve à la fin de ce récit)   

   Du baume dans un cœur   
   de pierre érodée...   

    Madame,

     Avec ironie, pour m'écrire vous avez utilisé le vert pour m'être agréable. Sachez que je n'ai aucune préférence pour les couleurs et même si votre insinuation a des travers malheureux et douteux, je vous réponds par le noir. Le noir qui doit être la couleur de votre âme et de votre conscience, et là je vous plains. Puisse un jour, que vous trouviez la lessive OMO, vous savez celle qui lave plus blanc que blanc….
    Vous lisez la Seybouse avec beaucoup d'intérêt et vous ne comprenez pas pourquoi je continu à organiser des voyages chez "Boutef".

             1) Je n'organise pas des voyages chez "Boutef" car l'Algérie n'est pas son pays (il est marocain), mais le " mien ". Lui en est le Président et moi j'en suis natif, là est notre principale différence. Apprenez que l'Algérie n'appartient pas aux hommes mais c'est nous qui lui appartenons et quoiqu'il arrive dans la vie nous appartenons à la terre qui nous a vu naître, tant que nous ne la renions pas.

             2) L'exode forcé de notre pays nous a privé de la connaissance de celui-ci et maintenant avec le temps qui nous est malheureusement compté, nous voulons en profiter pour le découvrir. La très grande majorité des Pieds-Noirs disent aimer leur pays et tout savoir sur lui alors que bien souvent ils ne connaissent même pas le quartier voisin du leur. Où est la grande fraternité Algérienne d'avant l'indépendance dont ils se vantent? Cela je l'ai expérimenté plusieurs fois sur des Pieds-Noirs très savants.

             3) Vous avez raison, ce n'est pas la nostalgie (telle que vous la concevez) qui m'a poussé et qui me pousse à y retourner. Poussé par de véritables amis, j'ai mis 43 ans à prendre cette décision de faire le pas, celui de poser le pied à la maison. Je l'ai fait car je me suis senti prêt à faire ce pas. Et ce pas qui a pris une heure d'avion a coûté 43 ans d'exil. Je ne le regrette pas du tout car vous avez encore raison, on revient chaque fois heureux d'avoir vu sa ville, son quartier et rencontré ses amis d'enfance. Par contre, personnellement, je ne suis pas plus déçu que d'aller à Marseille, Paris, Lyon ou autre ville quand je constate l'état des bâtiments de notre temps. Toutes les villes du monde subissent des changements et en plus de 40 ans, il y en a, avec plus ou moins de bonheur selon les revenus des habitants.

             4) Si ce n'est pas la Nostalgie, quelle en est la raison ?
                Ce n'est certainement pas non plus la raison que vous invoquiez avec une méchanceté acide, celle de l'argent. En effet, même si je me situe au même niveau que les copains au point de vue prix du voyage, cela me revient forcément plus cher financièrement certes, mais aussi en temps et en énergie.
                Je pense qu'avec votre noire conscience, vous ne pouvez pas comprendre ce qu'est " donner du Bonheur ou le faire partager ". Eh oui, retrouver sa terre est un immense bonheur ; découvrir ce que l'exil nous a privé est un autre tout aussi grand ; Pouvoir parler du passé et de mémoire avec des gens de notre age ou avec des jeunes afin de leur apporter des témoignages vivants de notre histoire est aussi un bonheur que vous ne connaîtrez jamais car votre rancœur mal placée vous a empêché d'ouvrir les yeux sur les véritables responsables de nos malheurs.
                Les responsables ne sont certainement pas " l'ennemi que l'on croit ", celui là est aussi une victime de cette indépendance qu'on lui a volé et qu'avec le recul qu'on nous a volé aussi.
                Parmi les responsables, il y a d'abord " le grand Charlot ", l'instigateur du 8 mai 1945 et de tout le reste ; l'administration française qui s'est forcée à nous traiter aussi mal que les musulmans ; et puis il y a aussi une poignée de Pieds-Noirs qui nous a trahi de différentes façons, qui continu à le faire parce qu'ils sont animés de sentiments de revanche, de haine hautement néfaste, et motivés par l'appât de gains et de récompenses. Le principal ennemi du Pieds-Noirs est le Pieds-Noirs lui-même. Je pense qu'avec votre conception de la vie, vous devez être parmi ceux-là.

             5) Ne pensez surtout pas que nous allons en Algérie avec des sentiments de culpabilité ou de repentance. Jamais personne ne nous l'a demandé et personnellement je ne l'accepterai pas car je n'ai aucune responsabilité ou repentance à reconnaître vu que je vous en ai désigné les véritables responsables. C'est un problème franco/français et non pas franco/pieds-noirs.
                Bien sur, il y a eu des massacres de part et d'autres, chacun en est conscient. C'était une guerre civile instaurée et organisée par "le Grand Charlot " depuis 1945. Le seul regret que les Pieds-Noirs puissent avoir, c'est de n'avoir pas compris depuis 1945 que l'indépendance était inéluctable ; que nous en serions les jouets et les victimes ; qu'il fallait travailler à devenir des indépendantistes pour rester chez nous ; et non pas rester attachés à une " soit disant Mère Patrie " qui nous a trahi, rejeté ou assassiné. Elle s'est servie de nous pour la défense de son territoire en utilisant la chair à canon que représentait l'Armée d'Afrique. Le Pieds-Noirs n'a jamais rien compris en politique et il ne le comprend toujours pas vu qu'il continu à se faire bananer par les mêmes "politiciens".

             C'est certainement possible que cette vision des choses due au recul, ne vous fera pas plaisir, mais le temps et les faits sont là pour qu'enfin les Pieds-Noirs ouvrent les yeux et réfléchissent. Je comprends aussi les familles des victimes (J'en ai dans mes proches) qui pensent qu'aller en Algérie, c'est trahir la mémoire des sacrifiés. Là aussi c'est une grave erreur : aller en Algérie, marcher sur leurs traces, c'est leur rendre l'hommage qu'ils méritent et cela avec toute la sérénité qui s'impose. C'est aussi recevoir une leçon de vie et de courage de la part de ces morts qui ont cru en un idéal en se battant contre tous les aléas de la vie pour construire un pays et le rendre moderne.
                Faire ces pas, c'est faire preuve de mémoire mais pas de nostalgie. Je ne dirai pas comme tous ces Pieds-Noirs qui pour se dédouaner de leurs obligations morales, disent " le passé, c'est le passé, je ne veux plus en parler. " Non tant qu'il me restera du souffle, je me battrai pour la mémoire. Des gens comme vous sont prêts à me couper ce souffle, tant pis je tiendrai autant que je le pourrai car je sais que l'avenir me donnera raison comme il est en train de le faire pour " le Mur des Disparus ", comme il le fait pour l'Union des Pieds-Noirs dont j'ai longtemps cru en sa possibilité mais qui malheureusement je n'en verrai pas l'aboutissement.
                C'est pour cela que je suis de plus en plus pessimiste sur le devenir de notre communauté. Il y a encore beaucoup trop de fangoulistes qui ne pensent qu'à leur bannière, celle de leur portefeuille et des récompenses. Ces quinze jours au lit, m'ont permis de beaucoup réfléchir quand à la suite de mon combat car je sens la démotivation me gagner de plus en plus. Je crois que la simple diffusion de notre mémoire me suffirait largement car j'en ai marre de prendre des coups inutilement. Je suis devenu une cible privilégiée de certaines associations qui n'hésitent plus à me faire des coups bas. Je ne savais pas que j'étais si dangereux pour eux.
                Cela démontre une chose, c'est qu'ils veulent rester les maîtres, la nomination du nouveau Haut Conseil des Rapatriés en est encore une autre démonstration. Certaines se partagent le "pouvoir" et les subventions. C'est une belle motivation !!!!!!! Qu'ils se démerdent entre eux!
                Je me doute bien que je ne suis pas seul dans ce cas, car lorsque je discute avec d'autres Pieds-Noirs qui depuis longtemps ont abandonné leurs bonnes motivations, on s'aperçoit que tel un cancer le mal est profond et que l'on n'a plus la force de l'éradiquer.

             6) Certes la "rêverie nostalgérienne" de notre terre nous attire, les bains de jouvence que nous prenons à chaque fois nous raccommode un peu plus avec la vie qui a été très dure pour nous les exilés. L'accueil est plus chaleureux qu'en France. Et la France fait tout ce qu'elle peut pour nous faire détester en Algérie.

     L'acharnement que certains de nos compatriotes et vous-même mettez à vouloir me faire renoncer à ces voyages ; la méchanceté à vouloir me faire passer pour quelqu'un que je ne suis pas ; les menaces et insultes reçues ainsi que le travail de sape qui est fait auprès de compatriotes afin qu'ils renoncent à retourner chez eux ; tous ces travers ignobles font que je renonce à organiser bénévolement d'autres voyages de groupe ouverts à des personnes autres que notre noyau.
    Tous les ans, il y a des petits malins qui s'ingénient à nous mettre les bâtons dans les roues en décourageant certains qui voudraient nous accompagner ou en nous accusant de tous les maux. Nous ne sommes pas une association, le prix payé est le même pour tous, notre bénévolat, dévouement et désintéressement ne plaisent pas à certains qui eux ont d'autres buts comme certaines associations qui font payer 5 jours entre 850 et 900 euros juste pour déposer les gens dans la ville et les reprendre le jour du départ. Le prix d'un tel séjour leur rapporte au minimum 300 euros par personne, c'est ce qu'on appelle l'esprit associatif.
    Donc nous laisserons tous ces petits malins faire leur beurre, nous, nous irons quand bon nous semblera et pour des séjours peut-être encore plus longs.
    J'ai aussi une autre solution, c'est de devenir salarié d'une agence de voyage et ainsi je vous en boucherai un coin. Cela voudra dire plus de bénévolat qui peut-être me fera plus de bien. Cela arrangerait aussi pas mal de monde que des gens, comme moi, abandonnent ce statut de bénévole. Tous ne deviendront pas des professionnels car ils ne sont pas animés par le coté financier qui n'est pas notre but.
    Cet abandon du bénévolat laisserait grande ouverte la porte du profit qui anime certaines associations ou groupements, mais après tout c'est peut-être la solution qui vous conviendrait pour en faire partie…. Serait-ce là votre motivation ? Serait-ce une méchante supposition ? Est-ce que je me laisse aller à la même facilité que vous ?

     Quant à vous et à tous ceux qui dénigrent nos voyages, je ne vous souhaite pas de retourner un jour dans le pays qui vous aurait vu naître. D'une part, avec votre esprit malade vous en seriez déçu et d'autre part, vous n'appartenez plus à cette terre, vous vous en êtes exclus. Vous finirez vos jours, insatisfaits parce que vous vous faites violence en refusant les vérités historiques ; votre rancœur mal placée et mal dirigée vous empêche toute réflexion et vous rongera petit à petit.

     Quant à tous les autres compatriotes qui ne partagent pas ces méchancetés gratuites, ces idioties et ces jalousies, je leur souhaite de retourner un jour dans leur ville, leur quartier, mais aussi dans toute l'Algérie car pour un Pieds-Noirs qui se respecte, c'est vraiment le plus beau pays qui existe au monde. Je vous le certifie au nom de la mémoire de nos ancêtres qui ont fait ce pays afin de leur rendre hommage.
    La porte est grande ouverte par nos frères Algériens.

     Contrairement à vous, je vous adresse mes cordiales salutations en espérant vous avoir mis un peu de baume dans votre cœur de pierre érodée.
Cette dernière phrase est écrite en vert qui est la couleur de l'espoir.

Jean Pierre Bartolini          

        Diobône,
        A tchao.

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Le message de Mme Eve Armani

----- Original Message -----
From: evarmani@orange.fr
To: jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
Sent: Tuesday, March 04, 2008 3:53 PM
Subject: Encore un voyage chez Boutef!

        Bonsoir Monsieur,

        Bônoise, je lis avec beaucoup d'intérêt votre journal la "Seybouse" et je comprends pas pourquoi vous continuez à organiser des voyages chez Boutef.
        Ce n'est pas par nostalgie puisque vous y êtes déjà aller plusieurs fois. Si la 1ère fois on en revient heureux et ému d'avoir revu sa ville, son quartier et rencontré des amis d'enfance on est aussi très déçu, sans doute, de constater "comment c'était, comment c'est devenu"!

        Alors j'espère que vous me répondrez pour me dire pourquoi vous continuez à y aller.

        Otez-moi d'un doute, surtout que vous êtes à présent en retraite, ce ne serait pas par calcul mercantile histoire de vous faire du "flouz" sur le dos de vos compatriotes ou des voyages touristiques "blèch".

        Merci de me répondre.

        Je réserve mes salutations en fonction de vos motivations que j'espère connaître bientôt.
        Eve ARMANI

        P.S. Pour vous être agréable j'ai choisi le vert. Vous aimez sans doute cette couleur, non?



Lili Boniche, l'Oriental
Transmis par M. Daniel Dardenne

              Encore un grand qui s'en va, merci à Daniel Dardenne de me l'avoir fait connaître au travers de ses chansons dont ma préférée qui accompagne ce numéro de la Seybouse.
       Cette chanson " Il n'y a qu'un seul Dieu " symbolise tout simplement la fraternité de nous tous, Algériens et elle devrait être le symbole de la paix.
       Trop méconnu, hélas, en France. Il fait partie d'une génération vieillissante qui s'en va sur la pointe des pieds. C'est un pan d'une histoire peu racontée et peu valorisée qui disparaît
       Je présente à sa famille et au nom de nos amis de la Seybouse, nos sincères condoléances, que son âme repose en paix.
JPB.      
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       Lili Boniche né en 1921 à Alger et décédé le 6 Mars 2008 à Paris est un célèbre chanteur algérien juif de musique arabo-andalouse. Ses parents sont originaires d'Akbou (Kabylie). Son répertoire comprend des styles variés comme le chaâbi, rumbas algéroises très populaires
       Lili Boniche est la star de la musique francarabe, ce style né de la communauté juive d'Afrique du Nord au temps où le même soleil brunissait juifs et musulmans dans les quartiers populaires des villes du Maghreb.

       Son père, mélomane et musicien convaincu a encouragé les dispositions musicales de son fils en l'envoyant comme élève dès son plus jeune âge chez le maître Saoud l'Oranais, maître de la musique classique arabo-andalouse. Il fréquente ensuite des écoles de musique réputées comme Moutribia et al-Moussilia.

       Lili Boniche est un innovateur dans le sens où il modernise radicalement son style pour satisfaire un public en quête de modernités. Il se produit dans une multitude de cabarets orientaux où le style oriental se mêle allègrement aux rythmes occidentaux, au jazz et aux musiques afro-latines en vogue.

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On l'appelait l'Oriental

Crooner. Lili Boniche, titi juif de la casbah d'Alger, s'est éteint à 86 ans.
Par BOUZIANE DAOUDI
QUOTIDIEN : jeudi 20 mars 2008

       "S'il vous plaît Lili, chantez-moi votre chanson." C'est ainsi que le député François Mitterrand demandait, à la fin des années 40, au chanteur algérois de lui interpréter son succès l'Oriental quand il se rendait au cabaret le Soleil d'Algérie se distraire après une séance de nuit à l'Assemblée nationale. Lili Boniche avait adapté tango, mambo, swing et autres airs internationaux à la mode; crooner au chant "francarabe", il est mort discrètement le 6 mars à Paris, sans écho, fidèle à sa personnalité modeste.

       Sentimental. Dernière star juive de la mélodie maghrébine, Elie "Lili" Boniche détestait entendre qu'il jouait de la musique "judéo-arabe". "Est-ce qu'on dit d'un musicien musulman qu'il joue de la musique islamo-arabe ? Je joue de la musique arabe, un point c'est tout !" disait celui qui vient de clore la saga d'une génération de musiciens juifs nord-africains, après la disparition ces dernières années des Algériens Reinette l'Oranaise, Blond-Blond et Salim Halali, des Tunisiens Raoul Journo et Kahlaoui Tounsi. Outre l'Oriental ("On m'appelle l'Oriental/ Parce que je suis sentimental"), que reprendra Enrico Macias, Lili Boniche a chanté aussi Bambino et la saudade primesautièred'Alger Alger ("De son soleil/Je ne puis me passer").
       Elie Boniche est un titi de la casbah où il est né en 1921, rue Randon. "Bijoutier et joueur de mandoline, mon père venait d'Akbou, en Kabylie. D'ailleurs, quand mes parents s'engueulaient, ils le faisaient en kabyle pour que les enfants ne comprennent pas", se souvient le chanteur qui trouva sa vocation en entendant à Alger une chanson de Saoud Médioni, dit l'Oranais, maître de l'art andalou - qui fut gazé en déportation après son installation à Paris.

       Radio Alger. Boniche doit faire des efforts pour persuader son père de le laisser partir trois ans à Oran apprendre au contact de Saoud l'Oranais. De retour à Alger, il joue de l'arabo-andalou dans diverses "sociétés musicales" et se forme pendant deux ans aux subtilités algéroises d'un genre décliné en une quinzaine de noubas, suites musicales répandues dans tout le Maghreb et dont chaque bastion constitue une sorte d'école stylistique. Un jour, avec trois copains, Boniche parvient à se faire auditionner par le directeur de Radio Alger. "Je lui ai demandé de me laisser chanter cinq minutes. ça a duré… Il m'a dit de revenir quinze jours plus tard et m'a confié une heure d'émission chaque semaine", racontait celui qui deviendra ainsi une vedette nationale à 15 ans à peine. "J'animais beaucoup de fêtes. Mais vers minuit, voyant les gens s'assoupir, je me demandais comment les réveiller. Alors, j'ai commencé à écrire des chansons mélangeant le français et l'arabe. ça a marché tout de suite."

       Comtesse. Arrivé à Paris, Lili Boniche est embauché au Soleil d'Algérie, rue du Faubourg-Montmartre. "Mitterrand me disait : "Je vais à l'Assemblée et je reviens vers 2 heures. Lili, restez-là."" Boniche rencontre une comtesse qui tombe amoureuse et lui dit : "Je ne veux plus que tu chantes." Il abandonne la musique en 1949, se lance dans des affaires qui capotent. Et revient à la chanson à la fin des années 80, animant les fêtes communautaires jusqu'à ce que le producteur Michel Lévy le relance via la collection discographique "Trésors de la chanson judéo-arabe". Retour en grâce pour le crooner de la casbah, qui se fait photographier par Mondino, se produit au Japon et aux Etats-Unis. "Quand quelqu'un me disait un mot qui m'inspirait, le soir, j'en faisais une chanson. C'est le public qui m'a fait revenir."
       Lili Boniche s'était ensuite retiré à Cannes, où il recevait ses amis musiciens musulmans d'Algérie, avec qui il lui arrivait de faire encore la nouba.

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Lili Boniche

       Au début des années 90 Lili Boniche est sorti des oubliettes de l'histoire de la musique. A peine plus ridé qu'aux temps bénis de ses plus grands succès, la démarche parfois incertaine mais toujours aussi pimpant, il est revenu sur le devant de la scène. Et il obtient aujourd'hui une audience qu'il n'avait jamais atteinte. La vie de celui que l'on surnomme le crooner de la casbah ressemble à un scénario. Et pourtant tout est vrai…

       Lili Boniche est né en 1921 à Alger, Alger la Blanche, Alger sa ville. A l'âge de 10 ans, il quitte le domicile familial pour suivre l'enseignement d'un maître du haoussi, Saoud l'Oranais. A ses côtés, il apprend pas à pas le répertoire de la musique arabo-andalouse, côtoie la célèbre Reinette l'Oranaise et devient un virtuose du oud. Un jour, il n'a alors que 15 ans, il débarque à Radio Alger et, avec tout le culot propre à son âge, propose un projet au directeur. Celui-ci est emballé et lui octroie une émission hebdomadaire. Porté par son succès naissant, le jeune Lili Boniche compose chanson sur chanson et les interprète en direct à l'antenne : "Elles me venaient comme ça, sans réfléchir " raconte-t-il. Peu à peu, il crée un style (typique de la musique populaire algéroise) où se mélangent flamenco, arabo-andalou, paso doble, mambo et tradition juive. Il devient une star à Alger puis à Paris. Dans les années cinquante, il rencontre une comtesse : "Elle était belle, riche et folle de moi", se souvient-il en souriant ; il l'épouse illico. La version officielle veut que la belle ait été terriblement jalouse de toutes les femmes (à l'époque, on ne disait pas encore les "groupies") qui tournaient autour de son chanteur de charme et ait obligé le crooner d'Alger à raccrocher. Mais on murmure que l'étoile de Lili Boniche commençait à faiblir et qu'il a préféré se reconvertir dans les affaires pour assurer son avenir. Il achète quatre cinémas à Alger et devient un homme d'affaires prospère. Mais la tourmente gronde en Algérie et, à l'Indépendance, le gouvernement lui confisque ses salles. Ainsi que nombre de ses coreligionnaires, il s'installe en France et repart à zéro.

       Il ouvre un restaurant -avec succès- puis se reconvertit en représentant de matériel de bureaux. Comme tous ceux qui ont tout perdu au moins une fois dans leur vie, il évoque aujourd'hui tout ceci sans fausse honte, avec même une once de regret et de fierté. "C'est la vie, sourit-il". Mais le démon de la scène ne l'a pas quitté et il se produit constamment dans les mariages et les barmitsva (équivalent des premières communions chrétiennes).

       Aux débuts des années 90, toute une génération de réalisateurs redécouvrent ses chansons et les utilisent dans les bandes sonores de leurs films. "Le Grand Pardon", "La vérité si je mens", "Mémoires d'immigrés" : à travers le cinéma, Lili Boniche retrouve les lettres de noblesse que sa comtesse l'avait contraint à abandonner. En 1998, il sort un album intitulé "Alger, Alger" produit par… le patron d'une maison de couture. Le succès est mitigé mais l'américain Bill Laswell reprend la production et la machine repart. Un concert plus ou moins privé à l'Elysée-Montmartre (célèbre salle parisienne, plus dévolue au rock'n roll qu'à la romance), une prestation mémorable lors des Belles Nuits du Ramadan… et l'histoire reprend, comme si le conteur reprenait sa lecture exactement là où il l'avait laissée. A l'aube de ses 70 ans, Lili Boniche peut se targuer d'avoir rempli l'Olympia, de rassembler un public qui va bien au-delà de la communauté juive et de faire danser différentes générations de juifs, de catholiques et de musulmans qui tanguent en cadence, unis par la musique d'un crooner oriental aux allures de rocker suranné.

       Avec son album 2003, Oeuvres récentes produit par Jean Touiton, Lili Boniche a voulu sortir du strict cadre de la chanson judéo arabo andalou. A ses côtés on retrouve des musiciens d'exception venus d'horizons très variés Mathieu Chedid alias M, Jean Pierre Smadja alias Smadj de DuOud, le batteur Manu Katché, l'ex bassiste d'Eliott Murphy et des Modern Lovers Ernie Brooks ou encore Jean-Baptiste Mondino qui signe les guitares d'une chanson et la pochette. A la même époque le spectacle les Orientales imaginé par le groupe marseillais Barrio Chino rend hommage à la chanson francarabe et reprend bien sûr nombre standards de Lili Boniche. Dans la foulée un concert à Mogador est filmé et sort l'année suivante en DVD. Ce sont ses dernières apparitions publiques et il s'éteint discrètement le 6 mars 2008.

Magali Bergès et Mondomix      
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ÉCHOS ET POTINS
N° 8 de décembre 1950, pages 16
de M. D. GIOVACCHINI
Envoyé par sa fille

  
        FADA, sous forme de voeu ! Inutile, demande que l'âge de la retraite des cheminots puisse être fixé à 50 ans.
        Les cheminots ont bien ri de cette montagne qui a accouché d'une souris.

***

        NOTRE ami POGGI est élu Maire de Duvivier.
        Mme SAINCIERGE est également élue Maire d'Herbillon-la-Rouge.
        Nos compliments.
***

        UN grand français d'Algérie est mort : Eugène Vanet.
        Les indigènes de la région qu'il fit prospérer l'ont pleuré : la Vérité n'est pas toujours méconnue !
***

        IL y avait " La Madrague " de Marseille. On parle maintenant d'installer une " madrague " à Herbillon. Ce qui ruinera les petits pêcheurs.
        Madame SAINCIERGE a de l'ouvrage sur la planche.
***

        EN attendant FADA " travaille " sa liste électorale, Les électeurs de la Nouvelle Ville et de Sadi-Carnot iront en touristes visiter la Place d'Armes ou Garibaldi.
***
 


     LE PLUSSE DES KAOULADES BÔNOISES      (58)
La "Ribrique" de Rachid HABBACHI
  CATS' A POÊLE

          Atso !..ou plutôt catso et marine en plusse, tu ois pas dès, un dimanche de février, pour une fois qu'y faisait beau dedans ce pays de sauvages ousque je vis en Patosie, y avait à la télé, dessur France 5, un commentaire ou, pour agréger un peu et faire meu ..meu, un documentaire que rien qu'y parlait d'la Chine, tu sais, ce pays qu'il est loin ousque les z'hommes et même leur seybouse aussi, y sont tout jaunes sauf les cheveux.

          Du coup, y m'a venu dedans la tête une soge que not' ami à nous tous, René VENTO il avait raconté dessur les catsomarines d'à chez nous z'aut' qu'y z'ont, y paraît, des propriétés affreuses et dysiaques que c'est pas des maisons, que c'est, comme y dit l'aut', des pouoirs et comme, diocamadone, les chinois y te sont un milliard à le coire, à partir de ce dimanche-là ça fait un milliard plusse un à cause que moi aussi j'le cois, je cois René VENTO bien sûr.

          Mais oilà, ces badiguels de chinois y font rien comme les z'aut' par exempe, le sar ou la daurade, du cats' y te mangent que le dedans que c'est le plusse tendre et bessif, la meilleuse des z'amorces non, ces chinois que j'te parle, y s'le vident eux, et après, rapides, la peau y s'la passent à la poêle qu'à saouar pourquoi y z'appellent ça un wok et après y s'l'affoguent mais y paraît aussi que c'est pas donné à tout l'monde de le manger justement pasque c'est pas donné et même je peux t'le dire si que t'y as pas compris, c'est très cher.

          Y'alors si que comme moi, t'y es kixe pas kixe, mieur tu vas à la Caroube ousque, dessur le soume, t'y as le bien de dieu et pas que des catsomarines, tu peux te commencer par une kémia avec les oursins qu'y sont tout verts mais quan même bien fermés atorment y meurent et après, si que t'y as l'estomac solides, qu'il est pas comme le mien à moi, tu te finis ça par une carnapelle que toi, tu t'la manges et qu'à moi, avant qu'elle te vient la courante, vite fait bien fait, la coquille qu'elles sont deux tu m'la donnes pour me décorer un peu le dedans du corridor d'à chez moi.

          Pour te revenir à not' ami René, j'ai un reproche que nous z'aut' on dit une tchaklala à lui faire. Diocamisère, depuis l'temps qu'est-ce qu'on a perdu comme argent et d'la belle argent en plusse, même si qu'elle est chinoise à cause qu'il a pas encore ouvert la CATSORAIDE qu'y nous z'a promis y a longtemps, tu sais, cette société qu'elle devait mette dessur le marché le catsomarine Made in Bône (attends un peu, j'ai pas ansulté ma ville, j'ai pas dis naadine) que c'est le mieur dessur la terre quan, dedans la mer pour qu'y reste vivant et frais et cuit tout de suite après. Y'alors c'est pour quan hein ? René !...

          Aut' soge main'nan, tu savais toi que l'escorpion, une aut' bête d'à chez nous z'aut', il est aussi mangé en Chine et il est pas donné lui non plus à cause que, y paraît que quan tu t'l'affogues en plein été y te fait baisser la température en dedans le corps ; tu t'racontes les z'écolomies d'alectricité que tu peux t'les faire en arrêtant ton climatiseur, si que t'y en as un bien sûr et si que tu l'as pas, c'est encore mieur, t'y as pas à t'l'acheter et aga un peu ces z'aut' z'écolomies.

          Alors, oilà ça que j'ai décidé si que René il est d'accord, aux chinois on leur vend les cats' et les escorpions on leur fait cadeau avec en plusse quèques chiens mais entention, pas des vrais, ces p'tites bêtes j'les z'aime trop pour leur faire du mal, on leur envoie des chiens morts et c'est pas ça qu'y manque en Patosie et pourquoi de Patosie ? C'est juste pour dire et pour varier un peu les provenances on enverra les cats' de Bône, les escorpions de Biskra et les chiens morts eux z'aut' avec une étiquette ousqu'y aurait écrit dessur " Made in ici " et pour qu'y comprennent bien, on leur soulignera PARIS qu'on mettra entre tarentaises.

Rachid HABBACHI

ANECDOTE
Dépêche de l'Est, 19 avril 1962

Souvenirs cinématographiques :
Avez-vous vu les lolos de Gina, Eléna et les nus ?
A l'époque c'était presque du "por'no" mais "pour nous".


JARDIN SECRET
Envoyé par M. Marc Dalaut
Ecrit par M. Gaëtan Dalaut

Mon coeur était l'enclos bordé de cyprès sombres
Où dormaient dans l'oubli tous mes espoirs passée,
Où des rêves très doux, du réel espacés,
S'estompaient lentement sous leurs dalles en ombres

Nul ne passait le seuil obstrué de décombres
Nul ne foulait jamais les sentiers effacés.
Sous des buissons piquants de lierres enlacés,
Mes vœux disparaissaient comme les bateaux sombrent.

Mais un jour, ignorant ce profond abandon,
Vous avez doucement franchi la porte close
Et parcouru ce sol où poussait le chardon.

- Sous chacun de vos pas éclosait une rose.-
Et le rêve et l'espoir ressuscitaient plus forts.
L'Amour, l'Amour est né parmi les regrets morts.


LE ROCHER DU LION
BÔNE son Histoire, ses Histoires
Par Louis ARNAUD

        A l'Entrée de la rade, tout près du rivage, il y avait un énorme rocher que la mer, toujours agitée à cet endroit, battait sans cesse.
        C'était le seul lion qu'avaient respecté les indigènes de ce pays qui ont déboisé la moitié de l'Algérie pour éloigner ces animaux qui dévastaient leurs troupeaux.
        Il était de pierre dure, éprouvée depuis des millénaires par les flots chargés de sel et les vents aigres.
        Il avait résisté à la fureur de la mer et à la violence des ouragans.

Rocher du Lion.

        Il était là, immobile et majestueux, donnant une impression de force tranquille et de noblesse. II semblait prendre la garde de l'entrée de la rade, tout prêt à défendre son port.

***

        Les lions ont joué un grand rôle dans la petite histoire du Pays.
        Les habitants les craignaient et les vénéraient ; le respect sort de la crainte, comme on sait. Ils ne souhaitaient leur disparition que pour la sauvegarde de leurs troupeaux dont le Seigneur de l'Atlas se nourrissait exclusivement et goulûment.
        Les lions ont disparu totalement des forêts de l'Edough" des Beni-Salah, de la Mahouna et des Monts de Souk-Ahras où ils étaient loin d'être rares autrefois.

        Enfant, vers 1890, j'en avais vu un au carrefour que forme le croisement des rues Gambetta et Perrégaux. Il était vieux et las, et paraissait avoir perdu toute vigueur. C'était un vieil indigène qui le tenait en laisse, comme un chien, et sans muselière, tant il devait être inoffensif. Le vieillard était fier de dominer enfin un lion, un vrai lion, en chair et en os.

        Mais depuis, je n'ai plus entendu dire, qu'il y en eut encore. Vers la fin du siècle dernier, cependant, quelques ravages dans les troupeaux d'alentour leur furent encore imputés. Il y avait encore un couple, car les lions n'aiment pas être seuls, qui circulait, disait-on, entre la forêt de l'Edough ou celle des Beni-Salah qui va de Morris aux Monts de Souk-Ahras, on en retrouvait des traces très nettes.

        Finalement on n'entendit plus jamais parler de lions dans la région de Bône, ni dans celle de Souk-Ahras et Guelma, théâtre des exploits de Gérard " le tueur de lions ". Ce Gérard était Maréchal-des-Logis de Spahis à Guelma. Il était admiré et aimé par les agriculteurs de la région pour lesquels sa présence était une véritable Providence. Lorsque leurs troupeaux étaient par trop décimés, ces malheureux agriculteurs faisaient appel à Gérard.

        Gérard, le tueur de lions fit école :
        Chassaing et Bombonel, fameux dans la province d'Alger, et Gaspard de Toursky, peintre polonais, qui courait entre Bône et Souk-Ahras à la poursuite du roi des animaux, furent parmi ses meilleurs adeptes.

***

        Les lions n'ont cependant pas toujours causé dans le Pays, exclusivement, des effets dévastateurs et négatifs
        L'Abbé Gatheron, curé de Souk-Ahras, en 1857, les fit servir à l'organisation de l'Eglise de sa paroisse.

        Léon Deyron, le regretté Maire de Souk-Ahras, signale, en effet, dans son livre " Souk-Ahras ", paru depuis sa mort, que cet Abbé Gatheron achetait de tout jeunes lionceaux et de jeunes panthères aux indigènes qui avaient pu les prendre dans leur tanière, pendant une absence de la mère, partie à la recherche de sa nourriture.
        L'Abbé les élevait et les soignait jusqu'à ce qu'ils aient atteint un certain développement physique, puis les revendaient aux Etablissement Zoologiques d'Europe. Le profit qu'il retirait de ces opérations servait à l'amélioration du nécessaire de son Eglise.
        Ainsi, nous dit Léon Deyron, trois lionceaux qui lui avaient été offerts, par un de ses paroissiens, M. Verillon, en juillet 1859, avaient permis l'achat d'une statue de la Vierge, des fonts baptismaux et d'un St-Ciboire.

***

        Le Rocher du Lion, lui aussi a disparu. Ce n'est point Gérard, surgi de sa tombe, qui l'a anéanti. Ce n'est pas non plus, qu'il soit parti vers d'autres cieux, pour vivre avec d'autres lions, puisque ces nobles animaux n'aiment pas se trouver seuls.

        Il était de pierre dure et résistante, que les flots avaient à peine effleurée. Il était là, seul, au milieu des flots bleus, sous ce ciel azuréen, sans arbres pour le cacher, depuis des siècles et des siècles, dans une même pose figée. Il ne serait jamais parti.

        Mais des hommes qui n'étaient ni des émules, ni des admirateurs de Gérard " le tueur de lions " et qui n'étaient pas, non plus, des iconoclastes, ont décidé de faire disparaître ce roc symbolique que l'on croyait sacré pour les Bônois, sous un vague prétexte relatif à la défense de la baie de Bône contre des incursions possible de sous-marins.
        Son image symbolique ne survivra dans ce pays où les vandales sont passés que grâce aux armoiries de la Cité bônoise.


A l'Aube de l'Algérie Française
Le Calvaire des Colons de 48
                                       Par MAXIME RASTEIL (1930)                                       N° 17

EUGÈNE FRANÇOIS
Mon ancêtre

Quoi de plus louable que de partir à la recherche de ses ancêtres !
Découvrir où et comment ils ont vécu !
La Bruyère disait : " C'est un métier que de faire un livre. "
Photo Marie-Claire Missud
J'ai voulu tenter l'expérience de mettre sur le papier après la lecture d'un livre sur "les Colons de 1848" et le fouillis de souvenirs glanés dans la famille, de raconter la vie de ce grand homme, tant par sa taille que par sa valeur morale, de ce Parisien que fut Eugène FRANÇOIS né à Meudon en 1839, mort à Bône en 1916.
Tout a commencé lors de l'établissement d'un arbre généalogique concernant le côté maternel de notre famille : arrivé à notre ancêtre : qu'avait-il fait pour qu'une "Rue" de ma jolie ville de "Bône la Coquette", porte son nom dans le quartier de la Colonne Randon ?
Tout ce que j'ai appris, j'ai voulu le faire découvrir tout simplement comme d'autres ont écrit sur nos personnalités et grandes figures Bônoises !
Pour qu'aujourd'hui, on n'oublie pas ce qui a été fait hier !...
Marie Claire Missud-Maïsto

PREMIÈRE PARTIE

DU BLED A LA VILLE...


          Les titres de propriété étant enfin délivrés, ce ne devait être que bien plus tard, en 1854, que l'Etat finit par mettre en chantier les maisons qu'il avait promises aux immigrants de la première heure. Elles furent toutes édifiées par les soins et sous les ordres du Capitaine du Génie, M. Foucaud.
          Elles se composaient uniformément d'un rez-de-chaussée en façade sur la rue comprenant deux pièces avec un réduit servant de cuisine, buanderie et débarras. Derrière était le jardin potager avec quelques arbres à fruits. Cela représentait enfin un peu de confortable et de chez soi, mais combien d'années avait-on mis pour exécuter ce programme et combien peu de Colons de 1848 eurent la satisfaction de connaître la joie d'un foyer familial bien à eux, attendu que, depuis longtemps déjà, ils habitaient le cimetière !
          Pour ce qui était de la Colonisation, tout allait encore cahin-caha par suite des mécomptes de la culture et de l'insécurité. Le peu que l'on récoltait, il fallait, le fusil en main, le surveiller et le défendre chaque nuit contre les maraudeurs indigènes.
          Le père Puchot, dont j'ai déjà beaucoup parlé à propos des briques molles, trouva certain soir un " truc " ingénieux pour mettre en déroute ces dévaliseurs nocturnes. S'étant caché dans un meulon de fourrage, il vit tout à coup arriver une bande de pillards. Notre homme tira alors un coup de feu dans leur direction, puis il se mit à crier de toutes ses forces :
          - Gendarmes, par ici !... Garde-champêtre, par là !

          Bref, il se démena si bien et fit tant de tapage que les voleurs; croyant avoir à faire à une troupe armée, prirent la poudre d'escampette.
          Bien moins favorisés étaient, par contre, la plupart des Colons qui, pour le transport de leurs produits, Céréales, fourrages ou tabacs, formaient des convois de chariots traînés par des boeufs. On partait de Mondovi à huit heures du soir pour arriver à Bône à cinq heures du matin, et encore quand on arrivait, car maintes fois le fameux bandit Bonguerra et quelques-uns de ses pareils venaient assaillir en cours de route les conducteurs qu'ils massacraient ou obligeaient à demander grâce pendant qu'ils pillaient à leur aise tout le chargement, fruit d'une année entière de travail.
          Ah oui ! Triste et lugubre période de fléaux et de misères que celle-là !
          En ce qui me concerne, après avoir été employé de façon assidue au domaine Nicolas-Girerd, je vis se lever un beau matin l'aube de mes vingt ans.
          Faut-il vous avouer que j'étais si fort, si haut de taille et si vaillant à la besogne, que ma réputation s'étendit jusqu'à Bône, où l'on ne tarda pas à savoir qu'aucun faucheur de la plaine ne pouvait me dépasser ni même me suivre pour les travaux de la moisson ou de toute autre nature.
          Il m'arrivait d'entendre des gens s'écrier autour de moi : " Le grand Eugène n'a pas encore trouvé son maître ! "
          Privé de concession; puisque mon père y avait renoncé à la veille de mourir après avoir perdu presque usus les siens; qu'eusse-je fait seul à Mondovi? En bonne justice, l'Etat aurait dû tenir compte de mes malheurs immérités en me réintégrant d'office dans la concession familiale que j'étais à même de diriger et de mettre en valeur ; mais il n'y songea pas une minute.

          D'autres arrivaient déjà qui n'avaient pas connu nos déboires, nos tristesses, nos infortunes, et qui allaient profiter de ce que nous avions souffert.
          Devant une pareille ingratitude administrative, il ne me restait plus qu'à quitter le Centre de Mondovi pour chercher ailleurs une situation, et grâce à ma renommée d'excellent travailleur, cela ne fut pas difficile.
          Dans le courant de l'année 1859, j'entrai comme contremaître à la ferme de M. Lacombe, alors maire de Bône, qui avait pour fermier le père Bonnefoy, dont je ne devais pas tarder à épouser la fille. Ce fut un beau et joyeux mariage où l'on s'amusa fort, et qui me valut les félicitations de nombreuses personnalités bônoises qui s'intéressaient à la prospérité du pays.
          Il advint ensuite que pour alléger les charges de mon beau-père, lequel ne payait pas moins de 12.000 francs de fermage, je pris à mon compte un quart de celui-ci. Une succession de bonnes récoltes me favorisa et me permit de ramasser quelque argent.

          Le mandataire de. M. Lacombe était M. Vidal, notaire, à qui je versais le montant de ma location. II me proposa certain jour une affaire d'apparence assez avantageuse. Il s'agissait de me rendre acquéreur de 4.500 mètres de terrains vagues, situés au quartier dit des Prés-Salés, et que les dames Berthier de Sauvigny mettaient en vente.
          Je traitai cet achat sans hésitation, et c'est ainsi qu'après avoir quitté la ferme Lacombe, je devins propriétaire au faubourg naissant de la Colonne Randon, à proximité du terre-plein où, sur le monument élevé en l'honneur des Soldats de la conquête, on lit cette inscription un peu effacée par le temps :

ROUTE DE L'EDOUGH
Randon Général
Artillerie 10ème Régiment
Génie 5ème Régiment
Zouaves 3ème Léger
Légion Etrangère 2ème Régiment
1842

          Un boulet de pierre surmonte cette colonne sans faste, devant laquelle circule aujourd'hui une population affairée, en grande partie indifférente à tout ce que cette énumération laconique évoque de grandeur militaire et d'héroïsme national.

A SUIVRE       
Merci à Thérèse Sultana, et Marie-Claire Missud/Maïsto, de nous avoir transmis ce livre de Maxime Rasteil qui a mis en forme les mémoires de son arrière grand-père Eugène François.
Elle a aussi écrit un livre sur lui.
J.P. B.

Le PANTIN
Envoyé par M. Marc Dalaut
Ecrit par M. Gaëtan Dalaut

Je tressaute au bout d'un fil
Comme une marionnette'
Dansant de face et de profil.

Ma vie est Poisson d'Avril
Je goûte peu sa saynète
Je tressaute au bout d'un fil.

J'ai senti vent et grésil
Ils embrumaient ma lunette
Dansant de face et profil

Regardant sous mon sourcil
L'Avenir en devinette
Je tressaute au bout d'un fil

J'ai vécu, seul, en exil
Souvent sur autre planète
Dansant de face et profil.

Arrivé l'âge viril,
Ma douleur se fit muette,
Je tressaute au bout d'un fil

Mais - ex nihilo nihil -
Eros, d'une pichenette
Dansant de face et profil.

A mon cou - t'en souvient-il ?
Riva tes bras en chaînette.
Je tressaute au bout d'un fil
Dansant de face et profil.



COLONISATION de L'ALGERIE
  1843                           Par ENFANTIN                      N° 32 
CONCLUSION
DU GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE.
  
        I. - Le gouvernement de l'Algérie ne saurait être, en ce moment, un gouvernement civil; c'est une vérité tellement évidente, qu'il me paraît superflu de la démontrer. Cependant, si l'on veut faire oeuvre colonisatrice, et même si l'on veut organiser les tribus, l'autorité ne peut plus être aussi exclusivement militaire qu'elle l'a été jusqu'ici.
        Comment serait-il possible de lui donner ce caractère mixte, conforme à ce double but, civil et militaire? - Trois procédés se sont présentés pour résoudre cette difficulté ; ils ont été tous trois proposés, examinés, discutés; le premier, qui paraissait le plus simple, a seul été à peu près essayé.
        1° Augmenter les attributions de l'autorité civile, et les élever à la même hauteur que celles de l'autorité militaire;
        2° Confier le gouvernement général à un personnage qui, par exception, serait en dehors ou au-dessus de la distinction si tranchée qui sépare le militaire du civil ; un personnage qui aurait, avant tout et presque uniquement, le caractère politique; par exemple, un Prince, ou un ex-ministre, ou un ambassadeur (1).
        3° Faire ressortir directement l'administration et le gouvernement de l'Algérie d'un ministère autre que le ministère de la guerre (2).

        II. - L'essai du premier moyen n'a pas été heureux, et l'on y a renoncé ; il était tout à fait vicieux, puisqu'il divisait entre deux personnes 1a puissance suprême, qui, en Algérie surtout, doit être unitaire.
        Le second n'est pas impraticable, mais, dans l'hypothèse la plus convenable, il serait délicat à employer : c'est créer une vice-royauté ou tout au moins un ministère, en dehors du ministère et hors de France.
        Le troisième ne résout pas la difficulté, quoique, d'après M. E. Buret, ce fût l'opinion de Casimir Périer; d'abord, parce que nul ministère spécial, actuellement existant, n'a plus de titres au gouvernement de l'Algérie que le ministère de la guerre; ensuite, parce que la présidence du conseil n'est pas un ministère, mais simplement un moyen d'ordre dans le Cabinet. Il y a, sans doute, de très grandes chances pour que le président du conseil soit, politiquement, le ministre le plus considérable; mais il a lui-même un portefeuille particulier, et alors ce serait naturellement dans ce portefeuille particulier que rentreraient les affaires d'Algérie. Ainsi, aujourd'hui, elles seraient au ministère de la guerre, puisque M. le Président du conseil est ministre de la guerre ; un autre jour, elles auraient été aux relations extérieures ou à l'intérieur, à moins que la présidence du conseil ne fût elle-même un ministère, ce qui n'est pas, ou ce qui serait réellement créer un nouveau ministère.
        Je crois cependant que le problème n'est point insoluble, et comme l'Algérie n'est pas le seul pays outre-mer que possède la France, la solution pourrait avoir quelque intérêt pour nos colonies, qui n'ont pas été, jusqu'ici, notre côté brillant.

        III. - L'Algérie prouve avec évidence qu'il ne suffit pas d'être marin pour être appelé à fonder ou gouverner une colonie; car personne n'a encore songé à y nommer Gouverneur général un amiral, et à faire ressortir ce gouvernement du modeste bureau des colonies. Et comme toutes ou presque toutes nos colonies sont gouvernées par des capitaines de vaisseau et amiraux, et que toutes sont sous la direction du ministère de la marine, leur prospérité ne prouve pas davantage que la marine militaire possède les qualités nécessaires pour organiser des sociétés dont le premier besoin est de produire beaucoup, d'échanger beaucoup, c'est-à-dire de faire de la culture, de l'industrie et du commerce, choses tout à fait étrangères aux goûts, aux habitudes, aux études d'un officier de marine militaire.

        La terre, l'industrie, le commerce, voilà trois choses qui sembleraient même devoir exclure la marine militaire du gouvernement des colonies ; il lui a sans doute été attribué parce qu'on ne peut venir de la métropole sur ces terres que par mer ; franchement, cette raison ne saurait exercer une influence capitale sur la nature du gouvernement des colonies ; elle ne saurait décider que les Gouverneurs dussent être des officiers de marine ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne petit pas venir, de France en Algérie, par terre, et que personne ne songe cependant à faire gouverner cette colonie par un marin, sous la direction du ministère de la marine et des colonies.
        Il serait fort heureux que l'Algérie nous ouvrit les yeux sur ce point, et que la plus simple logique nous fit tirer une conséquence immédiate du principe gouvernemental que nous appliquerons à cette grande colonie, afin de l'appliquer aussi à nos autres colonies.

        IV. - Il me semble qu'un ministère qui aurait spécialement le gouvernement de toutes nos affaires coloniales, et de qui dépendraient aussi nos consulats (je ne parle pas des ambassades, mais simplement des consulats, qui sont et seront toujours trop politiques et pas assez commerciaux, dans les mains d'un ministre, chef de la diplomatie), il me semble, dis-je, qu'un pareil ministère serait assez lourd pour fatiguer même un homme d'État très vigoureux. Je suis certain que M. le Directeur du bureau des colonies à la marine, M. le Directeur des affaires d'Algérie à la guerre, et le chef du bureau des consulats aux relations extérieures, ne me démentiraient pas. Que serait-ce donc si ce ministère attirait à lui toutes les affaires qui concernent réellement les colonies, Alger et les consulats, et qui passent aujourd'hui par-dessus ces bureaux, pour aller directement dans d'autres bureaux, des mêmes ministères ou d'autres ministères ?

        Que le chef d'un pareil ministère soit tantôt un marin, tantôt un militaire, ou même un diplomate, ce ne serait plus précisément une question, pourvu qu'il sût ce que c'est que le gouvernement d'une colonie; et comme ce serait lui qui imprimerait le mouvement à toute la machine coloniale, et que ses bureaux régulariseraient ce. mouvement, on aurait au moins la garantie que les colonies ne seraient pas sacrifiées à la spécialité marine, l'Algérie à la spécialité guerre, et les consulats à la spécialité un peu plus large diplomatie; ce qui pourrait bien être aujourd'hui.
        Et si alors, selon les besoins présents de telle ou telle colonie, ce ministre faisait confier, par le Roi le gouvernement général de cette colonie à un militaire, à un marin, ou même à un civil, comme dit M. le général Duvivier, il faudrait bien, quel que fût son titre spécial, que ce Gouverneur général fût, avant tout, colonisateur, et qu'il gouvernât en même temps les affaires civiles, maritimes et militaires de la colonie, à l'instar et sous l'inspiration du ministre, quand bien même le ministre et lui seraient sortis de deux spécialités différentes. .
        Le ministère de la marine, en France s'appelle ministère de la marine et des colonies. Est-ce que, par hasard, il attendrait que l'Algérie fût pacifiée et colonisée par le ministère de la guerre, pour en prendre possession? - Je ne le pense pas, cela ne serait pas digne de lui. Pourquoi donc ne prend-il pas dans ses attributions cette colonie française ? - C'est que, malgré son titre, il n'est pas constitué pour coloniser.
        Et le ministre de la guerre gouverne une colonie, pourquoi ? - Parce qu'on n'y fait que la guerre : et on ne fera que la guerre, tant que le ministère de la guerre la tiendra ; c'est inévitable.

        Ces deux ministères ont, l'un et l'autre, un but trop spécial, pour qu'il soit possible de les rendre propres à organiser autre chose que des régiments et des vaisseaux; c'est-à-dire des réunions d'hommes qui ne ressemblent pas plus qu'un couvent de moines, aux réunions d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, qui cultivent la terre, vendent, achètent, ont une maison, une famille, forment des villages, des villes , une SOCIÉTÉ enfin, chose que tous les soldats, tous les marins et tous les moines du monde ne peuvent pas former.
        Personne n'imagine de faire décider une question de science par l'Académie française, ni le mérite d'un poème par l'Académie des sciences ; eh bien ! Nous ne pouvons pas et n'oserions réellement pas faire juger la question de la colonisation de l'Algérie par le ministère de la marine et des colonies, et nous la faisons juger par le ministère de la guerre ! Il y a certainement là deux choses qui blessent la raison.

        V. - Bien des gens s'effraieront de l'idée de créer ainsi un nouveau ministère. C'est chose bien grave, dira-t-on, que d'introduire dans le mécanisme gouvernemental une grande roue de plus. Oui, sans doute, la chose est grave ; mais l'Algérie n'est-elle pas une chose très grave ; et nos colonies ne sont-elles pas aussi dans une position très grave? Créer un ministère n'est pourtant pas une nouveauté pour nous. N'avons-nous pas un ministère des travaux publics et un ministère du commerce qui ne datent que d'hier ?
        Lorsqu'il y a trente ans, sous l'Empire, la grande affaire politique et la préoccupation dominante de l'administration étaient de lever des soldats et de percevoir l'impôt, nous avions, pour l'armée seule, deux, trois et presque quatre ministères (3), et pour l'impôt, deux ministères (4). Sous la Restauration, le gouvernement n'était pas aussi guerrier, et nos administrateurs étaient moins absorbés par la conscription, mais on était fort occupé du clergé ; il était donc tout naturel que nous eussions un ministère des cultes, et même la grande aumônerie pour succursale, tandis qu'aujourd'hui les cultes se sont fondus dans la justice (5). De nos jours, avec le régime de paix que la Restauration nous avait préparé et que nous avons conservé, le commerce, les manufactures et les travaux publics ont pris une importance politique immense ; il suffit, pour s'en convaincre, de voir le nombre de négociants, de manufacturiers et d'ingénieurs civils qui figurent dans nos Chambres ; il était donc naturel de créer ces deux ministères, que l'Empire n'avait pas, et que la Restauration avait préparés, par l'importance qu'elle avait donnée aux douanes, c'est-à-dire à la partie défensive, prohibitive et négative de l'industrie, dont elle ne pouvait pas diriger et inspirer l'essor positif et productif, par crainte de dérogeante.

        Ces deux ministères nouveaux, que nous possédons fort heureusement aujourd'hui, sont des expressions très claires de notre état social actuel et de l'influence prise par certains éléments constitutifs de la société, éléments qui, à d'autres époques, étaient tout à fait subordonnés.
        Or, depuis 1830, précisément à la date de l'ère politique où nous sommes, il s'est introduit, dans la constitution du royaume de France, un fait qui, depuis lors, a sans cesse grandi en importance, qui s'est attaché, pour ainsi dire, comme un signe nouveau, au drapeau de la Révolution de Juillet, et qui semble ne. pouvoir plus lui être enlevé par nous-mêmes ; l'Algérie et la Révolution de 1830 sont liées l'une à l'autre d'une manière indissoluble ; ce sont deux jumeaux attachés par le tronc, qui doivent vivre ensemble ou bien ensemble mourir. La conquête de l'Algérie, par M. de Bourmont, est, pour la Révolution de juillet, ce que fut, pour les Bourbons, la conquête de la tribune par M. Lainé, et de la presse par M. de Châteaubriant, en 1814 et 1815; le jour où les Bourbons ont méconnu le lien de commune origine qui les attachait à la tribune et à la presse, et où ils ont voulu le briser, ils se sont brisés eux-mêmes.

        VI.- Cette époque de 1830 a été fertile en nouveautés pour la France. La crise d'affranchissement devait nécessairement se faire ressentir dans nos possessions coloniales ; l'affranchissement des esclaves, l'abolition de la traite, la reconnaissance des Républiques émancipées en Amérique, étaient des conséquences. En effet, depuis 1830 parmi les plus grandes questions politiques qui nous ont occupés ou qui nous occupent, on en trouve un très grand nombre qui viennent de ces points : le traité avec les États-Unis, la guerre du Mexique, celle de la Plata, la question des sucres et celle du droit de visite, voilà certes des préoccupations que l'Empire ignorait, que la Restauration prévoyait et éludait, mais qui nous pressaient ou nous pressent encore.
        En même temps, la politique européenne suivait l'impulsion à laquelle nous avions obéi nous-mêmes lorsque nous avions pris Alger ; tous les peuples d'Europe, satisfaits d'avoir mis une longue trêve à la guerre qu'ils se faisaient depuis plus de vingt ans, éprouvaient un besoin irrésistible d'expansion et tournaient les yeux vers l'Orient ; ce fut le point de mire de toute la diplomatie européenne. La France ne voulut pas rester en arrière, elle voulut, au moins, voir et savoir ce qu'on allait faire; elle institua la navigation à vapeur de la Méditerranée.

        Or, ceci est curieux : - Sera ce le ministère des relations extérieures ou le ministère de la marine, qui gouvernera cette oeuvre extérieure de marine ?- Ni l'un ni l'autre ; c'est le ministère des finances !
        Je me réjouis, autant que qui que ce soit au monde, de ces créations de la France ; je les trouve excellentes, je les crois même beaucoup mieux exécutées par l'administration des postes qu'elles ne l'auraient été par le ministère de la marine ou par celui des relations extérieures; mais que prouve ce succès? - Que l'administration des postes et le ministère des finances connaissent mieux que le ministère de la marine et celui des relations extérieures, les besoins et les habitudes qui rapprochent la France des pays étrangers d'outre-mer, c'est-à-dire le commerce.
        Resterait donc à savoir s'il est bien que les relations de commerce extérieur dépendent du ministère des finances, ou s'il ne vaudrait pas mieux qu'elles dépendissent du ministère du commerce, ou plutôt encore d'un ministère des colonies, de qui relèverait naturellement le commerce maritime.
        Sur ce dernier point, j'appelle encore l'attention. Quoique nous ayons un ministère du commerce, la marine marchande est dans la position où seraient les manufactures, si le ministre de la guerre CLASSAIT leurs ouvriers et en disposait pour les besoins de la guerre, selon des règlements faits par la guerre, comme le ministre de la marine classe les marins du commerce et en dispose; c'est dire que notre marine marchande est dans une position très inférieure à celle que nous permettent d'avoir le littoral et la population de la France. Au contraire, si le ministère que j'appelle des colonies possédait une marine qui lui fût propre, et qui fût l'intermédiaire entre la marine militaire et la marine marchande, cette marine serait naturellement, en cas de guerre, le meilleur complément de la marine militaire; elle serait aussi, en temps de paix, le meilleur directeur et régulateur de la marine marchande.

        Je ne m'ingénie pas à chercher dans notre organisation sociale de petits défauts qui échappent à l'oeil. Les faits que je signale sont connus de tout le monde et affligent ou humilient profondément notre amour-propre national. Chacun répète : nous ne savons pas coloniser; notre marine marchande est coûteuse, lente, peu intelligente du commerce arrive toujours la dernière et repart vide ; nos consuls se prétendent diplomates, mais ils n'ont pas l'esprit du négoce et de l'industrie, et les consuls anglais et américains font échouer toute leur diplomatie; enfin, l'Algérie nous écrase : nous ne nous en tirerons pas à notre honneur, disent les uns en gémissant, tandis que les autres s'écrient : tirons-nous-en bien vite !

        Je ne crois pas que tout ceci tienne à des causes invincibles, que ce soit un résultat fatal de nos dispositions naturelles ; je crois seulement que nous dirigeons maladroitement l'emploi de ces facultés, et qu'il est très possible de modifier cette direction.
        J'ai dû m'arrêter longtemps sur ce sujet, parce que je n'ignore pas la résistance très légitime quo l'on rencontre, quand on ne justifie pas et qu'on se contente d'énoncer une proposition aussi capitale que celle de la création d'un nouveau ministère. De nombreux intérêts se croient froissés, des amours-propres se sentent blessés de ce qui pourtant ne devrait réellement froisser et blesser personne. En effet, la création des ministères des travaux publics et du commerce a-t-elle pu nuire, en quoi que ce soit, aux intérêts ou à la: gloire du ministre de l'intérieur, qui a émancipé ces deux mineurs qu'il avait sous sa tutelle, quand le jour de leur majorité est venu? Les chefs de divisions ou de bureaux, et les employés de ces divisions de l'intérieur, ont-ils souffert, en passant d'une rue dans une autre, d'une petite division spéciale dans un grand ministère? Les ponts et chaussées, les mines, n'ont rien perdu de leur importance, au contraire ; et quant à la France entière, je crois très fermement qu'elle y a beaucoup gagné, malgré la somme dont cette création a pu grever le budget. C'est ce qui arrivera toujours, quand les créations de ce genre ne seront pas des créations de fantaisie, et seront justifiées par des besoins impérieux et immédiats de la société. La colonisation de l'Algérie est un de ces besoins.

        VII. - Le Gouverneur général de l'Algérie serait donc, dans ma pensée, en rapport direct et unique avec le ministre des colonies. Une des divisions du ministère aurait spécialement la direction des affaires d'Algérie.
        Le ministre traiterait avec ses collègues toutes les affaires relatives aux différents services de l'Algérie, correspondant aux divers ministères, comme le fait aujourd'hui le ministre de la marine pour les colonies, et le ministre de la guerre pour l'Algérie. Toutefois, vu l'importance et le rapprochement de l'Algérie, ce ministre devrait tendre progressivement à spécialiser l'organisation de cette colonie, de manière à ce que, successivement, les différents services militaires, de justice, de marine, d'enseignement, de travaux publics, d'industrie et de commerce, fussent constitués spécialement pour l'Algérie, et ne ressortissent directement que de lui. C'est même en cela que consistera l'organisation définitive de l'Algérie; jusque-là, elle ne sera réellement que préparatoire et provisoire.

        Déjà l'organisation des corps spéciaux militaires de l'Algérie est un exemple de la spécialisation dont je parle, et cet exemple est trop heureux pour que je ne l'emploie pas a développer la pensée que je viens d'exprimer.

1 - Le bruit public a, en effet, investi de cette espèce de vice-royauté, tantôt Monseigneur le duc de Nemours, et tantôt MM. de Rémusat, de Mortemart, Decazes, et même M. Thiers.

2 - M. E. Buret propose (question d'Afrique) le président du conseil, ce qui se rapproche de la solution; il indique d'ailleurs un autre moyen comme l'ayant entendu proposer; c'est celui que nous exposerons tout à l'heure.

3 - Ministère de la guerre. - Ministère de l'administration de la guerre. - État-major général du Prince Berthier, qui était certes un véritable Ministère. -Ministère de la police, dont la gendarmerie jouait un fort grand rôle à l'égard des conscrits et des contribuables.

4 - Ministère des finances, Ministère du trésor.

5 -Chose toute naturelle, car ce sont les avocats qui ont vaincu les jésuites.

A SUIVRE

DEVANT L'HEXAGONE
Par RAOUL GIRARDET
Trait d'Union N° 33, mai 1993
Juin 1962, pour un million de pieds-noirs contraints à l'exil, cet été-là garde à jamais un goût de cendres. Professeur à l'Institut d'histoire politique, Raoul Girardet a pris fait et cause pour les parias de "l'Algérie française". Pour cet ancien résistant, l'abandon de l'Algérie est le signe d'un autre engagement : le dégagement civique. C'est ce qu'il explique dans ce texte aux accents prophétiques publié voici trente ans.
**********

       Au printemps de l'année 1962, pour des centaines de milliers d'hommes, un choix a été tracé sans équivoque : ou la perte de la nationalité dans laquelle ils sont nés ou la résignation à la condition de personne déplacée. Pour ceux qui ont prétendu rester fidèles à la terre de leur enfance, fidèles aux maisons de leurs pères et fidèles en même temps à leur titre de citoyenneté on n'a pas lésiné sur les moyens de briser leur volonté. Ainsi des baïonnettes françaises ont-elles été utilisées pour imposer une domination étrangère à des citoyens français vivant sur une terre constitutionnellement française. Ainsi la force française a-t-elle été employée à écraser une résistance française. Pour avoir voulu rester membres de la communauté nationale, des hommes sont devenus des réprouvés à l'intérieur de cette même communauté.

       Hier insurgés dont nul geste de pitié n'a tenté d'atténuer le désespoir ; aujourd'hui vagabonds encombrants et suspects devant qui l'on dissimule mal l'envie que l'on a de les voir aller mourir ailleurs... Du moins commencent-ils à comprendre que la très haute notion de l'ordre public qui règne désormais dans l'hexagone métropolitain ne saurait en aucun cas être mise en cause par la survivance intempestive de quelques principes accessoires de solidarité collective.

       Je le sais bien. Ce n'a pas été la première fois, dans une histoire pleine de déchirements, toute remplie de gestes de meurtre et de cris de haine, que les Français, dans les ruines d'une ville, ont lutté les armes à la main contre d'autres Français. Ce n'a pas été la première fois qu'un pouvoir a entrepris de réduire par la force une population rebelle, une cité insoumise, une province révoltée. Il faut supplier cependant ceux qui ne semblent pas l'avoir aperçu de prendre garde à la monstrueuse singularité du spectacle qui vient de nous être offert. Lorsque Henri IV investissait Paris, ce n'était pas pour remettre la ville entre les mains des Espagnols. Lorsque Hoche recevait mission de pacifier la Vendée, ce n'était pas pour la livrer à Pitt et à Cobourg. Il n'a jamais été très fréquent de voir un Etat s'acharner à imposer la sécession à ceux qui la refusent. II n'a jamais été très usuel de voir un gouvernement verser, pour défaire et pour exclure, beaucoup plus de sang qu'il n'en aurait jamais fallu pour conserver et pour unir.

       S'il en est temps encore, il faut supplier, d'autre part, ceux que n'a cessé de hanter le seul espoir d'une tranquillité retrouvée, de songer aux extravagantes conséquences du principe qu'ils ont permis d'introduire dans le droit public national : principe qui n'est rien d'autre que celui de la ségrégation à perpétuité. La décision d'exclusion que l'on a fini par imposer au peuple français d'Algérie risque, en effet, de se trouver demain applicable à n'importe quelle autre catégorie de citoyens. Département à la rentabilité jugée insuffisante, couleur de peau estimée non conforme à la norme, accent provincial déclaré excessif et déplaisant, fidélité religieuse ou politique considérée comme non orthodoxe : on voit mal désormais quel critère de rejet pourrait ne pas être invoqué. Si l'on admet la légitimité de l'acte qui a conduit à expulser de la collectivité nationale et contre leur volonté, des centaines de milliers de nos frères - frères par la loi et frères par leur libre choix - comment ne pas comprendre que c'est le contrat implicite sur lequel repose toute société politique qui se trouve définitivement rompu ?

       Comment ne pas voir qu'aucune cité ne peut survivre là où le citoyen peut à chaque instant se trouver rejeté hors de la loi garante de sa vie et de ses biens ? Qui osera affirmer que l'exclusive qui vient d'être proclamée à l'égard d'une certaine espèce de Français ne porte en son principe d'autres schismes, d'autres exclusives, d'autres déchirures ?

       J'avais huit ans peut-être, ou neuf ans, lorsque, à l'école communale de la rue Levert (Paris 20ème), j'ai entendu commenter l'un des grands tableaux "en couleurs" qui décoraient la salle de classe et qui étaient destinés à illustrer les grandes dates de notre histoire. Il représentait, ce tableau, une foule misérable d'hommes, de femmes et d'enfants errant dans la neige. C'étaient, nous expliqua l'instituteur, les protestants chassés de France après la révocation de l'édit de Nantes. Ils devaient, nous dit-il, quitter leurs maisons, leurs champs et leurs métiers, parce que le roi avait décidé qu'ils n'étaient pas "des Français comme les autres". Ce fut, nous dit-il encore, un très grand crime et dont la France eu longtemps à souffrir... "Si l'on regarde la chose de près, ai-je lu beaucoup plus tard dans Vauban, on trouvera qu'au lieu d'augmenter le nombre des fidèles de ce royaume, "la Révocation" n'a produit que des relaps, des impies, des sacrilèges et profanateurs de ce que nous avons de plus saint".

       A ceux que semble avoir scandalisé l'acharnement mis par quelques-uns de leurs compatriotes à poursuivre un certain combat, il est permis de rappeler l'histoire des hommes de leur pays telle que, pendant plus d'un demi-siècle, l'enseignèrent aux enfants de ce même pays les maîtres que la République avait cru bon de leur donner.


RAOUL GIRARDET      

LE TEMPS
Envoyé par M. Marc Dalaut
Ecrit par M. Gaëtan Dalaut

Monsieur le Temps suit son chemin
Entraînant l'Oubli dans sa trace,
Monstre dont l'appétit vorace
Ne remet rien au lendemain.

Sous son inexorable main
Ce qui naît et vit meurt et passe.
Monsieur le Temps suit son chemin
Entraînant l'Oubli dans sa trace.

J'ai fait, désormais enfui, maint
Rêve, aussi, laisse moi de grâce,
Savourer lorsque Je t'embrasse
Mon fugitif bonheur humain.
Monsieur le Temps suit son chemin.



COUP-D'ŒIL SUR LES
INSTITUTIONS COLONIALES
Algériennes
TRIBUNAUX DE COMMERCE.

                                                                         Vous rendrez la même justice à l'étranger
                                                                         Chacun doit être jugé par ses pairs.
                                                                                                 Le sens commun)

*****
       Si le commerce a besoin, par des Chambres consultatives, de faire savoir à l'autorité désireuse de remplir sa mission de justice, les améliorations qu'il y aurait à apporter dans les réglementations qui le régissent, il lui est surtout indispensable d'avoir ses Tribunaux particuliers dont la justice pratique puisse saisir tout de suite les questions industrielles, commerciales, financières et maritimes, en pénétrer l'importance, et les résoudre selon l'usage et l'intérêt commun du commerce.
       Aussi, le commerce qui, de bonne heure, a compris l'idée d'indépendance personnelle que résume celle de la propriété et qui, pour garantir cette indépendance et cette propriété contre les erreurs de la force, a, par la lettre de change et la vente , ramené la propriété à une opération d'algèbre parfaitement connue de ceux qui se livrent au négoce (quoique peut-être la théorie ne soit pas aussi familière que la formule), a voulu, comme toute société ayant le sentiment des lois de son existence, avoir, pour ses conceptions et ses opérations, sa juridiction personnelle, spéciale, particulière.

       Cette juridiction naturelle et logique n'a jamais été récusée par les véritables commerçants, quand elle a été exercée selon les règles du commerce et les principes dont les villes hanséatiques ont été les remarquables adhérents. En effet, autrefois nous la voyons mise en oeuvre par les prévôts des corporations jugeant les différents commerciaux de leurs membres, et, depuis 1789, exercée, en France, par ce qui a remplacé les magistrats industriels et commerciaux d'autrefois; magistrats trop exclusifs, il est vrai, trop exceptionnels, on ne peut le nier, que la Révolution, dans la fougue de sa colère, ne se contenta pas de bannir de leurs siéges, mais dont elle détruisit aussi la magistrature. Institution sociale, dont la conception aurait du être mieux appréciée, surtout après les travaux de Turgot et des autres économistes de l'époque; institution qu'il fallait corriger, perfectionner, mais non supprimer.
       La Révolution, égarée dans bien des choses et qui, trop souvent en haine des abus du passé, méconnut la nécessité d'institutions sociales qu'ils avaient perverties, et qu'il fallait par des réformes ramener à leur raison d'être, les brisa. Elle fit donc table rase de l'organisation incomplète, industrielle et commerciale du passé, au lien de la compléter, de la perfectionner par des adjonctions, des réductions graduées et successives.

       Ce fut une erreur, comme tant d'autres, provenant d'une impatiente ignorance pleine de bonne volonté; car à peine cette suppression irréfléchie des corporations, qu'il fallait élargir, rendre admissibles à tout le monde, avait-elle eu lieu que l'instinct commercial, le plus intelligent de tous, ne voulant pas périr dans le vide et la confusion, décorés du nom de liberté, où il se sentait lancé par d'imprudents amis, se cramponna à la première chose qui parut pouvoir le sauver de la perdition. Des Tribunaux de commerce quelconques, composés n'importe comment, recrutés par n'importe qui , imposés par n'importe quels intérêts, obéissant à n'importe quelle pensée, lui ayant été offerts, ils furent acceptés par lui, avec bonheur, comme une planche de salut à ne pas rejeter sous peine de mort.
       L'important pour le commerce, qui ne vit pas d'utopies grecques ni romaines, qui ne veut résigner à personne son pouvoir, et qui, chaque jour, livre, à ses risques, la bataille de la vie contre qui veut le réduire â ses ordres, c'était d'avoir d'abord des juges spéciaux issus de sa race, et ces juges étant donnés furent acclamés avec joie; c'était la réintronisation de ses droits.
       Mais, à mesure que la tourmente révolutionnaire` s'apaisa, que l'ordre matériel se rétablit dans la rue, que lés transactions, alimentées par la production, reprirent leur cours régulier, l'organisation perfectible des Tribunaux transitoires de commerce, acceptée telle quelle, quand il s'agissait non pas de choisir mais de prendre, fut avec le temps soumise au creuset de l'expérience qui, graduellement, révéla à l'examen les omissions et les imperfections constitutives de la conception première.

       En Algérie, à la suite de la conquête militaire (entreprise peut-être au fond plutôt pour obéir aux inspirations erronées d'un prosélytisme dévoyé de son origine sociale et divine, que pour satisfaire à des idées colonisatrices, combattues par la stérilité du cloître et des virginités anti-naturelles), la juridiction commerciale a été exercée jadis par les prévôts de l'armée, qui représente parfaitement la pensée de une foi; une loi; une langue. Le commerce devenant sédentaire, cette juridiction fut exercée ensuite par des commandants de place. Mais le commerce ne se contentant pas de leur justice sommaire, quoiqu'à bon marché, et obéissant à la pensée qui veut que chacun soit jugé par ses pairs, insinua que le moindre juge civil ferait bien mieux son affaire. Un juge unique, civil donc, sur le rapport curieux de M. Laurence, fut donné à l'Algérie; seulement le pouvoir arbitraire de ce juge unique était bien périlleux pour les intérêts et les personnes. Car, comme ce juge unique, emprunté aux pays où le jury existe dans sa plénitude, n'avait pas pour éclairer son jugement le verdict de ce jury, on dirait à dessein omis, sa conscience, quelqu'intègre qu'elle parait avoir été partout, pouvait parfois involontairement le tromper quand ses amis ou leurs intérêts étaient en cause. Mais enfin c'était un juge civil. Le commerce s'en contenta jusqu'à ce que progressivement ce juge dû céder la place, en 1841 et 1842, aux tribunaux civils embrassant dans leur juridiction, outre ce qui est de la vie civile, ce qui est du commerce.

       Seulement, la pensée qui avait poussé au remplacement du juge militaire par le juge civil, du juge civil unique par les tribunaux offrant plus de garantie, ne s'arrêta pas à ce que l'ordonnance de 1842 octroyait; et reprenant son travail d'examen elle fit comprendre d'une manière ou d'une autre qu'il fallait séparer les intérêts commerciaux des litiges civils. Cette pensée perfectible qui sans cesse s'enquiert, note, examine, discute, formule son jugement, finit par obtenir cette séparation, et les commerçants purent enfin être jugés, dans leurs différents, par leurs pairs.
       Seulement, les juges consulaires furent d'abord désignés, choisis par l'autorité supérieure et nommés par le roi; puis, enfin, ils furent élus par leurs égaux. C'était là que le commerce depuis l'installation voulait en venir, et où il est arrivé, parce que, avec la paix, les principes éternels de la justice sociale se font jour, se font entendre ; et que, lorsque l'opinion publique éclairée, d'accord avec les intérêts prononce, Rome même, toute absolue qu'elle est, doit s'incliner devant le verdict de la conscience universelle, à moins de créer des schismes qu'il faut éviter quand on est sage.

       C'est le 24 novembre 1847 que, par ordonnance royale en date de ce jour, l'Algérie vit la nomination de sa magistrature consulaire mise à l'élection.
       Le nombre des commerçants notables appelés, à Alger, à concourir à l'élection, au lieu d'être déterminé par les patentes et le chiffre d'affaires faites, ce qui eût été rationnel, fut laissé au choix des gouverneurs généraux commandant en chef, et fut par arrêté fixé à cinquante.
       Quant à Oran, l'institution de son Tribunal de commerce remonte au 5 mars 1847; ses membres furent désignés par l'autorité civile s'installant, et nommés par le roi. L'arrêté de sa composition est du 11 mars 1847, savoir :
       Un président 1
       Quatre juges 4 Deux juges suppléants 2
       TOTAL... 7

       Le 24 novembre 1847, quand les nominations furent mises à l'élection, le nombre des électeurs choisis pour sept éligibles fut fixé à dix, ce qui ne devait pas créer de grandes contestations entre les électeurs et les éligibles pour savoir qui endosserait la toge et la robe.
       Car sept des électeurs n'avaient, parodiant Folleville, qu'à se dire :
       Nommons-nous, embrassons-nous, et que ça finisse, ils étaient sûrs d'avoir la majorité quand même.
       Le cens qui, en France, tendait à restreindre tout à une question de monopole d'argent, avait encore une raison d'être qui le sauvait de l'arbitraire; et, bien qu'il eût pour but de substituer la féodalité de l'écu à la féodalité de naissance, il était un progrès sur l'inique exclusion prononcée jadis par les corporations contre quiconque n'était pas fils de maître.
       Mais ce cens, quine pouvait eu Algérie; s'implanter puisqu'on n'y payait que des contributions insignifiantes, trouva cependant le moyen de rester fidèle à son principe de monopole : ce fut de se transformer en choix et de faire admettre son incorporation dans les législations restrictives promulguées à cette époque. Législations soustraites à la discussion des intéressés qu'elles concernaient, par le défaut de publicité et le silence régnant alors en Algérie, où les vrais acteurs devaient naturellement être ceux-là seuls qui faisaient parler la poudre, en donnant par leurs victoires à la France et à la Colonie les beaux terrains qui restent à approprier.

       La Révolution de 1848, qui intronisa le suffrage universel en Europe (et ce sera là ce qui la fera survivre à l'oubli, oit son défaut de réforme et d'initiative devait la plonger), modifia, tant en France que dans ses colonies, les réglementations du passé dans tout ce qui relevait du principe du suffrage. Elle fit, sinon la part complète, du moins très large, aux éléments divers composant ce suffrage peu connu, peu étudié, peu apprécié, embryon futur d'une organisation sociale supérieure dans beaucoup de choses au passé. Mais organisation qui ne sera pas encore parfaite, car le lot de l'homme est de comprendre la perfection, de la chercher et d'y arriver rarement : il n'y a que le divin ouvrier qui soit parfait, et nous ne sommes que ses imitateurs bien inférieurs.
       Ainsi, à Oran, par arrêté du gouverneur général, en date du 15 mars 1849, rendu conformément à l'art. de l'ordonnance royale du 04 novembre 1847, le chiffre des électeurs commerçants notables appelés à concourir aux élections consulaires, fut porté de dix à cent cinquante; et ce chiffre de cent cinquante, quinze fois plus élevé que le précédent, fut maintenu par un arrêté suivant, du 12 février 1850.
       Ce chiffre de cent cinquante électeurs, qui permettait à tous les intérêts français d'être représentés avait un défaut : celui de n'être que le résultat des appréciations personnelles du pouvoir préfectoral, libre d'admettre encore qui bon lui convenait, et d'éliminer qui bon lui déplaisait. N'eût-il pas été préférable de mettre en pratique, en Algérie, les art. 618-619-620-621 du Code commerce, purement et simplement, modifiés par la loi du 28 août 1848.

       Dans tous les cas, il eût été plus juste et plus rationnel de poser en principe que, pour être électeur, il fallait payer une patente et des contributions pour une somme de ; car; alors les intérêts seuls, puisqu'il s'agissait exclusivement d'intérêts, eussent été convoqués pour ce qui, en définitive, ne concerne que ces intérêts> dont la sauvegarde doit être aussi sacrée quand ils se rapportent à Paul qu'à Pierre.
       Cette intervention, au fond arbitraire, quoique en la forme pleine de bienveillance, du pouvoir préfectoral obéissant à ses sympathies ou à ses antipathies, dans des élections commerciales, tout à fait eu dehors de la politique, ne peut que créer des ennuis, des discordes, des jalousies, des plaintes. Elle finit par mécontenter tout le monde, et il est singulier qu'elle soit revendiquée constamment en faveur du pouvoir qui n'a rien pour y tenir et qui ne saurait rationnellement expliquer ni motiver pourquoi elle lui est imposée.

       Maintenant, en dehors de l'intervention inexplicable que nous relevons, le chiffre de cent cinquante électeurs était convenable.
       Mais ce chiffre était-il en rapport avec les intérêts divers, d'origine, de nationalité distinctes, qu'il devait juger dans la Colonie?
       Ce chiffre n'était-il pas encore exclusivement composé, à tort, d'une seule espèce d'intéressés privilégiés?
       Dans notre Colonie, dans l'Algérie, il y a quatre intérêts bien tranchés à concilier journellement et à fusionner.
       L'intérêt indigène ou arabe, plutôt producteur que commerçant.
       L'intérêt israélite, entièrement commerçant.
       L'intérêt étranger, en partie commerçant, en partie industriel, en partie producteur.
       L'intérêt français poursuivant le même but que l'intérêt étranger.
       Or, pourquoi ces intérêts divers qui dans la vie journalière coloniale sont constamment sur le pied d'une égale réciprocité, ne seraient-ils pas aussi également jugés par leurs représentants communs et particuliers, sur le pied d'une parfaite égalité constatée et affirmée par des élections mutuelles?

       Est-ce que ces intérêts en Algérie ne sont pas sur un terrain neutre, neuf à peupler, à vivifier et où des essais de société peuvent, sans conséquence fâcheuse pour le passé, se tenter, puisque cette société nouvelle à créer n'est tenue par aucun des intérêts antérieurs existant dans la mère patrie.
       Quand on émigre, ce n'est pas seulement pour changer de lieux; c'est encore le plus souvent pour changer de croyances, de moeurs, de lois et se soustraire au milieu où on se sent déplacé, parce qu'on n'y est plus d'accord avec les coutumes existantes.
       Or, si le changement doit ramener sous la même organisation que celle que l'on veut fuir, nul ne fera ce changement; car on ne peut être que plus mal ailleurs, si on y va avec cette perspective.
       La croyance, qui est à la vie de l'homme ce que le germe est à l'individu, a conduit dans les déserts de l'Amérique du nord plus d'individus voulant par leur travail personnel subvenir à leurs besoins, que l'amour de l'or n'a entraîné d'aventuriers à la conquête du Pérou et du Mexique, à la recherche des mines.
       Liberté de conscience, liberté extérieure de culte, liberté de travail, voilà les aimants qui attirent au-delà des mers ceux qui ne comptent pas sur les budgets ni sur les monopoles pour gagner leur vie. Egalité, voilà ce que chacun se répète en s'embarquant pour New-York ou la Nouvelle-Orléans.

       Or, cette égalité que recherchent les émigrants qui vont coloniser l'Amérique et qui se manifeste pour eux au bout de cinq ans, par leur admission dans le jury, dans les élections, existe-t-elle en Algérie pour les étrangers qui viennent s'y établir eux et leurs familles?
       Si oui, pourquoi les Français seuls sont-ils admis au privilège de juger? Et ce, même dans le commerce, à l'exclusion des étrangers, des israélites des indigènes qu'il faut franciser graduellement par leur admission à nos fonctions, après un temps d'épreuves déterminé. Si on veut constituer l'Algérie et y amener la fusion qui doit se faire entre les représentants des principes mosaïstes, chrétiens, ultramontains, mahométans et protestants. Tous principes ayant du bon, tous ayant produit des résultats dignes de l'humanité ; mais tous ayant besoin de se compléter, de se fondre dans une conception plus divinement humaine, en rapport avec la nature de l'homme, destinée à une expression plus harmonieuse, plus grandiose, plus juste que celle incomplète que nous ont léguée les siècles passés, dont l'expérience devrait nous servir pour en élaguer ce qu'il y a d'incomplet, d'imparfait, et ne conserver que ce qui est bien, bon et juste.
       Et cette admission des étrangers, des israélites, des indigènes dans les Tribunaux de commerce de notre Colonie, n'a rien d'extraordinaire ni d'impossible; car, en Angleterre, à deux heures de la France, quand un étranger est appelé à comparaître devant le jury, ce jury est composé de moitié d'Anglais, moitié d'étrangers, en vertu de ce principe que chacun doit être jugé par ses pairs (1).
       Et ce principe est bon, car il enseigne à chacun le sens de la justice ; il le développe en faisant y participer chacun, et il dignifie l'homme en lui apprenant ce que son jugement vaut.
       Or, pourquoi donc, dans une colonie où il y a moitié Français, cent dix mille ; et moitié étrangers, cent mille ; total, deux cent dix mille, ne pas tenir compte de ce principe d'éternelle justice, et ne pas proportionnellement admettre les étrangers à siéger comme juges suppléants et assesseurs dans les Tribunaux de commerce algériens, où leur fortune peut être en jeu?

       Est-ce que l'égalité, que nous prisons tous avec juste raison, serait indifférente à ceux qui sont venus en Algérie pour y coloniser de concert avec nous? --- Le croyons-nous?
       Or, pourquoi ce sentiment de domination judiciaire exclusif, ravalant le jugement de ceux que notre bonhomie traite en camarades?
       Ce sentiment de domination, si peu en rapport avec la nature généreuse et juste de la France, a d'autant plus lieu d'être remarqué en ce qui touche les,Tribunaux consulaires que, colonialement parlant, il n'y a que là où il existe dans son absolutisme exclusif.

       Ainsi, admission des étrangers, des israélites, des indigènes dans l'armée admission des étrangers, des israélites, des indigènes dans les conseils municipaux ainsi que dans les conseils généraux; admission des indigènes dans les tribunaux civils où, sous le nom d'assesseurs (art. 21 du décret impérial du 31 décembre 1839), ils ont voix délibérative.
       Admission des étrangers, des israélites, des indigènes dans les Chambres de commerce.
       Admission des étrangers, des israélites dans la milice. Exclusion des étrangers, des israélites, des indigènes dans les Tribunaux de commerce algérien.
       Pourquoi?
       Est- ce que les admissions que la générosité française, obéissant à ses vrais instincts, a acclamées intérieurement comme conformes à sa nature sympathique, à son esprit de progrès, à son génie de fusion, n'ont pas jusqu'à présent produit d'excellents fruits?
       Or, pourquoi cette admission n'existe-t-elle pas dans les Tribunaux de commerce de la Colonie algérienne ?
       Croit-on, par exemple, que si le Tribunal de commerce d'Oran se complétait par l'adjonction de trois assesseurs étrangers, jugeant dans les procès entre étrangers, ou entre français et étrangers, conjointement avec des juges français dans la proportion de un assesseur contre deux juges français dont un président ayant voix prépondérante, les intérêts français seraient sacrifiés?
       Croit-on que, dans les discussions pouvant intervenir entre israélites, entre français et israélites, ou israélites et français, l'adjonction de deux assesseurs israélites compromettrait la domination française en Algérie?
       Suppose-t-on les étrangers et les israélites si dénués de bon sens, d'instruction et de justice qu'ils ne puissent, après cinq ans de séjour parmi nous,figurer comme assesseurs dans nos Tribunaux consulaires dans une proportion de un contre deux, dans ce qui les intéresse?

       Ce serait une erreur très grave, presque une injure gratuite en vers beaucoup; car les négociants étrangers et indigènes comprenant l'utilité de l'instruction ainsi que les avantages de l'éducation, sont en grand nombre, égaux non seulement en capacité commerciale aux français, mais aussi leurs égaux en ce qui constitue la valeur intellectuelle, morale de l'homme.
       Seulement, cette admission d'étrangers et d'indigènes sur les siéges du prétoire commercial n'a pas de précédent dans notre pays " romainement " catholique jusqu'en 1789. Nous le savons; hélas, comme nous savons que nous avons perdu Saint-Domingue, les Indes, le Canada, etc., en voulant être trop exclusifs ! Mais, comme nous sommes une nation progressive, voulant toujours aller de l'avant, en ne cessant pas de regarder en arrière, naturellement nous n'avançons guères, ce qui ne nous étonne pas; encore si nous regardions à côté de nous, en Angleterre, aux Etats-Unis !
       En raison de ce que nous consultons toujours le passé en vue de l'avenir, nous n'avons donc pas eu l'idée, en Algérie, de mettre en pratique l'axiome : " nul ne doit être distrait de ses juges naturels, chacun doit être jugé par ses pairs; D et nous avons, en vertu d'une autocratie qui jure avec nos théories libérales et égalitaires, décidé que les intérêts des étrangers et des indigènes ne pourraient être bien jugés que par nous seuls !
       Comme c'est là un signe d'équité et de libéralisme !
       Quand donc mettrons-nous nos actions en rapport avec nos paroles, et quand nos sentiments deviendront-ils des réalités?
       Donc, nous n'avons point de juges assesseurs étrangers ni indigènes dans nos prétoires commerciaux ; mais seulement des juges français.

       Cependant, telles que les choses existent aujourd'hui, elles sont un immense progrès sur la barbarie d'il y a trente ans ; sur les essais d'il y a vingt ans ; sur ceux d'hier même ; mais qu'il reste encore à faire pour entrer réellement dans la voie du progrès colonial qui a tant besoin de liberté et de justice !
       Ne désespérons pas d'arriver, seulement ne cessons pas d'étudier, de comparer, de proposer, de chercher et nous finirons bien par atteindre le but si nous prenons pour guide la justice; la justice, cette nuée miraculeuse qui conduisit les hébreux jadis à la terre promise.
       Le Tribunal d'Oran, aujourd'hui, en vertu de l'arrêté du 12 février 1850 du Gouverneur général, se compose de 1 président, 5 juges, 3 suppléants, total 9.
       Or, le nombre des électeurs qui, en 1850, était de 130 n'est plus que de 40 depuis l'arrêté du 15 décembre 1852, dont 50 pour Oran et 10 pour le reste de la province.
       Sur ces 30 électeurs, un certain nombre fait partie de la Chambre de commerce; d'autres appartiennent soit au Conseil municipal, soit au Conseil général; quelques-uns cumulent des honneurs dans la milice ; en un mot, il n'y en a qu'un petit nombre qui ne soit pas déjà quelque chose et qui ait le temps de se consacrer à rendre justice à ses concurrents, soit français, soit étrangers, soit indigènes.
       Les élections donnent une moyenne de 20 voix par candidat élu. Ces élections varient entre 15, 16, 17, 21, 24, 27 voix, et il est rare qu'il y ait plus de 30 votants qui y prennent part.
       En France, aux termes de l'art. 619 du Code de commerce, la liste des électeurs commerçants est affichée cinquante jours à l'avance dans la circonscription du Tribunal de commerce à élire, de manière à ce que toutes les réclamations possibles aient le temps de se produire et de se vider.
       En Algérie, il n'y a pas de listes d'électeurs, que nous sachions ; nous ne nous rappelons pas en avoir vu d'affichées ; et, à la manière pressée dont les élections consulaires se font, on dirait presque qu'elles ont besoin de se faire à la sourdine, à l'impromptu; comme si les choses dans ce pays ne pouvaient subir ni le grand jour, ni la publicité, ni l'examen.

       Avec le gouvernement fort et équitable d'un gouverneur général, lieutenant de l'Empereur, et résidant à Alger, il est probable maintenant; comme on ne sera plus pressé par des lettres de rappel du ministère, à Paris, que les choses à l'avenir se feront autrement que par le passé dans lequel on agissait toujours un pets à la hâte ou en retard.
       Il serait peut-être bon plus tard, que les listes électorales, pour les nominations à faire des Tribunaux de commerce algériens, fussent affichées et publiées dans leur circonscription au moins trente jours à l'avance, préalablement à toute élection. Ce serait vingt jours de moins qu'en France, mais ce serait trente jours de plus que ce qui a lieu actuellement.
       Maintenant, en admettant que les indigène et les étrangers pussent, comme assesseurs, participer aux jugements commerciaux à rendre par les Tribunaux consulaires, on mettrait ces étrangers et ces indigènes dans l'obligation de connaître nos lois commerciales et de se soumettre à tout ce qui est relatif à la tenue des livres, ce qui, pour beaucoup d'indigènes et d'israélites, n'a pas lieu. Alors, les tribunaux correctionnels pourraient graduellement, en tenant compte des circonstances et par des répressions, conciliant tout, amener peu à peu les indigènes et les étrangers à ne pas se jouer de la faillite, et à les astreindre à avoir des livres de commerce en ordre, ce qui est la première base de toute maison régulière.

       L'idée des juges assesseurs étrangers et israélites étant admise, ne serait-il pas bon que, pour neuf membres français à élire, les électeurs français fussent au moins quatre-vingt-dix ? -
       Que, pour les trois assesseurs étrangers, les électeurs étrangers fussent au moins trente?
       Que, pour les deux assesseurs israélites, les électeurs israélites fussent au moins vingt?
       Et, pour l'assesseur indigène, les électeurs indigènes fussent au moins dix?
       En tout cent cinquante électeurs commerçants. - Chaque catégorie d'électeurs, votant exclusivement pour les représentants de ses intérêts, afin d'empêcher toute coalition pouvant faire prédominer, par des appoints étrangers, des intérêts qui ne seraient pas l'expression des voeux de chaque division. - On aurait, par ce que nous indiquons, sous toutes réserves d'examen et de critique, les cent cinquante électeurs de 1849. Seulement ils seraient plus équitablement répartis au point de vue des intérêts étrangers, israélites et indigènes, dont on ne doit pas méconnaître les droits équivalents aux nôtres.

       Le chiffre de quatre-vingt-dix électeurs français devrait se composer, non pas des personnes ayant plus ou moins entretenu de bonnes relations avec les individus dépositaires d'une fraction quelconque du pouvoir, mais bien des quatre-vingt-dix négociants dont les patentes, contributions, prestations de toute nature seraient les plus élevées. Ce serait le cens provisoirement rétabli en attendant une combinaison ultérieure qui permettrait la mise en pratique des conditions électorales et éligibles déterminées par le Code de commerce, art. 618 et autres. Ce cens aurait une raison d'être puisqu'il s'agit d'intérêt, et ce ne serait plus la camaraderie qui présiderait à la distribution de la justice consulaire, ce qui soulève bien des mécontentements et des jalousies. L'autorité se renfermant dans son rôle, si beau, d'impartialité, n'aurait qu'à classer les électeurs en raison du chiffre de leurs impôts et à répondre aux plaignants : u Enrichissez-" vous, travaillez, et vous compterez parmi les élus. "

       Les Tribunaux de commerce algériens ne pouvant juger les contestations qui se passent en dehors de la juridiction du tribunal de première instance duquel ils ressortent, il y aurait encore, au point de vue colonial, point de vue en dehors des précédents, puisqu'il s'agit de choses neuves, à faire une chose qui n'a jamais été faite, pas plus que les assesseurs n'avaient existé, ce serait, pour ce qui est des affaires commerciales portées devant les tribunaux de première instance jugeant commercialement en Algérie , d'adjoindre à ces tribunaux deux assesseurs commerciaux désignés par l'autorité parmi les Français notables du siége du tribunal. Ces assesseurs, ayant voix consultatives, pourraient éclairer la religion de MM. les juges civils dans des questions commerciales, souvent à dessein embrouillées, et où la valeur technique des mots a une grande importance. Ces assesseurs se prépareraient ainsi, sous la direction bienveillante de MM. les juges, à faire plus tard de bons juges de commerce, quand l'importance des affaires permettrait la création d'un tribunal consulaire dans leur arrondissement.

       Cette idée, qui est la dernière de celles que nous croyons devoir se rattacher à l'examen des Tribunaux de commerce algériens, est donnée comme conséquence du principe que nul ne doit être jugé que par ses pairs.
       Nous terminons en faisant remarquer que la présence d'assesseurs étrangers et indigènes dans la composition des Tribunaux de commerce serait une garantie pour ceux des étrangers et indigènes justiciables du Tribunal de commerce, et ne pouvant communiquer avec lui que par des interprètes judiciaires en réalité menant les débats et pouvant faire absoudre ou condamner selon la manière dont ils traduisent.
       Si nous nous sommes livré à l'étude que nous publions, c'est que nous nous sommes rappelé ces belles paroles d'un gouverneur général de l'Algérie : " Rien n'est plus pressant que d'assurer la distribution de la justice ; c'est le premier besoin des populations et la première obligation de l'Etat. - Rien n'intéresse à un plus " haut degré l'ordre et la justice. "

       Certes, la justice suit notre glorieux drapeau, et chacun dans l'armée est pénétré de son importance. Aussi, est-ce avec pleine confiance que nous basant sur son code militaire spécial, appliqué par ses juges militaires spéciaux, nous répétons que nid ne doit être jugé que par ses pairs et qu'il y a dans notre législation commerciale coloniale, ou verte à tous les progrès, une lacune à combler en faveur des étrangers, des israélites et des indigènes vivant dans notre Colonie algérienne.
       Ce n'est pas le passé qu'il faut consulter pour combler cette lacune, c'est le coeur, l'intelligence et la raison.
       Nous sommes-nous trompé en leur faisant appel ? Ou plutôt avons-nous mal dit et avons-nous mal rendu ce que tous ont si bien expliqué ? C'est aux hommes de progrès à nous juger.

(1) La justice et la vérité de ce principe ont été reconnues par la constitution du Bey de Tunis, dans laquelle on trouve art. 7, que le tribunal de commerce tunisien doit être composé de membres choisis parmi les musulmans et les sujets des puissances amies, et à l'art. 6, que les israélites auront dans les tribunaux criminels des assesseurs.


LA FIN DU MONDE
Envoyé par M. Marc Dalaut
Ecrit par M. Gaëtan Dalaut

Dieu qui créa le monde en six jours seulement
S'est reposé depuis le septième, un dimanche,
Et jetant la cognée après même le manche,
Il n'a rien fait d'autre, du moins pour le moment

N'ayant, peut-être, agi que par désoeuvrement.
L'Etre a continué, pour son compte en revanche,
Le Seigneur, lui laissant pour cela carte blanche,
Dans son Eternité rentra jalousement

Oubliant sur terre sa Créature, l'Homme.
Aussi l'aile ouverte, Satan l'Ange déchu
Agriffa toute vie à son ongle fourchu.

A l'homme il dévoila le secret de l'atome
Pour transformer le monde en rouge brasero.
Dieu, bientôt, reprendra son ébauche à zéro.



Francine DESSAIGNE
Éditions Confrérie-Castille (1999)
PARTIE II

        Un ouvrage vient de paraître : "Général du Contingent en Algérie"(1), recueil de souvenirs du Général Ailleret. Les lecteurs rendus confiants par l'importance de son grade et de sa fonction, risquent de ne pas en déceler les erreurs et les lacunes, volontaires ou non, en particulier à propos des tragiques événements qui jalonnent le mois de mars 1962 à Alger.

        D'abord adjoint au Général Gambiez, le Général Ailleret lui succède, le 13 avril 1961, aux fonctions de Commandant en Chef des Forces Françaises en Algérie (GENESUPER). Elle lui donnent autorité sur l'Armée de Terre, l'Armée de l'Air et la Marine. Ancien officier d'artillerie, brillant technicien, spécialiste des armes nucléaires, il venait d'assurer, en 1960, le Commandement de la Zone Est Constantinois et arrivait de Constantine après un court intérim au Corps d'Armée. Mais ce n'était pas son premier contact avec l'Algérie.

        Du 2 au 6 mars 1954, sur la frontière Algéro-marocaine, pour montrer sa force et rassurer les populations inquiètes des nouvelles arrivant d'Indochine, du Maroc et de Tunisie, rendues encore plus solennelles par la présence du Général anglais Mac Nab et du Colonel américain Davidson, "se déroulaient les plus importantes manoeuvres interarmées de l'histoire de l'Afrique du Nord depuis la seconde guerre mondiale... Geste (l'invitation) qui exprimait la ferme volonté des Français de ne pas quitter le Maghreb. Enfin, il affirme vraisemblablement pour la première fois devant les représentants de l'OTAN, l'intention du Gouvernement Français de développer l'armement nucléaire "(2).

        Le Colonel Ailleret est invité également. Depuis 1952, année où fut acceptée une industrie nucléaire militaire, il est commandant des "Armes spéciales", service qui dépend directement du Chef du Gouvernement. "Dès avril 1954, le plan K 103, rédigé par le Colonel Ailleret prévoit, au sein du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), la création d'une direction des applications militaires"(2).

        En mars 1957, il est chargé de la supervision de l'ensemble des essais nucléaires qui ont lieu principalement au Sahara. Le moins que l'on puisse dire, c'est que sa formation hautement technique, pas plus que sa courte expérience dans le Constantinois, ne l'on préparé à affronter, et surtout à comprendre, l'Algérie en ébullition de 1961 et 1962, Il adhérait parfaitement à la politique du Général De Gaulle par sa conception de la discipline militaire, mais aussi peut-être par admiration et reconnaissance envers celui qui a crée le CEA, le 18 octobre 1945, où sa carrière a connu une constante et flatteuse évolution.

        "C'est lui qui, en définitive, mène les affaires algériennes"(1) écrit-il après avoir été reçu par le Général De Gaulle le 9 juin 1961. Il se montrera donc exécuteur efficace de sa politique. Entre autres mesures (parmi les moins connues), il obtindra la dissolution du Front Algérien d'Action Démocratique (FAAD), cette "troisième force", ultime chance de ne pas livrer livrer l'Algérie indépendante au seul FLN (3).

        En 1962, il ne s'intéressait nullement aux sentiments et aux malheurs des communautés vivant à Alger, craignait des réactions imprévisibles et se montrait prudent. "Le Commandant en Chef le Général Ailleret, ne circulait plus dans son quartier-général de la Régha'ia, près d'Alger, que sous la protection de troupes spéciales et la main toujours à portée d'une mitraillette, et quand il se rendait au Rocher Noir en voiture - une Citroën à l'épreuve des balles - les glaces des portières étaient toujours fermées "(4).

        Au Rocher Noir, se mettait en place un "Exécutif provisoire algérien", sous la direction d'Abderahman Farès, où se discutait la formation d'une "force locale", police mixte, dans laquelle on espérait que les militaires français de souche nord-africaine (FNSA) allaient accepter de s'engager, en particulier pour lutter contre l'OAS. Le Général Ailleret était donc directement concerné. Mais il lui arrivait de circuler en ville dans le même équipage, surtout depuis la mémorable cérémonie du 14 juillet 1961 où, en compagnie du Délégué-général Jean Morin, "Ils descendirent la rue Michelet dans un command-car. Ils furent salués par des huées. Les deux hommes ne marquèrent pas le coup. Morin, un homme brusque et renfermé, et Ailleret, un ancien officier d'artillerie de petite taille, et à la calvitie naissante, ne s'entendaient pas, mais partageaient la même loyauté indéfectible envers le gouvernement du Général De Gaulle. C'est pour cette raison qu'on les avaient choisis "(4).

        Le 23 mars, de graves incidents se produisirent à Bab-el-Oued. Le Général Alleret vint à la caserne Pélissier "quartier général de son Corps d'armée afin de prendre personnellement la direction des opérations. Les rapports qu'il recevait ne lui permettaient guère de juger de l'importance ou de la nature des forces qui défiaient ses troupes... Vers le milieu de l'après-midi, Ailleret estima que tout Babel-Oued se trouvait en état d'insurrection armée et déclarée et c'est de Paris qu'il reçut les deux ordres formels : empêcher à tout prix un affrontement direct entre Européens et Musulmans, briser toute tentative de l'adversaire visant à établir dans Bab-el-Oued un réduit qui pourrait être des jours durant un foyer de contamination insurrectionnelle... Ailleret décida d'envoyer sur les lieux quatre escadrons supplémentaires de blindés de la gendarmerie" (Mots lourds de sens, soulignés par nous), qui tirèrent contre les immeubles aux volets fermés, puis, en fin d'après-midi, les avions mitraillèrent les terrasses.

        Je ne donnerai ici pas plus de précisions sur les actions de l'OAS et du service d'ordre, ni sur les souffrances et les colères des habitants de ce quartier populaire, que j'ai longuement traitées ailleurs.

        Le Général Ailleret est décédé dans un accident d'avion le 8 mars 1968. L'ouvrage écrit par lui, mais que la volonté du destin l'a empêché de corriger avant publication, est composé de souvenirs notés de 1965 à 1968 et édités par les soins de son fils. Sans porter aucun jugement d'ensemble, car je m'en sens incompétente, je n'en suis pas moins contrainte de traiter les pages, surgies post-mortem, concernant la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, point particulièrement douloureux de notre histoire, comme je le ferais pour un auteur vivant. Après la découverte de documents et d'études sorties dans les années suivantes, le Général Ailleret aurait-il apporté à ses propos les modifications qui s'imposaient ? Nous ne le saurons jamais.

        Je ne reprendrai pas ses réflexions ni ses états d'âme, je m'en tiendrai simple-ment aux faits.

        Page 270, nous lisons : "... vers quinze heures, un message du Corps d'Armée me faisait connaître que la manifestation interdite avait quand même lieu et qu'une foule de plusieurs milliers de personnes se préparaient à se porter de la Grande Poste, sur Bab-el-Oued. Une heure plus tard environ, un nouveau compte-rendu annonçait que les manifestants s'étaient heurtés rue d'Isly au service d'ordre qu'ils avaient tenté de déborder. Des coups de feux avaient été tirés et la troupe menaçée d'être emportée avait ouvert le feu" (souligné par moi).

        La fusillade a éclaté à quatorze heures quarante et a duré une douzaine de minutes. A quinze heures, la foule avait fui. Il n'y avait plus sur la place de la Poste que des blessés, des morts et les premiers secours. Le Général était bien mal informé. Il était impossible que les manifestants se soit heurtés au service d'ordre "une heure plus tard", donc à seize heures.

        Page 271, à propos de la présence des tirailleurs "souvent reprochée à l'autorité militaire", le Général explique : "La réalité était que cette unité n'était qu'en réserve et qu'une autre troupe, européenne celle-là aurait dû barrer les accès de la rue d'Isly, en amont de la position du 4ème tirailleurs. Or, cette unité, pour des raisons qui, à ma connaissance, n'ont pas été élucidées clairement, avait finalement cédé à la pression de la foule qui avait ainsi pu atteindre une seconde position qui n'aurait en principe pas dû être débordée". C'est faux. Arrivés quelques minutes avant la fusillade, nous avons vu les soldats européens se retirer simplement, pour être remplacés, tout aussi simplement, par les tirailleurs. Ce n'était pas sous la "pression de la foule", mais suite à un ordre du Commandement.

        Page 272, le Général écrit : "C'est au moment où le barrage craquait sous la pression de la masse hurlante que des coups de feu partirent et qu'alors commença la fusillade ". A quelque lignes d'intervalle, pour bien en imprimer l'idée, il répète : "le barrage a cédé... le barrage a craqué sous la pression de la foule hurlante". Alors, moi aussi je répète : c'est faux ! Des photographies le confirment sans contestation possible. Sur l'une, on voit quelques manifestants, dont certains sourient, passer devant les escaliers de la Grande Poste en brandissant des drapeaux; sur une autre, la foule plus dense est arrêtée tout près du barrage peu jointif des tirailleurs, eux-mêmes en attente dans des postures quasi décontractées. Cette dernière photographie a été prise quelques secondes avant que les soldats ne s'écartent pour permettre le passage d'un groupe dans la rue d'Isly. Elles illustrent le difficile travail de recherche que nous avons réalisé, Marie-Jeanne Rey et moi-même sur ce sujet (5).

        Page 272, le Général évoque le témoignage d'un "ami" dans lequel il a "toute confiance", le journaliste du Figaro, Étienne Anthérieu. Ce dernier se trouve dans la foule. Malheureusement, son témoignage ne concorde pas avec la version officielle, immédiatement élaborée et maintenue pendant plus de trente ans, sur l'origine du premier coup de feu. Qu'importe au Général, qui n'y était pas, il le balaie d'une simple phrase : "mais à la guerre, on sait que l'on ne voit jamais la totalité de ce qui se passe, même sur un tout petit champ de bataille ".

        Alors moi, qui suis arrivée, avec mon mari, à quelques mètres des tirailleurs sur "ce tout petit champ de bataille", vais-je pouvoir m'insurger, une fois de plus, et de façon crédible, contre les erreurs volontaires et contre les mots martelés par le Général Ailleret, pour imprimer dans les esprits toujours la même version officielle ?

        Nous ne nous sommes "heurtés" à rien car le barrage, à l'entrée de la rue d'Isly, s'est ouvert pour laisser passer ceux qui étaient devant nous, et refermé avant que nous ne le passions nous mêmes. La troupe n'a jamais été "emportée" par une "foule hurlante et déchaînée d'Européens d'Algérie..." et, comme si cela ne suffisait pas, in quoda venenum, il ajoute "...(foule) dont on connaît, par expérience, le goût pour la "ratonnade". Cette remarque n'était pas nécessaire mais elle illustre bien l'état d'esprit qui sous-entend un texte pouvant passer, en raison de la personnalité même de l'auteur, pour un exposé fiable des faits.

        La "masse hurlante" reparaît encore pages 272 et 273 où le Général qui ne craint pas les répétitions, précise tout de même "qu'il est arrivé sur les lieux environ une heure après "l'incident"... c'est-à-dire plus de deux heures, si l'on considère le décalage de ses informations au début. Et je répète aussi : les photographies elles-mêmes prouvent que la foule, si elle avait un moment chanté "La Marseillaise", s'était arrêtée calmement, en expectative, comme un temps suspendu avant l'effroi auquel elle ne s'attendait pas. Outre les erreurs, pour la mémoire des morts, pour les blessés, dont certains mutilés à vie, le mot "incident" est inacceptable, tout comme "un nombre de victimes de l'ordre de quelques dizaines avaient été tuées" (p. 271). Ils disent le mépris de cet officier pour la souffrance et le désespoir qui avaient conduit les Algérois à descendre dans la rue.

        Page 275, toujours à propos de la foule, nous relevons : "...on lui avait dit que les troupes françaises lui laisseraient toujours faire ce qu'elle voulait. Elle ne bouge-rait plus désormais". Voici confirmé clairement et dans quels termes, ce que nous avons toujours pensé : la population devait être matée par un choc violent pour que ses réactions ne risquent plus d'attirer l'attention et surtout de géner les desseins du Gouvernement. La manifestation du 26 mars 1962, place de la Poste et rue d'Isly, a fourni l'occasion attendue par le Commandement qui, depuis plus d'un an s'était pré-paré à la saisir, voire à la créer si cela s'avérait nécessaire. Par delà les Algérois, victimes directes, il fallait briser ce qu'il pouvait rester d'espoirs ou d'illusions chez tous les Français d'Algérie, européens ou musulmans. Ce fut une réussite. En témoigne la ruée vers les ports et les aérodromes et les pauvres épaves d'une vie brutalement rompue qui jonchaient les trottoirs.

        Dans ces pages édifiantes du Général Ailleret, nous remarquons deux omissions importantes, liées à ces journées tragiques d'Alger. Des précisions sur ces points émanant du donneur d'ordres le plus élévé en grade, auraient pourtant revêtu une importance particulière. Il s'agit d'une demande d'intervention à la Marine (étudiée dans les pages qui précèdent) peu à l'honneur du Général, et d'une certaine "note 905" qui, si elle avait été suivie, comme devait l'être un ordre émanant du GENESUPER, aurait plaidé en sa faveur.

        Depuis son entrée en fonction, le général Ailleret était persuadé que l'Armée avait gagné contre le FLN, sur le terrain, donc rempli son rôle. Il se souciait plus du rapatriement des unités qui commençait et de ,rassembler celles qui étaient épar-pillées sur l'ensemble du territoire, en attendant les accords politiques qui clarifie-raient la situation. Ces derniers n'étaient pas du ressort de l'Armée.

        "Les troupes de campagne n'étaient ni équipées, ni psychologiquement entraînées pour tenir tête au terrorisme urbain et aux émeutes de rues. La politique d'Ailleret fut de les garder en réserve, en dehors des villes si possible, afin d'éviter des incidents."(4)

        Soudain la donne a changé et Paris se fait pressant. Dans un ordre du jour publié le 20 septembre 1961, Ailleret "prescrit à l'Armée de se ranger aux côtés de la Police pour combattre la "soi-disant OAS", précédant de peu les directives qu'il allait recevoir du Premier Ministre, en décembre.

        Par ailleurs, le Général Ailleret a eu connaissance des inquiétudes exprimées par le Colonel Goubard quand il a appris la "mise en réserve générale" de son régiment. Le 16 mars, Ailleret décide d'une visite impromptue à Berrouaghia où se trouve le PC du 4ème RT. Un dialogue bref à lieu dont la seule trace, à notre connaissance, est le texte écrit par le Général Goubard et déposé au SHAT (fonds Goubard). En voici les phrases essentielles :

        - G. - Mon Général, qu'attendez-vous du 4ème RT ?

        - A Vous avez bien compris, Goubard, qu'en ce moment où les négociations d'Evian se terminent, j'ai de sérieuses préoccupations. Deux d'entre-elles concernent votre régiment :... la lutte contre le FLN... L'autre préoccupation prioritaire est relative aux réactions de la population... Car ma mission est aussi le maintien de l'ordre.

        G. - (Expose ses raisons d'être très inquiet sur ce point, et termine) Non, pour ce rôle, ils n'ont ni l'expérience, ni la maturité, ni évidemment l'entraînement approprié".

        Sans doute, s'est-il montré convaincant, le GENESUPER le quitte en l'assurant : "Entendu, Goubard, je donnerai les ordres nécessaires dès mon retour". Et il tient parole.

        Le 17 mars, une note de service, signée par lui, portant le n° 905 et la mention "très secret" est envoyée au Corps d'Armée d'Alger. Cette note comportait deux points dont le second était d'une particulière importance. Il indiquait "qu'en aucun cas ce régiment devait être utilisé dans la foule". Les généraux Hublot et Vuillermet, alors à l'État-Major du Général Ailleret, interrogés par nous (5) sont formels sur ce point pour avoir participé à sa rédaction. On trouve ces termes, exactement employés, dans un "message" du Général Ailleret au CA d'Oran : "...J'estime que vos régiments de Tirailleurs peuvent maintenant être utilisés sous réserve de ne pas être mis en contact avec la foule (souligné dans le texte par une main inconnue). Message 963, du 23-03-1962 envoyé "pour information" au CA d'Alger, de Constantine et au Commandant de l'Infanterie en Algérie (5).

        Si la note 905 était parvenue à l'échelon hiérarchique concerné, les Tirailleurs n'auraient pas été placés face à nous et la fusillade n'aurait peut-être pas eu lieu. Mais à l'exception du bordereau de transmission, la note 905 a disparu et aucun des officiers interrogés n'a pu fournir d'explication sur cette anomalie. En revanche, dans sa "note succinte" le Général Cavard, alors Chef d'EM du Général de Menditte, Commandant du Corps d'Armée d'Alger a jugé utile de nous affirmer que ce second point n'existait pas, usant d'arguties sur les transmissions hiérarchiques (5).

        "Moi, je ne crois pas à la disparition de la note, d'autant qu'il s'agissait d'un document "très secret" du GENESUPER" n'a pas hésité à nous affirmer le Général Vuillermet (5). Tandis que le Général Hublot disait : "S'il y avait eu transmission correcte des ordres du Général Ailleret dans la voie hiérarchique intéressée, il n'y aurait pas eu, le 26 mars, deux ou trois compagnies du 4ème RT placées aux ordres d'une autorité autre que leur colonel, pour contrer la manifestation européenne"(5). Il n'y a aucune trace non plus de la note dans les archives consultables. Le mystère reste donc entier. On aurait pu espérer que le Général Ailleret aurait eu à coeur de l'éclaircir. Il était tout à son honneur d'avoir compris combien l'emploi des Tirailleurs face à la foule pouvait être dangereux. Que, ou qui, couvre son silence ?

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NOTES

(1) "Général du Contingent", Général Charles Ailleret, Éd. Grasset (1998).
(2) "La guerre d'Algérie par les documents", T2, SHAT (1998).
(3) Voir ce point très important et peu connu dans : "Il n'est point de secrets que le temps ne révèle", Général M. Faivre, Éd. Lavauzelle (1998).
(4) "La dernière année de l'Algérie française", P. Hénissart, Éd. Grasset (1970). Traduit de l'américain par B. Fournels,
(5) "Un crime sans assassins", M.J. Rey et F. Dessaigne, Éd. Confrérie-Castille (1994).

        

26 MARS 1962 :
UNE TACHE INDELEBILE

Par M. Etienne MUVIEN

         Ce jour là, le " Pouvoir Gaulliste " a entaché la France d'une forfaiture infâmante que le silence obstiné depuis 46 ans des Gouvernements successifs ne parvient pas à effacer pas plus que le fallacieux prétexte de la " Provocation " destiné à corrompre la Vérité afin de dissimuler le crime.

          Des documents sonores, authentiques que chacun peut entendre : " HALTE AU FEU, HALTE AU FEU, au nom de la France HALTE AU FEU " lancés par des voix angoissées et impuissantes à endiguer le massacre, témoignent de la volonté gaulliste à punir et à écraser dans le sang et les larmes, les " Martyrs de la Grande Poste d'ALGER ".

          Depuis 46 ans, la FRANCE fait l'impasse sur cette ignominie : Morts, blessés ignoblement massacrés afin de ne pas faire d'ombre macabre à une Vérité que l'Histoire s'emploie à dissimuler.

          Depuis 46 ans, il convient de laisser sous entendre que la Raison d'Etat justifie la détermination meurtrière afin d'endiguer une " Prétendue Révolte "…

          Pourtant aucun acte de rébellion, pas une menace ou la moindre velléité de désordre, d'agitation encore moins de provocation, n'ont animé cette foule pacifique dont les drapeaux tricolores, la ferveur patriotique et les paniers de nourriture destinés aux " Parias de Bab el Oued " constituaient les seules armes.

          Précisément, il convient de souligner avec FORCE qu'aucune arme de quelque nature ne fut découverte parmi les malheureuses victimes, ce qui témoigne de leur volonté non belligérante et que les accusations destinées à faire croire à un mouvement subversif, tombent d'elles -mêmes.

          Comment alors justifier ces scènes dantesques d'assassinat collectif perpétrées par des spadassins de l'A.L.N. diligentés, à cet effet, par l'Armée française et volontairement sourds aux injonctions de ces " HALTE AU FEU ", poursuivant et massacrant à " BOUT TOUCHANT " des femmes et des hommes à terre, pèle mêle les achevant dans une folie meurtrière. Que dire de ces malheureux crucifiés cherchant un refuge illusoire sous une porte cochère, une entrée de magasins où leurs assassins venaient froidement les abattre.

          Ces spadassins ou tueurs à gage ne furent jamais sanctionnés et les hurlements pathétiques par hauts parleurs et parfaitement audibles, ne les concernaient pas…

          Comment justifier l'interdiction des secours, les transports de nuit à la morgue des corps nus mitraillés dans le dos, afin de dissimuler leur identification et d'éviter de les rendre aux familles…

          Comment oublier la funeste et macabre décision de faire perdurer la répression dans les esprits en laissant le sang des victimes sécher sur place pendant des jours et des jours ainsi qu'un lambeau de chair fiché comme une menace sur le mur du Crédit Foncier d'Algérie et de Tunisie, à l'angle de la rue d'Isly, face à la Grande Poste ?

          Enfin, comment la France peut-elle se regarder dans le miroir de l'Histoire, revendiquer une valeur nationale et internationale sans avoir le courage pas plus que la volonté de s'exonérer d'une SAINT-BARTHELEMY dûment programmée.

          Il est vrai que le Gaullisme constitue dans l'âme française depuis 1939/1945, une de ses seules clartés dans sa noirceur…

Etienne MUVIEN          

LA LETTRE...
Envoyé Par Michèle Raphanel


Une maman rentre à la maison un soir et retrouve une lettre :

     Maman chérie,

     Je suis désolée de devoir te dire que j'ai quitté la maison pour aller vivre avec mon copain.
     Il est l'amour de ma vie. Tu devrais le voir, il est tellement mignon avec tous ses tatous, son piercing et sa super moto.
     Mais ce n'est pas tout ma petite maman chérie.
     Je suis enfin enceinte et Abdoul dit que nous aurons une vie superbe dans sa caravane en plein milieu des bois. Il veut beaucoup d'enfants avec moi, c'est mon rêve aussi.
     Je me suis enfin rendu compte que la marijuana est bonne pour la santé et soulage les maux. Nous allons donc en cultiver et en donner à nos copains lorsqu'ils seront à court d'héroïne et de cocaïne pour qu'ils ne souffrent pas.
     Entre-temps, j'espère que la science trouvera un remède contre le sida pour qu'Abdoul aille mieux. Il le mérite vraiment tu sais.
     Ne te fais pas de soucis pour moi maman, j'ai déjà 13 ans, je peux faire attention à moi toute seule ... et l'expérience qui me manque, Abdoul peut la compenser avec ses 44 ans.
     J'espère pouvoir te rendre visite très bientôt pour que tu puisses faire la connaissance de tes petits enfants. Mais d'abord je vais avec Abdoul chez ses parents en caravane pour que nous puissions nous marier. Comme ça ce sera plus facile pour lui, pour son permis de séjour.
     Ta fille qui t'aime.

     PS : Je te raconte des idioties maman. Je suis chez les voisins !
     Je voulais juste te dire qu'il y a des choses bien pires dans la vie que le bulletin scolaire que tu trouveras sur ta table de nuit...


Et voici la réponse du père

     J'ai donné ta lettre à ta mère.
     Elle a fait immédiatement un infarctus et nous avons dû l'hospitaliser. Les médicaments la maintiennent en vie.
     Lorsque j'ai expliqué à nos avocats ce qui s'était passé, ils m'ont recommandé de te répudier.
     Aussi tu n'es plus notre fille et nous t'avons retirée de nos testaments.
     Nous avons mis à la poubelle toutes tes affaires et utilisons ta chambre comme débarras.
     Nous avons aussi changé la serrure de la porte, il te faudra trouver un logement, mais n'essaie pas d'utiliser notre carte de crédit car nous l'avons annulée, ainsi que fermé ton compte bancaire (l'argent qu'il y avait dessus nous allons l'utiliser pour le traitement de ta mère).

     N'essaie pas de nous appeler pour demander de l'argent, nous avons de toute façon résilié ton contrat de téléphone mobile.
     Les jouets que tu gardais, tes instruments de musique, ta collection de CD et de photos, nous les avons vendus au voisin (celui dont tu disais qu'il te regardait par la fenêtre quand tu t'habillais).
     Ah! bien sûr il te faudra trouver du travail, puisque nous n'allons plus payer pour toi ni tes études ni tes cours de musique.
     Si tu ne peux trouver ni logement ni travail, je te conseille d'aller voir Paulo. C'est quelqu'un que j'ai connu dans l'armée, je ne sais pas bien ce qu'il fait.... mais je lui ai envoyé une photo de toi et il m'a dit qu'une fille comme toi n'aurait aucun mal à vivre dans certains pays du Maghreb qu'il connait bien, et qu'il pourrait t'aider.

     Enfin j'espère que tu seras très heureuse dans ta nouvelle vie.
     L'homme que tu appelais Papa

     PS : Ma chérie c'est une blague ! Je regarde la télé avec ta mère, qui se porte très bien.
     Je voulais juste te montrer qu'il y a des choses plus graves que de passer les 8 prochaines semaines sans sortir, et sans regarder la télé pour le mauvais bulletin, et pour la petite blague.



LA LEGION ETRANGERE
Par Jean des Vallières
                                                   Envoyé par M. Bailly                                               N°3
        Jean des Vallières est né, en 1895, d'une vieille famille parisienne, à laquelle sa grand-mère irlandaise avait infusé le goût des aventures héroïques. Son père, le général Pierre des Vallières, dont il a écrit l'histoire sous le titre d'Au Soleil de la Cavalerie, fut le plus brillant cavalier de son temps et tomba sur la ligne de feu, frappé d'une balle au cœur, le 28 mai 1918, à la tête de la 151ème D.I.

          De nombreuses opérations sur les confins sahariens, avec la Légion étrangère lui ont apporté la matière des cinq ouvrages qu'il lui a consacrés et qui - des Hommes sans nom au dernier en date, dont nous publions le condensé - sont considérés par les Légionnaires comme les plus véridiques et les plus complets.   


DEUXIEME PARTIE
Cent trente ans d'aventures guerrières

Les Légionnaires ont un trait commun :
Ce ne sont jamais des médiocres


         L'ancienne Légion

        La révolution de 1830 a déclenché des mouvements insurrectionnels dans plusieurs pays d'Europe qui sont encore sous le joug. Mais sauf à Bruxelles, que les Hollandais doivent évacuer, ces soulèvements échouent. Les canons du Tsar hachent Varsovie. Non moins brutalement, Metternich rétablit l'ordre à Parme, en Romagne et en Ombrie. En masse, les réfugiés politiques italiens et polonais, auxquels s'ajoutent des proscrits d'Espagne, s'abattent sur la France, où le gouvernement en est d'autant plus embarrassé qu'une grave crise de chômage y sévit.
        Le licenciement de la garde suisse et des régiments étrangers, d'autre part, a augmenté le nombre des militaires en demi-solde qui grèvent sans profit le budget de l'Etat. Le seul moyen de résorber ces divers surplus est de les embrigader pour l'Afrique du Nord, où nos troupes trop peu nombreuses piétinent, d'Alger à Oran, dans la zone côtière. Entreprise par Charles X, cette expédition est de ce seul fait impopulaire et les Français, tout à assouvir leurs passions révolutionnaires, ont laissé sans réponse les appels du général Berthezène qui réclame à cor et à cri des renforts.
        Telles, sont les nécessités, sur le moment très urgentes, qui ont conduit le roi Louis-Philippe à créer la Légion Etrangère. L'ordonnance royale du 9 mars 1831 qui l'institue porte la signature du maréchal Soult, ministre de la Guerre, et pose, dans ses neuf articles, les principes qui la régissent encore. N'y sont admis que les étrangers qui contractent un engagement volontaire et présentent un certificat de l'autorité militaire, constatant qu'ils ont les qualités requises pour faire un bon service. " En l'absence de pièces, l'étranger sera renvoyé devant l'officier général qui décidera si l'engagement peut être reçu. " C'est cette dernière disposition qui permet aux légionnaires de ne pas déclarer leur véritable identité.
        Destinée à la guerre d'Afrique, la Légion comprend initialement sept bataillons formés comme ceux de l'infanterie de ligne : un bataillon de vétérans des régiments de Hohenlohe, deux bataillons d'Allemands et de Suisses, un bataillon espagnol, un bataillon italo-sarde, un bataillon de Belges et de Hollandais, le dernier exclusivement composé d'officiers et de soldats polonais rescapés des massacres de Varsovie. Ce groupement des légionnaires par nationalités accentue dans une pareille troupe, qui n'a pas encore de traditions, l'inconvénient de son hétérogénéité. Elle se révèle, au début, d'un maniement difficile.
        Mais le colonel suisse Stoffel, qui a pris le commandement de la Légion, est un vieux soldat de l'Empire dont la poigne de fer brise toutes les résistances.
        Il dispose au bout de quelques mois d'une troupe aguerrie et obéissante, dont les diversités s'estompent. Elle ne s'est encore mesurée avec l'ennemi qu'au cours de quelques escarmouches, car la politique d' " occupation restreinte " prescrite par le gouvernement ralentit les opérations. Mais, à sa faveur, la vocation de la Légion se dessine, qui est de légitimer la présence française en améliorant les conditions de vie des indigènes. Sans attendre même que la sécurité y règne, elle entreprend la mise en valeur du pays, cultivant, plantant, forant des puits, assainissant les marais, élevant des digues ou creusant des canaux d'irrigation. Un remarquable ouvrage déjà démontre ses capacités : entre Douera et Boufarik, la route encore dite " Chaussée de la Légion ", qui, surélevée de deux mètres, traverse d'impraticables marécages, avec une bordure, tout du long, de peupliers et de fontaines.

        C'est aux avant-postes de Maison-Carrée, le 27 avril 1832, qu'elle reçoit le baptême du feu. Ses bataillons allemands et suisses y mettent en déroute la tribu des El-Ouffia. La lutte n'engage ensuite à Sidi-Chabal contre le jeune émir de Mascara, Abd-el-Kader, et la Légion, l'année suivante, lui enlève les places d'Arzew et de Mostaganem. Pour la récompenser, le colonel Combes, qui a succédé au colonel Stoffel, lui remet au nom du roi son premier drapeau ; des compagnies d'élite y sont créées, qui portent l'épaulette à franges rouges des grenadiers.

        Une décision presque incroyable frappe en 1835 la Légion, bien que sa légende déjà la fasse comparer à la garde impériale. En exécution d'une convention passée avec l'Angleterre, Louis-Philippe la cède - colonel, officiers et armement compris - à la reine Isabelle II d'Espagne, pour défendre son trône contre don Carlos. Son serment d'obéissance l'oblige à s'incliner.
        Les transports qui en ont pris livraison la déposent d'abord aux Baléares et le colonel Bernelle profite de cette escale pour refondre ses bataillons en y mêlant les légionnaires sans distinction d'origine. Sage mesure qui prévaudra par la suite et consacrera leur unité.

        Le débarquement du 19 août 1835 à Tarragone précède de peu leur incorporation à l'armée royale - et un des plus douloureux chapitres de l'histoire de la Légion commence sur ce sol ingrat où une longue et impitoyable guerre va la dévorer tout entière. Les troupes régulières se montrent partout inférieures aux bandes de guérilleros qui utilisent le terrain avec une agilité remarquable et ont toute la population pour eux. Les chefs carlistes, en outre, rivalisent de férocité. Ils ne font pas de quartier, massacrent tous les prisonniers et, comprenant que seule la Légion leur donnera du fil à retordre, dressent leurs tireurs à ajuster d'abord ses épaulettes.

        Malgré deux victoires éclatantes, la Légion, que ni Madrid, ni Paris ne soutiennent n'est bientôt plus, à Pampelune, qu'un tout petit bataillon que son dénuement réduit à l'impuissance. L'Espagne s'en débarrasse en la licenciant. Cent vingt-trois officiers manquent à l'appel et, sur les quatre mille cent hommes débarqués à Tarragone, cent cinquante-neuf seulement repassent par petits groupes misérables la frontière des Pyrénées - cent cinquante-neuf enragés qui, conduits à Pau, y rengagent sur-le-champ dans la nouvelle Légion que le gouvernement français vient de lever.

         La conquête de l'Algérie

        Les bataillons cédés à l'Espagne ont gravement fait défaut en Algérie, où nous ne sommes pas en brillante posture.
        Une nouvelle ordonnance royale rétablit donc la Légion, à l'effectif d'abord d'un régiment, le 1er Etranger, sous les ordres du commandant Bedeau. Mais le nombre des volontaires permettra vite d'en créer un second et il n'y aura plus, désormais, dans notre histoire militaire, un rebondissement où la Légion ne se taille la part du lion. Sur tous les continents, elle incarnera la volonté secourable de la France. C'est elle qui, la première, interviendra partout où sa souveraineté sera menacée.

        Rodé par plusieurs mois d'échauffourées autour d'Alger, le 1er Etranger envoie, en octobre 1837, un de ses bataillons au général Damrémont qui a monté une nouvelle opération outre Constantine. Des pluies diluviennes en compromettent d'entrée la réussite. L'artillerie s'embourbe. Les troupes sont submergées dans leurs bivouacs, que d'insaisissables partisans harcèlent nuit et jour. L'ancienne Cirta des Numides, par surcroît, semble défier toute attaque sur le rocher où les gorges vertigineuses du Rummel la ceignent presque complètement. Elle n'est accessible que sur l'étroit plateau de Koudiat-Ali, défendu par trois étages de feux et soixante-trois canons. Fort d'un précédent succès, le calife Ben-Aïssa, dont les magasins regorgent de vivres et de munitions, y a massé ses infanteries turque et kabyle que leurs muphtis ont fanatisées. Un bombardement ininterrompu contient l'assiégeant dans ses retranchements inondés. Le général Damrémont est tué, tué le Colonel Combes qui a commandé l'ancienne Légion. Une sortie en force des Turcs, le 7 octobre, tente d'enfoncer les positions tenues par les légionnaires, qui les reconduisent vigoureusement ; le sergent-chef Doze leur prend un drapeau, encore exposé aux Invalides.

        Le 13, nos canons n'ont plus que quelques obus à tirer. Il faut en finir. Une brèche faite, on y précipite le bataillon de la Légion qui la franchit sous des rafales meurtrières, malgré l'écroulement d'un mur qui l'obstrue en partie. Il s'engouffre dans un dédale de ruelles coupées de barricades et où, de toutes les fenêtres, l'ennemi le fusille à bout portant.
        La moitié des officiers et des sous-officiers périssent ; mais la défense, débordée, cède et la ville se rend. " La Légion s'est immortalisée ; nous avons pris rang à la tête de l'armée ", écrit le futur maréchal de Saint-Arnaud, qui a conduit une de ses compagnies à l'assaut.
        De ce jour on la renforce, la portant bientôt à cinq bataillons, et le commandement, qui la tient pour son meilleur outil, l'engage de tous les côtés à la fois. Elle chasse de la Mitidja les hordes d'Abd-el-Kader qui, une trêve à peine signée, l'a rompue.
        Dès sa prise de commandement, le général Bugeaud, dont le premier objectif est d'éliminer Abd-el-Kader, institue de nouvelles méthodes de guerre : centres de résistance moins nombreux, mais plus forts ; ratissage permanent de leurs intervalles par les troupes ainsi récupérées et qu'on rend très mobiles en allégeant leur équipement.


Abd-el-Kader, d'après le dessin d'un officier de l'Armée d'Afrique. Guerrier émérite, doublé d'un prêtre pieux, lettré qui laissera des poèmes étranges et des ouvrages de philosophie. Un curieux mélange d'homme d'action impitoyable et de philosophe-poète.

        Cette guerre de chasse et de longues courses s'accorde à merveille avec le caractère aventureux des légionnaires et avec leur endurance. Bugeaud l'expérimente dans le cercle de ses postes de l'Ouarsenis et le plus beau succès qu'il en obtient est l'enlèvement par le duc d'Aumale, dans le djebel Amour, d'une ville mouvante de trente mille âmes : la smalah d'Abd-el-Kader.

Le colonel Morris chargeant. Prise de la smalah d'Abd-el-Kader. Tableau d'Horace Vernet 16 mai 1843. Abd-el-Kader n'avait plus rien, ni famille, ni argent, ni soldats. Le sud-Oranais tombait aux mains des Français

Bugeaud, Avant Lyautey, le plus grand nom de la grande épopée africaine. La guerre, indispensable aujourd'hui, n'est pas un but. La conquête serait absurde sans la colonisation

        Son plan comporte l'implantation, sur l'itinéraire de ses colonnes, de points d'appui où elles pourront se ravitailler et - événement qui fera date dans l'histoire de la Légion - le 7ème bataillon du 1er Etranger reçoit, en novembre 1843, l'ordre d'installer un de ces relais sur une petite colline dont le nom, Sidi-Bel-Abbès, ne désigne à cette époque qu'un Marabout décrépit. On n'y prévoit initialement qu'une enceinte autour d'un magasin de vivres. Mais, en raison de la position sur une ligne de communications importante, le poste reçoit bientôt une garnison permanente, qui y élève une redoute d'un hectare environ, abritant ses tentes, des baraques pour les approvisionnements et une ambulance.

        Couverts de lentisques et de palmiers nains, les environs sont désertiques et marécageux. Mais les légionnaires, comme dans tous leurs gîtes d'étapes, se mettent au travail. Ils tracent des chemins, drainent les eaux stagnantes, plantent des arbres, flanquent leur poste d'une ferme, avec une surface de plus en plus étendue de terres cultivées. Quelques trafiquants, qui vivent aux dépens de la troupe, s'agglomèrent à proximité dans des habitations de fortune.
        Six ans plus tard, le général Pélissier, visitant Sidi-Bel-Abbès, n'en croit pas ses yeux : " D'un camp vous avez fait une ville florissante, d'une solitude un canton fertile, image de la France.
        Dans des remparts de pierre rouge, en effet, solidement maçonnés sur cinq mètres de hauteur, avec des bastions d'angle et quatre portes monumentales, une cité nouvelle a surgi de terre, entièrement bâtie par la Légion, qui a dessiné ses rues et les jardins qui en sont aujourd'hui le principal agrément. Tout autour, elle a planté un verger de quarante mille arbres où de nombreuses fermes se sont établies.

        Et d'un bout à l'autre de l'Algérie, pareillement, la main-d'oeuvre légionnaire aide la colonisation à démarrer. Le réseau des routes qu'elle a tracées, s'étend sur des centaines de kilomètres au départ de Bône, d'Oran, de Philippeville, de Tlemcen et de Mascara - et sur tout leur parcours, des points d'eau et des abreuvoirs les jalonnent. Oran lui doit ses égouts et ses fontaines, Orléansville ses fortifications. Elle a construit les barrages de l'Isser, du Zig et du Mimoum, érigé des postes à Batna, Lalla-Marnia, Saint-Denis-du-Sig, Mascara et Rio Salado.

        Ce faisant, cependant, les légionnaires n'ont pas cessé de se battre, car la défaite de ses alliés marocains à l'Isly n'a pas anéanti la puissance d'Abd-el-Kader. Une révolte générale éclate en 1845, marquée par une rencontre sanglante du 1er Etranger avec les Flittas dans le défilé de Mehab-Gharboussa. Il dégage Aïn-Temouchent, ensevelit les héros du 8ème Chasseurs à pied massacrés à Sidi-Brahim, réduit dans I'Oranais les Beni-Snassen descendus de leurs montagnes pour razzier, autour de Marnia, les tribus soumises.

        De son côté, le 2ème Etranger participe aux opérations entreprises par le duc d'Aumale pour purger l'Aurès des rebelles que l'ancien bey de Constantine y a regroupés. Puis c'est ensuite au tour des massifs de la Kabylie.

        A aucun moment les prélèvements faits sur la Légion pour alimenter d'autres théâtres d'opérations ne diminuent son activité algérienne. En 1867, elle pourchasse les Ouled-Sidi-Cheik, excités à la guerre sainte par l'agitateur Si-Slimane ; elle mate l'insurrection de 1871 et celle de Bou-Amama en 1882.
        Pratiquement l'Algérie est alors pacifiée. Les grands travaux d'aménagement qui s'y poursuivent ne sont plus menacés que par les tribus turbulentes qui se démènent sur les confins sahariens, et plus particulièrement au voisinage du Maroc. C'est dans l'extrême sud que de nouvelles aventures attendent la Légion et d'ores et déjà elle y a dardé deux grandes voies de pénétration : la " route des Chotts " de Saïda à Géryville et celle de Saïda à Aïn-Sefra.

        Les distances dans les régions semi-désertiques où elle va maintenant opérer sont énormes et il y faudra lutter de vitesse avec des adversaires très fluides. Pour augmenter son rayon d'action, le colonel de Négrier, qui la commande dans le sud-oranais, adopte la formule des compagnies montées : un mulet pour deux légionnaires, qui les porte alternativement, avec leurs munitions, leurs vivres et leurs bagages ; plus de sacs, ni de convois et, sans fatigue ainsi, des étapes doubles.

        Il ne faut pas oublier de mentionner aussi, au titre de la conquête, les fouilles d'archéologie auxquelles la Légion s'est livrée sur ces marges du désert où, deux mille ans auparavant, les légions impériales l'ont précédée et où le même choix des positions favorables l'amène souvent à découvrir, en construisant ses postes, les vestiges d'un oppidum. Dès 1851, l'Académie des inscriptions et des belles-lettres signale, dans sa séance plénière, qu'elle a relevé les traces de plus de quarante présides et villes de l'Antiquité. Ces recherches d'histoire passionnent les légionnaires qui se tiennent, et fort justement, pour les continuateurs de la Rome ancienne. De nos jours encore, aucune unité de Légion en opération dans le sud-constantinois ne traversait Timgad ou Lambèse sans rendre les honneurs, devant leurs arcs de triomphe, aux légionnaires de la 6ème Ferrata et de la 3ème Augusta.

         Les campagnes de Crimée et d'Italie

        En juin 1854, une brigade fournie par le 1er et le 2ème Etranger prend la mer avec les forces que la France et l'Angleterre ont de bric et de broc rassemblées pour défendre la Turquie contre une imminente agression des Russes. Pour la première fois, la Légion, qui n'a guerroyé qu'en Afrique, va se mesurer avec une vieille armée européenne et elle en reviendra avec une nouvelle auréole d'invincibilité.
        Objectif en Crimée : Sébastopol, place forte et principal port de guerre sur la mer Noire, où les troupes d'élite et la puissante flotte que le Tzar s'apprêtait à lancer sur Constantinople disposent d'importants arsenaux et d'énormes réserves de vivres.

        Le prince Mentchikov, général en chef russe, bousculé par nos légionnaires se replie à marches forcées sur Sébastopol, dont il grossit encore la garnison, en s'y enfermant avec son armée.
        D'excellentes fortifications bardent la citadelle. Bloquée par terre et par mer, elle est aussi riche en troupes qu'en munitions et ses défenseurs, bien abrités derrière leurs murs, bien chauffés, bien nourris, sont beaucoup mieux partagés que leurs adversaires dans des ouvrages de campagne où les intempéries de l'hiver russe leur causent autant de mal que l'artillerie ennemie. Enlisés sous des trombes d'eau dans la boue du plateau de Chersonèse, ils y font, avec un ravitaillement précaire, le dur apprentissage de la guerre de tranchées et les mois vont succéder aux mois sans adoucir pour eux les souffrances de cet interminable siège.



Batterie de mortiers et batterie de fusées, devant Sébastopol. 9 avril 1855.

Assaut de Sébastopol. Attaque du bastion central. 3 septembre 1875. " J'y suis, j'y reste. "

        Les meilleurs épaulements sont ceux des légionnaires qui, rompus à retourner la terre, ont construit un solide réseau de barbettes et de casemates maçonnées, avec des boyaux profonds pour y acheminer les munitions. Par deux fois, à Inkerman et dans le ravin de la Quarantaine, ces vieux soldats, qu'on a surnommés les " ventres de cuir " à cause de leurs larges cartouchières africaines, brisent les sorties d'un ennemi aussi nombreux que mordant. En avril, enfin, le général Pélissier reprend l'initiative des opérations. Par une nuit de lune, il découple la Légion à l'assaut d'un ouvrage de contre approche, la redoute Schwarz, qu'elle conserve malgré les furieuses contre-attaques des Russes. Les officiers eux-mêmes s'entredéchirent à l'arme blanche.
        Beau fait d'armes, mais qui nous revient cher : 480 blessés et 118 tués, parmi lesquels le colonel Viénot, mort l'épée au poing en entraînant ses hommes et dont on a magnifié la seigneuriale crânerie en donnant son nom à la caserne principale de Sidi-Bel-Abbès. ( Et depuis 1963, au camp du 1er Étranger, à Aubagne.)

Mort du colonel de Chabrière, à Magenta, le 4 juin 1859.

        Le 7 juin, c'est la prise des ouvrages blancs, le 8 septembre celle de Malakoff' : cent volontaires de la Légion précèdent la colonne d'assaut pour planter contre le redan central les échelles et les madriers qui permettront de l'escalader.
        - Dites à votre général que j'y suis et que j'y reste, répond Mac-Mahon à un officier anglais qui lui demande s'il compte se maintenir sur cette position apparemment indéfendable.
        Les Russes, après avoir brûlé Sébastopol, s'en échappent la nuit. Ses ruines fouillées, la Légion les poursuit dans la vallée du Baïdar, avec la colonne dite " des choux ", en souvenir des jardins potagers où les combattants se remettent, en faisant bombance, des terribles restrictions du siège. Mais la campagne se solde par un déficit de 78 officiers et de 1625 légionnaires, tués ou blessés.

        Une nouvelle brigade, cependant, de deux régiments étrangers débarque en mai 1859 à Gênes avec la division du général Espinasse - vieux légionnaire, lui aussi. Napoléon III, qui s'est fait le champion de l'indépendance italienne, a déclaré la guerre à l'Autriche. Il prend en personne le commandement de l'armée, avec l'espoir de cueillir, sur les mêmes champs de bataille, autant de lauriers que son oncle pendant la glorieuse campagne de 1796-1797. Mais ni lui, ni ses généraux, n'ont le génie militaire du jeune général Bonaparte. Leur principale chance est que les Autrichiens ne leur opposent également que de très médiocres stratèges. Seule, la furia francese l'emportera dans des rencontres violentes, dues au hasard plus qu'à un plan d'opérations valable.
        Après la victoire de Magenta, qui lui est entièrement due, la légion fait une entrée triomphale dans Milan libérée. De toutes les fenêtres, les fleurs pleuvent sur sa tête et les belles Milanaises, élevées dans l'amour des capitaines de fortune, ne marchandent pas, dit-on, à ces vaillants les tendres élans de leur gratitude.
        Après la signature de l'armistice, Paris à son tour accueille triomphalement l'armée d'Italie. Pour la première fois, la légion y défile, fleurie par une foule en délire. Les noms de Sébastopol et de Magenta flambent sur ses drapeaux.

A SUIVRE

Le Mur des Disparus : ce que j'en sais
jeudi 20 mars 2008, par Jean-Claude THIODET
http://www.notrejournal.info:80/journal/Il-est-temps-que-je-parle-du-mur

       Voila plusieurs jours qu'a éclaté un incident au sujet du "mur des disparus" de PERPIGNAN.
       J'ai lu, observé et réfléchi, mais il me parait qu'il est temps, maintenant que je m'exprime sur ce sujet.
       - Étant président du Cercle Algérianiste d'Avignon - Vaucluse, de 1993 à 2006,
       - Ayant appartenu longtemps au conseil d'administration national.
       - Organisant le 25° congrès à Avignon en novembre 1998, j'ai naturellement assisté au congrès annuel du cercle national de novembre 2005 à PERPIGNAN.
       Ce fut un très beau congrès.

       Un certain nombre de représentants de familles de disparus y avaient participé et ont pu s'exprimer. J'en connaissais certains. Je n'ai pas manqué de féliciter Suzy SIMON-NICAISE pour le très beau travail qu'elle et son équipe avaient réalisé.

       Comme cela avait été demandé par le Cercle National, j'ai accueilli au Cercle, Philippe BANON, le cercle d'Avignon était le plus proche géographiquement, bien qu'il ne demeurât pas dans le Vaucluse.
       Depuis bien longtemps, P. BANON cherche et collationne des noms de familles touchées par le malheur, comme sa propre famille. Il s'est donc adressé au Cercle pour demander un listing des familles de disparus, ayant lui même quelques personnes qui lui avaient fait confiance. Ceci lui a été refusé au nom "du secret de l'information,"

       Au séminaire annuel des présidents de 2006, j'ai reconduit la requête de Philippe et me suis heurté au même refus !
       Le problème de la discrétion demandée par les familles était facile à contourner : il suffisait d'écrire aux familles connues et de leur demander, "s'ils en étaient d'accord" de se mettre en rapport avec Philippe.
       Ce fut un lever de bouclier général de la part des présidents présents !

       Lors de la réunion annuelle de Santa-Cruz de NIMES en 2006, Philippe et deux de ses amis ont installé un stand des disparus : en face d'eux se trouvait le stand du cercle sur lequel Suzy Simon Nicaise faisait le battage pour augmenter son listing.
       Demandant que ces listes soient croisées, Philippe s'est heurté à un refus catégorique, encore une fois !

       Que s'est-il passé dans les faits ?
       Le Cercle Algérianiste en axant le congrès de PERPIGNAN sur le thème honorable et porteur des disparus n'avait qu'une idée, c'était d'augmenter son audience sur le dos des familles.

       Le résultat était inéluctable, les divisions se sont multipliées :
       Les quelque 80 noms que possédait Philippe BANON n'ont pas pu s'ajouter aux quelques 800 noms que possédait le cercle (source PRESSE).

       Ce manque de sérieux a eu diverses conséquences : il est arrivé ce qui devait arriver ! Entre autres................
       L'erreur grossière d'une famille déclarée disparue dont le nom avait été gravé sur le mur (toujours ça de plus) et dont tous les membres sont bel et bien vivants, et tant mieux pour eux, (coco ou non, ça ne change rien).

Bref, pour la gloire du Cercle Algérianiste,
LES PIEDS NOIRS ONT PERDU LA FIGURE !

       Les familles acceptent-elles que leur peine immense soit utilisée à la seule gloire de certains opportunistes ?
       Peut être serait-il bon de le leur demander !

***************
Voir aussi des articles sur les N° 12, 17, 21, 53 de la Seybouse.
http://www.seybouse.info/seybouse/infos_diverses/mise_a_jour/bulletintete.html

LAPILLO NOTANDA
Envoyé par M. Marc Dalaut
Ecrit par M. Gaëtan Dalaut

J'étais jeune garçon lorsque j'ail commencé
À mettre dans un sac - mon coeur - toutes mes billes.
Je songeais à l'Amour mais j'avais peur des filles.
Tout s'est évanoui dans un lointain passé.

Et J'ai persévéré, bien souvent angoissé
Elles ne sont pas d'or toutes choses qui brillent,
Plus souvent de clinquant et pauvres pacotilles.
Tu vins, fille d'Eve, le sac fut délacé.

Les billes ont roulé, beaucoup se sont perdues,
Pourtant j'ai ramassé, qui s'étaient répandues,
Quelques billes blanches, d'autres à noires croix.

Je te les donne, Amie, et sur celles sauvées,
A les bien regarder, tu verras, je le crois,
Des images d'antan que je t'ai retrouvées.



Bulletin
des Etudes Algériennes

Discours prononcé par M. Pierre BORDES
Gouverneur Général de l'Algérie,
De la séance d'ouverture de la session ordinaire
Des Délégations Financières du 11 Mai 1928.

      MESSIEURS

      La volonté de la Nation s'est librement exprimée. Tous doivent s'incliner devant ses décisions. C'est le principe mme du régime démocratique. A vouloir persister dans des querelles stériles les rancunes personnelles ne peuvent que compromettre l'intérêt général. En Algérie, pays en pleine croissance morale, plus encore que dans la Métropole où l'armature sociale est ancienne, il faut que tous n'aient désormais qu'un désir : intensifier l'union des Algériens de toutes races autour du drapeau de la Patrie.
      Toutes les déceptions, toutes les ambitions personnelles doivent dans chaque commune venir mourir devant le monument élevé à la gloire et au souvenir de ceux qui sont morts, eux, pour que la France vive une et indivisible.
      La représentation Parlementaire de nos trois départements, issue des suffrages indépendants, donnera certainement à la France le spectacle de cette cohésion formée et maintenue dans l'intérêt même de l'Algérie tout entière et nous n'aurons les uns et les autres, dans le sphère de nos attributions respectives qu'à suivre de semblables directives pour servir utilement les grands intérêts dont nous avons la charge.
      Et puisque le mot de représentation parlementaire est venu sur nos lèvres, permettez-moi de saluer aussi, à mon tour, le départ vers un autre champ de labeur public, de celui qui, hier encore, présidait les travaux de votre Assemblée avec une autorité, une cordialité incontestées et surtout avec une indépendance absolue vis-à-vis de tous.

      Très haut, M. le Président Jules Cuttoli a toujours proclamé que les Délégations financières servaient utilement et librement l'Algérie ; je dois me joindre à vous, Messieurs, pour lui adresser le salut affectueux de mon amitié inébranlable.
      Comme lui, son honorable successeur, saura toujours et je m'en réjouirai avec vous, faire respecter vos prérogatives si, par hasard, quelqu'un autre que moi, se permettait de vouloir y porter atteinte et je reste persuadé qu'avec lui aussi le Représentant de la France, dans cette enceinte, continuera à être l'ami des jours anciens, travaillant exclusivement de concert avec vous tous pour la prospérité et la grandeur morale de l'Algérie.
      Et ainsi nous répondrons aux vues du Gouvernement, présidé par l'Eminent Homme d'Etat, M. Poincaré, Gouvernement d'Union Nationale que la France vient d'acclamer et aux directives qu'a bien voulu me donner mon Chef direct, le Grand Colonial M. Albert Sarraut, dont la sympathie bienveillante ne cesse de se pencher sur les aspirations économiques de la France d'Outre-Mer.

      Il est réconfortant, après une période de labeur soutenu, de jeter un regard en arrière et de faire en quelque sorte l'inventaire de l'oeuvre accomplie; Il est utile, en même temps, d'envisager ce qu'il reste à faire et d'embrasser, pour la mener à bien, l'ensemble de la tâche.
      Cette station dans l'effort, qui permet à la fois d'établir un bilan et de préciser un programme, je crois, Messieurs, que l'heure est venue pour l'Algérie de l'accomplir. A deux ans d'une date qui marque le terme d'un siècle de travail ininterrompu et d'énergie constante, nous devons examiner ce qu'est devenue la terre où nous sommes, ce que l'ont faite nos pères et nos prédécesseurs, Nous puiserons dans cet examen la légitime fierté avec laquelle nous pourrons, en 1930, célébrer les résultats de nos efforts. Nous comprendrons aussi pourquoi ce centenaire, au milieu de tous ceux qu'il est de mode maintenant de célébrer, prend une signification plus haute et plus belle, cesse d'être la simple commémoration d'une date pour devenir à la fois un terme et une inauguration, le terme de la période pendant laquelle l'Algérie devint prospère l'inauguration de celle qui en fera un pays puissant et donnera à la France non plus seulement une province fidèle, mais une aide précieuse et un appui efficace.

      Je me suis souvent souvenu, Messieurs, lorsque les devoirs des différentes missions que j'ai assumées en Algérie m'amenaient à proclamer l'importance du travail qu'ont fourni nos colons, de cet article d'un Journal des Débats de 1830 dans lequel était tracé un tableau de la Régence d'Alger : " Alger, disait le chroniqueur, est une ville triste, une terre rude. Des barbares, des soldats, des citadelles. Tout cela entouré de déserts où rugit le lion, le chacal, la hyène, où se traîne le serpent boa et dans les plus riches maisons de petits scorpions dont la piqûre est mortelle. Puis, quand l'été est venu, des sauterelles, véritable plaie d'Égypte, qui se pressent, intrépides comme les armées de Gengis Khan, qui dévorent jusqu'à l'écorce des arbres...
      " Outre ces maux généraux parmi lesquels j'ai oublié les sables du désert et les périls qu'on va chercher à dos de chameau, et le simoun espèce d'ouragan de terre, peste de chaque jour, corruption comme l'appelle l'Enflure, il n'y a que deux bonnes choses dans ce pays : l'opium, cette poésie des brutes, et l'essence de rose ".

      Lorsqu'on relit cette description, où malgré un pessimisme voulu et un lyrisme un peu suranné, il faut cependant reconnaître une certaine exactitude, le progrès formidable accompli devient encore plus sensible. Certes l'esprit colonial a subi depuis un siècle une extension considérable. On ne dit plus de nos jours en parlant des colons ce qu'en disait Montesquieu : " L'effet ordinaire des colonies est d'affaiblir le pays d'où on les tire sans peupler ceux où on les envoie ". On ne répète plus avec Adam Smith que " les effets du commerce des colonies font une véritable perte au lieu d'être un profit pour le corps de la Nation ". Mais ce progrès, cette évolution dans l'idée colonisatrice, cette tendance que l'on qualifie d'impérialiste et qui en réalité aboutit seulement à accroître le capital de bonheur et de prospérité d'une humanité plus évoluée, n'est-ce pas à l'Algérie que la France la doit, à l'Algérie où notre installation, en 1830, après un demi siècle de bouleversements sociaux a marque une nouvelle phase du développement national? C'est l'Algérie qui fut, après une crise formidable le témoignage de notre vitalité et c'est pour cela qu'il est bon avant d'examiner ce qu'elle est et ce qu'elle doit être, de se souvenir de ce qu'elle fût.

      L'Algérie en 1830. - Qu'était donc l'Algérie, Messieurs, au moment du débarquement de nos troupes ? Une province nominale de l'empire, turc, en fait le fief quasi indépendant d'une troupe de janissaires qui élisaient leur chef, province dont cependant les diverses régions payaient toujours, soit en nature, soit en argent, des tributs de vassalité à la Turquie.
      Son administration, réduite à sa plus simple expression, sa justice, où la bastonnade punissait les infractions jugées trop anodines pour le pal ou les supplices variés étaient les caractéristiques d'un régime quasi anarchique, dans lequel chacun vivait à sa guise et dans lequel la plupart vivaient mal.
      Sous ce régime à l'indolence et en même temps à la brutalité toutes orientales, la Régence d'Alger était bien la " Barbarie" de nos vieux auteurs. Une côte sans ports, un hinterland inculte, des plaines semées de marais, diverses régions faiblement peuplées et presque complètement isolées. Dans ce pays déshérité une population famélique vivait, minée par les fièvres, les épidémies et les famines, ruinée par les levées d'impôts, une population que les ouvrages les plus optimistes évaluent à moins d'un million d'habitants.
      Pour cette population d'ailleurs, on ne faisait rien. Il y avait peut-être et ce n'est pas certain, un hôpital à Alger. C'était le seul de la Régence.
      Rien n'existait ici de ce qui fait une nation: Comme voies de communications, des sentiers inextricables. L'aperçu publié à l'usage du corps expéditionnaire en 1830 indique deux routes carrossables: la première allait d'Alger au Fort l'Empereur, la seconde de la ville aux jardins du Dey, maintenant l'hôpital Maillot !
      L'agriculture, insignifiante, l'industrie, limitée à quelques articles fabriqués suivant des méthodes lentes et peu productives ; un commerce où les importations étaient quintuples des exportations, où le mouvement annuel du plus grand et presque du seul port de la Régence se limitait à 42 navires entrés et 47 sortis. Voilà ce qui caractérise la vie économique de ce pays avant 1830, vie pénible assurée difficilement par les bénéfices de la course, par les rançons des esclaves, par la vente des produits conquis ou les sommes d'argent trouvées dans les navires arraisonnés, aubaines qui permettaient peut-être de boucler un budget déficitaire, un budget qui, d'après Shaler se soldait en 1822 par des recettes de 2.361.000 contre 4,664.000 de dépenses.
      Voici, Messieurs, ce qu'ont trouvé en débarquant à Sidi-Ferruch les troupes françaises. Je ne retracerai pas, et cependant c'est une étude passionnante, les efforts immédiats accomplis par le commandement, la naissance des institutions qui font un pays civilisé, le travail surhumain de nos premiers administrateurs. Je passerais un siècle d'efforts, d'énergie pour grouper très sommairement, dans une brève synthèse l'état actuel de notre belle Algérie.

      L'Algérie en 1928. - Lorsqu'on examine celte situation, deux chiffres arrêtent immédiatement l'attention : celui de la population algérienne 6.064.000 habitants, celui du commerce extérieur, 8 milliards 297 millions,
      La population, tout d'abord, a sextuplé depuis 1830. C'est là, Messieurs, le signe le plus sûr de la prospérité d'un pays, celui du succès de tous les efforts, de toutes tes réformes qui, en définitive; ne tendent qu'à créer de la vie.
      Cette population plus nombreuse dont son accroissement aux plus larges facilités d'existence, à l'attraction que produit un pays neuf où tout est à mettre en valeur. Elle le doit surtout au développement de toutes les oeuvres de bienfaisance et d'assistance, de toutes ces institutions qui sont l'honneur d'un pays civilisé, à la protection toujours attentive de la vie, à sa naissance comme à son déclin. Est-il Messieurs, un peuple colonisateur qui ait lutté plus activement contre toutes les misères humaines, qui ait développé davantage ce que l'explorateur Bruneau de Laborie appelait les deux grands facteurs de la colonisation, l'hygiène et l'assistance ?

      Au lieu de l'unique hôpital de la Régence, nous pouvons maintenant être fiers de nos 71 hôpitaux, militaires ou civils, de nos 83 hôpitaux auxiliaires, de nos 72 bureaux de bienfaisance, de nos orphelinats, de l'ouvre si efficace de nos médecins de colonisation, de nos diverses organisations sanitaires, Cette population nous l'avons instruite, dans la mesure où le permettaient nos moyens. Nous développons tous les jours ces moyens d'instruction. Nos facultés qui sont les secondes de France par le nombre d'étudiants, nos lycées et nos collèges, nos 1670 écoles primaires, témoignent de l'effort considérable que l'Algérie accomplit dans ce domaine.
      De cette colonie dont la prospérité croit tous les jours, vous êtes en train, Messieurs, de faire une grande société. Le second chiffre que je vous indiquais tout à l'heure montre à ce point de vue les résultats heureux de vos efforts.
      Ce port, Alger, dont je vous entretenais et où il entrait moins d'un navire par semaine - et quels navires - en recevait en 1926: 4.179 et il était suivi de très près par celui d'Oran. C'est un total de près de 15.000 navires qui faisaient escale, cette année-là, dans les ports algériens.
      Dans l'intérieur du pays, les voies de communication, toutes crées par la France, assurent des relations rapides et sûres entre les régions les plus lointaines: 4 200 Kilomètres de voies ferrées, 3.000 kilomètres de routes nationales, voici ce qui est fait à l'heure actuelle et ce qui sera développé,
      C'est dans tous les domaines, Messieurs, que la cadence de ce développement s'est maintenue.
      Le sous-sol algérien produit maintenant près de deux millions de tonnes de fer, 50.000 tonnes de zinc, 8 millions de tonnes de phosphates. Son sol cultivé sur près de quatre millions d'hectares produisait en 1923, 23 millions de quintaux de céréales, 10 millions d'hectolitres de vins, ses côtes, 16.000 tonnes de poissons, 22.000 établissements industriels d'importance diverse transforment et utilisent ces produits.

      Je m'excuse, Messieurs, de vous infliger la lecture de cette accumulation de chiffres. N'est-il pas bon, cependant pour le Français qui dénigre volontiers ses propres qualités de se rendre compte, en tirant au hasard des statistiques des nombres aussi éloquents, de quoi est capable le génie national !

      Mais il est un résultat dont nous ne nous enorgueillirons jamais trop, un résultat plus admirable encore que les progrès économiques auxquels je viens de faire allusion : c'est l'union des races qui vivent sur le sol algérien.
      De cette lutte permanente qui depuis des siècles caractérisait les rapports entre Chrétiens et musulmans dans la Méditerranée, nous avons fait une collaboration étroite. Nous avons transformé l'ignorance absolue des moeurs et des aspirations réciproques en amitié solide et en sympathie agissante. Et nous pouvons être heureux de ce rapprochement chaque jour plus étroit, car s'il est le résultat très honorable de cent ans d'efforts et de travail, il est aussi le gage le plus certain de notre prospérité future.
      Voici, Messieurs, en un résumé très sommaire et très incomplet, ce que vous pouvez être fiers d'avoir réalisé de ce côté-ci de la Méditerranée.

      Le programme à réaliser. - Mais votre oeuvre ne s'arrêtera pas là. De graves problèmes se posent, des questions importantes sont encore à étudier et à résoudre et l'effort à accomplir est d'autant plus grand que l'effort accompli a été plus intense. C'est dans tous les domaines qu'il faut continuer à travailler et dans toutes les branches de l'activité humaine qu'il faut achever la tâche entreprise.
      II me parait que les améliorations à réaliser peuvent être divisées en deux groupes : les premières visant directement les individus et tendent à faciliter l'existence des populations algériennes ou à la rendre plus heureuse : elles concernent les oeuvres d'éducation et d'assistante. Les secondes ont trait au développement économique de l'Algérie, et vous êtes, Messieurs, des hommes d'affaire trop avertis, pour ne pas avoir saisi déjà l'importance toute particulière que prennent toutes les questions économiques dans cette grande bataille d'après guerre, dans ce monde transformé en immense marché par un désir de vie plus intense, par des fluctuations particulièrement accentuées des changes, par une plus grande facilité des communications, par un développement inattendu de la publicité.

      L'Instruction publique. - Je vous indiquais tout à l'heure quelle était l'importance des résultats déjà obtenus dans le domaine de l'instruction. Mais ces chiffres, si réconfortants qu'ils soient, montrent l'immensité de l'oeuvre qui reste à accomplir. Dans tous les ordres d'enseignement, il faut tenter d'améliorer et de faire de l'Algérie une terre digne de la Métropole.
      Les Facultés d'Alger sont, au point de vue de l'importance de la fréquentation, les secondes de France. Mais leur succès même les a rendu insuffisantes et le besoin d'agrandissements importants se fait de plus en plus sentir. Il y aurait aussi, il me semble, beaucoup à faire au point de vue de l'influence morale de notre enseignement supérieur. Il faudrait, maintenant qu'un demi-siècle a mûri et mis au point son adaptation à l'Afrique du nord, qu'Alger devint une pépinière de jeunes professeurs auxquels une spécialisation, peut-être, mais surtout une compréhension plus grande de la mentalité, des besoins locaux, permettraient un rôle particulièrement efficace.
      Il faudrait également, et Il n'y a aucune contradiction dans ces deux désirs que les Facultés algériennes ne soient plus limitées à l'étude des questions algériennes ou orientales, mais qu'elles restent des foyers d'éducation française, en un mot que l'Université d'Alger devienne, dans le domaine français et intellectuel, un centre de rayonnement dans tout le sud de la Méditerranée, un foyer analogue à ce qu'est, au Caire, dans le domaine de l'Islam, l'Université d'El-Azhar.

      C'est dans le même ordre d'idées que je voudrais créer en Algérie des musées de tout genre, des expositions fréquentes. N'oublions pas que la France peut être considérée comme le centre intellectuel du monde et attachons-nous à ce que sa plus belle Colonie soit dans ce domaine, digne de la Mère Patrie.
      En ce qui concerne l'enseignement primaire, la question est simple: il faut plus d'écoles, davantage de maîtres, un plus grand nombre d'élèves. C'est une simple question de crédits, qu'il faut répartir sur de longues années, peut-être, mais qu'il faudra tôt ou tard voter et utiliser.
      II ne faut pas oublier, Messieurs, que l'enseignement est le plus efficace facteur de rapprochement entre les différentes races qui peuplent l'Algérie. C'est l'école qui constitue le creuset où ces races s'amalgament et se fondent, c'est l'école qui est par excellence l'instrument d'assimilation. Développons donc l'enseignement élémentaire celui qui s'adresse à tous les indigènes. Développons aussi l'enseignement technique, qui en plus de l'importance de son rôle moral a cet avantage de donner aux femmes indigènes, sans les arracher au cercle de leur famille et de leurs habitudes, un métier adapté à leurs dispositions et à leurs moyens.

      Enfin, Messieurs, il est une forme d'enseignement qui n'a pas encore reçu la place qui lui est due. Je veux parler de l'enseignement aux filles indigènes. L'évolution de l'esprit musulman qui se manifeste à l'heure actuelle, laisse espérer que progressivement les femmes pourront recevoir une instruction générale et surtout une instruction technique leur permettant, en leur procurant des ressources qui seront loin d'être négligeables, de s'éveiller à la vie sociale, de s'évader par instants de la claustration à laquelle elles sont condamnées depuis des millénaires.
      Certes, de grands efforts ont été faits à ce point de vue, et je dois ici rendre hommage à toutes les organisations officielles ou privées qui en Kabylie, au Sahara, dans toute l'Algérie, s'efforcent par le travail, d'apporter un peu de bien être dans des foyers déshérités. Cet effort, nous le continuerons et l'intensifierons. Et il ne faut pas croire que le développement très progressif de cet enseignement féminin se heurtera à une opposition irréductible. J'ai eu la profonde satisfaction, tout récemment, à Relizane, d'entendre des notables indigènes me demander ces écoles pour leurs filles.
      Donnez à ces femmes une éducation générale sommaire qui fasse d'elles, mères de famille, les éducatrices de leurs enfants et les débarrassent des vieux préjugés trop répandus encore, mais surtout une éducation professionnelle adaptée à leurs aptitudes qui coordonne leurs efforts, qui leur permette de se perfectionner dans ces industries qu'elles pratiquent depuis des siècles et vous aurez introduit au coeur du foyer kabyle, dans le gourbi du fellah, sous la tente du pasteur, en même temps qu'un facteur de bien-être, un puissant élément d'assimilation.

      L'assistance. - Ces individualités que nous avons instruites, nous devons leur assurer une vie saine, une existence où les maladies ne sont que des accidents, une vieillesse à l'abri de la misère. Parmi les devoirs qui s'imposent à nous, ce sont là les plus nobles et les plus désintéressés. Vous pouvez déjà être fiers des résultats obtenus. Mais l'effort entrepris doit être soutenu. De nouvelles circonscriptions médicales de colonisation viennent d'être créées ; l'école des infirmières visiteuses vient d'être réorganisée, un asile d'aliénés est en construction; un premier sanatorium pour les tuberculeux va être édifié dans la forêt de Saint Ferdinand un hôpital d'enfants sera construit dès que vous aurez adhéré à mes propositions. Il faudra aussi veiller à l'enfance souvent livrée à elle-même et à toutes les contagions morales ou physiques, développer ces sociétés de prévoyance qui permettent aux fellahs de supporter les années déficitaires, intensifier encore la lutte contre le paludisme et les épidémies. Progressivement nous réaliserons ces projets qui sont aussi pour nous des devoirs.

      Le développement économique de l'Algérie. - Nous devons aussi, Messieurs, nous placer à un point de vue plus pratique et plus intéressé. A côté des oeuvres sociales nous devons nous préoccuper des oeuvres Économiques. Dans ce domaine, je crois que le mot d'ordre est simple : il faut accroître le rendement de l'Algérie. Accroître le rendement par tous les moyens: augmentation des productions agricoles, développement des industries locales, intensification du commerce, car le mouvement est une véritable création de richesse, création de nouveaux débouchés.
      Ce programme parait bien ambitieux et, cependant, il semble à l'examiner de plus près, que notre effort commun doive se ramener à quatre points principaux: il faut crée, puis transformer, puis faire connaître ses produits et enfin les écouler. Que devons-nous faire à propos de chacun de ces points. Voilà ce que je désire examiner avec vous.

      Développement de la production. - L'Algérie est un pays essentiellement agricole. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler récemment qu'en 1924, le commerce d'exportation de l'Algérie qui était de deux milliards environ comprenait pour plus des trois quarts des produits agricoles : vin (667 millions), céréales (232), moutons (114), laines, cuirs et peaux (71), tabacs (112), dattes (35), alfa (35).
      C'est donc l'agriculture, première ressource de l'Algérie, qui doit avant tout bénéficier de nos efforts.
      Parmi tous les moyens qui permettront son développement, je crois qu'il faut donner la première place à l'hydraulique agricole. C'est l'eau, suffisante comme quantité, mais mal répartie dans le temps et dans l'espace, que nous devons canaliser et conserver, l'eau parfois terrible dans ses colères, mais bienfaisante et source de richesses, dont nous devons assurer une répartition judicieuse et une utilisation complète. Les programmes de grands travaux hydrauliques que vous avez votés sont en cours d'exécution. On va commencer incessamment à édifier la maçonnerie du barrage de l'Oued Fodda dont les 220 millions de mètres cubes irrigueront 30.000 hectares. D'autres barrages, celui du Ghrib, celui des Zardezas, celui de Foum-el-Greiss, sont en cours de réalisation ou à l'élude. Le barrage de l'Oued Fergoug emporté au cours de la terrible catastrophe de décembre dernier va être remplacé par un nouveau barrage construit en amont; celui de Charon va être reconstruit. Cet effort, Messieurs, il faut le continuer et l'intensifier. Il faut aussi tenter, et c'est là une oeuvre de longue haleine, de régulariser par le reboisement des régions improductives, le cours des eaux de ruissellement, de ces " eaux sauvages " qui peuvent être une calamité, mais dont nous ferons un élément bienfaisant.

      Il est aussi un facteur efficace du développement de l'agriculture qui depuis longtemps fait l'objet de vos préoccupations : je veux parler des institutions de crédit et de coopération agricoles.
      Dégagée des rêveries sociales d'un Owen ou d'un Fourier, la coopération est depuis quelques années, en matière agricole, un des éléments les plus puissants de la production. Son extension de jour en jour plus considérable, a permis l'amélioration des méthodes de culture, des procédés de transformation. Elle a également développé cette notion de solidarité sans laquelle les producteurs ne sont que des adversaires en guerre constante et stérile.
      Dans ce domaine, l'Algérie tient une place honorable. Sous des formes très variées dont les noms qui paraissaient étranges sont maintenant familiers à tous, viticoops, tabacoops, cotocoops et bien d'autres, il existe en Algérie 183 sociétés qui groupent près de 10.000 membres et dont la plupart voient de jour en jour augmenter leur prospérité.

      Les agriculteurs pour qui ces organismes facilitent toutes les opérations accessoires de l'agriculture vinification, battages, traitements variés, peuvent également obtenir, grâce à l'existence de 34 caisses régionales de crédit et des 328 caisses locales, des prêts qui s'élèvent pour une seule année à 179 millions. Dans le domaine purement indigène, 200 sociétés indigènes de prévoyance groupaient en 1926 près de 500.000 adhérents.
      Cette nouvelle forme de la production agricole se développe tous les jours et j'attacherai toute mon attention à ce que son extension ne rencontre aucune entrave. C'est par l'association que l'Algérie verra se développer sa puissance de production et son influence sur les marchés mondiaux. Là plus que dans tout autre domaine n'est-il pas juste de dire que l'union fait la force ?

      Les cultures industrielles. - Il est une branche de l'agriculture qui prend à l'heure actuelle une importance singulière. Je veux parler des cultures industrielles. L'Algérie possède dans ce domaine une ressource considérable qui quelque jour fera peut être sa fortune : Le coton y réussit et y prospèrera lorsque l'irrigation, suffisamment développée, le permettra. Le coton, cette plante protée qui est à la base des industries de guerre comme des industries de paix, qui fait naître des besoins nouveaux à mesure que sa culture se développe, assure aussi la prospérité des pays qui ont, l'heureuse chance d'en pouvoir intensifier la culture. Nous pouvons en Algérie enregistrer depuis quelques années une extension considérable de cette culture, puisque la valeur des quantités exportées passait de 2 millions 700.000 francs en 1922 à 27 millions en 1926.

      Les nouveaux travaux hydrauliques accroîtront le rythme de cette progression, dont le développement sera encore assuré par l'organisation de nouvelles coopératives plus utiles en ce domaine qu'ailleurs, en raison de la sélection à opérer dans les semences et des nombreuses opérations accessoires à faire subir aux produits de la récolte.
      De son côté, l'exploitation rationnelle des nappes d'alfa sera de plus en plus pour l'Algérie une source de richesses. Je m'emploierai à ce que l'industrie nationale puisse profiter comme il convient d'une matière première qui trop longtemps a été monopolisée par l'étranger.

      Développement des industries de transformation - Il ne suffit pas de produire, Messieurs, il faut transformer, faire des matières premières des articles de consommation. A notre époque, dans un siècle qui est par excellence l'âge de l'industrie, un pays strictement agricole, est incomplet. Il faut qu'aux ressources de son sol s'adjoigne une industrie prospère. Il est certain que l'Algérie est mal partagée à ce point de vue en raison de sa pauvreté en combustibles. II ne faut tenir compte que pour mémoire des 10.000 tonnes de houille de Kenadsa et des 1800 tonnes de pétrole de Messila. Mais une ressource nous reste, c'est l'électricité. Ces grands barrages qui permettront une mise en valeur plus complète du sol algérien nous fourniront aussi la force motrice qui transformera nos produits.
      A l'heure actuelle, le progrès accompli est déjà considérable: 62 centrales dans les trois départements ont distribue 28 millions de kilowatts heure en 1922 et 72 en 1926. 4.000 kilomètres de lignes de distribution d'énergie répartissent dans toute la colonie cette force féconde.

      C'est dans la diffusion de cette force nouvelle, dans la création de nouvelles centrales, dans l'utilisation de toutes les forces latentes que possède notre sol et qu'un inventaire minutieux permettra de déceler, que réside l'avenir industriel de l'Algérie.
      C'est dans ce domaine qu'un effort est à accomplir. La loi du 2 août 1923 a permis aux collectivités d'obtenir de la caisse nationale de crédit agricole des subventions ou des avances. A l'heure actuelle, 13 communes ou groupements ont bénéficié de près de 1.500.000 francs d'avances et de 800.000 de subventions. D'autres projets sont à l'étude. Je veillerai à ce que le mouvement commencé ne se ralentisse pas: "Lorsque tous les programmes d'électrification en cours d'exécution entreront en action, a-t-on dit, l'avenir de l'Afrique du nord sera définitivement résolue ".

      Développement de la circulation. - Cette production accrue, ces matières premières algériennes transformées dans des usines algériennes, Il faudra les transporter. Les transporter d'abord du lieu de production au lieu de transformation, les transporter ensuite au lieu de consommation. Il faut pour cela des moyens de transport développés, des lignes de navigation satisfaisantes, des facilités douanières.
      Je vous ai indiqué l'importance actuelle de nos voies de communication. Le cataclysme qui s'est abattu, à la fin de l'année dernière, sur l'Algérie, avait causé de très graves dégâts: les votes ferrées détruites, les ponts emportés, les chaussées des routes enlevées sur plusieurs dizaines de kilomètres, tel était le bilan de ce déluge destructeur. Mais vous savez, Messieurs, avec quelle énergie, avec quel dévouement, l'Armée, les services publics se sont mis corps et âme à la reconstitution de tout ce qui était détruit. Le résultat de leurs efforts, le voici : Sur les routes nationales, la circulation est partout rétablie, toutes les chaussées détruites sont en cours de rechargement, tous les ponts emportés ont été reconstruits de façon provisoire ou définitive.
      Les voies ferrées sont également pour la plupart rendues à la circulation. La circulation directe sur la ligne d'Alger à Oran a été rétablie il y a un mois. On travaille au rétablissement définitif de la ligne Orléansville-Ténés.
      Sur la ligne d'Arzew à Colomb-Béchar, le trafic a été rétabli entre Perrégaux et Dublineau le 3 avril avec passage de l'Habra en amont de Perrégaux sur un pont provisoire comportant 5 travées de 20 mètres.
      La section Dublineau-Bou-Hanifia sera remise en exploitation vers la fin avril après achèvement d'un pont provisoire à la Guethna.
      La section Bou-Hanifia-Tizi, qui a subi de très graves dégâts, sera rétablie à la fin de mai.
      Sur la ligne Tisi-Bel-Abbés la circulation est rétablie sans transbordement.
      Les ateliers de Perrégaux ont été remis en fonctionnement avec le matériel qui n'a pas été détruit. Le projet de reconstruction sur un nouvel emplacement est en préparation. Ce déplacement permettra d'ailleurs de réaliser la transformation et l'extension de la gare. Tous ces résultats rapides sont dus eu zèle intelligent de nos troupes et de leurs officiers, de nos cheminots et de leurs dirigeants !

      Au point de vue hydraulique, même activité. Deux emplacements de barrage en amont du barrage de l'Oued-Fergoug ont été reconnus. Un autre en aval a été également étudié. En attendant, les irrigations de la région sont assurées par un canal latéral à l'Habra et par des pompages en rivière. Dans le syndicat du bas Cheliff, les travaux sont en cours. Ceux de réfection du barrage de Charon son activement poussés. Enfin le port de Mostaganem est maintenant dégagé. Une partie des apports sera utilisée à l'établissement de terre-pleins reconnus nécessaires et le service des Ponts et Chaussées, avec une activité à laquelle je rends hommage, a pu par un travail acharné, enlever plus de 95.000 mètres cubes de vase sur les 150.000 qui comblaient à demi le port.

      Vous voyez, Messieurs, que si les éléments ont, avec une brutalité aveugle, détruit l'oeuvre de nombreuses années d'efforts, les hommes avec une énergie et une promptitude qui doivent soulever l'admiration, ont su réagir et réparer. C'est un bel enseignement qui nous est donné là et un pays qui fait preuve de cette vitalité peut prétendre dans le monde à une place honorable.

      Les prestations en nature. - Vous avez demandé, Messieurs, au cours de votre dernière session, l'établissement d'un plan général de l'utilisation des prestations en nature en Algérie. Ce plan a été établi et approuvé par M. le Président du Conseil. Il comporte notamment les travaux de chemins de fer, l'outillage des ports, les travaux hydrauliques, les installations électriques. Il hâtera l'électrification de la première ligne ferrée algérienne, permettra la réalisation de nombreux travaux municipaux.
      On a, à propos de ces prestations en nature, manifesté une inquiétude. On a craint que l'industrie allemande ne fût favorisée aux dépens de l'industrie française par les facilités considérables accordées et que les Allemands puissent se vanter d'avoir équipé l'Algérie. Il faut, Messieurs, rectifier cette idée fausse. L'application du plan Dawes, ne permettra pas à l'Allemagne d'effectuer en Algérie des travaux d'art, de réaliser entièrement les grands projets dont l'exécution est prévue. C'est là une tâche réservée à l'industrie française qui en tirera, arec un légitime orgueil, les avantages de propagande et de publicité qui lui sont dus. En un mot les grands travaux ainsi effectués, seront réalisés avec des matériaux allemands, mais par l'industrie française.

      Ainsi, Messieurs, les projets que je viens sommairement d'examiner devant vous, assureront à l'Algérie des voies de communication dignes d'elle: routes, voies ferrées, lignes de navigation dont vous avez récemment approuvé le nouveau régime, bientôt transsaharien, qui mettra à trois jours de la Méditerranée l'énorme réserve d'hommes et de matières premières de la boucle du Niger, bientôt aussi, on peut l'espérer, lignes aériennes organisées pour les relations rapides et les transports postaux, ce réseau sans lacunes constituera pour notre pays un instrument précieux et un facteur puissant de développement économique.
      Sans doute, pour faire face à tous ces projets, des ressources exceptionnelles seront nécessaires. Nous les demanderons à un emprunt prochain, car il est de toute justice que les générations à venir supportent elles aussi le poids des impôts indispensables pour leur préparer l'extension de leurs moyens d'enrichissement.

      Les nouveaux débouchés. - Notre œuvre serait incomplète, Messieurs, si nous ne nous préoccupions que du développement intérieur de l'Algérie. Ce pays aux ressources accrues, à l'industrie intensifiée, à l'agriculture prospère doit prendre dans le monde économique une place en rapport avec ses possibilités, avec sa puissance latente. Il faut donc trouver pour ses produits, des débouchés nombreux, il faut surtout par un développement de la propagande sous toutes ses formes, lui assurer une publicité abondante.
      De nouveaux débouchés nous seront nécessaires, pour écouler nos productions, mais aussi pour alimenter notre industrie. Il faut que l'Algérie entre en rapports avec de nouvelles régions, ou intensifie ses échanges avec ses voisins. Depuis quelques années nous constatons que les ports nord-africains tendent à devenir des escales obligées des grandes lignes de navigation qui unissent l'Europe à l'Extrême-Orient, la Méditerranée Orientale à l'Amérique. Les efforts continuels accomplis pour améliorer leur outillage, simplifier les opérations, faciliter le ravitaillement en combustible solide ou liquide, accroîtront encore l'importance économique de ces escales qui unissent quatre continents.

      Les Conférences nord-africaines ont également émis le voeu qu'on favorisât le développement des relations commerciales de l'Afrique du Nord avec l'Afrique Occidentale française. Il est certain qu'une liaison suivie réalisée par des escales régulières en Algérie, des lignes de navigation unissant la France à l'A. O. F. créerait un intéressant mouvement et permettrait d'intensifier des relations commerciales qui ne dépassent pas à l'heure actuelle un total annuel de dix millions. C'est un projet que je reprendrai avec le vif désir de le voir aboutir. Dans le même ordre d'idées mes efforts seront consacrés à une amélioration des régimes douaniers entre l'Algérie d'une part, le Maroc et la Tunisie d'autre part.
      On peut à ce point de vue enregistrer une progression satisfaisante : le trafic algéro-tunisien est passé de 3 millions 1/2 en 1900 à 44 millions en 1924, le trafic algéro-marocain pendant la même période s'est élevé de 12 à 221 millions. Mais ces chiffres sont encore insuffisants et j'espère que nous pourrons donner à ce trafic la grosse importance qu'il doit logiquement avoir.

      La propagande et la publicité. - Enfin, Messieurs, et c'est sur ce point que je voudrais terminer cet exposé sommaire des besoins et des possibilités de notre pays, une grande tâche nous reste à accomplir : faire connaître l'Algérie. Certes, de louables efforts ont déjà été accomplis dans cet ordre d'idées, des crédits importants sont prévus à cet effet. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut créer autour de nous l'obsession de l'Algérie. Et il ne s'agit pas là d'une réclame abusive. Nous savons ce que vaut notre pays, nous savons que tout ce que nous pourrons en dire ne sera qu'un pâle reflet de ce qu'il est. Parlons-en donc par tous les moyens à tous les publics, sur tous les sujets. J'ai déjà eu la satisfaction, Messieurs, de voir la plupart des journaux locaux en France, consacrer quelques colonnes aux problèmes algériens. Certains grands périodiques ont réservé une rubrique régulière aux questions qui nous intéressent. C'est un mouvement qui commence et se développe remarquablement. " La publicité est l'âme du commerce " dit un lieu commun qui n'est pas dénué de bon sens. Eh bien, Messieurs, souvenons-nous maintenant que nous sommes commerçants. Vantons nos marchandises. Vulgarisons nos méthodes. Faisons connaître nos ressources, notre agriculture prospère, notre industrie naissante. Nous tirerons de cet effort nouveau un triple avantage. Indépendamment de l'intensification de nos relations économiques, nous bénéficierons d'un développement du tourisme, cette industrie nouvelle dont notre Algérie semble être la terre par excellence. Enfin, Messieurs, par le spectacle de deux races unies dans un même effort, attirées vers un même idéal de bonheur par le travail, nous serons pour la France un vivant témoignage de la grandeur de son oeuvre africaine et la preuve palpable de son génie colonisateur. Ceux-là n'auront aucune emprise sur l'esprit public qui osent nier la force majestueuse de la Patrie et la main vigoureuse de la loi saura ne pas leur permettre de continuer impunément leur oeuvre de dissolution sociale.

      Travaillons donc, Messieurs, à réaliser cette oeuvre grandiose. Nous avons devant nous une tâche énorme, un effort considérable à accomplir. Mais je connais trop votre désir de faire une Algérie toujours plus grande et plus belle et je sais que voue ne vous arrêterez pas dans cette lente marche vers le progrès. " Ne croyons pas notre tâche terminée, disait le grand Français, Raymond Poincaré. Le travail d'hier ne nous dispense pas du travail d'aujourd'hui, Le travail d'aujourd'hui ne nous dispensera pas du travail de demain. L'avenir sera ce que nous le ferons, ce que vous le ferez après nous. Un peuple qui s'endort ne se réveille plus ". Or, l'Algérie ne s'endormira pas, elle ira chaque jour plus vivante et plus unie, sans souci de la race et des origines de ses fils, sur le chemin du progrès éclairé par la grande lueur du génie Français.


ET ALORS ET OILA
par François Rosello

       Cette histoire authentique, j'te jure, s'est écrite dans le magasin de Maurice,
       Situé rue Bab-Azoun, non loin du boulevard Front-de-Mer qui,
       Souviens-toi, sentait les acres odeurs du port, le goudron, les épices…

       Dans le magasin à Maurice y'avait de tout,
       Epicerie, bazar et même parfois des cafards,
       Y'avait aussi des habitués, des salaouetches, des vrais,
       Qui venaient regarder, acheter, et surtout tchatcher,

       Comme la Mère Sintès, avec sa voix haut perchée,
       Qui racontait comment Canova, le boucher, lui avait répondu,
       Alors qu'elle se plaignait de la hausse du prix des côtelettes
       " Eh alors, madame, vous avez déjà vu des côtes qui descendent, vous ? "

       Et Popaul, le pilier couperosé du bar de la Marine,
       Qui avait promis, juré, de boire du lait
       Quand les vaches mangeront de la vigne,

       Sans oublier Rossi, le douanier louette,
       Que le médecin lui avait interdit de boire l'anisette,
       Supputant à voix haute " supposons qu'on m'offre le pastis,
       A chi dente, j' peux pas refuser "

       Et encore Georgeot, le mécano de Mercurio,
       Qu'il avait toujours les ongles aussi noirs que le brasero,
       Et le portefeuille aussi plat qu'un stockafisch,
       Mais y'en avait pas deux capables comme lui
       Pour régler le ralenti capricieux de la vespa ou du rumi,

       Sans oublier le grand Antoine dit Tonio,
       Le marin de Schiaffino qui revenait de ses courses lointaines,
       Les poches pleines de cigarettes américaines,
       Aouf, comme qui dirait gratis pro deo,

       Y'avait enfin Toussaint, le pince-sans-rire
       Qui buvait le caoua si chaud que parfois y se brûlait,
       Répondant invariablement aux interrogations :
             -Tu pleures ?
             -C'est à cause de ma sœur…
             -Oh…la putain
             -Non, pas celle-la, l'autre
             -Et alors ?
             -Et oila…


François Rosello
25 octobre 2005

MON PANTHÉON DE L'ALGÉRIE FRANÇAISE
DE M. Roger BRASIER
Créateur du Musée de l'Algérie Française
Envoyé par Mme Caroline Clergeau

Souk-Arras (Constantine, 1906)
Mas-Thibert (Bouches du Rhône), 1984.


Descendant d'une famille qui, après avoir combattu auprès de l'Emir Abd-el-Kadder, se rallia à la France, après la soumission de ce dernier.

        Enfant de Troupe à l'Ecole Saint Hippolyte-du-Fort et à Montreuil,
        Engagé au 1er R.T.A;
        Campagne de France (1940), de Tunisie (1942-43), d'Italie (1943-44), de France et d'Allemagne (1944-45). Caïd, 1946,
        Député d'Orléansville, 1958
        Premier Vice-Président de l'Assemblée Nationale.
        Ramène en Métropole 30 000 Français-Musulmans.

A SUIVRE

LES MOTS ECRASÉS
                                    Par R. HABBACHI                            N°14
Les, qu’y sont couchés

I- Ça que c'est les z'ibères pour nous z'aut'.
II- C'est un schkoll qu'y vaut des sous et que moi, je l'ai connu par Fernandel. - Artique.
III- Conjonction. Département patos ousqu'elle pointe la lumière du jour.
IV- Ça que ça me fait quan c'est, qu'une soge moi je l'aime.
V- Faciles, faciles, mais faciles. - A de bon, j'ai jamais compris pourquoi c'est qu'on dit que c'est une terminaison verbale.
VI- Y rit un peu mais sans fin. - A saouar comment elle fait, mais y paraît sérieux, qu'elle a son lait.
VII- Y z'ôtent.
VIII- Tu te casses pas la tête va ! ces trois lettes elles sont là juste pour remplir les cases. - Basse et même un peu plusse que basse.
IX- Guide à droites. - Y en a qu'y disent comme ça, que c'est Azrine.
X- Ça qu'y devient un méchant quan il est très méchant.
             Les, qu’y sont debout

             1- Arrête, arrête, mieur t'y'arrêtes. - Demeure, quan c'est pas une maison.
             2- D'la semoule cuite avec du beurre dedans mais moi, j'la préfère avec de l'huile d'olive comme les siciliens.
             3- Phon : attrapés au vol. - Purée comme c'est bon dès ! avec un loup qu'il est cuit à la vapeur.
             4- A force de boire, ça tu viens.
             5- Sigle d'un pays d'à côté l'Astralie. - Points cardinaux. - Ça qu'y le dit toujours le marseillais.
             6- Des z'aut' points cardinaux. - Surveillé par un guide à gauche. - Bougé.
             7- Une rue de Bône qu'elle va du boulevard Papier au p'tit jardin à côté le stade.
             8- Ça qu'il est arrivé en mai au président d'la république. - On en a toujours besoin.
             9- C'est écrit dessur ma cocotte minute. - Un artique d'à chez nous z'aut' là-bas. - Y te fait du beau linge.
             10- Ça que tu t'le sens au cœur avant qu'elle te vient l'emboulure.


Solution des Mots Ecrasés N° 13
Les, qu’y sont couchés

I- oublie d'le fermer et t'y as, c'est sûr, une sacrée fuite.
II- Y chantent pas tous et y volent pas tous. - C'est sûr, c'est à moi.
III- On dit que quan c'est comme ça, c'est pur. - En tout cas, c'est pas beau mais ça se soigne.
IV- C'est une roue qu'elle est à l'envers. Il en a des belles couleurs.
V- Pour du solide, sûr que c'est du solide. - Une note. - C'était d'la main d'œuvre à bon marché.
VI- Arrêts et tu peux dire aussi étapes.
VII- Mis au niveau voulu. - Cherche pas loin.
VIII- Des fois elle flotte pas. - Personnage de la mite au logis grecque.
IX- Un vieux loup. - Une partie de la question qu'y s'a toujours posée J'EXPIRE.
X- Qu'est-ce que c'est bon, en été quan c'est frais.

             Les, qu’y sont debout

             1- Prénom qu'y nous vient d'à Ischke. - Note.
             2- C'est qu'à même de l'huile. - Ce oualou, tu lui mets " pour " devant, y te vient à bou blèche.
             3- C'est ça qu'on le dit presque toujours au conscrit quan y passe devant le conseil de révision. - Traîné par un bateau.
             4- En Autriche. - En dedans les z'estomacs.
             5- Une corbeille dessous un ballon. - Un crack.
             6- Jusqu'au trognon. - Main'nan, si qu'y sont pas morts, on peut s'les z'appeler Ratatouille.
             7- En dessur certaines oitures. - Comme ça, elle sert à rien au golf.
             8- Le meilleur que moi, j'me le suis entendu, c'est Slam Stewart.
             9- On peut dire le pauv' sauf si qu'il est chien. - Y vaut mieur l'y ajouter une lette si que tu veux pas l'aouar au pied.
             10- Le Trifouillis les z'oies de chez nous z'aut'.


MESSAGES
S.V.P., lorsqu'une réponse aux messages ci dessous peut, être susceptible de profiter à la Communauté, n'hésitez pas à informer le site. Merci d'avance, J.P. Bartolini

Notre Ami Jean Louis Ventura créateur d'un autre site de Bône a créé une rubrique d'ANNONCES et d'AVIS de RECHERCHE qui est liée avec les numéros de la seybouse.
Pour prendre connaissance de cette rubrique,
cliquez ICI pour d'autres messages.
sur le site de notre Ami Jean Louis Ventura

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De M. SANCHEZ Jean-Claude

Je recherche Danièle (ou Danielle) GERARD dont le frère s'appelait Alain GERARD qui devait avoir dans les 14-15 ans dans les années 1961-62. Je ne me souviens plus du nom de sa rue mais ce n'était pas loin des Beni Ramasses. Si elle lit ce message ou si quelqu'un a un renseignement à me faire passer, répondre à ce message svp.
Mon adresse : office@jcssecurity.ch

De M. Eric Constanzo

Mon papa est né en 1925 et à vécu à bone jusqu’en 1961.
Il s’appelle Didier Constanzo, a été instituteur.
Peut être avez-vous parmi vos connaissances des amis qui ont partagé sa vie en Algérie ?
Bien cordialement
Eric Constanzo
Mon adresse : eric.constanzo@wanadoo.fr

De Mme TARI Ghyslaine

Je recherche des personnes qui auraient entendu parler d'un M. VALERO André qui aurait tenu un café à Bône dans les années 1900-1920 ou plus.
Si quelqu'un se souvient de l'endroit, et ausi de la famille de VALERO André marié à ANDREU Marie.
Je recherche aussi BONNIFAIT Françis qui habitait rue Latham à beauséjour, Bône.
je vous remercie cordialement
TARI Ghyslaine
Mon adresse : g.bulot@wanadoo.fr

De Mme Chantal Casta

Je recherche des personnes qui ont connu Renée Aleman, qui a participé à des Concours de Poésies dont certaines sont éditées sur le site de Bône.
J'aimerais avoir un maximum de réponses pour Renée Aleman dont je m'occupe.
Avec tous mes remerciements et très cordialement.
Chantal Casta
Mon adresse :

De M. LUCIEN CHEMAMA

Je suis LUCIEN CHEMAMA. J'habitais 27 rue Sadi-Carnot à BôNE. Je suis le frère de EMILE CHEMAMA le boxeur.
je recherche AUGUSTIN DIDONNA dit GUGU.
J'espère que vous pourrez me communiquer quelques renseignemnts.
Merci par avance, salutations
Mon adresse : cocodu13004@hotmail.fr

DIVERS LIENS VERS LES SITES

M. Robert Antoine et son site de STAOUELI vous annoncent la mise à jour du site au 1er mars.
Son adresse: http://www.piednoir.net/staoueli
Nous vous invitons à visiter la mise à jour.
Le Staouélien

M. Gilles Martinez et son site de GUELMA vous annoncent la mise à jour du site au 1er mars.
Son adresse: http://www.piednoir.net/guelma
Nous vous invitons à visiter la mise à jour.
Le Guelmois


Je viens de mettre le cimetiere de philippeville en ligne www.harguesshope.com
Je vous invite à le visiter
Angelina
Son adresse: http://www.harguesshope.com

Je vous souhaite un peu tardivement de "Bône" fêtes de Pâques et je vous invite à regarder le forum disponible sur notre vie bônoise, je viens de le créer :
Ce forum s'exprime sur notre vie bônoise, en hommage à notre famille, nos amis d'enfance, notre vie associative, etc. que du bonheur !
Amicalement Colette Lévy
Son adresse: http://amen.forumsactifs.com

Bonjour
Je viens d'ouvrir mon blog. J'y ai mis une exposition de tableaux virtuelle, et quelques autres informations.
Je vais essayer, au fil du temps de le remplir, bien que ce soit limité, vu que ce n'est pas un site.
Venais le découvrir et me donner vos impressions.
A très bientôt, Yvan MONTI
Son adresse: http://CIRTART.blog4ever.com

cliquez ICI pour d'autres messages.

......... Fallait y penser .....
Envoyé par Pagano Jean Claude

        C'est un type qui descend les poubelles...
        Arrivé 2 étages plus bas, la jolie voisine l'appelle en petit peignoir :
        "J'ai un problème avec l'ampoule de ma salle de bain..."
        Il rentre, change l'ampoule, elle lui offre un verre..

        Le peignoir tombe, direction la chambre... préliminaires, +postliminaires, + préliminaires, + ... + post liminaires, (c'est un chaud lapin) ...
        Deux heures après, clope au bec, épuisée, la voisine lui dit:
        "Oh la la!! Comment vous allez faire avec votre femme!!! "

        Et l'homme :
        "Ben je vais tout lui raconter, pas de problème...
        Vous avez du bleu à paupière pour mes doigts ?"
        Incrédule, la maîtresse lui refile du bleu à paupières et le regarde remonter tout heureux, décontracté.

        Arrivé chez lui, sa femme l'attend :
        "Deux heures pour vider les poubelles!!!!"
        Et le mari,
        " Ben voila, la jolie voisine du 2ème m'appelé en petit peignoir :
        "J'ai un problème avec l'ampoule de ma salle de bain...'"
        J'ai changé l'ampoule, elle m'a offert un verre..
        Le peignoir est tombé, direction la chambre, on a fait l'amour plusieurs fois....'"

        Sa femme lui attrape la main et lui rétorque :
        Te fous pas de ma gueule, j'vois bien que tu es allé faire un billard avec tes copains....'"



Aprés cette visite,
(---nous vous invitons à Cliquer )


Vous venez de parcourir cette petite gazette, qu'en pensez-vous ?
Avez-vous des suggestions ? si oui, lesquelles ?
En cliquant sur le nom des auteurs en tête de rubrique, vous pouvez leur écrire directement,
c'est une façon de les remercier de leur travail.

D'avance, merci pour vos réponses. ===> ICI


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