''Après Ia soumission, Ia collaboration''

Boualem Sansal Romancier et essayiste algérien,
          Il publie "Gouverner au nom d'Allah" (Gallimard).
Envoyé par M. C. Migliaccio
Courageux, il vit en Algérie.

          Croyez-vous à l'islamisation de la France?
          Elle est en marche et connaît une accélération notable. Chacun peut l'observer. Aujourd'hui, l'islamisation est I 'affaire de professionnels de la prédication, de la manipulation et des médias, dont Internet. EIIe a des buts politiques offensifs. La masse critique qui déclenchera la réaction en chaîne n'est pas loin d'être atteinte. Elle posera d'énormes et insolubles problèmes en Europe.
          Quelle est la vocation de l'islam ?
          Tant qu'il n'est pas réformé, il restera dans la démarche d'expansion et de conquête qui est la sienne depuis son avènement. Il Ie fera tantôt par la prédication et I 'exemple, tantôt par la force, selon le contexte et Ie rapport de forces.
          Distinguez-vous un islam modéré de l'islam radical?
          Les musulmans ne font pas ce distinguo. L'islam est I'islam. Pour eux, il y a Ies bons et les mauvais musulmans, le critère étant la stricte observance des règles.
          Comment aborder l'islamisme?
          L'islamisme a remplacé l'islam. On peut aussi dire que l'islam s'est durci pour devenir l'islamisme, plus efficace que l'islam pour réaliser le but premier : islamiser le monde et le gouverner par la charia. Avec le printemps arabe, l'islamisme a fait ce que l'islam n'avait pas réussi en dix siècles : prendre le pouvoir dans les pays arabes et jeter des têtes de pont en Occident pour reconquérir les terres d'islam d'antan (Andalousie, Israël...).
          Pensez-vous I 'islam compatible avec la modernité ?
          Il faut une révolution philosophique profonde pour obliger les religions à accepter Ia modernité, la laïcité et ce que la science apporte de lumières à l'homme. Pour le moment, et pour longtemps encore, c'est impossible en terre d'islam. L'islamisme, maître du jeu, le refuse. Il terrorise tant l'Occident que celui-ci n'ose plus émettre la moindre proposition pour permettre un vivre-ensemble entre musulmans et non-musulmans.
          Comment expliquez-vous I 'attitude des élites musulmanes ?
          Face au monolithisme silencieux de l'islam, face à Ia violence islamiste et à la brutalité des régimes dans les pays musulmans, elles ont fait le choix de se taire ou d'aller vivre ailleurs, toujours dans des pays non musulmans. La démission des élites est la plaie du siècle.
          Et les élites occidentales ?
          Le politiquement correct est en train de les stériliser. Leurs discours apparaissent mêmes comme des plaidoyers en faveur de l'islamisme. Répéter avec une telle fréquence "l'islam n'est pas I 'islamisme", " il ne faut pas faire d'amalgame ", " l'islam est paix et tolérance " ressemble à une propagande pour l'islamisme ou, du moins, à une déclaration d'adhésion à I 'islamisation.
          Quels sont les tabous à lever ?
          Nous vivons dans la terreur. Dans ce climat, nommer les choses par leur nom est périlleux. Qui demain oserait publier des caricatures de Mahomet ? "Charlie" sera à l'avenir l'autre nom de la terreur pour les journalistes, Ies écrivains, les dessinateurs, les humoristes. Comment voulez-vous construire un vivre-ensemble dans un tel climat? Comment faire fonctionner une démocratie, se prévaloir de la laïcité pour défendre ses idées, comment débattre si vous ne pouvez pas parler librement ? Les champions de la démission politiquement correcte devraient nous le dire.
          Comment expliquez-vous la discrétion de la plupart des intellectuels musulmans ?
          L'islamisme est I 'application stricte de l'islam, c'est la charia, vivre selon Ia norme musulmane originelle. Critiquer l'islamisme, c'est critiquer l'islam, ses règles, c'est rejeter le mode de vie du vrai musulman. C'est apostasier. Alors on critique à la marge. On ergote, avec des débats byzantins sur tel ou tel détail. Qui peut écouter ces paroles creuses ? S'agit-il d'une soumission de l'intelligence ?Cela fait des siècles que l'intelligence et la raison ont abdiqué devant l'islam. L'islamisme les pousse maintenant plus loin: au reniement, à la collaboration.
          Êtes-vous un "résistant" ?
          Le résistant est par définition un optimiste. Il résiste parce qu'il croit la victoire possible. Moi, je suis un pessimiste achevé à l'égard de I'islam et de la capacité des élites musulmanes de les sortir de l'état de misère dans lequel l'ont mis des siècles de dictature et de fanatisme religieux et nationaliste.

          Propos recueillis par Frédéric Pons "Gouverner au nom d'Allah" Gallimard
          - Valeurs actuelles 15 janvier 2O15