N° 101
Décembre

http://piednoir.net

Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Décembre 2010
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
http://www.seybouse.info/
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Cet Ecusson de Bône a été généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
Les derniers Numéros : 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
  Alger, Ma Ville Blanche   
Par : Robert Carpentier
Vous pouvez voir la vidéo de cette chanson en cliquant "ICI"
EDITO

   LA PEDAGOGIE..   

    Chers Amis,

    Quand on parle de pédagogie dans les discours, dans les discussions ou sur les médias, on parle plutôt de la pédagogie scolaire.
    Il y a la pédagogie au travail qui actuellement a trouvé ses limites avec tous les suicides qui s'y produisent.
    Il y a aussi les pédagogies religieuse, politique et médiatique. Certes ces dernières ne sont pas toujours très objectives, surtout dans les médias nationaux où se côtoient le mauvais, le pire et parfois aussi du bon. Avec la recherche et la diffusion de notre passé, la modeste Gazette " La Seybouse " tente de faire le meilleur pour notre mémoire.

    La plus importante et essentielle des pédagogies est la pédagogie parentale. C'est celle qui guide nos enfants et qui nous intéresse plus particulièrement pour la transmission de nos valeurs, de nos us et coutumes et de nos mémoires. Mémoire familiale, collective nationale ou communautaire.
    Cela en devient presque un métier de devenir parent et chacun le ressent en fonction de sa personnalité profonde, de ce qu'il a lui-même reçu et de ce qu'il y investit.
    C'est un noble art que d'être parent, qui exige d'avoir un feu sacré et un total désintéressement en terme de retour immédiat. Il faut aimer la vie et les enfants.
    Le noble art consiste à être un acteur permanent au vu des enfants qui, par des tests constants tentent de nous piéger dans leurs jeux ou de nous sonder au plus profond de nous même.

    Pour surmonter les grandes difficultés qui nous attendent, avec beaucoup de psychologie et de patience, il faut être guidé par notre propre mémoire, notre propre sensibilité, notre désir de consacrer une très grande partie de notre vie afin d'être bien compris dans notre pédagogie personnelle qu'il faut employer pour chaque enfant car chacun a sa personnalité, son intelligence et son caractère.
    Bien qu'elle serait encore nécessaire pour certains cas, dans le temps, et je me rappelle car ce fût mon cas, il y avait la " pédagogie appliquée ", c'est-à-dire une bonne raclée et on comprenait très vite.
    A l'heure actuelle, avec des lois inadaptées, avec la TV et Internet, les habitudes et mœurs ont changés. Il faut plus de patience, plus de dialogue, plus d'investissement personnel car les jeunes peuvent être détournés plus facilement par l'environnement extérieur ou médiatique.
    Tout cela, dans le cas de notre mémoire communautaire, demande encore plus d'attention et d'explications avec l'apport de vérités irréfutables qui ne doivent pas occulter la discussion contradictoire sous peine de rejet inéluctable.
    Bien souvent les recherches généalogiques sur nos ancêtres, exilés de leur pays pour atterrir en Algérie, déclenchent des vocations, de la curiosité et de la passion chez les jeunes. Remonter dans le temps avec eux est une quête exaltante car cela engendre des discussions sur les mœurs, les us et coutumes ainsi que sur le vécu familial.

    Si vous vous en sentez l'âme, il n'est jamais trop tard. Foncez, passez votre flambeau, allumez la lumière, ouvrez les esprits, semez votre savoir, libérez et expliquez vos convictions, il n'y a pas de tâche ou de défi plus exaltants, même si on ne sais jamais quand les graines germeront.
    Cette incertitude ne doit pas peser lourd face à l'œuvre utile que vous aurez accomplie car tôt ou tard les fleurs s'épanouiront afin que cela soit le bouquet éternel illuminant notre fin de vie.

Jean Pierre Bartolini          

        Diobône,
        A tchao.


IN MEMORIAM
Par Mrs. Méléo Georges et Jean Pierre Bartolini

CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE
DES TUERIES DE DECEMBRE 1960

  • 9 Décembre 1960 : Le Voyage de De gaulle En Algérie provoque de violentes manifestations Européennes. Nombreuses arrestations et internements.
  • 10 Décembre 1960 : De Violentes manifestations pro-FLN sont incitées par le capitaine BERNARD de la SAU. L'armée française ouvre le feu. De GAULLE déclare aux militaires "... c'est une Algérie algérienne qui tous les jours deviendra, par la force des choses, plus algérienne que la veille...." Tout cela n’est qu’une vaste opération montée par lui, digne d’un traître doublée d’un assassin.
  • 11 décembre 1960 : Les émeutes à Oran ont fait six morts européens et 18 musulmans.
  • 12 décembre 1960 : A Alger, les forces de l'ordre pénètrent dans la casbah pour mettre fin aux assassinats de musulmans pro français, on y déplore 17 morts.
  • 13 Décembre 1960 : A Bône, l'armée tirent sur les manifestants et tuent 8 personnes, 2 européens et 6 musulmans. Parmi les victimes les jeunes KANDEL Alain, 16 ans et GAMBA Gilbert 15 ans, 2 blessés graves : Papin André et Tarento Philippe.

Bônois... souvenez vous !

FUSILLADE DU 13 DECEMBRE 1960,
RUE SAUNIER A BONE

Déposition de M. G. FLOIRAT, Architecte. Domicilié: Avenue Garibaldi,

Au moment de la fusillade, mon bureau était fermé, je travaillais à mon domicile, dans la salle à manger ouvrant sur une loggia avenue Garibaldi, au 1er étage.
       Vers 16 heures, j'ai entendu scander le slogan "Algérie Française" et je suis sorti sur ma loggia.
       Un groupe d'une centaine de jeunes manifestants débouchait de la Rue Bugeaud, en direction du quartier de la Colonne.
       Des forces armées étaient de faction aux abords, constituées par des isolés et de petits groupes. Il y avait des légionnaires en béret vert.
       A l'approche de la manifestation, les forces n'ont rien fait pour se regrouper et s'opposer au passage de la colonne qui a poursuivi librement son chemin.
       Elle s'est engagée Rue Carnot, en se bor­nant à scander "Algérie Française", mais sans manifester aucune marque d'agressivité et sans menacer en quoi que ce soit les personnes ni les magasins, tous fermés d'ailleurs.
       Environ 10 minutes plus tard, la mani­festation revenait par l'Avenue Garibaldi et débouchait sur le carrefour de la Colonne. Les bérets verts, mitraillette sous le bras, ont barré la route vers la place Marchis. La tête de la manifesta­tion commençait à dépasser la rue Saunier. Elle a fait demi tour, en indi­quant la rue Saunier comme point de direction et le cortège s'est engagé dans cette rue. L'émotion provoquée par la formation du barrage a fait cesser les cris, qui se sont arrêtés quelques instants plus tard.
       Les bérets verts, qui avaient formé le bar­rage, se sont précipités vers l'entrée de la rue Saunier, pour établir un nouveau barrage. Il ne se passait plus rien devant ma loggia.

       Quelques secondes après, j'ai entendu plusieurs salves de mitraillette. Je suis allé au balcon de mon appartement don­nant rue Saunier. Les soldats étaient encore en position de tir. Des victimes, morts et blessés, étaient étendues sur le trottoir, baignant dans leur sang. Des témoins de la fusillade, indignés, étaient descendus dans la rue et manifestaient violemment leurs sentiments devant le massacre de ces jeunes gens, presque des enfants, alors que d'autres, restés à leur fenêtre, criaient leur réprobation.
       Je dois insister tout particulièrement sur le caractère de cette manifestation si durement réprimée.
       A l'aller, aucun désordre, aucune menace. Un simple défilé, ressemblant beaucoup plus à un joyeux monôme d'étudiants qu'à une manifestation d'hos­tilité. Au retour, même attitude, mais la formation du barrage émeut les mani­festants.
       Bien loin de faire front, les jeunes gens prennent une autre direction. Le cri "Algérie Française" est remplacé par la Marseillaise. Les légionnaires mitraillent les enfants dans le dos et c'est en chantant la Marseillaise et les bras en l'air, qu'ils tombent sous les balles des troupes françaises;

       Rien, absolument rien, ne nécessitait l'usage des armes. Il suffisait de le vou­loir pour disloquer la manifestation sans aucune brutalité et sans aucun heurt.
       C'est sur cet aspect de la question que je tiens par dessus tout à renseigner la Justice.


ATTESTATION

Je soussigné Gaston FLOIRAT, Architecte honoraire, demeurant actuellement 11, Rue Psichari, au Chesnay (78) et, jus­qu'en 1961, 1 Avenue Garibaldi (Palais Loucheur) à BÔNE,

Certifie ce qui suit
Le Mardi 13 décembre 1960, il y avait une certaine nervosité en ville dont je ne me souviens pas exactement du motif,
Dans l'après-midi, un détachement mili­taire, sous les ordres d'un officier, était stationné sur la place Marchis.
Un groupe d'écoliers, des adolescents, sortant du collège technique, s'engagea dans la rue Saunier, en direction de la ville.
Un détachement de militaires, sous la conduite de l'officier a alors barré la rue Saunier, à son débouché sur l'avenue Garibaldi. Les écoliers, bloqués dans leur marche, ont entonné la Marseillaise, alors qu'un autre détachement, contour­nant le Palais Loucheur, leur a coupé la retraite vers leur point de départ.
Il faut bien préciser que ces écoliers, qui revenaient de classe, ne se livraient à aucune manifestation, ne troublaient en rien l'ordre public et n'avaient d'autres armes que leurs cartables et leurs règles à dessin.
Les militaires ont ouvert le feu sur eux, les mitraillant à bout portant. Plusieurs sont tombés, d'autres ont pu se réfugier dans les cours intérieures du Palais Loucheur.
Les habitants, alertés par la fusillade, ont vivement réagi. M. VERICEL, qui habi­tait le rez-de-chaussée, s'est précipité vers l'officier commandant le détache­ment pour l'inviter à cesser cette tuerie.
Le jeune KANDEL, qui venait derrière ses camarades, n'a pas été pris dans la souricière. Il s'est enfui en contournant le Palais Loucheur. Comme il arrivait vers le milieu du square Randon, un militaire, posté à l'angle du Boulevard Papier, avec un fusil à lunette, lui a tiré dessus et l'a tué net d'une balle dans la tête.
J'ai téléphoné au Procureur de la République de Constantine, je me suis mis à sa disposition pour l'informer et le faire informer par les témoins. Il m'a répondu qu'il était au courant, qu'il était indigné et bien décidé à poursuivre l'af­faire. Il m'a engagé à faire une déposi­tion écrite à la Gendarmerie, ce que j'ai fait.
Je n'ai pas retrouvé la copie de ma dépo­sition, mais cette horrible fusillade m'a si fortement impressionné que j'en ai gardé un souvenir extrêmement précis et que je puis certifier que les indications ci-dessus sont rigoureusement conformes à la réalité des faits.

Signé : G. FLOIRAT
ACEP/ENSEMBLE décembre 2004, N°245

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       Les cinq jours de présence en Algérie de De gaulle se traduisent par 600 européens et 250 musulmans internés, 157 morts, 124 à Alger, 24 à Oran, 9 à Bône, il y a plus de 500 blessés. Sur les 92 morts musulmans, les autopsies ordonnées par le procureur général révèlent 51 morts par balle, dont 16 par des calibres en possession des forces de l'ordre, 33 égorgés, 2 brûlés, 1 par éclat de grenade, 5 par coups de matraques. Le FLN proclame que le procureur est fasciste et les médecins légistes des colonialistes tortionnaires. Révocation des fonctionnaires qui ont fait grève.

       Khidder déclarera plus tard : "notre plus grande humiliation a été ressentie le 10 décembre ; ce jour là, à l'appel de l'ennemi français, ont manifesté des foules que nous n'avions jamais pu amener à le faire."

       De gaulle en était tout content raconte Tripier: Le général De gaulle s'en montra satisfait. Non qu'il s'aventurât à provoquer l'opinion par une déclaration publique en ce sens, mais il fit part sans ambages de son contentement à son entourage, à ses ministres. "Eh bien! C’est un fait, et nous l'acceptons " déclara-t-il au terme de son périple. A un invité, André Passeron, qui lui demandait au cours d'une réception à l'Elysée, s'il voyait des conséquences sérieuses aux troubles d'Algérie, il répondit: "Oui, mais dans le bon sens". (Raconte Passeron) il dira entre autres, en conseil des ministres, en termes de conclusion de l'événement : "Mon voyage a provoqué une cristallisation (...). Tous les musulmans sont nationalistes et regardent avec sympathie du côté du F.L.N. (...). Nous assistons à la gestation d'une Algérie nouvelle; elle se fait, elle va naître, elle est en pleine évolution psychologique et politique (...). Cahin-caha, on va vers la solution." (Livre de Terrenoire).

       Tout résolu qu'il soit à mettre un terme à la souveraineté française, le président de la République prétend en effet ne s'incliner que devant la volonté populaire, non devant le F.L.N.: le devoir de la France, selon lui, étant de se conformer à la seule "nature des choses". Qu'une foule algérienne, donc, se livre enfin à une manifestation nationaliste, cela est tenu pour spontané, conforme à l'ordre des choses et significatif d'une opinion profonde. Nonobstant le contexte politique préparé depuis plus d'un an et plus récemment, l'encouragement de l'administration à une descente dans la rue et le noyautage opéré par le F.L.N., la voix qui s'est élevée à Alger et à Oran est entendue comme celle du peuple algérien à laquelle le bon sens, la justice, l'autodétermination accordée commandent de se soumettre.

       Equivoque voulue? Ou impuissance à guider l'événement? A Pierre Laffont, directeur de l'Echo d'Oran, qu'il recevait en audience privée le 25 novembre 1960 et qui le pressait d'expliquer aux Algériens "les circonstances implacables" qui lui imposaient une solution dramatique, le président de la République répondit: "Apprenez qu'un homme d'Etat ne dit jamais que des solutions lui ont été imposées. On ne doit jamais dire qu'on est battu, car on l'est si on le dit. Les solutions on les choisit, on les décide, on ne vous les impose pas" (Laffont).

       "Autopsie de la guerre d'Algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.

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             Même si l’on voudrait comprendre les motivations d’un chef d’état, on ne peut pas oublier qu’il a sciemment fait tuer des innocents des deux communautés afin d’amplifier la haine qu’il leur avait déjà suscité pour qu’aucune réconciliation ne puisse avoir lieu. La fraternisation de 1958 lui était restée en travers de la gorge tout comme l’Armée d’Afrique (reconstruite sur ordre du Maréchal Pétain) lui était restait en travers de sa « République ».
             Les dirigeants militaires ou civils qui ont autorisé ou suscité la guerre n'ont pas dans leur conscience les fantômes des jeunes gens qu’ils ont fait tués, ni l'angoisse de ceux qui ont tué par obligation de survivre. Tous les morts sont nos frères en humanité. Les survivants continuent de souffrir sans que cela n’émeuve les adorateurs du système et de leurs idoles dont « la Grande Zorha » qui a rejoint la liste des plus grands criminels du 20ème siècle. Comme Hitler avait « la solution finale », dès le 8 mai 1945 il voulait avoir « sa solution » qu’il a mis en place aussi pour la tuerie du 26 mars 1962, du génocide du 5 juillet 1962 et du massacre annoncé des harkis. Ses barbouzes étaient au minimum les égaux des SS.
             Donc croyant ou pas, prière ou pas prière, c'est le respect des morts qui compte, ayons une pensée fraternelle pour tous les jeunes mort pour rien afin d’assouvir le désir de gloire d’un homme sans coeur. Une gloire qu’il n’a jamais gagnée les armes à la main mais seulement derrière un micro.


Les Bougies de l'espoir pour une paix des Hommes et des Âmes


Dis-moi pourquoi Papy
De : Inconnu
Envoyé Par Annie



             Dis-moi pourquoi Papy, je te vois si souvent
             Défiler dans la ville avec tous tes copains
             Vous portez des drapeaux, dans la pluie, dans le vent
             Marchant du même pas unis dans la main.

             Dis-moi pourquoi Papy, de l'église au cimetière
             Au monument aux morts, on entend le clairon
             Vous déposez des fleurs sur des dalles de pierre
             J'aimerais tout savoir, quelle en est la raison.

             Dis-moi pourquoi Papy, brillent sur vos poitrines
             Ces médailles colorées que vous portez fièrement
             Pourquoi vous défilez si silencieux, si dignes
             Et ce que signifient vos rassemblements.

             En réponse mon petit, notre patrie la France
             Pour être grande et forte compte sur ses enfants
             Beaucoup d'entre eux sont morts le cœur plein d'espérance
             Pour que vous puissiez vivre en paix tout simplement.

             Regarde-les passer, respecte leurs emblèmes
             Car ils ont donné avec le même élan
             Leur jeunesse, leur sang, le meilleur d'eux-mêmes
             Sois fier de leur passé : ce sont des combattants.

             Car notre Boum à nous, ce n'était pas la Foire
             Nous n'avions pour musique que la voix du canon
             Et tous ceux qui tombaient n'avaient qu'un seul espoir,
             Eviter à leurs Fils de connaître le Front.



LE MUTILE N° 192, 8 mai 1921

Fête de Jeanne d'Arc

        La fête de Jeanne d'Arc, nationale pour la première fois cette année, tombe précisément un dimanche. Elle prêtera donc une grande facilité aux organisateurs. Nous ne pouvons encore, cependant, rien ajouter de précis au fait déjà connus: les pouvoirs publics, l'armée et l'église participeront À la fête, aux Cortèges, aux cérémonies.
        Le Ministre de l'intérieur a envoyé ces jours derniers, aux Préfets, une circulaire ordonnant la célébration. Elle est ainsi conçue :
        La fêle de Jeanne d'Arc, nationale pour la première fois cette année, tombe précisément un dimanche. Elle prêtera donc une grande facilité aux organisateurs. Nous ne pouvons encore, cependant, rien ajouter de précis au fait déjà connu : les pouvoirs publics, l'armée et l'Eglise participeront à la fête, aux cortéges, aux cérémonies.
        Le Ministre de l'Intérieur a envoyé aux préfets, une circulaire ordonnant la célébration. Elle est ainsi conçue :
        Le Ministre de l'Intérieur à Messieurs les Préfets,
        En instituant, la Fête nationale de Jeanne d'Arc, la loi du 10 juillet 1920, intervenue sur la proposition des membres du parlement appartenant à toutes les fractions de l'opinion, n'a pas eu seulement pour but de perpétuer par une solennelle commémoration le souvenir de l'une des plus pures gloires de notre histoire, mais encore et surtout d'unir tous les Français dans un même sentiment d'admiration et de reconnaissance pour l'héroïne qui symbolise aux yeux de tous l'ardent amour de la Fiance et la plus noble abnégation patriotique.

        La mémoire de Jeanne d'Arc ne peut être l'apanage d'aucun parti ni d'aucune confession. Elle appartient à la France toute entière. La fête qui a été instituée pour la célébrer chaque année doit donc être une fête d'entente patriotique et de concorde nationale à laquelle pourront participer tous les citoyens quelles que soient leurs croyances ou leurs opinions.
        Vous voudrez bien prendre des mesures susceptibles de donner à cette fête tout' l'éclat et toute la solennité désirables. Il vous appartiendra notamment, de provoquer le pavoisement et l'illumination des édifices publics.
        La réunion du Conseil Général vous permettra d'ailleurs, de demander à cette assemblée les crédits nécessaires en ce qui concerne la décoration des édifices départementaux.
        Je vous prie, d'autre part. d'examiner, d'accord avec l'autorité militaire et 'avec l'autorité académique, les conditions dans lesquelles l'armée et la jeunesse des écoles pourraient participer à cette solennité.
        Vous voudrez bien m'accuser réception de la présente circulaire et me rendre compte des mesures que vous aurez prises pour assurer son exécution,
        Le Ministre de !'Intérieur, Pierre Marraud.
        Voici donc l'ordre général aux Préfets. La plus large place est laissée aux initiatives municipales qui auront à grouper les Sociétés.

              
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ANECDOTE
Mutilé N° 192
 POUR NOS MORTS, DONNEZ !

            Pour nos morts, donnez, donnez pour nos frères d'armes, pour rappeler ce souvenir néfaste de l'hécatombe universelle.
           La société fraternelle des anciens Zouaves a eu cette belle initiative, pour laquelle, en ma qualité de mutilé, je le félicite. Une pensée aussi noble ne pouvait venir que d'une Société renfermant dans son sein les vieux et les jeunes soldats de France, cela l'honore.
           En cette journée de mai, aidé par la nature, à l'heure où paraîtront ces lignes, tout ce que compte Alger de sociétés patriotiques défileront dans les rues d'Alger, aux accents glorieux des musiques militaires qui ont voulu aussi se joindre à tous nos groupement locaux, pour apporter leur concours à l'érection du Monument à nos grands morts, à nos Algérois tombés pour le droit et la liberté.
           Alger, capitale de l'Afrique du Nord, doit avoir, comme toutes les grandes villes de la Métropole, son monument, mais il faut qu'il soit digne de notre cité, il faut que toute la population (le riche comme le pauvre) contribue, par son obole, à apporter la pierre à l'édifice, il ne faut pas que nos générations futures oublient les sacrifices consentis par leurs cinés, il faut que ce mouvement leur rappelle la plus atroce et sanglante de nos guerres. Il faut qu'ils aient constamment sous leurs yeux une image rappelant nos morts : hélas, il faut le dire on les oublie trop vite.
           Je sais que l'on donnera pour eux, pour ce monument qui rappellera les épopées de la guerre 1914-1918.
           Nul doute que tous se feront un devoir de verser aujourd'hui l'obole pour nos morts. Cette manifestation, remplie du plus pur patriotisme, sera pour nous tous l'occasion de manifester notre reconnaissance à ceux qui dorment leur dernier sommeil dans les différents champs de bataille.
           Donnez ! Pour le monument donnez! Pour qu'on ne les oublie pas.
           J. ASCIONE.


CONTE EN SABIR
Par Kaddour

LI CHACAIL Y LI BOUC
[FABLE IMITÉE DE LA FONTAINE]

             Un capitan chacail, y bromine bor blisir,
             Afic son zami bouc, qui son di corne kebir (1)
             Ci loui la ni voir pas, il en a di lounittes
             Il it on peu coillon, y mime blous qui bite.
             Li chacail digourdi, la coni dans li coins
             Cit on gran carottier, volor quan y bisoin
             Comme y fi chaud beaucoup, quand y viendra li soir
             Li chacail y li bouc, y son bisoan di boir ;
             Y discend dans one poui, y boir comme por souli.
             One fois qui son finitt', li chacail y vouli
             Tot soulte sortir di poui : - Ji crois qui ji bian bu
             Qui son dire à cit bouc ; blous qui jana voulu,
             Ma ji pense qui bizoan qui nous sortons bian vite.
             Live vot pieds en haut, y aussi ton la tite,
             Y mit lo bri di mour ; ji monti sor vot dos
             Y ji fir mon bossible por ji sortir biantôt.
             Apri paror d'honnor, ji donne la main bor toi
             Borqui ti sorte aussi, y ti marche afic moi.
             Comme ti la connais bian, comme ti yana l'compas
             Ji sarche bian lontan, pit-itre ji trove pas
             One macanique comme ça. Ti yana one bon tite !
             Voilà ji soui blasi, dipiche vos sortir vite
             Qui loui répond li bouc. Li chacail sort di poui
             Y lisse lo mosiou Bouc, et y son dire bor loui
             Pas bizoan qui ti ya, one barbe di sapor
             Borqui ti sois coillon, kif kif el guemmor (2)
             Borquoi qui ti discend, sans porter one scalier
             Bor sortir di cit poui, matnant ti po t'fouiller.
             Voilà, ji soui sorti, moi ji vos di bojor.
             Travail fi quis qui peut, por qui ti soye dihors ;
             Moi j'en a pas l'temps, bor ji ti donne la main,
             J'en a one grand broci, ji va plaidé douman,
             Bizoan ji mi trovi, ci soir à la mison,
             ji priera li mon Dio, ti sorte di cit brison.


MORALE

             Quand ti marchra la route, si ti a soif beaucoup.
             Ti rigardera li poui, si yana on scalier
             Barcqui si yana pas, bizoan qui ti penser
             Quis qui vian quand ti boir, vos sortir di rit trou.

                          (1) Grande.
                          (2) comme la lune

 
PHOTOS DE VIE BÔNOISE
Envoyé par M. divers donateurs

Envois de M. Daniel Bonocori

Une bouteille de Vin du Domaine de la Trappe à Staoueli

Envois de M. Charles Ciantar
ciantar
ARTA-PHOTO, rue bugeaud à Bône

ROBLEDO-PHOTO, Cours Bertagna à Bône


PHOTOS D'ECOLE
Envoyé par Mme Michèle Rochas née Dilettato

ECOLE SAINT-CLOUD
CM2 1959/1960


LYCEE MERCIER

6ème 1960/1961 ou 4ème 1961/1962


Est-ce que d'autres amies se reconnaîtront-elles ?
Merci Michèle


___________________
ECOLE SAINT-CLOUD

1957 ou 1958

Envoi de Marc Spina qui l'a reçu d'autres contacts pour lequel j'avais lancé une recherche, Mme Payen Danielle a répondu
"Bonjour Monsieur BARTOLINI,
C'est toujours avec un grand plaisir que je lis votre gazette. Pour la photo de classe dont vous cherchez des renseignements, je peux dire que c'est le collège de St-Cloud, 2ème année du Certificat d'Etudes Primaires, l'année je ne m'en souviens pas peut-être 1957 ou 1958, je me trouve tout en haut, troisième en partant de la gauche Danièle Payen, en bas assis sur le sol, premier en partant de la gauche : Jean-Louis Matarèse, le quatrième est Yves Buono (dit Vivi) et le cinquième est Jean-Baptiste Saliba.
Notre Instituteur est M. HADDAD. Voilà !
Merci encore, Mme Payen Danièle."

Merci Mme Payen, d'autres se reconnaîtront-ils aussi ?

HISTOIRE DES ÉTABLISSEMENTS
ET DU COMMERCE FRANÇAIS
DANS L'AFRIQUE BARBARESQUE
(1560-1793)

(Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc)
PAR Paul MASSON (1903)
Professeur d'Histoire et de Géographie économique
à l'université D'Aix-Marseille.

PREMIÈRE PARTIE
LES ORIGINES (1560-1635)

CHAPITRE PREMIER
I. 1560-1625

            On pouvait croire, dans la première moitié du XVIème siècle, que les Espagnols, continuant en dehors de la péninsule leur lutte séculaire contre les Musulmans, allaient conquérir peu à peu le nord de l'Afrique. La politique de Ximenès, continuée énergiquement par Charles-Quint à travers les vicissitudes de ses guerres européennes, fut de chasser l'islamisme de tout le bassin occidental de la Méditerranée.

            De 1505 a 1510, les Espagnols avaient pris Mers el Kébir, Oran, Bougie; les rois de Tunis et de Tlemcen s'étaient empressés de leur payer tribut. Tripoli n'ayant point voulu suivre leur exemple avait été emportée d'assaut et 5.000 habitants avaient péri (1510). Mais alors, les Espagnols se heurtèrent à un redoutable adversaire, les Turcs.

            Vers 1515, l'émir d'Alger ayant appelé à son secours le célèbre corsaire turc Barberousse (Baba Aroudji), fut assassiné et supplanté par lui. En 1516, Barberousse marcha sur Tlemcen dont il chassa le roi allié des Espagnols. Tlemcen fut reprise et Barberousse tué sous ses murs en 1516. Mais son frère, Kheir ed Din, lui succéda, affermit la situation des Turcs à Alger, étendit sa domination sur les pays voisins, força Constantine à reconnaître son autorité, et fit, d'Alger transformé, le boulevard de la puissance turque sur la côte barbaresque.
            Dès 1520, le second Barberousse avait mis ses États sous la protection du sultan. En 1533. Soliman le nomma capitan pacha et l'ancien corsaire se montra digne de commander les flottes turques par la prise de Tunis août 1534.

            C'est alors que Charles-Quint sembla vouloir consacrer toutes ses forces à chasser les Turcs de leurs nouvelles positions. L'empereur reprit Tunis le 20 juillet 1535 et la rendit au roi dépossédé. Mais la grande expédition d'Alger, en 1541, se termina par un désastre : la tempête une première fois avait sauvé les Turcs. Dès lors, leurs progrès ne furent plus arrêtés. En 1551. Tlemcen était réunie à la régence d'Alger : en 1552, Tripoli tombait au pouvoir des Turcs et, l'année suivante, les Espagnols abandonnaient le port d'Africa dans l'État de Tunis : en 1555, ils perdaient Bougie. Un an après, les Turcs assiégeaient Oran et, en 1570, ils redevenaient les maîtres de Tunis, inutilement reprise en 1573 par Don Juan, le vainqueur de Lepante, pour être définitivement reperdue l'année suivante. Philippe II, découragé par ce dernier échec, ne chercha plus à tenter d'établissement en Barbarie. Les forces de l'Espagne étaient dès lors trop épuisées pour pouvoir reprendre plus tard dans ce pays la politique de Ximenès et de Charles-Quint.

            Ce fut cette politique et son insuccès qui favorisèrent l'établissement des Français sur les côtes d'Alger et de Tunis et, par des conséquences bien lointaines, devaient enfin amener le triomphe de la domination française sur ce littoral africain longtemps menacé par les flottes espagnoles. Les intérêts d'une lutte commune avaient amené naturellement, en 1535, la conclusion de l'alliance entre les lys et le croissant, la signature des capitulations, si favorables au commerce des Français, et l'installation de consuls dans les échelles du Levant. En même temps que l'alliance turque, fut conclue une alliance franco-algérienne, moins connue, mais non moins utile. Il semble même que le capitan pacha Barberousse poussa le plus au succès de la négociation de 1535 et servit l'intermédiaire entre Soliman et François 1er.

            L'un des résultats les plus féconds en conséquences de l'alliance avec la Porte et les Algériens fut d'obtenir sur la côte d'Afrique des privilèges commerciaux et le droit de faire des établissements, plus tard désignés couramment sous le nom de Concessions d'Afrique. Leur origine est fort obscure. Comme il arrive souvent en pareil cas, on a cherché à la rendre plus respectable en la reculant davantage et les historiens ont accumulé à ce sujet une série d'affirmations contradictoires, sans aucune preuve à l'appui.

            Il y a longtemps que La Primaudaie rejetait comme trop légèrement hasardée l'assertion qui faisait remonter la fondation du comptoir de la Calle à l'expédition que conduisit le duc de Bourbon, onde de Charles VI, contre le port tunisien de Mehadia en 1390.
            Il met aussi en doute, avec raison, cette autre tradition, qu'en 1520, tandis que Khaïr ed Din s'emparait de Bône et de Constantine, des négociants provençaux traitèrent avec les tribus de la côte d'Alger et obtinrent d'elles, moyennant certaines redevances, la libre pêche du corail depuis Tabarka jusqu'à Bône.

            Mais, pour Léon Bourguès, c'est en 1450 qu'une Compagnie française acquit des Arabes une étendue de côtes que l'on désignait sous le nom de Concessions d'Afrique. M. Plantet place en 1478 cette cession de côtes qui aurait été étendue à une longueur de dix lieues. D'après le même auteur, les comptoirs français en Tunisie dateraient aussi de cette époque : une association de marins provençaux, fondée en 1478, aurait obtenu la liberté d'établir un comptoir au Cap Nègre. Féraud, l'historien de la Calle, a relevé dans un mémoire de Guys, consul à Tunis de 1821 à 1825, l'affirmation qu'en 1520, un Parisien, un Normand et un Breton étaient fixés au Cap Nègre pour commercer avec les Arabes ou faire la pêche du corail et que le siège de leur Compagnie était au Havre. Le même auteur prétend qu'en 1524 Thomas Linchès et Carlin Didier s'associèrent, que, autorisés par les Capitulations, ils acquirent des populations arabes le droit de s'établir sur environ dix lieues de côtes, et qu'ils fondèrent alors le Bastion de France. D'après lui, " le Bastion fut une première fois détruit, en 1551, par Salah Raïs, successeur de Barberousse et cette agression obligea la Compagnie à traiter avec les puissances organisées ", puisque les conventions avec les tribus locales ne pouvaient suffire (1).

            L'apparence de précision qu'affectent ces diverses affirmations ne les rend pas plus acceptables. Il n'est pas impossible que, dès le XVème siècle, les Marseillais aient tenté de faire des établissements stables pour la traditionnelle pêche du corail sur la côte d'Alger ou de Tunis, mais on n'en a aucune preuve positive.

            D'après M. Plantet, l'article XII des Capitulations de 1535 (2) régla particulièrement nos intérêts dans la régence d'Alger. Le Grand Seigneur y rappela " les dispositifs de ses illustres ancêtres par lesquels des ordres avaient été donnés pour que les Français pêchassent le corail et le poisson dans le golfe d'Usturgha soumis à Alger et à Tunis, selon l'usage anciennement établi et comme cela existait alors. " M. Plantet interprète de façon un peu trop large ce texte en disant ailleurs que le traité confirma aux Français le privilège exclusif de la pêche du corail et de l'exploitation des places, ports et havres situés sur la côte des Mers et Kharez ou la Calle, du Collo, du cap Rose, de Bône et de quelques autres, possession déjà confirmée par Selim 1er, en 1518, et qui remontait à 1478, avant l'établissement des Turcs en Barbarie (3).

            Mais dans quelle copie des Capitulations de 1535, M. Plantet a-t-il trouvé cet article XII dont il donne la substance ? Aucun des textes conservés dans nos différents dépôts d'archives (4) ne renferme de clause relative à la pêche du corail, ni même de stipulation concernant spécialement les Barbaresques. Contre la tradition rapportée par Plantet, et faisant remonter les Concessions à 1478, on peut, au contraire, invoquer un texte précis : c'est la lettre intéressante qu'a publiée M. de Mas Latrie, adressée par Louis XI, en 1482, au roi de Tunis et à son fils le roi de Bône et de Bougie. Il leur fait savoir son désir de développer les relations commerciales entre leurs États et le Comté de Provence, mais on n'y voit aucune allusion à la pêche du corail, ni à des concessions obtenues par les Provençaux (5).

            Deux documents pourraient faire croire que les Concessions d'Afrique furent antérieures à 1550. Dans une harangue adressée, en 1605, au G. S., l'ambassadeur de France, Salignac, disait : " Il faut que V. H. sache le dernier fait par les janissaires d'Alger au bastion de France, lequel avait été bâti et établi, il y a 70 ans passés, avec les permissions des Grands Seigneurs, successivement, pour faciliter la pêche du corail et l'enlèvement de toutes sortes de marchandises ".
            L'auteur d'un mémoire écrit vers 1630, qui parait bien informé sur les premiers temps de l'histoire du Bastion, peut-être Sanson Napollon lui-même, dit : " Il y a environ 80 ans que ledit Bastion fut habité par Thomas Lincio (6) ". Mais, même dans des mémoires écrits, on ne se piquait guère, au XVIIème siècle, d'exactitude chronologique absolue. Salignac, dans son discours, avait intérêt à faire paraître plus anciens les privilèges des Français, et voulait sans doute les rattacher aux capitulations elles-mêmes. Quant à l'auteur du mémoire, son affirmation permet de reculer la fondation du Bastion jusqu'en 1560.

            On ne peut invoquer, contre l'existence des Concessions, le silence des Capitulations de 1535, car celles de 1569 sont aussi muettes à leur égard, bien que le Bastion existât alors de façon certaine.

            Mais un texte précis, de 1551, semble bien prouver qu'alors les Français n'étaient pas installés sur la côte d'Afrique et même n'y pêchaient pas couramment le corail. Nicolas de Nicolay, valet de chambre et géographe ordinaire du roi, fut chargé par lui d'accompagner l'ambassadeur, d'Aramont, qui retournait à Constantinople. Ils longèrent toute la côte barbaresque d'Alger à Bône, s'arrêtèrent même dans cette ville où ils furent bien reçus par le Cadi, puis continuèrent à suivre le littoral, traversant tous les parages de la pêche du corail. Non seulement Nicolay ne dit rien du Bastion, mais au lieu des pêcheurs provençaux, c'est la présence des Génois qu'il signale : " En la plage ou rade qui est au devant de la forteresse de Bône se recueille grande quantité de très beau corail, lequel André Doria lors tenait à ferme du roi d'Alger, lui en rendant chaque an grands deniers.
            De fortune, nous y trouvâmes une nef marseillaise là conduite par un patron corse pour le recueillir et de fait en donnèrent par présent à l'ambassadeur plusieurs belles et grandes branches ". D'après La Primaudaie, l'anse du rivage où les corailleurs génois venaient chercher un abri en cas de mauvais temps, située à deux lieues au nord de la ville, était défendue par une fortification dont l'emplacement porterait encore le nom de fort génois.

            En effet, depuis longtemps sans doute, les Génois comme les Provençaux venaient pêcher le corail sur ces côtes, mais leur situation était devenue prépondérante, grâce à une heureuse fortune qui fit tomber le célèbre corsaire turc Dragut entre les mains d'André Doria en 1540. La rançon de Dragut fut l'île de Tabarque, située en face de la côte tunisienne, mais tout près de la frontière algérienne et à proximité des plus riches pêcheries de corail. Des traditions, un peu différentes dans les détails, ont été conservées au sujet de cette acquisition de Tabarque par les Génois et de la façon dont elle fut concédée à la famille des Lomellini (7). Ce qu'il y a de certain, c'est que cette famille en eut dès le début l'exploitation qu'elle garda jusqu'en 1741, qu'elle y établit une forteresse et que les Génois profitèrent de la possession de ce comptoir pour donner une grande activité, non seulement à leurs pêcheries, mais à leur commerce en Barbarie. On lit, en effet, dans la Relation de voyage de Savary de Brèves (1605) : " Tabarque, écueil séparé de terre ferme, d'un trajet guéable, large seulement d'une portée d'arquebuse. Les Gênevois y ont une bonne forteresse munie d'artillerie et gardée de 200 soldats, laquelle leur vaut un Pérou pour les diverses marchandises comme grains, cuirs, cires, chevaux, qu'ils y chargent à vil prix. Vrai est que pour entretenir la liberté de ce commerce et afin de n'être pas inquiétés des Turcs, seigneurs du pays, ils paient au Bassa de Tunis 4.000 écus et à celui d'Alger 2.000 et outre ce souffrent vis-à-vis d'eux en terre ferme une garnison de Janissaires qui les tient en bride et veille sur leurs déportements (8) ".

            Les concessions d'Afrique sont donc postérieures à 1551, mais à quel moment faut-il placer leur fondation ? Aucun document ne donne de date sûre. Dès le début du XVIIIème siècle, on ne possédait plus de pièces authentiques : on n'avait conservé que des traditions plus ou moins vagues. C'est ce que Taxil, agent de la Compagnie des Indes à Marseille, écrivait en 1736 à l'abbé Raguet, directeur de la Compagnie à Paris. Malgré tous ses soins, il n'avait pu retrouver les actes et conventions passés avec les Puissances du pays pour l'établissement des comptoirs : les pièces s'étaient égarées en passant successivement d'une compagnie à l'autre et étaient tombées en lambeaux.
            Les mémoires du XVIIème siècle sont aussi imprécis ou aussi erronés que si, dès lors, ces documents avaient été complètement perdus.

            Mais l'établissement des Français en Afrique est de peu postérieur à 1550 et rien n'empêche d'accepter la date fournie par un mémoire, du XVIIIème siècle sans doute, inséré dans l'Encyclopédie méthodique de Panckoucke. Ce recueil a d'ailleurs enregistré successivement deux traditions un peu différentes: " En 1560 les nommés Tinchès et Didier, provençaux qui trafiquaient sur les côtes voisines de Tabarque, entreprirent de faire cette pêche entre Tabarque et Bône. Le Maure qui dominait dans cette contrée leur permit de faire un établissement moyennant une forte redevance dans un lieu qui fut depuis appelé le Bastion de France ". Ainsi, d'après cette première tradition, la fondation du Bastion de France aurait été le résultat d'un simple accord conclu avec les chefs du voisinage : d'après la seconde, cet accord aurait été précédé d'une négociation à Constantinople : " Deux marchands de Marseille, Thomas Linché et Carlin Didier, furent les premiers qui s'associèrent pour la pêche du corail dans le golfe de Stora. Avant obtenu de la Porte, sur la fin du règne de Soliman II, un consentement pour s'y établir et avant traité avec les checqs ou princes Maures du pays, ils commencèrent, en 1561, cette petite forteresse qui on nomme le Bastion de France ".

            Cette seconde version est plus exacte, au moins en ce qui concerne le nom du fondateur principal du Bastion, Tommaso Lincio, connu à Marseille sous le nom de Thomas Lenche. Corse d'origine, il était venu s'établir à Marseille avec son frère, à l'exemple de beaucoup de ses compatriotes, et tous deux surent s'y créer une belle situation. Thomas Lenche fut, en effet, élu second consul de Marseille en 1565 ; son frère Antoine parvint aussi, en 1587, à la plus haute magistrature que pût ambitionner un bourgeois de la ville (9) ; c'est comme second consul qu'il fut assassiné au milieu des troubles de la Ligue. On sait, d'ailleurs, que Lenche et Didier étaient à la tête d'une Compagnie pour l'exploitation de la pêche du corail et du Bastion, mais nous n'avons sur elle aucun renseignement.

            La date de 1560 est très vraisemblable pour l'origine des Concessions. Le mémoire de 1630, cité plus haut, la placerait peu après 1550 ; la suite des faits prouve qu'elle était antérieure à 1570. L'établissement des Génois à Tabarque avait dû gêner les Marseillais sur la côte d'Afrique et leur faire sentir le besoin d'obtenir, pour leurs bateaux corailleurs et leurs navires de commerce, un semblable point d'appui et de refuge. L'alliance franco-algérienne, rendue plus solide par Henri II, devait rendre facile la réalisation de ce désir. La sécurité rendue à la navigation par la paix de Cateau Cambrésis décida sans doute Lenche à agir. Cette paix (1559) semble avoir été le signal d'un grand mouvement d'activité à Marseille ; c'est aussi après 1560 que le grand essor du commerce français dans le Levant commença. Enfin, la mort d'André Doria, le fondateur de l'établissement génois de Tabarque, en 1560, contribua peut-être à encourager les Marseillais.

            On ne sait pas non plus de façon sûre de quelle façon fut obtenue la concession du Bastion et quelle fut l'étendue des privilèges accordés. Y eut-il simple accord avec les tribus avoisinantes, plus tard confirmé par les Algériens ? Thomas Lenche s'adressa-t-il directement au beglierbey d'Alger ? Y eut-il confirmation de la concession par la Porte ou bien la Compagnie marseillaise fit-elle d'abord sa demande au G. S. par l'entremise de notre ambassadeur ?

            Les négociations poursuivies peu de temps après à la Porte, au sujet de la pêche du corail, paraissent prouver que la Compagnie de Lenche fut, dès le début, munie de commandements du G. S. Cela est confirmé par deux documents de 1653 et de 1659 qui affirment que le Bastion fut concédé à Thomas Lenche par Soliman II : l'un deux a pour auteur l'arrière petit-fils du fondateur du Bastion. D'un autre côté. en 1580, un ancien vice-roi d'Alger rappelait qu'il avait donné La Calle au sieur Lenche et on lit dans le mémoire déjà cité de 1630 : " Ledit Bastion fut habité par Thomas Lincio... auquel le bacha et milice d'Alger sur la connaissance qu'on avait en ce pays de l'intégrité et bonne renommée dudit Lincio et par le moyen de plusieurs amis qu'il avait en ladite ville, qui étaient des plus notables d'icelle, il obtint la permission de faire ledit Bastion. " Enfin, un ancien commis principal du secrétaire d'État des affaires étrangères, le comte de Brienne, assurait, dans un mémoire de 1667, que le don obtenu du Sultan par Lenche de places, ports et havres en toute propriété, " avec la permission d'y bâtir un espèce de réduit ", avait été agréé et confirmé par le roi. Aucun titre ne manqua donc pour assurer la sécurité du nouvel établissement marseillais.

            Des historiens récents ont pensé que Thomas Lenche avait obtenu, moyennant certaines redevances, le droit d'exploitation des places, ports et havres, du cap Roux à la Seybouse, avec permission d'y élever des forts, bastions et établissements, et la reconnaissance du privilège exclusif de pêcher le corail sur toute l'étendue de cette même côte.
            Il est certain que Lenche eut le monopole de la pêche du corail et qu'il l'acheta par une redevance annuelle. Ce monopole devait s'étendre plus tard au cap Roux à Bougie, et, comme les Algériens étaient très respectueux des traditions, c'est pour cette même étendue de côte qu'il fut sans doute accordé dès le début. En revanche, il fut expressément interdit aux Français de construire des forts sur les côtes de leurs concessions. Lenche put élever le Bastion " à condition toutefois de n'y faire aucune fortification mais seulement une maison et un magasin simplement pour servir à ceux qui pêcheraient le corail et qui feraient négoce et trafic des marchandises dudit pays ". Pendant tout le XVIème siècle, en effet, le Bastion de France ne fut pas une petite forteresse et il n'y a pas lieu de s'en étonner, car le mot de Bastion ne prit que plus tard, au XVIIème siècle, le sens technique qu'il a gardé jusqu'à nos jours.

            L'endroit choisi par la Compagnie semblait n'offrir aucun avantage : c'était un lieu isolé, particulièrement malsain, et inhospitalier pour les navires sur une côte dangereuse. Cependant, il était dans le voisinage des meilleures pêcheries de corail, et rapproché de Bône, le port de la Barbarie le plus fréquenté par les Marseillais au Moyen-Age et où ils avaient eu des consuls. On pourrait s'étonner que Lenche n'ait pas préféré immédiatement l'emplacement voisin de la Calle où les Compagnies devaient plus tard transférer leur principal établissement, et dont le port servit dès le début de refuge à leurs bateaux corailleurs ; mais l'isolement même du Bastion dut lui paraître un gage de sécurité contre la turbulence des tribus arabes, en même temps que l'insécurité de la côte devait rendre une attaque par mer moins facile.
            La Calle, ville florissante au Moyen-Age, connue depuis longtemps comme le marché du meilleur corail, avait été prise et pillée en 1286 par l'aragonais Roger de Loria et ne s'était pas relevée depuis.

            L'isolement du Bastion a subsisté jusqu'à nos jours et l'aspect des lieux, tel que le décrit La Primaudaie, doit peu différer de ce qu'il était au XVIème siècle. " A quelques lieues à l'ouest de La Calle, écrit-il, on découvre les ruines d'une tour. Elle s'élève sur un escarpement rougeâtre au-dessus d'une petite anse bordée de sable blanc aujourd'hui déserte, mais, il y a moins de deux siècles, pleine d'animation et de bruit. Cette tour est tout ce qui reste de l'ancien Bastion de France, et Bastioun comme les Arabes l'appellent encore. Le pays environnant, dont la prodigieuse végétation excitait autrefois l'admiration de Pierre Dan, a conservé le mène aspect : une riche verdure couvre les vallées et les montagnes sont toujours revêtues d'épais taillis avec quantités de bois de haute futaie. La côte descend ensuite vers le S. - O. en présentant alternativement des falaises taillées à pic et de petites plages.

            A un peu moins de deux milles du Bastion elle semble se creuser brusquement. On y remarque une déchirure profonde, semblable à, l'embouchure d'une rivière, mais il n'y a là qu'un chenal long de sept à huit cents mètres, par lequel la mer communique avec un lac connu des marchands français aux deux derniers siècles sous le nom d'étang du Bastion. L'étendue de ce lac, qui s'avance à plus de deux lieues dans les terres, est d'environ 2500 hectares. Autrefois les corailleurs y pénétraient souvent et, pendant l'hiver, il servait même de port à leurs barques ".

            La Compagnie Lenche et Didier avait certainement pour principal but de disputer aux Génois le produit des pêcheries de corail, mais, comme eux aussi, elle comptait exporter les marchandises traditionnelles du pays, blés, cuirs, cires, etc. De nombreux documents du XVIème siècle montrent qu'en dehors du Bastion elle devait avoir aussi un établissement à La Calle, mais fonda-t-elle aussi des comptoirs sur d'autres points des côtes orientales de l'Algérie, rien ne permet de l'affirmer. Au reste, le Bastion lui-même était loin d'avoir au XVIème siècle l'importance qu'il devait prendre plus tard et M. Fagniez, parlant du règne de Henri IV, a tort d'emprunter la description qu'en fait le Père Dan en 1633. En effet, on lit dans la relation des voyages de M. de Brèves : " Ce Bastion n'était point château ni forteresse, comme aucuns abusés du vocable pourraient le croire, mais seulement maison plate édifiée par permission du Grand Seigneur pour retraite des Français pêchant le corail en Barbarie ; sous couleur de laquelle pêche ils enlevaient toutes sortes de marchandises ci-dessus mentionnées " (10).

            Comment la Compagnie réussit-elle dans sa double entreprise ?
            Rien ne nous l'apprend, mais l'hostilité très marquée des Algériens vis à vis de son établissement du Bastion lui rendit la situation très difficile. Par fanatisme les Algériens répugnaient à voir des chrétiens établis d'une façon stable sur leur territoire. On était habitué depuis des siècles, en Barbarie, à voir les chrétiens pêcher le corail et pratiquer le négoce : même, il faut remarquer que la pêche du corail avait déjà donné lieu au moyen-âge à des concessions de monopoles achetés par des redevances (11). Mais des cessions de territoires et des établissements tels que ceux de Tabarque et du Bastion étaient des nouveautés. Elles pouvaient paraître à bon droit humiliantes et dangereuses à l'époque où les rois d'Espagne cherchaient à s'emparer d'Alger et de Tunis.

            En outre, les Algériens devaient rester pendant longtemps très hostiles à l'exportation des grains, d'ailleurs interdite par les Capitulations dans tous les États du Grand Seigneur. En temps ordinaire, les Algériens toléraient ce trafic, mais, pendant les " famines que la sècheresse, les invasions de sauterelles ou la révolte des tribus voisines rendaient si fréquentes, ils s'en prenaient à l'exportation des blés qu'ils accusaient de tous leurs maux; une flottille s'armait rapidement et allait détruire et piller les comptoirs dont le personnel était massacré ou emmené en captivité. " De plus, à la fin du XVIème siècle, les relations devinrent de moins en moins cordiales entre la France et les Turcs et, d'ailleurs, les Algériens, dont les corsaires devenaient de plus en plus nombreux, puissants et insoumis, ne respectaient plus guère ni les traités ni les ordres de la Porte.

            Aussi, l'existence du Bastion resta-t-elle longtemps fort précaire.
            Dès 1568, d'après le Mémoire inséré dans l'Encyclopédie méthodique, les Algériens insultèrent les pêcheurs du Bastion et s'emparèrent de la place. Fut-il abandonné à ce moment-là, rien ne l'indique; bien plus, quelques années après, le privilège de la pêche du corail est disputé vivement à la cour de France, à Constantinople et auprès des Algériens, par deux Compagnies rivales. En 1577, le Marseillais Jean-Baptiste de Nicole arriva à Constantinople, chargé d'une lettre du roi pour son ambassadeur, M. de Lisle, par laquelle S. M. lui commandait " d'assister ledit Nicole de conseils et de toutes autres choses qu'il pourrait... et de seconder... la volonté que S. M. a d'aider ceux de ses sujets qui se veulent évertuer à faire chose profitante au public comme sera l'entreprise dudit Nicole et ses associés. " Nicole, chef de la nouvelle Compagnie du corail, obtint du G. S. tout ce qu il désirait et était en train de faire rédiger les commandements qui lui étaient nécessaires quand on apprit l'arrivée à Constantinople, sur les galères d'Alger, d'un Corse, parent d'Antoine Lenche (12), qui avait succédé à son frère Thomas dans la direction de l'ancienne Compagnie. L'agent du roi Juyé, qui faisait l'intérim de l'ambassade, soutint Nicole et demanda au grand-vizir de n'ajouter aucune créance à ce que pourrait lui dire le Corse (1578).

            Deux ans après, la contestation entre les deux Compagnies durait encore : toutes les deux, sans doute, avaient de puissants appuis à la Cour, car, à deux reprises, le Conseil du roi les reconnut tour à tour. L'ambassadeur Germigny vit arriver à Constantinople un nommé Salvety sur une galiote d'Alger. Il apportait une recommandation du roi pour le grand-vizir a en faveur de Pierre Bausset, Antoine Lenche et leurs associés en l'ancienne Compagnie de la pêche du corail a en même temps qu'un arrêt du conseil d'État rendu sur cette affaire.
            Germigny présenta les lettres du roi au capitan pacha, qui lui donna une réponse favorable quand il reçut d'autres lettres du roi à S. H. en faveur de la nouvelle Compagnie, portant révocation des précédentes et de l'arrêt.

            Sagement, l'ambassadeur laissa les choses en l'état et attendit de nouveaux ordres avant d'agir : car, comme il le disait ailleurs, il serait dangereux de solliciter toujours des commandements contradictoires " de quoi ledit G. S. et ses ministres se moqueraient et irriteraient comme ils ont fait ci-devant, au blâme et mépris de la nation. " En attendant, l'ambassadeur faisait ressortir que le capitan pacha, Euldj-Ali, était tout à fait favorable à Antoine Lenche. C'était lui qui, étant vice-roi d'Alger, avait " baillé audit Lencio la Cala de Massacarère " et il écrivait lui-même au roi " que difficilement autre que Lencio et ladite ancienne Compagnie en pourrait jouir et tirer profit. "

            Dans une instruction, en date du 3 septembre 1580, remise à son secrétaire Berthier, qu'il envoyait au roi, Germignv faisait, en outre, ressortir qu'il avait tenu à obtenir un commandement du G. S. en faveur de l'ancienne Compagnie, à cause de " la pratique que les Génevois ont à cette Porte pour composer avec le nouveau vice-roi d'Alger de la pêche du corail et faire avoir copalte (la ferme) d'icelui à la Cale de Massacarère, de laquelle jouissent à présent les sujets du roi... seulement pour conserver les sujets de S. M. en possession de ladite cale et empêcher qu'elle ne retournât en mains étrangères, jusqu'à ce qu'il ait plu à S. M. établir sur icelle, par arrêt de son Conseil, un règlement entre les deux Compagnies ancienne et nouvelle "(13).

            Germigny avait eu raison de surseoir à l'exécution des derniers ordres qu'il avait reçus car la Compagnie Lenche finit par l'emporter sur sa rivale. En effet, en 1597, Thomas de Lenche, sieur de Moissac, fils d'Antoine Lenche (14) et neveu de Thomas, le fondateur du Bastion, était à la tête de la Compagnie. D'après le mémoire inséré dans l'Encyclopédie méthodique, le sieur de Moissac aurait obtenu cette année-là de la Porte le rétablissement du Bastion. Ce qu'il y a de certain c'est que Savary de Brèves, en renouvelant pour la quatrième fois les Capitulations avec Mahomet III en 1597, obtint la confirmation des privilèges des Marseillais pour la pêche du corail. Un arrêt du Conseil du 8 février 1600 nous montre les frères de Moissac en contestation avec leurs co-associés. Ils venaient, parait-il, d'obtenir du roi le titre de gouverneurs du Bastion, " au lieu qu'auparavant les affaires se traitaient par tous les associés.... à la pluralité des quaratz (actions) qui sont en nombre de 24 en tout dont lesdits de Moissac n'en font que quatre. " Les associés sollicitaient " la révocation du pouvoir donné auxdits sieurs de Moissac et l'arrêt ordonnait que ceux-ci seraient assignés et ouis au Conseil pour après être pourvu à la requête. Un arrêt du même jour réglait une autre querelle intéressante entre les Moissac et la ville de Marseille. Ils avaient trouvé plus de bénéfice, sans doute, comme cela devait se renouveler plus tard, à envoyer à Gènes ou à Livourne les marchandises qu'ils tiraient des Concessions et particulièrement le corail : l'arrêt les obligeait à tout faire venir à Marseille comme par le passé et leur défendait " de s'aider d'autres mariniers, pilotes ou ouvriers pour la manufacture du corail que des sujets de S. M. "(15).

            Marseille venait alors d'être enlevée aux ligueurs et rendue au roi par le Corse Libertat. Le rôle joué par le père du sieur de Moissac, Corse aussi d'origine, assassiné par les ligueurs, son mariage avec la fille du maréchal d'Ornano, devaient assurer à sa Compagnie toute la protection royale. Si l'en en croit un mémoire de 1658, la Compagnie était alors en pleine prospérité, car c'étaient les " richesses immenses " acquises par de Moissac qui lui avaient valu l'alliance du maréchal (16).

            Lors du cinquième renouvellement des Capitulations par Ahmed 1er, en 1604, Savary de Brèves fit introduire, pour la première fois peut-être, dans le traité, une clause relative à la pêche du corail. L'article 21 est en effet ainsi conçu : " Nous permettons aussi que les Français nommés et avoués de leur prince puissent venir pêcher du poisson et corail au golfe de Stora Courcouri, lieu dépendant de notre royaume d'Alger, et en tous autres lieux de la juridiction de nos royaumes d'Alger et de Tunis, sans qu'il leur soit donné aucun trouble, ni empêchement.
            Confirmons toutes les permissions qui ont été données par nos aïeux et singulièrement par notre feu père touchant cette pêche, sans qu'elles soient sujettes à autre confirmation qu'à celle qui en a été faite d'ancienneté. " (17). Sans doute il n'est pas question expressément du Bastion dans ce teste, mais il confirmait nettement les privilèges accordés auparavant à la Compagnie Marseillaise, particulièrement en 1597 et, par là, la possession du Bastion lui était implicitement garantie.

            Mais l'amitié des Algériens valait mieux dès lors en Barbarie que les commandements du Sultan. Au moment où de Brèves signait les nouvelles Capitulations, le Bastion était en effet pris par un des plus hardis corsaires algériens, avec deux galiotes, et détruit, en juin 1604, par la milice de Bône sur l'ordre du divan d'Alger. D'après l'opinion courante dans l'entourage de de Brèves, la colère des Algériens aurait été due à la fois aux souffrances d'une famine et aux fautes du sieur de Moissac (18). Quelque temps après, l'ambassadeur Salignac, successeur de de Brèves, rencontra chez le Grand Vizir Morat Reïs, destructeur du Bastion, et lui reprocha cette violence. Celui-ci répondit que le Bastion avait été " démoli par résolution de toute la Barbarie parce que par là on emportait tout le blé, ce qui amenait une cherté et une famine extrêmes. ". Quoiqu'il en soit, la protection royale ne fit pas défaut à la Compagnie de Moissac. Henri IV écrivit plusieurs lettres pressantes à de Brèves pour lui demander d'exiger des réparations à propos de la destruction du Bastion. Le Sultan destitua le pacha d'Alger Kheder ; l'eunuque Moustapha Koussa, son remplaçant, le fit étrangler à son arrivée, en mai 1605 ; déjà auparavant les plaintes de l'ambassadeur avaient fait destituer en 1603 Soliman pacha, prédécesseur de Kheder, et avaient forcé celui-ci à " rendre 6000 sequins qu'il avait dérobés aux Français avec 30 esclaves "(19).

            Mais la réparation fut loin d'être complète : de nombreux français restaient esclaves à Alger et le Bastion n'était pas relevé.
            De Brèves, rappelé en France en 1603, fut chargé de négocier, en passant à Tunis et à Alger, pour obtenir satisfaction des injures passées et établir une paix solide avec les Barbaresques. Il emportait, écrit l'auteur de la Relation de son voyage, les commandements les plus favorables " pour faire délivrer les Français détenus esclaves et rebâtir une petite retraite que les Français avaient en la côte d'Alger, appelée par nous le Bastion de France ". Mais, malgré toute son habileté et l'appui d'un envoyé du Sultan. Mustapha Aga, de Brèves n'obtint des Algériens ni la permission de réédifier le Bastion, ni la promesse d'observer la paix (20).

            Jusqu'à la fin de son règne. Henri IV, très attaché au développement du commerce, ne renonça pas à l'espoir de relever le Bastion. Le 13 septembre 1609, le Roi écrivait au Sultan une longue lettre : après lui avoir rappelé combien le négoce avait été profitable du temps de Lincio et du sieur de Moissac aux sujets de la Porte, il l'avertissait de son dessein de faire rétablir la pêche du corail et négoce de toutes autres sortes de marchandises au Bastion de France. La Calle, Cap de Roze, Bonne et autres lieux " en permettant à Laurent et Claude Severt et leurs associés qui ont les droits dudit sieur de Moissac, de continuer ladite pêche et négoce. " Il demandait en conséquence de renouveler les privilèges accordés à Moissac avec pleins pouvoirs de faire reconstruire le Bastion en la même forme qu'il était, et d'élever " des remparts de terre, cabanes, magasins, fours et moulins et des lieux pour loger et conserver les corailleurs, matelots et autres. "

            Bien que les hostilités devinssent de plus en plus fréquentes entre Marseillais et Algériens, l'ambassadeur Salignac apprenait que ceux-ci commençaient à reconnaître que nos pêcheries de La Calle ou Bastion de France leur " apportaient beaucoup d'utilité ". Ceux d'entre eux qui venaient à Constantinople cherchaient à excuser auprès de notre ambassadeur la destruction accomplie en 1604.
            Malheureusement, au même moment, la malheureuse affaire des canons de Simon Dansa faisait éclater définitivement, et pour longtemps, la guerre entre les Français et les Algériens.

            En passant à Tunis, de Brèves eut peut-être à s'occuper des intérêts d'une autre Compagnie Marseillaise. En dehors des hypothétiques établissements signalés par Plantet et par Féraud qui auraient été fondés au Cap Nègre en 1478 et 1520, on n'avait pas jusqu'ici connaissance de Concessions faites aux Français en Tunisie, au XVIème siècle.

            Des documents, malheureusement bien insuffisants, permettent de retrouver la trace des efforts faits par les Marseillais pour fonder sur le littoral tunisien des établissements analogues au Bastion. En 1581, deux ambassadeurs du Sultan, Assan Aga et Ali bey, vinrent à Paris ; on lit dans les réponses du roi faites à leurs propositions :

            " S. M. aura bien agréable que ledit sieur Aly se transporte en Barbarie pour mettre ses sujets en possession des lieux de Cap Negro et Fiumara Salada, que les Génevois ont usurpé sur eux, suivant le commandement de Sa Hautesse, et pour ce faire, elle le fera accommoder des galères ou vaisseaux qui lui seront nécessaires, n'étant toutefois S. M. bien certaine que ledit capitaine Bassa soit encore en Barbarie... Dont ledit sieur Aly pourra être fait certain à son arrivée à Marseille, et selon cela passer en Barbarie ou retourner droit à Constantinople. " Le comte de Germigny avait écrit au roi que les ambassadeurs devaient, au retour de France, joindre le capitan pacha Euldj-Ali, sur la côte de Barbarie, " pour mettre ses sujets de la nouvelle Compagnie du corail avec le bras et autorité dudit capitaine Bassa, en possession des lieux de Cap Nègre et de Fiumar Salade, au royaume de Tunis, en déjetant les Génevois. " Cette nouvelle Compagnie, que les Génois de Tabarque avaient empêchée de s'établir au Cap Nègre en face d'eux, était-elle celle de Nicole qui disputait aux Lenche les concessions d'Afrique les années précédentes ? Ce Marseillais était-il à la tête de cette Compagnie, dont parle un Mémoire de 1629, formée autrefois par quelques marchands de Paris pour la pêche du corail à " la Fumaire Salde, qui est une rivière d'eau salée qui se jette dans la mer, soixante milles près Bizerte ? " S'il en est ainsi, celle-ci, d'après le même Mémoire, " ne put réussir par le peu d'intelligence quelle avait dans le pays. Car, pour du corail, il y en a quantité et de fort beau vers la Fumaire Salde.

            Mais les Marseillais ne se laissèrent pas décourager par ce premier échec, car, d'intéressants documents (21), trouvés aux archives municipales de Marseille, montrent qu en 1592, il y avait à Marseille une Compagnie du corail de Tunis où elle était représentée par deux députés, Claude Beaunier et Fabias Parasol. Un acte, du 24 octobre 1594, nous apprend qu'à cette date la Compagnie fut remaniée : quatre des intéressés s'en retirèrent et furent remplacés par quatre autres.
            Elle avait pour directeur Pierre Viou, sieur de Noyers, et parmi ses membres les plus actifs Simon Bédarrides (22). En 1599 et en 1600, la Compagnie existait encore puisqu'on voit Benoît Ferrenc lui faire dans le courant de ces deux années, diverses fournitures, entre autres de draps. Mais elle avait sans doute disparu en 1606, car on ne retrouve aucune allusion à son existence lors des négociations de de Brèves et il n'est fait aucune mention de la pêche du corail dans l'arrangement qu'il signa à Tunis au mois d'août 1606 (23).

            Ainsi, à la mort d'Henri IV, les efforts des Marseillais pour créer des établissements en Barbarie, particulièrement en vue de la pêche du corail, paraissaient avoir échoué. La période qui suivit fut tout à fait défavorable pour les reprendre, car, à partir de 1610 jusqu'en 1628, la France fut en guerre ouverte avec les Algériens et la paix qui subsistait officiellement avec les Tunisiens ne valait guère mieux (24).
            La Compagnie de Moissac n'existait plus, mais celui-ci n'avait pas renoncé à tirer parti des privilèges qui lui avaient été concédés sur la côte de Barbarie et, en attendant de pouvoir relever le Bastion, il prétendait lever des droits à Marseille sur les bâtiments qui se risquaient à aller chercher des chargements dans les ports de sa concession.
            C'est ce que nous apprennent des Lettres patentes du roi, de 1613, interdisant à Thomas de Lenche, sieur de Moissac, de lever des impôts sur " le trafic et négoce de Collo, Bonne et Massacaras (25). "

            Le gouvernement de Marie de Médicis ne s'était pas désintéressé du Bastion. Harlay de Sancy, envoyé comme ambassadeur à Constantinople, porta de nouveau plainte au G. S. contre sa démolition et contre le nouvel outrage que venait de subir le consul de France à Alger. Celui-ci, ayant voulu demander justice de la prise d'un navire français par le fameux Morat Reis, avait été battu et chassé honteusement. Un député de Marseille avait été envoyé avec l'Ambassadeur pour l'aider dans sa négociation. Il reçut, en 1612, tous les commandements demandés au Sultan avec un officier de la Porte pour les porter aux Algériens ; mais, s'il faut en croire un mémoire de 1629, leur mission échoua par leur maladresse. (Ils allèrent en Alger avec cela, mais ne voulant faire aucune dépense, pensant que les simples commandements du G. S. dussent être obéis, ils furent pour lors renvoyés sans effet (26) ".

            Cependant, malgré les circonstances défavorables, diverses autres tentatives furent faites pour relever le Bastion, toutes sans aucun succès. " Depuis la démolition du dit Bastion, lit-on dans le mémoire déjà cité de 1630, plusieurs particuliers et de grandes Compagnies, et notamment de Paris, ont essayé par tous moyens de le faire rétablir et, entre autres, un nommé Laperfur (?), autrement dit Bras de fer, y fut envoyé; d'autres, gennevois ; une compagnie de Flamands y envoyèrent un nommé Laverlou, et en même temps aussi y alla, pour le même effet, M. le baron d'Allemagne avec plusieurs autres particuliers de Marseille ". On sait quelques détails sur la curieuse tentative de ce personnage, Jean Louis du Mas de Castellane, baron d'Allemagne, qui devait devenir plus tard général des galères du duc de Savoie. C'est en 1618 qu'il fut envoyé en Barbarie par son beau-père Pierre Viou, sieur des Noyers, l'ancien directeur de la Compagnie de Tunis. En 1617, des négociations avaient été entamées avec les Algériens et, même, la paix avait été jurée. Votre ambassadeur à la Porte avait obtenu des commandements du G. S. ordonnant de laisser les Français reprendre possession du Bastion. Pierre Viou demanda sans doute à la Cour l'autorisation d'agir, puis, bien qu'on lui eût fait défense de relever le Bastion, il y envoya son gendre. Celui-ci débarqua sans difficulté, mais, peu après son arrivée, les négociations conduites à Alger par deux Marseillais, Jean de Glandevès et Antoine Bérengier, furent rompues. La milice décréta tumultueusement une attaque contre le Bastion qui fut surpris sans défense : une partie des soldats et travailleurs furent massacrés, d'Allemagne fut saisi et emmené prisonnier à Alger avec environ cent de ses gens (27).

            C'est alors qui on voit définitivement intervenir l'aventureux duc de Guise, gouverneur de Provence, qui avait pris une part très active pendant les années précédentes aux armements faits contre les Barbaresques. Il y était personnellement intéressé. car il paraît il paraît qu'Henri IV lui avait fait don du Bastion avec permission d'en poursuivre le rétablissement à Constantinople. Louis XIII lui avait renouvelé cette faveur et les ambassadeurs à la Porte furent chargés d'agir pour soutenir les instances du duc. En 1619, les négociations furent reprises par les Algériens eux-mêmes ; Caynon aga et Rozan bey furent envoyés en mission en France, en compagnie du baron d'Allemagne rendu à la liberté. La paix fut signée le 21 mars 1619 et Guise résolut aussitôt d'en tirer profit pour relever le Bastion. Pour éviter toute compétition de la part de l'ancienne Compagnie, le duc traita avec Alphonse de Lenche, sieur de Moissac, pour la cession de ses droits. Par un contrat passé à Tours, le 6 septembre 1619, il s'engageait à payer à Lenche, pendant 20 ans, 4.800 livres de pension et à " envoyer tel nombre de gens de guerre et d'ouvriers qui seraient nécessaires pour se saisir du Bastion, le réédifier et s'y maintenir. Pour satisfaire aux conditions dudit traité, M. de Guyse fit un armement qui lui coûta plus de 300.000 livres et M. d'Argencourt, capitaine fort expérimenté et l'un des plus entendus du royaume en la fortification des places, fut chargé de la conduite de cette entreprise dont le commencement fut assez heureux pour se saisir du Bastion et le garder quelque temps ; mais l'effort des barbares et la milice d'Alger qui vint au secours fut si grand, qu'après une longue résistance et beaucoup de pertes, le sieur d'Argencourt fut obligé de se rembarquer (28) ". En effet, Guise avait à peine formé sa nouvelle compagnie, que les circonstances étaient devenues plus défavorables que jamais. Le massacre des ambassadeurs algériens à Marseille, le 14 mars 1620, avait rallumé la guerre et soulevé de violentes colères à Alger. L'expédition de d'Argencourt était certainement partie auparavant et n'avait pu être rappelée.

            Aussitôt que la nouvelle en parvint à Alger, le 22 février 1621, le divan décida aussitôt d'envoyer une expédition pour aller prendre les Français. Une lettre du consul français à Alger annonça cette nouvelle catastrophe à Marseille ; elle renferme des réflexions qui montrent quelle était l'hostilité des consuls et des marchands français, établis à Alger, envers les compagnies du Bastion, qui n'étaient en effet pour eux qu'une source de périls continuels. Les Algériens, écrit-il, eurent grand peur en apprenant la sortie des galères de France, " mais comme on sut que des vaisseaux français ont été à la côte pour redresser le Bastion ont quitté ses appréhensions et changé leur peur en fureur. Quoique la lettre de Mgr de Guise les dusse retenir pour être fondée sur la bienveillance des Turcs avec notre nation et que les Génevois s'en voulaient emparer... aussitôt assemblèrent grand Divan et fut dit d'envoyer quatorze navires de guerre avec trois mille janissaires pour les prendre et ... de les mettre à mort...

            Étant étonnés de ce que vous autres, Messieurs, ne vous êtes opposés au dessein de cette compagnie ; et suppliez Mgr de Guise que ce n'est encore la saison ; que, s'il savait le préjudice qu'apporte ce bastion à la France serait plus prompt à détourner les auteurs qu'à leur donner assistance. Car, comme savent trop bien les expérimentés en ce pays, que tous les renégats français qui sont ici depuis 40 ans ne procèdent quasi que du Bastion, que cette compagnie est le support de ces corsaires... Voyez. Messieurs, à quels malheurs nous portent tels marchands de chevaux et blés comme sil manquait ailleurs pour employer ses commodités ".

            Ces échecs répétés ne décourageaient pas les Marseillais. Un faiseur de projets, comme il s'en trouvait alors continuellement pour présenter au gouvernement des plans merveilleux, adressa au Roi, en 1621 ou 1622, un curieux mémoire dans lequel il ne s'agissait rien moins que de constituer une nouvelle Compagnie à monopole, grâce à laquelle il serait facile de conquérir Alger et Tunis. L'auteur. Blaise Reimond Mérigon, prétendait " avoir été nourri tant dans le royaume d'Alger, Thunis et Tripoli de Barbarie qu'en la ville de Marseille ". Il proposait de bâtir une forteresse entre Bône et Collo et une autre à la Goulette. " Sera, ajoutait-il, le bon plaisir du roi donner le commerce et trafic commun et paisible de l'enlèvement de toutes sortes de marchandises à l'auteur de cet avis et ses associés pour cinquante années, sans que personne y puisse trafiquer que ceux de la Compagnie, durant ledit temps, laquelle demande il supplie très humblement votre Majesté lui vouloir octroyer. Pendant laquelle négociation et commerce ledit auteur dit que par le moyen de la connaissance et intelligence qui s'est déjà acquise dans lesdites villes de Bône, la Calle et Astourou (Stora) au royaume d'Alger, il est non seulement facile à la puissance de S. M., se saisir dudit royaume mais encore des royaumes de Tunis et de Tripoli de Barbarie, avec un nombre de 25 galères et 10 vaisseaux armés de 10.000 hommes qui passeront par toute la Barbarie ". Cet armement ne devait rien coûter au roi; l'argent " se prendrait sur le public par une assignation si douce qu'on ne s'en apercevrait pas " et l'auteur, pour le récompenser d'indiquer un moyen aussi commode au roi, ne demandait que d'être nommé receveur général des deniers imposés pour cet armement. Ce mémoire dut paraître moins extravagant qu'il ne nous semble aujourd'hui à une époque où les projets de croisade hantaient beaucoup d'esprits et au moment où la France était en guerre avec les Algériens. Il nous intéresse surtout pour montrer combien, même aux époques les plus défavorables, le commerce de Barbarie suscitait de compétitions à Marseille (29).

            Malgré l'insuccès de l'expédition de d'Argencourt et les grosses sommes qu'elle lui avait coûté, le duc de Guise était plus que jamais disposé à faire valoir les droits qu'il tenait à la fois du roi et du contrat de 1619. D'après les ordres du ministre Puysieulx, l'ambassadeur, de Césy, travaillait activement au rétablissement de la paix avec les Algériens et à celui du Bastion. Il ne cessait de protester de son zèle auprès du duc : il lui écrivait, le 31 mars 1622, pour lui assurer " l'extrême passion qu'il avait d'obéir à ses commandements et que jamais l'ingénieur Gamoriny ne fit Bastion de si bon coeur qu'il désirait rétablir celui de Barbarie pour son service ". Son but était de faire insérer dans les capitulations, qu'il voulait renouveler, un article sur le Bastion en termes bien exprès. " Si d'aventure, écrivait-il à M. de Bourdaloue, secrétaire du duc, le 22 novembre 1623, ceux de Barbarie ne veulent en permettre le rétablissement ainsi qu'ils l'ont promis, nous obtiendrons sur la capitulation de bons commandements pour le rétablir l'épée à la main " (30).

            Césy avait obtenu l'envoi à Alger de Soliman, tchaouch du G. S., en 1622. Celui-ci négocia toute l'année 1623 sans rien obtenir.
            Le sieur Vénérier, envoyé en 1624 avec un capidji, ne réussit pas mieux et les commandements du G. S., renouvelés avec plus de force en 1625, n'eurent pas plus de succès. Cette année-là, cependant, les Algériens eux-mêmes, alors en guerre avec les Anglais et les Hollandais, menacés en outre par un grand armement que préparait le duc de Guise, envoyèrent des députés à Marseille pour traiter. Mais leurs dispositions changèrent aussitôt. Ainsi, les efforts du duc de Guise et de Césy n'avaient abouti à rien et le rétablissement du Bastion semblait plus éloigné que jamais en 1623, quand entrèrent en scène les fondateurs définitifs du Bastion : Richelieu et Sanson Napollon.

     (1) Féraud, La Calle. p. 92 et 93-94. Féraud ajoute : Les Marseillais avaient d'abord appelé cet établissement lou Bastidoun devenu ensuite en français le Bastion. Cette étymologie parait absolument fantaisiste. Bastion était la forme provençale ou italienne de l'ancien mot français bastillon (Littré). René Bouyac. Histoire de Bône. p. 85, 86, reproduit purement et simplement Féraud.
     (2) Cf. Mauroy. Du Commerce des peuples de l'Afrique, p 44, note : " Le premier traité entre la France et la Porte, de 1536, nous accorde le privilège de la pêche du corail sur une partie des côtes d'Afrique.
     (3) Plantet. Tunis. t. I. p. 80, note 3, et Alger. Introd. p, XXIX. - Selim I confirma aux Français du Caire les privilèges accordés en 1507. Il n'est naturellement pas question des concessions d'Afrique dans ce Hatti-Chérif. (V. le texte dans De Testa. Rec. de Traités, et dans Féraud. La Calle, p. 88). - Féraud -La Calle, p. 91, affirme aussi que les Capitulations de 1535 ont confirmé aux Français le privilège de la pêche du corail, en donnant une version différente de celle de Plantet : " La Forest, notre ambassadeur, obtint l'insertion d'un article additionnel à la copie du traité que le G. S, notifi a aux Algériens… Il était mentionné aussi que des ordres avaient été donnés pour que les Français pêchassent sur les côtes de Barbarie, entre Alger et Tunis. le corail et le poisson, suivant l'usage anciennement établi et que nul étranger ne devait entrer en partage de ce droit . On pourrait croire que Féraud a pu voir aux archives d'Alger une copie des Capitulations différente de celles conservées à Paris, mais cette copie ne s'y trouve pas.
     (4) Aff. étrang. Mém. et Soc. Turquie, T. II. - Arch. nat. marine, B7, 520. - Biblioth. nat. mss. fr. 16167. - On trouve aussi, à ces trois endroits, les capitulations de 1569, 1581, 1604. - Cf. de Testa. Rec. des Traités, d'après un mss. de la Bibl. de l'Arsenal. - Charrière. Négoc. dans le Levant, T. I, p. 28394. (Texte italien et français, d'après mss. de la Bibl. nat. ).
     (5) De Mas Latrie. Traités de paix et documents, p. 103-105. - La Primaudaie (p. 66) écrit : " Il existe un traité du roi René de 1470 avec les habitants de Bône (d'après les papiers de Godefroy, Biblioth. de l'Institut). M. de Mas Latrie n'en parle pas et Louis XI, dans sa lettre, n'y fait aucune allusion.
     (6) Harangue faite au G. S. le 1er mars 1603. Bibl. nat. mss. fr. 7161, fol. 130-131. - Discours du Bastion, ibid. mss. fr. 16164, fol. 7-12.
     (7) Dragut aurait été pris par André Doria. ou par Jeannetin Doria son neveu, ou par le capitaine Lomellini de Gènes. Tabarque aurait été cédée pour la rançon de Dragut au capitaine Lomellini, par Khaïreddin, ou bien parce que la rançon fut négociée par Lomellini, marchand noble; ou bien c'est Soliman qui la donna en rançon à Charles-Quint et l'empereur afferma l'île aux sieurs Grimaldi et Lomellini. V. Peyssonnel p. 264-65 ; La Primaudaie, p. 7 ; Léon Bourgués - Plantet (Tunis T. I, p. 15, note 2) donne des détails précis sur la cession de Tabarque aux Lomellini, d'après le Mémoire pour servir à l'histoire de la mission des Capucins à Tunis, par le P. Anselme (Rome 1889) : Tabarque aurait été cédée à Charles-Quint par le vice-roi de Tunis pour la rançon de Dragut fait prisonnier, en 1540, par André Doria, avec droit exclusif de pêche jusqu'à 60 milles en mer. Le vice-roi de Sicile fit successivement avec les Grimaldi et les Lomellini, puis avec ceux-ci seuls, trois conventions en 1542, 1543 et 1553. Les Lomellini devaient faire la pêche du corail en réservant 1/5 de la pêche au roi d'Espagne. Ils s'engageaient à construire le château de Tabarque et à y entretenir une garnison, moyennant 5.230 écus d'or payables par le roi d'Espagne. Dans la suite les Lomellini passèrent de nombreux baux avec les représentants du roi d'Espagne. - Pour plus de détails au sujet de l'établissement des Lomellini à Tabarque et de leurs rapports avec la Cour d'Espagne, voir un important mémoire intitulé : Extrait des papiers et mémoires concernant l'île de Tabarca, etc. de 1542 à 1707. Arch. des aff. étrang. Mém. et doc. Afrique T. VIII, fol. 189-227. - Cf. Ed . Petit André Doria, p. 185-86 et 208.
     (8) Relation p. 354. - C'est sans doute à la possession de Tabarque que Marmol fait allusion quand il écrit : " A l'orient de la ville (Bône) est une longue plage qui se recourbe où l'on pêche le corail et les rois de Tunis avaient accoutumé d'affermir cette pêche aux Génois qui, se voyant tourmentés des corsaires, obtinrent permission du roi de bâtir une forteresse sur un roc ; mais les habitants s'y opposèrent et représentèrent au prince que les chrétiens s'étaient autrefois emparés de Bône par un semblable artifice. Ainsi les Génois ne vinrent pas à bout de leurs dessins, quoiqu'il leur ait réussi depuis. L'Afrique, t, II, p. 435 ".
     (9) Le premier consul de Marseille était toujours un gentilhomme. - Antoine était maître des ports de Toulon en 1575 ; ses enfants firent de brillants mariages : Jeanne, sa fille, épousa Honoré Riquetti de Mirabeau ; Thomas de Lenche sieur de Moissac, l'un de ses deux fils, dont il sera question plus loin, se maria le 1er novembre 1596, avec Louise d'Ornano, fille d'Alphonse d'Ornano, maréchal de France et lieutenant-général en Dauphiné. De ce mariage naquit Alphonse de Lenche, seigneur de Moissac, gentilhomme ordinaire de la chambre de Gaston d'Orléans. Un Lenche fut tué comme mestre-de-camp à Cassel, en 1677. Robert de Briançon L'État de Provence, etc., t. II, p. 280-82. - La place de Lenche, un des coins les plus curieux du vieux Marseille, rappelle le souvenir de cette famille qui joua un rôle important a la fin du XVIe siècle. - On appelle communément le fondateur du Bastion Thomas de Lenche : cependant, dans les registres des Délibérations du conseil de ville de Marseille conservés aux archives de l'Hôtel de Ville, il figure sous le nom de Thomas Lenchou ou Lencho.
     (10) Relation. p. 354-355. - M. Fagniez, D'après le père Dan, parle de magasins, d'une chapelle, d'un cimetière, d'un hôpital, d'une forteresse. Le Commerce sous Henri IV.
     (11) En 1446, un négociant de Barcelone avait affermé le droit de pêcher le corail sur toute la côte de Tunisie jusqu'à Bougie. De Mas Latrie, Relations et Commerce, p. 496.
     (12) on rappelle ici Anthonio Lencio. - Le chargé d'affaires du roi M. Juyé se plaint que Nicole, aux dépens de sa Compagnie, a réintroduit la coutume qui " avait été quasi du tout levée avec beaucoup d'honneur et réputation pour S. M. et grand soulagement de ses sujets " de faire des présents à la Porte.
     (13) Voir ces documents dans Charrière. Négociations de la France dans le Levant. T III, p. 766-767 et 929-31 en note. - Cf. de Testa. Traités de la Porte. - La Calle s'appelait en réalité Marsa et Kharaz : les Provençaux en avaient fait Massacarès, Mascarez ; il prirent l'habitude de dire la Calle (port) de Massacarès, puis la Calle. - P. Heinrich. (L'alliance franco-algérienne, p. 140-142) a résumé ces faits. Il parle d'une attaque des Arabes contre le Bastion en 1578 d'après un passage du mss. fr. 7101 de la Bibl. nat. Mais il n'est pas sûr que ce passage concerne le Bastion.
     (14) Assassiné en 1587 dans une émeute à Marseille. - Moissac, canton de Tavernes, arrondissement de Brignoles, Var.
     (15) Archives Nat. Conseil des Finances. 8 févr. 1600. Publié en résumé par M. Fagniez. Le commerce sous Henri IV. Rev. Hist. Mai-juin 1881. p. 8. M. Fagniez a commis la singulière méprise de prendre Mascaretz (La Calle) pour Mascara où avaient lieu, dit-il, la pêche et la préparation du corail.
     (16) " Les affaires dudit de Linche étant venues en décadence à cause de ses profusions ce bastion fut tenu... par d'autres gouverneurs... qui néanmoins faisaient pension audit de Linche. " Arch. des Aff. étrang. Mém. et doc. Alger. t. XII. fol. 114. Ce même mémoire se retrouve dans le même tome au fol. 169. avec la date erronée de 1668. - Cf. Bibl. nat. mss. fr. 18595. p 67.
     (17) Relation des voyages de M. de Brèves Appendice. - De Brèves ne semble d'ailleurs pas avoir attaché une importance particulière à cet article, puisque dans les observations qu'il a écrites pour faire ressortir les avantages nouveaux qu'il avait obtenus par les Capitulations de 1604, il se borne à dire à propos de cet article 21: " Les sujets du roi font un notable profit la pêche du corail en la côte de Barbarie ". Ibid. Appendice p. 32.
     (18) L'auteur de la Relation des voyages de de Brèves écrit, en effet: " Nous côtoyâmes les ruines dudit Bastion, démoli depuis quelques années en çà par la milice d'Arger, à l'occasion d'une famine survenue au royaume, dont elle rejetait la cause sur la traite des blés qui se faisaient audit lieu... Il est maintenant entre les mains d'un particulier nommé le sieur de Moissac par le mauvais ménage duquel on tient qu'il a été détruit. " Relation, p. 354-55. - " Ledit Bastion ayant été démoli et les Français et négociants chassés dudit Argers à cause des malversations desdits Français envers les Mores et pour avoir manqué de payer ledit tribut, pendant trois années. " Bibl. nat. mss fr.16164. Cf. Ibid. fol. 24: Mémoire de décembre 1629: " Mais à la longue ne continuant pas à faire cette distribution d'argent et la diminuant par avarice et insolence de temps en temps ils vinrent à tomber en mauvaise intelligence avec ceux d'Alger... "
     (19) Relation des voyages de de Brèves, p. 366. - La Primaudaie (p. 1516) et Féraud, p. 106, considèrent à tort, semble-t-il, la restitution des 6000 sequins comme une réparation postérieure à la destruction du Bastion. - Dans la liste des pachas d'Alger donnée par Plantet à la fin du tome II de la Correspondance des deys, on voit figurer Soliman (1601-1603), Kheder (1603-1604), Mehemet (1604-1605). Mustapha Khoussa (1605-1607). Pourtant la Relation des voyages de de Brères dit nettement que Cader Bassa fut étranglé en mai 1605 par l'eunuque qui y commande aujourd'hui 1606 . - Cf. Lettre de Mahomet III à Henri IV (15 août 1603 ap. Lavallée. Histoire de l'Empire Ottoman. p. 280-281.
     (20) Voir au sujet de cette négociation mon Histoire du Commerce du Levant. Introduction, p. XXIV-XXV. - Cf. Discours du voyage en Barbarie et de la navigation que fit M. de Brèves aux royaumes de Tunis et d'Alger l'an 1605, par J.-B. Vinois de Vanon, secrétaire dudit de Brèves. Mss. de la Bibl. de l'institut. N° 525.
     (21) Ce sont des papiers appartenant à une famille de négociants, les Ferrenc, qui eurent surtout des comptoirs à Alep et à Alexandrie à la fin du XVIe et au XVIIe siècle. Parmi les dossiers nombreux (pièces de procès, livres de comptes, testaments, correspondance) s'en trouve un qui renferme une série de pièges relatives à un procès que les héritiers de Benoît Ferrenc, écuyer, ancien intéressé à la Compagnie du corail pour un demi quirat, font aux autres intéressés de cette Compagnie pour réclamer diverses sommes d'argent dues par la Compagnie à Ferrenc. - Je m'empresse de remercier ici M. Mabilly, l'aimable archiviste de l'Hôtel de Ville, qui a attiré mon attention sur ces papiers des Ferrenc.
     (22) Dans un acte du 3 janv. 1620, signé par les " intéressés à la jadis Compagnie du corail ", on trouve, en outre, les noms de Pierre Seigneuret. Victor de Lestrade, Honoré Venture. - On voit la Compagnie employer en Tunisie le sieur Anthoine Bérengier, qui devait acquérir une grande influence auprès des puissances de Tunis et jouer un grand rôle dans les négociations avec les Tunisiens autour de 1620.
     (23) V. Plantet. Tunis. Pièce n° 6. Articles pour l'accommodement des sujets du roi arec les vice-roi et capitaines des janissaires et galères de Tunis (9 articles). Mais Plantet donne à tort à cet acte la date d'août 1605. De Brèves arriva à Tunis le 17 juin 1606 et non 1605. V. la Relation des voyages....
     (24) Voir mon Histoire du Commerce du levant, p. 30-38. D'après de Grammont, les Anglais de la Turkey Company auraient essayé de profiter de cette situation et intrigué pour obtenir des Algériens les comptoirs de Stora et de Collo.
     (25) Archives de la Chambre de Commerce, AA , 546. Malheureusement les pièces ont été perdues, il n'y a plus que la chemise qui les contenait.
     (26) Mémoire touchant l'établissement du Bastion. Déc. 1629. Bibl. nat. mss. fr. 16164, fol. 24. - Lettre du G. S. au janissaire d'Alger pour empêcher les pirateries et pour le rétablissement du Bastion, 28 juin 1612. Ibid. fol. 16-17.
     (27) Léon Bourguès. Sanson Napollon. p. 215-216, attribue l'envoi du baron d'Allemagne au duc de Guise. Mais, dans un procès qu'elle soutint en 1662 contre les héritiers du baron d'Allemagne, la Chambre de Commerce de Marseille représenta cette affaire comme une entreprise conçue par lui et par son beau-père. - Arch. de la Chambre. BB. 2. Délib. du 23 février 1662. Le sieur P. A., ancien commis principal du comte de Brienne, dans un mémoire de 1667, fait au contraire chasser le baron d'Allemagne, usurpateur du Bastion, par le sieur d'Argencourt, à la tête d'un armement envoyé par le duc de Guise avant la paix de 1619 (voir ci-dessous). Cette seconde version est aussi inexacte. Bibl. nat. Mss. fr. 18593.
     (28) Arch. des aff. étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII fol. 107-110 : Mémoire touchant le Bastion de France, 1659. L'auteur du mémoire place cette expédition de d'Argencourt avant la paix de 1619, mais cette paix est du mois de mars. Un autre mémoire de 1667. (mss fr. 18595 fol. 67) place l'expédition avant la paix et avant le contrat conclu avec Thomas de Lenche. Mais ces deux mémoires renferment d'autres inexactitudes. En réalité, Guise envoya d'Argencourt à la fin de 1619, ou plutôt en 1620. Dans une requête non datée, adressée au roi, qui doit être de 1629 ou de 1630, le duc de Guise rappelle qu'en 1620 il a " despendu plus de 50,000 livres en un voyage qu'il fit faire au Bastion par le sieur d'Argencourt avec trois vaisseaux ". Aff. étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 13. Cf. Arch. nat. marine. B7, 49, p. 48-49.
     (29) Ce document a été publié par M. Stein dans la Revue de Géogr. 1883 T. I, d'après le mss fr. 16167 de la Bibl. nat. fol. 300-307. La pièce n'est pas datée. Elle est placée dans le manuscrit entre une pièce de 1623 et une autre de 1628. Il semble qu'elle doit être antérieure aux négociations de Sanson Napollon c'est-à-dire à 1626. De plus, il y est question de la prise des forteresses de Porquerolles et Giens par les Tunisiens au mois d'octobre précédent. Or, dans une lettre en italien sans date, mais placée entre deux lettres de l'ambassadeur de Césy, de 1621 et de 1622 (Mss. fr. 16164, fol. 38), il est question d'une plainte de l'ambassadeur la Porte contre les corsaires de Barbarie qui ont débarqué dans l'île d'Hyères, forcé la tour, pris le gouverneur, sa femme et ses fils et pillé l'île ; en outre, ils ont ruiné le Bastion, Ce débarquement à Porquerolles semble donc pouvoir être placé après la destruction du Bastion, en octobre 1621. Une autre copie du mémoire de Merigon est aux Aff. étrang. Mém. et doc. Turquie, t. II, fol. 194-199 : Mémoire envoyé au roi par Blaise-Reimond Merignon, de Marseille. Elle est placée entre une pièce de 1619 et une autre de 1628. Le document original existe dans un mss de la Bibi. nat. Ve Colbert, 483, fol. 459-65 : Mémoire au roi pour une entreprise sur les côtes de Barbarie. Signé Blaise Rémond Merigon, de Marseille.
     (30) Mss. fr. 16164. fol. 46 et 52. - Ce registre contient une importante correspondance de Césy sur les affaires du Bastion de 1621 à 1628. - Bourdaloue, secrétaire de M. de Guise, écrivait à Césy pour le stimuler, le 9 octobre 1624 : " Je vous dirai, Monsieur, que vous ne le pourrez pas davantage obliger que de faire, pour ledit Bastion, ce que vous lui en avait espérer de vos bons offres, ayant toujours telle affaire à coeur ". fol. 56. - Cf. Bibl. nat. mss. V Colbert 483 Gros volume portant au dos ; : Lettres de M. de Césy en 1623, 24, 25 Affaires de Turquie, Perse, Indes, Tunis, Alger, Brésil, etc., (avec table).

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A SUIVRE

Les vieux au paradis.....
Envoyé Par Chamaloo

          Il y avait un couple de vieux....
         85 ans chacun et ils étaient mariés depuis 60 ans.
         Ils n’étaient pas millionaires, mais ils vivaient bien car ils avaient économisé.
         Ils étaient en bonne santé malgré leur âge et ceci grace à elle qui insistait toujours pour qu’ils mangent sainement.
         En plus ils faisaient de l’exercice
         Pourtant, un jour, cette vie saine ne put les sauver. De retour de vacances leur avion s’écrasa
         Et ils allèrent directement au ciel.
         Arrivés au Paradis Saint Pierre les accueillit. Ils les emmena dans une maison luxueuse, avec des meubles d’une grande beauté, cuisine aménagée d’appareils modernes.
         Une servante était à leur disposition.
         Ils étaient stupéfaits. Saint Pierre leur dit : “Bienvenus au ciel. maintenant cette maison vous appartient." 
         Le petit vieux demanda à Saint Pierre combien cela allait leur coûter.
         “Rien, répondit Saint Pierre, Vous avez vécu comme Dieu voulait et ceci est votre récompense."
         Le petit vieux regarda par la fenêtre et vit un terrain de golf de première classe, comme Il n’en avait jamais vu sur terre.
         Combien coûte jouer dans ce club ? demande-t-il à Saint Pierre.
         “ Nous sommes au ciel, c’est gratuit tous les jours,”.
         Ensuite ils allèrent au restaurant du club et virent une table couverte de toutes les classes d’aliments :  fruits de mer, viandes, desserts exotiques, boissons diverses.
         “Ne me demandez pas, dit Saint Pierre, tout est gratuit”.
         Le petit vieux regarda tout quelque peu nerveux puis regarda son épouse et enfin demanda à Saint Pierre.
         Où est la nourriture diététique, sans graisse sans cholesterol? Et le café descafeiné ?
         “Le meilleur de tout est que vous pouvez manger tout ce que vous voulez, sans grossir et se préoccuper des maladies. Vous êtes au Ciel !”
         Vous me dites qu’il n’est pas nécessaire de faire de la marche ?
         “Seulement si on le désire, répondit Saint Pierre”.
         Je ne suis pas obligé de manger sans sucre, sans sel?
         Je peux boire de la bière ?

         “Evidemment, lui répondit Saint Pierre. Ici on peut manger et boire tout ce qui nous fait plaisir! “
         Le petit vieux regarde son épouse et lui dit:

         “Sans toi et tes céréales de merde .......
         Nous aurions pu être ici depuis 10 ans!"




L'ŒUVRE DE F.-C. MAILLOT
                                                                                                          N° 9

ANCIEN PRÉSIDENT
DU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES

Deuxième Edition
PARIS 1894
OCTAVE DOIN, ÉDITEUR
8, PLACE DE L'ODEON

MAILLOT François-Clément, né à BRIEY (Moselle) le 13 Février1804. Ancien Président du Conseil de Santé des Armées, Commandeur de la Légion d’Honneur, récompense nationale attribuée par la loi du 25 juillet 1888. Ancien médecin en chef de l’hôpital militaire de Bône 1834-1836.

TRIBUT DE RECONNAISSANCE DU COMITÉ
D'ÉTUDES MÉDICALES DE L'ALGERIE

DE L'INFLUENCE
DE LA THÉRAPEUTIQUE ET DE L'HYGIÈNE DANS LA
DÉCROISSANCE DE LA MORTALITÉ DANS LA RÉGION
DE BÔNE   (ALGÉRIE)

           Les questions hygiéniques et conservatrices de la vie humaine étant à l'ordre du jour, je me suis demandé si, possesseur de notes qui sont de nature à démontrer la puissance de l'hygiène et de la thérapeutique dans les maladies des pays chauds et marécageux, ce ne m'était pas un devoir de dire ce que l'expérience m'a appris à ce sujet. Cette étude est toute d'actualité, comme l'exprime Littré dans le deuxième volume de sa Traduction des Œuvres d'Hippocrate : « Par une circonstance particulière, dit-il, les épidémies ont l'intérêt actuel, l'utilité présente, qui peuvent s'attacher à un livre moderne. Elles se rapportent, en effet, à un sujet encore peu connu, incomplètement étudié (les fièvres des pays chauds), sur lequel elles fournissent de précieux enseignements. Il se trouve de nos jours que les principales écoles de médecine ont leur siège dans des régions tempérées et môme froides ; il s'est trouvé, au contraire, dans les temps anciens que les princi­pales écoles avaient leur siège dans des régions beaucoup plus chaudes. De cette différence de position, il est résulté que la pyrétologie des pays chauds, qui n'est entrée dans l'enseignement des premières que d'une manière incomplète et par le fait des médecins voyageurs, a constitué le fond même de l'enseignement des secondes. Le livre d'Hippocrate conserverait toujours un haut rang dans la littérature médicale, à cause de l'esprit supérieur avec lequel cet écrivain observe et décrit; mais la pénurie des modernes sur ce sujet en fait, de plus, un livre immédiatement utile à tous ceux qui ont à pratiquer la médecine dans les pays chauds. » Que de justesse dans ces remarques de Littré, et combien ses paroles ont encore plus de poids et d'actualité de nos jours, au moment où nous avons presque doublé l'étendue de nos colonies, dans des contrées où l'on a tant à se défendre contre les attaques du paludisme porté à un si haut degré!

           J'ai réuni, sur le pays de Bône, des documents que personne n'a et ne peut avoir sur aucun des grands centres de l'Algérie, les plus renommés par les désastres qui ont accablé notre armée dans les premières années de l'occupation. Cela me permet aujourd'hui d'exposer les phases par lesquelles a passé notre état sanitaire dans ce point de nos possessions africaines, où je me cantonne exclusivement, en raison précisément des matériaux que j'ai entre les mains. Je vais donner ainsi l'espérance, sinon la certitude, que l'on pourra arriver à. obtenir partout les résultats que je vais signaler, en procédant comme il a été fait dans cette localité, qui primitivement a été le théâtre de revers médicaux tels qu'ils ont fait mettre en doute la possibilité de conserver l'Algérie.

           Il me suffit de poser deux dates pour démontrer quelle a été, dans cette région si éprouvée, la puissance de la thérapeutique et de l'hygiène :
En 1833, sur 5.500 hommes de garnison, on a 6.704 malades et 1.526 morts;
En 1884, sur 1.826 hommes de garnison, on a 736 malades et 8 morts.

           Voilà des chiffres bien curieux, bien surprenants, par leur contraste. Personne, au surplus, n'aura un étonnement plus grand que celui qu'ils m'ont donné : 8 décès dans un an, à Bône, la ville sépulcrale de 1833! On est arrivé à ce résultat progressivement, mais non sans hésitation, sans chocs en retour, sur lesquels nous aurons à nous expliquer. Et d'abord établissons bien le point de départ pour nous rendre compte exactement des causes qui ont amené cette heureuse transformation.

           En 1833, on n'avait encore sur les maladies paludéennes que des données bien vagues, que les médecins de cette époque puisaient dans les livres classiques et dans les enseignements scolaires qui étaient, je ne crains pas de le dire, tout à fait insuffisants et incompétents. Elevé dans les idées de ce temps, je ne commençai à soupçonner qu'il y avait bien des inconnues dans l'histoire des fièvres intermittentes, telle qu'on nous l'avait apprise, qu'après avoir vu ces maladies en Corse et dans les hôpitaux d'Alger. J'étais dans cette disposition d'esprit lorsqu'en 1834 je fus envoyé à Bône où je trouvai des affections plus graves, plus meurtrières que celles que j'avais observées jusque-là. Mes doutes se dissipèrent, mes hésitations prirent fin, et je m'engageai, à pleines voiles, dans la doctrine que j'instituai et qui, après bien des obstacles, bien des luttes, a finie par devenir universelle en Algérie. Dès cette première année, la mortalité a passé à 1 mort sur 20, au lieu de 1 sur 4, comme en 1833 ; et encore dans mon service, à 1 sur 27 ; à 1 sur 25 dans celui d'un de mes adjoints, M. Worms, qui avait adopté de suite mes idées. Mais la mortalité considérable qui s'était produite dans le service de plusieurs médecins, que je n'avais pu décider à suivre mon exemple, la fit baisser à 1 sur 20, ce qui, au surplus, suffirait bien pour faire ressortir l'importance de l'évolution que je venais d'imprimer à la thérapeutique des fièvres palustres.

           Il s'agissait, après cette grande épreuve, de savoir ce que l'avenir réservait à cette tentative hardie. En 1835, on a 1 mort sur 24 malades; en 1836, on a 1 sur 20, comme en 1834. Mais, en 1837 et en 1838, la scène change, et voilà, un des grands écarts qui sont venus, à plusieurs reprises, contrarier nos prévisions : en 1837, on compte 1 mort sur 8 ; en 1838, 1 sur 14. Pourquoi? Parce que, en 1837, pour la seconde expédition de Constantine, on a dû renforcer le corps d'année, le porter à 4 brigades, en faisant venir de France de nombreuses troupes, entre autres le 26° de ligne et le 12°. Ce dernier apportait le choléra dans ses rangs. Ces régiments, étrangers au climat, sont lancés sans préparation aucune, en pleine saison épidémique, dans un pays brûlant, couvert de marécages ; ils ont à supporter les fatigues de la guerre, des privations, des combats, et les périls de l'assaut; la ville prise, ils ont à construire des routes, à établir des camps, à s'y installer, pour assurer les communications entre Bône et leur nouvelle conquête. Voilà bien des causes pour expliquer un point d'arrêt dans l'amélioration qui, les années précédentes, avait donné tant d'espérances.

           On fut bien dédommagé de cet échec en 1840, année qui n'envoya dans les hôpitaux que 787 hommes. Cependant, cette année-là fut une des plus désastreuses pour notre armée qui, d'après les Établissements français dans l'Algérie, a eu 113.871 malades et 9.567 morts. Dans son Histoire des commencements d'une conquête, M. Camille Rousset rapporte que, du 1er juin au 7 novembre 1.840, on a eu 4.200 morts; qu'à cette dernière date il y avait près de (5.000 malades dans les hôpitaux, l'effectif de l'armée étant de 71.703 hommes. L'immunité de la garnison de Bône est due à ce qu'elle n'a pris aucune part aux opérations de guerre incessantes, qui ont tenu constamment en haleine les troupes des provinces d'Alger et d'Oran. C'est aussi dans cette même année que s'est déroulé le sombre drame de Miliana, dont j'ai donné les chiffres obituaires dans la Gazette des Hôpitaux du 30 septembre 1884.

           Dans l'intérêt de la science, de la vérité et de l'humanité, je dois dégager la responsabilité de ma thérapeutique, dans ces cruels événements. A cette époque encore, par je ne sais quelle aberration d'esprit, de bien regrettables attaques avaient empêché sa propagation ; elle n'était guère appliquée que par les médecins qui l'avaient étudiée dans mes salles, ou qui avaient été en rapport avec les jeunes collaborateurs ayant servi sous ma direction.

           Le second grand écart, dans la morbidité plus que dans la létalité de Bône, est celui dont j'ai déjà parlé dans la Gazette des Hôpitaux, 22 mars 1884.

           J'ai fait connaître alors qu'il était dû à ce qu'on avait laissé s'envaser et s'encombrer les canaux creusés par le génie militaire dans la plaine voisine de Bône, pour la drainer et conduire à la mer les eaux provenant des pluies torrentielles de l'automne et de l'hiver. Cette négligence sema cette plaine d'effondrements marécageux ; de nombreuses maladies ne tardèrent pas à sévir sur la population civile tout comme sur la troupe; niais elles furent assez bénignes, car, si celle-ci eut 10.667 malades, elle n'eut que 1 mort sur 45 en 1852, et 1 mort sur 33 en 1853.

           Ce fut là, du reste, la plus grande crise qu'eut à subir le pays ; la série des documents qui nous ont guidé jusqu'ici s'interrompt; tout à, coup, on ne donne que des détails insignifiants, par suite de la mobilité extrême du personnel médical. Heureusement, une nouvelle ère commence en 1865, avec le premier numéro de la Statistique médicale de l'armée, ouvrage important et officiel où j'ai relevé le mouvement de l'hôpital de Bône de 1865 à 1880, mouvement inséré dans la Gazette des Hôpitaux des 20, 22 mai 1884, et qui fait connaître les progrès bien remarquables de la diminution de la mortalité. Je n'en retiens ici que les chiffres des quatre dernières années, pour les rapprocher de ceux que vont nous donner les quatre années qui les suivent, 1881, 1882, 1883, 1884, en faisant remarquer que le numéro de 1884 n'a pas encore paru ; mais il est sous presse, et j'ai copié sur les épreuves les chiffres que je transcris:

PREMIER GROUPE

Année Effectif de la Garnison Malades Morts
1877
1878
1879
1880
2.023
2.259
1.680
1.890
1.367
1.100
1.014
951
24
67
25
17

DEUXIEME GROUPE

Année Effectif de la Garnison Malades Morts
1881
1882
1883
1884
2.600
1.599
2.100
1.826
2.733
1.544
1.066
736
115
42
21
8

           Je n'ai rien à ajouter ; l'enseignement est complet. Je tiens cependant à m'expliquer sur la grande part que je fais à la thérapeutique. On me reprochera, je n'en doute pas, cette tendance de mon esprit, et l'on me taxera d'exagération. Mon opinion, cependant, est fondée sur un fait indéniable et contre lequel rien ne peut prévaloir: la comparaison du mouvement hospitalier de Bône de 1834 avec celui de 1833. En effet, les conditions hygiéniques étaient les mêmes ; et cependant, en 1834, nous n'eûmes que 538 morts avec 11.593 entrants, tandis qu'en 1833, on en avait compté, comme nous l'avons déjà vu, 1.526 avec 6.704 malades. Il est donc bien évident que c'est à la thérapeutique seule que revient ce succès. De plus, il s'est passé bien des années, pendant lesquelles elle a dû toujours seule défendre la vie des hommes, attendant des secours secondaires et adjuvants que l'hygiène devait lui apporter, c'est-à-dire le dessèchement des marécages, celui de l'immense lac Fezzara, les grands travaux de l'agriculture et de la viticulture, qui ont fait de Bône et de sa banlieue l'un des séjours les plus agréables que l'on puisse rêver.

           Rien, au surplus, ne m'est plus facile que de m'appuyer sur une nouvelle expérimentation qui se déroule sous mes yeux : ce sont les épreuves analogues que subit à son tour le corps d'armée d'occupation de l'Extrême-Orient. La question, il est vrai, est ici plus complexe, je le reconnais et me hâte de le dire; à côté du paludisme il y a l'endémie cholérique, bien autrement grave, bien autrement meurtrière, mais contre laquelle malheureusement la médecine est, ici comme partout, à peu près impuissante, et devant laquelle nous ne pouvons que nous incliner, en faisant des voeux pour que l'on découvre contre elle un spécifuge aussi efficace que l'est le sulfate de quinine dans les affections paludéennes de ces mêmes contrées. Je suis heureux de pouvoir rassurer, sur ce dernier point, les familles qui ont des enfants dans ces colonies si redoutées. Voici ce qu'a bien voulu m'écrire à ce sujet, en date du 6 septembre 1887, l'homme le plus compétent, M. Dujardin-Baumetz, l'ancien Directeur du service de santé au Tonkin, chargé, aujourd'hui, au Ministère de la Guerre, de la direction du service de santé de toute l'armée : « L'instruction médicale ci-jointe, me dit-il, vous montrera comment on traite militairement les lièvres palustres du Tonkin ; cette médication est la vôtre. Partout, au Tonkin et en Annam, on en éprouve les bienfaits. » Je ne pouvais m'appuyer sur une autorité plus imposante, et je remercie hautement M. Dujardin-Baumetz de l'appui qu'il m'apporte par la franchise et la netteté de sa déclaration, en attendant que ses fonctions administratives lui permettent de terminer l'histoire médicale de l'expédition du Tonkin, qui sera une œuvre importante pour le pays, pour l'armée, pour l'humanité.


FIN

CAHIERS DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE    N° 2
PAR M. J.- M. BOURGET

L'ALGÉRIE

DEUXIÈME PARTIE
L'ALGÉRIE ET L'ISLAM

       Une histoire de l'Algérie a forcément quelque chose d'un peu factice, d'un peu arbitraire. L'unité politique ou administrative que nous désignons sous le nom d'Algérie est de création récente : c'est seulement au XVIème siècle que les deux frères Arroudj et Khayr ed Din Barberousse la constituèrent, sous la vassalité du Sultan de Constantinople. Encore la Régence d'Alger ne s'étendit-elle jamais que sur un sixième des territoires aujourd'hui réunis sous le nom d'Algérie, et le pouvoir du Dey d'Alger n'était-il pas reconnu sans contestation dans tout le pays qui lui était théoriquement soumis.
       La première, grande invasion arabe se produit en Algérie à la fin du VIIème siècle et l'islamisation commence dès le début du siècle suivant. Le flot musulman déferle sur toute l'Afrique du Nord, souvent à la suite d'appels qui en viennent. L'Algérie musulmane n'a pas d'existence propre. Elle se trouve influencée et dominée par des Etats qui se fondent soit à l'Ouest, soit à l'Est, soit en Espagne : Omeyyades de Cordoue, Fatimides de Kairouan, Almoravides, Almohades.
       La nomenclature géographique enregistre elle-même ce fait. Elle ne comporte que deux noms : l'Ifriqiya et le Maghreb. Dans le premier, qui, désigne la Tunisie et la partie orientale de l'Algérie, on retrouve l'ancien nom de la province romaine d'Afrique. Le second désigne les pays d'occident, que l'on divise en Maghreb central (départements actuels d'Alger et d'Oran) et Maghreb extrême (Maroc).
       Il se constitue cependant, à différentes époques, des royaumes algériens, en ce sens que leur territoire est situé dans les limites de l'Algérie actuelle ; mais ils sont très loin d'englober toute celle-ci. Leur existence est souvent menacée par les puissants voisins de l'Est et de l'Ouest.
       Les invasions, puis les guerres, avec les mouvements de population et l'insécurité qu'elles entraînent, aboutissent un état d'instabilité qui provoque un affaiblissement indéniable du pays et une diminution de ses ressources.
       Aussi, au XVIème siècle, quand la "Reconquista" espagnole met en péril les destinées africaines, les villes et les petits Etats algériens se trouvent incapables de lutter seuls contre les chrétiens. C'est ainsi qu'Alger appelle les frères Barberousse. La domination turque, bien vite exécrée, amène entre l'élément berbère et l'élément arabe une fusion plus complète que par le passé.

I
L'Introduction de l'Islam en Algérie

        Comme les Romains, les Arabes semblent avoir éprouvé quelque hésitation à pénétrer en Afrique du Nord. Omar, le second Khalife, le grand conquérant et organisateur musulman, vainqueur des Byzantins et des Persans, s'opposa jusqu'à sa mort (644) à ce que la Tripolitaine fût dépassée vers l'Ouest.
       Sous son successeur, Othman, qui avait levé l'interdiction, le gouverneur de l'Egypte lança les premières reconnaissances contre Ifriqiya Elles se heurtèrent seulement aux Byzantins, les Berbères ne prenant pas part à la lutte, et aboutirent à la victoire des Arabes, près de Sufetula (647) : dans la bataille, le Patrice Grégoire fut tué ; mais les Arabes ne s'installèrent pas dans le pays.
       Ils y revinrent dix-sept ans plus tard, appelés par le successeur du Patrice Grégoire en lutte avec un compétiteur. Ils n'atteignirent pas encore les régions algériennes d'aujourd'hui, pas plus qu'au cours de la troisième expédition dans laquelle Oqba ben Nafi se heurta pour la première fois à la résistance des Berbères : du moins le futur conquérant laissa-t-il une trace matérielle de son passage en fondant Kairouan.
       Abou'l Mohajir, qui succéda à ce moment à Oqba dans la direction des opérations militaires en Afrique du Nord, trouva encore devant lui les Berbères appelés aux armes par l'un d'entre eux, Kossayla, qui se convertit à l'islamisme et apostasia plusieurs fois, et fut battu près de Tlemcen.
       Peu après (681) se produisit à travers le Maghreb la grande chevauchée héroïque d'Oqba, rappelé au commandement par un nouveau Khalife. Les poètes et les chroniqueurs ont embelli cette glorieuse et légendaire expédition : elle mena Oqba, après plusieurs victoires sur les Berbères, à Ceuta, d'abord, que lui livra le gouverneur byzantin, puis jusqu'à l'Atlantique dans le Sous.
       Pour rentrer à Kairouan, le conquérant divisa son armée en deux fractions. Kossayla, dont Oqba avait fait son prisonnier, réussit à recouvrer sa liberté. Il réunit les Berbères, les Byzantins, gagna les montagnards de l'Aurès. Tous se jetèrent sur Oqba, qui fut battu et tué à Tehouda (près de Biskra). Kossayla entra à Kairouan, d'où il fut chassé par' une nouvelle armée arabe (688).

       La bataille de Tehouda avait montré que Berbères et Byzantins unis pouvant pouvaient être redoutables. Il importait d'en finir au plus vite avec l'un de ces deux adversaires, Les Arabes s'attaquèrent d'abord aux Byzantins. En 697, Hassan ben en Noman, à la tête d'une armée importante, s'empare de Carthage ; les Byzantins de Constantinople sentent le danger et reprennent la ville. Succès sans lendemain : l'année suivante Carthage tombait de nouveau aux mains des Arabes. C'était la fin de la domination byzantine en Afrique du Nord.
       Contre les Berbères, la lutte fut plus longue et plus difficile. Ses épisodes sont mal connus, et on se trouve surtout en présence de légendes. La plus célèbre est celle de la Kahina, prophétesse qui commandait aux tribus de l'Aurès ; elle est présentée comme juive ; ce qui est certain, c'est qu'elle n'était pas chrétienne ; elle adorait peut-être les anciens dieux que saint Augustin s'était efforcé de faire disparaître. Elle battît Hassan ; et, de tous les nobles Musulmans qu'elle captura, elle ne garda que le seul Khalid ben Yazid. La légende veut qu'elle ait eu deux fils, l'un berbère, l'autre grec : elle entendit faire de Khalid leur frère : on voit la valeur du symbole.
       La Kahina ne se serait pas fait d'illusion sur la portée probable de son succès sur Hassan. Désespérant de le renouveler dans la bataille, elle résolut d'empêcher l'invasion en faisant le désert devant les Arabes ; elle ordonna des destructions systématiques dans les plaines environnant les villes. Il est vraisemblable que la légende a ici enjolivé de simples razzias exécutées par les montagnards de l'Aurès momentanément débarrassés de la menace arabe.
       En tout cas, le procédé attribué à la Kahina n'eut aucun succès. Les dévastations ne firent que lui aliéner la population des villes : elles ne réussirent pas à arrêter la marche d'Hassan ben en Noman qui revint dans le pays et mit en complète déroute les Berbères soulevés par la Kahina.

       Un certain nombre de conversions à l'Islam s'étaient déjà produites, comme le montre l'exemple de Kossayla, quand les Arabes, au début du VIIIème siècle, entreprirent l'islamisation systématique des Berbères. Le prosélytisme arabe se manifestait en liant étroitement la religion et la guerre : il s'agissait, par la violence et la conquête, de propager la foi.
       Les grandes expéditions militaires, comme celle qui mena d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord Moussa ben Noçayr, comportaient la capture de nombreux prisonniers Les populations avaient le choix entre la conversion et l'exil ou la mort. La conversion s'accompagnait en principe de l'acquisition des droits communs à tous les musulmans, notamment la dispense de la capitation (jiziya) et de l'impôt foncier (kharadj). Ce procédé fut employé systématiquement à partir de 718.

       Cependant, et l'exemple de Kossayla le montre encore, en dépit des avantages acquis aux nouveaux convertis, les conversions n'étaient pas toujours durables. Suivant un texte célèbre, les Berbères apostasièrent douze fois en 70 ans. C'est alors qu'intervint à leur profit l'application d'un autre principe de la guerre sainte : les territoires nouveaux, soumis par les armes, restaient la possession des conquérants. C'est ainsi que, mêlant la foi à l'intérêt, les Berbères furent lancés à la conquête de l'Espagne.
       Ceux qui restèrent en Afrique du Nord, et en Algérie, furent contraints d'accepter la domination arabe, qui, outre la religion, comportait l'adoption de la langue du vainqueur. Ce nouveau changement linguistique fut admis sans plus de difficulté et dans les mêmes conditions que les changements antérieurs : les sédentaires et les gens des villes s'y plièrent aisément ; les montagnards des massifs difficiles à réduire continuèrent à parler leur langue. Néanmoins l'islamisation de l'Algérie connut des débuts rapides.

II
Le Royaume de Tahret (VIIIème - IXème siècles)

        Le royaume de Tahert est le premier Etat indépendant qui, se soit formé sur le territoire de l'Algérie musulmane. Sa constitution a trouvé en partie son origine dans un mouvement berbère dirigé contre l'occupant arabe. Mais elle ne représente rien qui puisse se comparer à une réaction contre l'Islam triomphant. Au contraire, son fondateur appartenait à une secte qui se piquait de rétablir l'islamisme dans toute sa pureté originelle.
       Au début du VIIIème siècle, à l'époque où l'Islam s'affermissait en Afrique du Nord, les causes de malentendus entre Arabes et Berbères étaient nombreuses. Ceux-ci auraient accepté la domination de ceux-là si les nouveaux maîtres n'avaient ouvertement marqué leur dédain pour les populations conquises, dédain que ne compensaient pas des bienfaits matériels dus à l'administration du territoire.
       La politique des gouverneurs qui régnaient sur les pays au nom des Khalifes ne paraît pas avoir été non plus très habile. La faute ne leur incombe peut-être pas personnellement, mais elle eut des conséquences graves. Pour mener la guerre sainte, l'Islam avait besoin d'argent. Ce besoin devint bientôt si pressant que, adoptant un expédient déjà utilisé ailleurs dans l'empire musulman, mais contraire aux règles normales de l'Islam, le représentant du Khalife décida que les nouveaux convertis auraient, même après leur conversion, à payer la capitation et l'impôt foncier.

       Le mécontentement grandit vite et aboutit à l'assassinat du gouverneur Yazid, suivi de révoltes sur plusieurs points et pendant une période assez longue.
       Les Arabes, en effet, étaient divisés entre eux. Le grand effort de Mahomet, on le sait, avait eu d'abord pour but de faire l'unité entre les différentes tribus. Maintenue dans la guerre sainte, pour elle et par elle, cette unité tendit rapidement à s'affaiblir, Les Arabes installés en Afrique du Nord n'avaient pas entièrement perdu le souvenir des haines qui avaient longtemps armé leurs tribus les unes contre les autres. L'installation des Khalifes à Bagdad, en éloignant le pouvoir central de l'Afrique du Nord, laissait le champ libre à ces dissensions intestines auxquelles les Berbères se trouvèrent mêlés.
       Un mouvement populaire, pour être redoutable, doit avoir pour substrat une grande idée. Les exactions des gouverneurs n'auraient pas suffi sans l'influence du Kharidjisme. Rappelons brièvement les origines de cette secte.

       Mi, quatrième successeur du Prophète, dont il avait épousé la fille aînée Fatima, avait été élu par les gens de gens de Médine (656), ce qui lui valut l'inimitié des gens de la Mecque. Ceux-ci cherchèrent des appuis ; le principal adversaire d'Ali fut le gouverneur de Syrie, Moawya, de la famille des Ommeya, soutenu par la " Mère des fidèles ", Aïcha, la femme favorite de Mahomet. La lutte entre Mi et Moawya enraya les conquêtes de l'Islam. Dans le camp même d'Ali, l'unité ne dura pas ; en face des gens de son parti (Chia), légitimistes ne voulant reconnaître le droit au Khalifa qu'à lui et à ses descendants parce qu'ils étaient du sang du Prophète, se dressèrent des musulmans qui entendaient rester fidèles aux principes fondamentaux de l'Islam démocratique et égalitaire, en particulier au principe de l'élection du Khalife, choisi seulement en vertu de ses qualités religieuses. Ceux-ci s'appelèrent les Kharidjites, "Ceux qui sortent sur le chemin de Dieu ".
       Mi périt assassiné en 661, mais sa mort n'amena pas la fin du Kharidjisme. Loin de là. Les Kharidjites, bientôt divisés eux-mêmes en deux sectes, les Çofrites et les Abadhites, se livrèrent à une propagande intense dans toutes les parties de l'Empire musulman. Ils envoyèrent des émissaires qui prêchèrent non seulement la révolte contre le Khalife, mais l'observation rigoureuse de la doctrine. Leur attitude dans l'Islam a été comparée à celles des puritains dans le protestantisme.
       Des émissaires Kharidjites vinrent en Afrique du Nord. Il y vint aussi de véritables colonies d'émigrés Kharidjites qui s'y établirent et continuèrent la propagande. Les Berbères ont toujours eu un sentiment développé de l'égalité, et le dédain des Arabes, ainsi que les mesures vexatoires des gouverneurs, les préparait à accueillir une doctrine qui, tout en flattant leurs sentiments intimes, tendait à rétablir les bases véritables de la religion. Leur mouvement fut un mouvement Kharidjite, au moins autant qu'une réaction nationale.
       Aussi, quand une tribu du sud tunisien, les Ourfedjouma, se jeta sur Kairouan, elle eut l'appui des Çofrites. La ville prise, ceux-ci se rendirent intolérables par leurs actes. Pour en venir à bout, on fit appel à des Abadhites de Tripolitaine qui envoyèrent, pour rétablir l'ordre et gouverner le pays, le persan Ibn Rostem, un Kharidjite vivant parmi eux.
       Mais les luttes provoquées par le Kharidjisme continuaient encore : les musulmans makélites d'Egypte constituèrent une armée destinée à extirper l'hérésie de Ifriqiya Cette armée marcha d'abord sur Kairouan, d'où elle chassa Ibn Rostem (761). Le nouveau gouverneur, Ibn el Achath, poursuivit sa tâche et réussit assez vite à faire disparaître au moins en apparence, les Kharidjites de Ifriqiya. Un de ses successeurs voulut rétablir l'orthodoxie dans le Maghreb, mais, dans le Zab, il se trouva encerclé par les Kharidjites, dont il ne puit empêcher une partie de venir assiéger Kairouan et même de l'occuper un certain temps.
       Parmi les Kharidjites ligués contre lui se trouvait Ibn Rostem, qui, après sa fuite de Kairouan en 761, avait fondé, près de Tiaret, la ville de Tahert, et organisé dans la région un Etat indépendant.
       Cet Etat, dont le fondateur avait entendu restaurer la doctrine primitive, était gouverné par un Imam, un " directeur de la prière ". Son pouvoir est fondé uniquement sur ce titre, qui lui confère une autorité absolue, mais à condition que ses décisions soient toujours conformes au Coran et aux traditions. De ce fait, il est soumis à l'autorité morale, mais effective, de la caste religieuse locale, qui s'est peu à peu constituée, et à celle des autres communautés abadhites existant dans le monde musulman. En cas de dissentiment entre l'Imam et cette caste, dissentiment dont les conséquences peuvent être fort graves, puisqu'il s'agit toujours, étant donné la forme du gouvernement, d'une question intéressant la religion, on fait trancher la difficulté par une communauté de l'extérieur, par les Abadhites d'Orient.

       A la vérité, le Principe plébiscitaire n'était pas entièrement respecté : les Imams de Tahert, élus conformément aux principes, appartenaient toujours à la même famille. Mais c'est, semble-t-il, la seule entorse donnée à la pure doctrine. La rigidité des moeurs dans l'Etat de Tahert fait l'étonnement d'une ambassade des Abadhites de Bassora, qui se voit refuser des cadeaux précieux ; peut-être ne faut-il voir dans cette anecdote qu'une légende : elle serait une nouvelle preuve du fréquent désir des " hérétiques " de marquer la différence entre leur vie simple et le luxe déployé par les " orthodoxes " (en l'espèce les Aghlabides de Kairouan).
       Cette simplicité de vie n'empêcha pas les gens de Tahert de s'adonner à l'étude des sciences religieuses ou profanes. Parmi celles-ci l'astronomie paraît avoir été particulièrement en honneur.
       Elle n'empêcha pas non plus une vie commerciale et agricole assez développée. A côté des théologiens, des " laïcs " donnent à l'Etat une prospérité matérielle indéniable. De par sa situation, Tahert est en relation avec les sédentaires du Nord comme avec les nomades du désert, et elle intervient fructueusement dans le trafic qui s'établit entre eux par son intermédiaire. Des Abadhites orientaux viennent s'y établir et y introduisent un certain luxe.
       L'Etat de Tahert n'a pas laissé de traces matérielles de son existence. Il paraît cependant avoir vécu plus paisiblement que l'autre royaume de l'Algérie kharidjite, fondé à Tlemcen par Abou Qorra, et assez mal connu. Ni l'un ni l'autre, d'ailleurs, ne saurait être comparé aux puissants royaumes des Idrissides de Fez et des Aghlabides de Kairouan, qui donnèrent à l'Islam en Afrique du Nord un éclat incomparable au IXème siècle.

III
L'État Hammadite (Xème- XIIème siècles)

        Les hérésies jointes aux ambitions personnelles continuaient à ébranler l'Islam en le morcelant. Tahert, née du Kharidjisme, périt par le Chiisme.
       La Chia légitimiste du quatrième Khalife, Mi, appelait au pouvoir ses descendants, les Fatimides. Les Chiites vivaient dans l'espoir d'un Mahdi et se livraient en sa faveur à une ardente propagande. Un de leurs émissaires, Abou Abdallah, crut discerner les instruments de Dieu dans les Kotamas, montagnards de la Petite Kabylie. De fait, ceux-ci réussirent à prendre Kairouan, Tahert (909) et à ramener à Kairouan un Mahdi Fatimide, alors prisonnier chez un prince kharidjite du Tafilalet.
       Ce fut l'origine de nouvelles luttes. Les Algériens furent englobés dans la rivalité entre les Omeyyades de Cordoue et les Fatimides de Kairouan, et se divisèrent pour suivre le parti de ceux-ci ou de ceux-là. Aux Kotamas Chiites se joignirent les Sanhadja, sédentaires de l'actuel département d'Alger, s'étendant jusqu'au Hodna, qui se rallièrent aux Fatimides ; leur principal ennemi était le bloc des Zenâta, nomades ayant leurs terrains de parcours plus à l'ouest et au sud, fidèles aux Omeyyades Les Sanhadja, et au premier rang les Beni Ziri, l'emportèrent.
       Les Beni Ziri s'occupèrent alors de faire régner la sécurité sur leur territoire. Ils y arrivèrent en bâtissant des forteresses, dont la principale, Achir, dans les Monts du Tittery, devint leur capitale.
       Ils restèrent fidèles aux Fatimides et allèrent les soutenir en Ifriqiya. Les nouveaux maîtres de Kairouan n'avaient pas tardé, pour subvenir aux besoins de la guerre, à lever des impôts non coraniques. D'où leur impopularité, qui trouvait un autre aliment dans le ressentiment des Kharidjites et des Malékites. Une révolte se produisit chez les Berbères, menée par Abou Yazid, l'homme à la chèvre, qui, ayant étudié à Tahert, rêvait de chasser les Fatimides et d'établir un régime théocratique. Il en résulta une crise grave qui dura de 943 à 947. Abou Yazid, marcha sur Kairouan, puis sur Mahdiya, port construit sur la côte tunisienne où se réfugièrent les Fatimides. Les Beni Ziri délivrèrent la ville, poursuivirent Abou Yazid, et le prirent dans les hauteurs dominant le Hodna.

       Le projet des Fatimides était de répandre le Chiisme en Orient, et d'abord en Egypte. Après un premier échec, ils reprirent leur dessein. Pour assurer leur liberté de mouvement, ils confièrent Ifriqiya à Bologguin, fils de Ziri. Tout en tenant leur place, celui-ci devait continuer la lutte contre les Zenata. Tâche écrasante, que son fils désespéra de mener à bien : à son tour, usant du même procédé que les Fatimides, il abandonna une partie de son territoire, le Maghreb central, à son oncle Hammad, avec mission de contenir les Zenata, lui-même s'installant à Kairouan.
       Hammad ne tarda pas à vouloir se rendre indépendant. Il fonda dans les hauteurs du Hodna la Qala des Beni Ziri, qui, à l'origine simple forteresse, se développa et devint une véritable capitale. En 1017, après une guerre, le sultan de Kairouan dut reconnaître l'indépendance de l'Etat Hammadite.
       La Qala, peuplée d'abord grâce à des déportations en masse, connut une grande prospérité. Cette prospérité, certaine et brillante, mais éphémère, lui vint en partie de ce qui devait causer sa ruine et celle de l'Algérie : l'invasion des Arabes hilaliens. Les Sanhadja de Kairouan, dont les convictions chiites étaient devenues assez tièdes, n'avaient pas tardé à rompre avec le Fatimide d'Egypte. Occupé de ses projets orientaux, celui-ci lança contre eux les nomades hilaliens, alors cantonnés dans la Haute-Egypte. Le sultan de Kairouan les accueillit d'abord favorablement, mais ils ne tardèrent pas à être les maîtres. Les Beni Ziri durent abandonner Kairouan, pour se retirer, comme avant eux les Fatimides, à Mahdiya.

       La ruine de Kairouan profita d'abord à la Qala. Hammadite. Un flot d'émigrés vint augmenter sa population. Il en arriva même d'Egypte et de Syrie, du Hedjaz, et de l'Irak L'Emir En Nacir pu ainsi faire de la Qala une capitale, avec des monuments très importants (Palais du Fanal, Palais de la Mer), aussi remarquables par leurs proportions architecturales, que par leur décoration.
       Mais l'invasion hilalienne continuait : sans cesse de nouvelles tribus arrivaient, et les nomades poussaient de l'avant, détruisant tout sur leur passage : à leur tour, les Hammadites durent céder la place, ou tout au moins chercher un refuge sur la côte. En 1090, El Mançour se réfugia à Bougie. Il n'était pas, à vrai dire, complètement chassé de la Qala, et, pendant un certain temps, les Hammadites eurent deux capitales.
       Ils firent de Bougie une ville florissante. Sous la pression des circonstances, ces terriens se tournent vers la mer.

       Ils encouragent d'abord le commerce, particulièrement avec l'Orient. Des chantiers de construction bâtissent des galères rapides et des bâtiments de transport. Le commerce de Bougie s'étend avec l'Europe : ses souverains établissent des relations diplomatiques même avec le Pape. Mais, dans la Méditerranée, ils se rencontrent avec les Normands ; et leurs rapports avec eux ne tardent pas à devenir hostiles. Le vieil atavisme guerrier finit par reprendre le dessus : ils se livrent à la piraterie. Du moins, d'après les chroniques, la Bougie hammadite rappelait-elle les splendeurs de la Qala. Il n'en reste plus trace aujourd'hui.
       La grandeur des deux villes hammadites, puis leur décadence, eurent pour cause directe, on le voit, l'invasion des Arabes hilaliens. Cette invasion représente le plus important apport de sang arabe dans l'Afrique du Nord. On a calculé qu'il est venu environ un million de ces nomades. La façon dont ils s'établirent dans le pays a eu plus d'influence que leur nombre.

       Bien qu'agitée et déchirée encore par des guerres, l'Afrique du Nord, aux IXème, Xème et XIème siècles, avait connu une civilisation sinon originale (les influences orientales sont très nettes), du moins assez développée et florissante : un dernier reflet de la prospérité romaine illustrait le pays. Avec les Hilaliens, le tableau change et s'assombrit. Parlant des Hilaliens, Ibn Khaldoun a écrit : " Tout pays, conquis par les Arabes est ruiné. "La future Tunisie, envahie la première, fut effectivement ruinée, et l'Algérie orientale eut le même sort.

       Avant l'arrivée des Hilaliens, les souverains de l'Afrique du Nord semblent avoir éprouvé des difficultés toujours croissantes à recruter les guerriers nécessaires pour faire reconnaître leur autorité dans les pays qui leur étaient en principe soumis, et pour se défendre contre leurs voisins. Les nomades fournissaient des contingents tout disposés à se battre. Dans bien des cas, ils intervinrent donc à la demande des Berbères. Mais les Fatimides, en les lançant sur Ifriqiya, leur avaient concédé, suivant l'usage, la propriété des territoires qu'ils viendraient à conquérir. Par la suite, en se mettant au service de tel ou tel chef ou prince, les Hilaliens acquirent des avantages comparables à ceux des " tribus maghzen " des époques récentes : mariages entre les familles de leurs chefs et celles des roitelets secourus, surtout concessions de terres ou de revenus spéciaux, sous des formes variables, mais voisines des usages féodaux. Ces avantages ne purent leur être acquis qu'au détriment des populations anciennes. L'insécurité, l'instabilité revinrent plus que jamais à l'ordre du jour : l'agriculture disparut, ainsi que le commerce normal.

       L'invasion hilalienne ouvrit une période de désordres et de combats. Car, en même temps que la ruine de Kairouan, puis de la Qala, elle produisit un reflux des nomades Zenata, qui commença la dévastation. L'Ifriqiya ne s'en releva pas. Le Maghreb central ne connut plus d'Etat indépendant pendant de longues années. Le flambeau de la civilisation passa, avec la puissance politique, aux dynasties occidentales des Almoravides et des Almohades.

IV
Le Royaume de Tlemcen
(XIVème- XVème siècles)

        Les dynasties almoravide et almohade, qui ont brillé surtout en Espagne et au Maroc, et laissé des traces imposantes sur la terre algérienne, doivent, elles aussi, leur naissance à une idée religieuse.
       Les futurs Almoravides, Sanhadja nomades du désert, commencèrent par lutter contre les païens du Sahara. Ayant découvert, au cours d'un pèlerinage à la Mecque, qu'ils ne connaissaient pas suffisamment la doctrine de l'Islam, certains de leurs chefs demandèrent un réformateur, qui fut Ibn Yasin. Celui-ci instaura un système comprenant, d'une part, la soumission à l'élément religieux, d'autre part, la vie dans des casernes (ribat, d'où le nom de morabitoun et, par corruption, almoravides) et un dévouement absolu au triomphe de l'Islam.

       Ils se développèrent d'abord au Maroc, combattant les Zenata Maghraoua alors maîtres de Fez. Dans la seconde moitié du XIème siècle, Ibn Tachfin, d'ailleurs très soumis à l'élément religieux, se rendit maître de Tlemcen, puis d'Oran, de Ténès, de l'Ouarensenis et finalement d'Alger (1082). Appelé en Espagne deux ans plus tard par le sultan de Séville, il réduisit les Espagnols à l'impuissance au bout de quatre expéditions, mais il resta dans le pays et prit la place des princes qui l'avaient appelé.
       La brillante civilisation des Almoravides resta fidèle à ses origines sur un point au moins, le sentiment religieux très développé. Ibn Tachfin lui-même fit construire des mosquées notamment à Nedroma et à Alger. Son successeur créa la grande mosquée de Tlemcen, que le temps a respecté presque entièrement, et amorça le développement de la ville.
       Les Almoravides étaient malékites, ce qui provoqua la réaction des Almohades. Leur premier chef, le Berbère Ibn Toumert, jeta les bases de son système à Tinmel, dans les chaînes occidentales de l'Atlas marocain (entre Marrakech et Taroudant). Il entendait organiser le monde musulman d'après les principes largement interprétés du Coran et de la tradition. Une des caractéristiques est l'emploi du berbère comme langue religieuse.

       L'empreinte religieuse primitive persista chez les Almohades ; mais elle fut par la suite une cause de difficultés intérieures : les cheikhs dépositaires de la pensée d'Ibn Toumert s'opposèrent au chef militaire et politique. Ces difficultés n'empêchèrent cependant pas le premier successeur d'Ibn Toumert, Abd el Moumin, de fonder l'empire des Almohades.
       En peu d'années, tout en combattant au Maroc et en Espagne, Abd el Moumin se rendit maître du Maghreb central. Appelé d'abord par un clan Zenata (les Ouamamou) en lutte contre le gouverneur almoravide, il battit celui-ci près de Tlemcen et occupa Oran (1145). Sept ans plus tard il s'empara de Bougie, les Hammadites n'ayant pu tenir la campagne et leur armée ayant pris la fuite à la simple vue de son avant-garde. Au retour, il fut attaqué par les Hilaliens qui, malgré leur supériorité numérique, se dispersèrent au matin du quatrième jour de bataille. En 1158 une nouvelle campagne donnait Ifriqiya à Abd el Moumin.
       L'Algérie reçut une véritable organisation administrative. Divisée en deux provinces ayant pour villes principales l'une Bougie et l'autre Tlemcen, elle fut soumise au système financier des Almohades. Pour subvenir aux besoins de la guerre, ceux-ci ne purent se contenter des impôts coraniques et du butin : ils perçurent l'impôt foncier (kharadj) et organisèrent à cet effet un système d'arpentage. Le maintien de l'autorité était confié à des tribus, qui, suivant l'usage implanté dans le pays, eurent les charges et les avantages des tribus maghzen. Ce furent les Zenata Beni Abd el Ouad à Tlemcen, une tribu arabe à Bougie.

       On connaît la fortune des Almohades en Espagne et au Maroc. L'Algérie fut quelque peu laissée de côté : l'empire était trop vaste. Dès 1184, les deux frères Mi et Yahya Beni Ghaniya, apparentés aux anciens émirs almoravides, entamèrent la lutte dans la région de Bougie. Après avoir pillé la Berbérie, ils se jetèrent sur Tunis, et, quand ils en furent chassés, continuèrent à ravager notamment la vallée du Chélif, la région d'Alger, le Sahel, et les environs de Bougie. La disparition des frères Beni Ghaniya ne ramena pas le calme en Algérie : les faiblesses de l'empire almohade subsistaient. Elles aboutirent à la division de l'Afrique du Nord. Suivant l'expédient ordinaire, les Almohades commencèrent par confier Ifriqiya, avec pleins pouvoirs, aux Beni Hafç, descendants d'un des compagnons d'Ibn Toumert, qui se proclamèrent indépendants dans Tunis. Leur Etat engloba sur le territoire algérien Bougie et Constantine. Au Maroc se constitua le royaume des Beni Merin (Zenata nomades du désert). Entre les deux, les Beni Abd el Ouad de Tlemcen cherchèrent eux aussi à assurer leur indépendance.

       Le royaume de Tlemcen mena une existence agitée entre ses deux voisins qui, l'un et l'autre, revendiquaient son territoire en souvenir de la puissance almohade. De plus, l'émir de Tlemcen et le souverain mérinide du Maroc sont tous deux des Zenata : ils ont hérité de vieilles querelles datant de l'époque où les ancêtres vivaient au désert.

       Yaghmorasan Ben Zaïan, le premier émir de Tlemcen, est vassal des Mérinides. Il est attaqué par les Beni Hafç, qui envoient une armée sous Tlemcen. En même temps il est menacé par le Marocain. Toute son existence et celle de ses successeurs va se passer à contenir le voisin de l'ouest et à chercher l'extension du territoire vers l'est, vers le Chélif et Bougie. Programme tellement difficile qu'il pousse les descendants de Yaghmorasan aux expédients politiques les plus surprenants : l'un d'eux va jusqu'à conclure une alliance avec le roi musulman de Grenade et avec le roi chrétien de Castille, acceptant le rôle ingrat d'écarter les Mérinides de l'Espagne par des diversions sur leur frontière orientale.
       A ce jeu, les descendants de Yaghmorasan ne connaissent guère l'indépendance. Ils sont parfois vassaux du Mérinide ou du Hafçide, parfois même chassés de leur domaine; leur ville est fréquemment assiégée; leur palais est une forteresse : le Méchouar. A ces sièges souvent prolongés, Tlemcen gagne d'être agrandie. Les Marocains installent leur camp aux environs, et ce camp devient une ville, Tlemcen-la-Neuve, Mançourah. Les deux souverains rivalisent de luxe chacun pour sa ville.

        Il se présente parfois des chances favorables. La grande chevauchée d'Abd el Moumin, fondateur de la dynastie almohade, a laissé des souvenirs chez les Mérinides du Maroc : en 1347, l'un d'eux, Aboul Hassan, se lance sur les tracés glorieuses du successeur d'Ibn Toumert et rêve de soumettre toute l'Afrique du Nord. Il atteint effectivement Ifriqiya, mais il est battu près de Kairouan (1348). Le prétendant Beni Abd el Ouad rentre à Tlemcen. Aussitôt il reprend la politique traditionnelle d'hostilités à l'ouest et à l'est, et ne réussit pas mieux que ses prédécesseurs.
       Ce n'est qu'un exemple. La vie du royaume de Tlemcen n'est politiquement qu'une succession de coups d'Etat, de fortunes subites et de revers soudains. Les prétendants de tout ordre se disputent la ville, pour le plus grand profit des Hilaliens, qui restent toujours les hommes de main et se trouvent être les instruments ordinaires et les principaux bénéficiaires des restaurations successives.
       Malgré toutes ces traverses, Tlemcen trouva le moyen de devenir une cité commerciale et industrielle florissante, en même temps qu'un centre d'études très vivant. Le développement de son commerce est dû à sa situation comme point de transit avec le pays des noirs, d'où elle recevait de l'ivoire, de l'or, des esclaves, qu'elle échangeait avec des objets fabriqués, surtout des armes, et contre des chevaux. Son industrie était limitée aux tissus, mais ces tissus étaient réputés. Les bourgeois de la ville étaient riches et le trésor du souverain participait à cette richesse. Les fêtes égayaient le Méchouar. Les monuments ornaient la ville. Il en reste des traces, moins nombreuses que celles qu'ont laissées les Mérinides à Mansourah, mais suffisantes pour donner une idée de l'art tlemcenien, fortement influencé, d'ailleurs, par l'art andalou. Les médersas de Tlemcen abritaient de nombreux étudiants, dont les études théologiques étaient teintées de mysticisme : le plus fameux de ces ascètes, Sidi Mou Medyen, a sa sépulture tout près de la ville, à El Eubbad.

V
La Domination Turque

       L'éclat d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie. Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre africaine.

        L'éclat d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie. Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre africaine.
       Dans les premières années du XVIème siècle, les Espagnols occupent Mers el Kébir (1505), Oran (1509). Bougie (1510) et obligent les villes de la côte à envoyer en Espagne des émissaires qui se soumettent au tribut. C'est le cas de Ténès, de Mostaganem, de Cherchell, de Dellys. Alger, ville alors autonome, se laisse même imposer l'humiliation d'une garnison sur l'îlot (alors séparé de la terre ferme) sur lequel s'élève le Penon et où s'installe une garnison espagnole.

       Si précaire que fût la vie de cette garnison, suspendue aux relations par mer avec la métropole, les Algérois étaient incapables de la chasser. La puissance turque, qui s'était élevée sur les ruines de la dynastie abbasside, s'étendait alors sur la péninsule balkanique, l'Asie occidentale, l'Egypte. Cependant les Algérois ne s'adressèrent pas à elle pour obtenir des secours. Ils demandèrent ceux des frères Barberousse.

       Ces quatre frères, dont deux seulement, Arroudj et Khayr ed Din, appartiennent à l'histoire, étaient des aventuriers. Fils d'un potier de Metelin (Mytilène), ils devaient leur richesse et leur renommée à la piraterie, qu'ils avaient exercée d'abord, avec des alternatives de succès et de revers, en Méditerranée orientale, puis, avec un plein succès, en Méditerranée occidentale.

       L'aîné, Arroudj, fut appelé d'abord par un prince de la dynastie hafside, pour reconquérir Bougie. Il échoua une première fois en 1512 et une seconde fois peu après. Mais l'époque était favorable aux aventuriers. Arroudj fit triompher un prétendant en Kabylie, et, avec les 5.000 hommes que lui fournit son obligé, et qui vinrent renforcer ses compagnons, il entra dans Cherchell, puis dans Alger.
       Là se posait toujours la question du Penon. Arroudj, n'ayant pu la résoudre immédiatement, fut menacé par une grave révolte, qu'il mata énergiquement. Les Espagnols envoyèrent une nouvelle expédition qui échoua complètement. Mais l'événement avait montré les hésitations du sultan de Ténès, et du Beni Abd el Ouad de Tlemcen : après avoir soumis dans sa marche Médéa et 1Vâliana, Arroudj les battit l'un et l'autre, et s'installa à leur place. Il fut assiégé sans succès par les Espagnols dans Tlemcen et mourut. Mais son domaine était singulièrement étendu.

       Khayr ed Din Barberousse, son frère, qu'il avait laissé dans Alger, consolida définitivement sa puissance par un acte politique adroit et par la prise du Penon. Il se reconnut le vassal de la Porte, qui lui envoya 2.000 janissaires et permit à 4.000 volontaires turcs de le rejoindre. Quant au Penon, après l'avoir enlevé, il réunit l'îlot à la terre ferme par une digue, donnant ainsi à Alger un port étroit mais sûr. Il quitta Alger pour aller mourir à Constantinople (1546). Il avait désigné comme son successeur Hassan Agha, avec le titre de beylerbey (émir des émirs)
       Toute la puissance d'Alger à sa belle époque reposait sur la milice des janissaires, toute sa richesse sur les corsaires. Ces conditions suffisent à expliquer que le gouvernement n'ait jamais pu être fort. La guerre sainte, qui était son principe le plus ferme, ne fut qu'un prétexte à des exactions : à l'extérieur par la course ; à l'intérieur par une administration purement fiscale. Le jour où la décadence de la course et de la milice des janissaires fit disparaître le prétexte même, l'Alger turque ne pu plus se maintenir et son pouvoir ne fut plus considéré que comme de l'oppression.

       Le moyen de gouvernement de Barberousse et des beylerbeys ses successeurs était la milice (odjaq) des janissaires. C'était une troupe turbulente et bien recrutée à l'origine ; tous les grades étaient acquis à l'ancienneté, y compris celui du chef suprême (Agha), qui ne restait en fonction que deux mois, La plupart des janissaires vivaient dans les casernes ; ils ne se livraient à aucun exercice militaire, leur emploi du temps étant réglé par années (un an en garnison, un an en colonnes pour aider à la collecte de l'impôt, un an de repos). Ils étaient administrés par un divan, et leurs chefs réussirent à s'introduire dans le grand divan, conseil administratif du beylerbey, avec voix consultative d'abord, puis en prenant une part grandissante au gouvernement.
       Barberousse lui-même avait eu à se défendre contre leurs empiètements. Ses successeurs, dont le pouvoir était accru par le fait même de leur éloignement de Constantinople et par l'autorité qu'ils avaient à titre de beylerbeys d'Afrique sur les pachas de Tunisie et de Tripoli, furent dans le même cas. L'un d'eux imagina de former une garde indigène qui fût mieux dans sa main. Ce fait donna lieu au dernier acte effectif de souveraineté de Constantinople, qui, en 1587, remplaça le beylerbey par un pacha nommé pour trois ans, et n'ayant plus autorité sur ses collègues de Tunis et de Tripoli.
       A cette époque, la course était florissante, et, encouragée par les pachas, qui y trouvaient un bénéfice personnel en même temps que celui du trésor et de la ville, elle prenait une extension toujours croissante. Dès le milieu du XVIème siècle, ce fait avait inquiété l'Espagne. Mais la grande expédition de Charles-Quint en 1541, contrariée par la mer, se termina en désastre, et une nouvelle tentative en 1567 n'eut pas un meilleur sort. Le renom d'invincibilité d'Alger commença à s'établir, encore favorisé par la politique française, conciliante et pacifique à l'égard des Musulmans. Cette politique ne fut pas sans résultats locaux : un consul installé par Henri III obtenait des " concessions " (droit d'établissement dans certains ports) et des privilèges (pêche du corail).

       Mais les Algériens ne restèrent pas fidèles aux conventions. Les Provençaux, exposés à leurs coups, se défen­daient, et leur politique particulière ne correspondait pas à la politique royale. L'instabilité des musulmans et les fluctuations des puissances européennes permirent à la course de devenir vers 1620 un véritable fléau. L'Europe n'arrivait pas à une action concertée : en 1622, les Anglais bombardaient Alger ; mais, vers la même époque, un Français, Sanson Napollon, fut sur le point d'obtenir par des négociations l'établissement de relations acceptables entre son pays et Alger. Rien n'y fit, et, vers 1650, on comptait dans Alger environ 30.000 captifs chrétiens enlevés par les Corsaires. Un nouveau bombardement anglais en 1655 restait sans effet.

                         Alger au XVIIIème siècle.

       Alger s'enrichissait. Cette richesse même devait faire sa ruine. La corporation des patrons corsaires, sur qui reposait cette prospérité, était en rivalité avec les janissaires ; rivalité armée qui dégénérait en émeutes fréquentes. En 1659, la milice l'emporta, et le pacha, réduit à un rôle purement honorifique, fut remplacé en fait, à la tête du gouvernement par l'Agha, chef des janissaires. Caricature de gouvernement : les pouvoirs de l'Agha ne duraient théoriquement que deux mois ; dans la pratique, c'était encore pire : tous furent successivement assassinés. La faction des patrons corsaires l'emporta en 1671 et confia le gouvernement à un dey (oncle) nommé à vie : les quatre premiers furent des marins.
       Mais le beau temps était passé. Ces révolutions affaiblissaient Alger. De plus, sans qu'une action concertée des puissances européennes se produisît, Français et Anglais bombardaient la ville, ceux-ci en 1672, ceux-là en 1683 sous Duquesne, puis en 1688, sous d'Estrées. Chacune de ces opérations en elle-même n'obtenait pas le résultat décisif ; dans l'ensemble, et combinées avec des croisières fréquentes, elles arrivèrent à diminuer notablement l'importance de la course. Dès le XVIIIème siècle, le nombre des captifs dans Alger tombait à 2.000.

       En même temps, le recrutement des Corsaires, comme celui des janissaires, se faisait plus difficile. Les éléments nouveaux étaient médiocres. Dans cette décadence générale la milice conserva son importance avec sa turbulence; la moitié des Deys furent assassinés, les janissaires, comme les prétoriens de la fin de l'Empire romain, cherchant à percevoir le plus souvent possible le don de joyeux avènement.
       A ce régime incroyable, Alger ne pouvait retrouver sa splendeur. Une tentative de débarquement espagnol échouait encore dans la seconde moitié du XVIIIème siècle ; les petites puissances comme Naples, la Suède, le Danemark, la Hollande, se soumettaient bien à l'humiliation d'acheter la sécurité de leurs vaisseaux ; mais les grandes assuraient par la force celle des leurs.
       Au début du XIXème siècle, il ne restait plus dans Alger que 1.200 captifs, dont, en 1816, la plus grande partie dut être libérée à la suite d'une démarche énergique de lord Exmouth exigeant, au nom des puissances, abolition de l'esclavage.
       Le gouvernement du Dey subsista, tel qu'il avait été organisé en principe en 1671, jusqu'en 1830. Les pouvoirs du Dey désigné par la milice sont absolus, et, en fait, il est indépendant de Constantinople, qui lui envoie tous les deux ou trois ans un caftan d'honneur. Il est assisté de son " divan " comprenant les cinq " puissances " ou ministres.
       L'organisation des provinces de la régence parait rationnelle en principe. Le territoire est réparti entre la province Alger, dépendant directement du Dey, et les trois beyliks de l'Ouest (Oran, après la reprise sur les Espagnols en 1792), du Tittery (Médéa), et de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en outan à la tête desquels se trouve un Caïd turc et qui comprennent des douars, dirigés par les Cheikhs et groupés en tribus. Désignes par le Dey, les beys sont à peu près indépendants ; pour se faire obéir, ils disposent, suivant l'antique usage en Afrique du Nord, de tribus privilégiées qui, en échange des services qu'elles rendent, sont exemptes des impôts non coraniques, auxquelles restent soumises les autres. Des colonnes de janissaires, en cas de besoin, participent à la perception des contributions.

       Dans la pratique cette organisation ne donne pas grand-chose. L'autorité du Dey est bafouée jusque dans la Mitidja. Il n'est même pas en sécurité dans Alger, et, au début du 19ème siècle, il doit abandonner son palais situé dans la principale rue, pour se réfugier à la Casbah. En Kabylie, seule une politique adroite fondée sur une parfaite connaissance des rivalités locales permet aux Turcs de se maintenir. En dépit des procédés brutaux qui sont employés des janissaires et les tribus Maghzen " mangent " les tribus récalcitrantes), l'argent rentre mal ; comme la course ne donne plus, le trésor s'appauvrit et ne vit que grâce aux emprunts consentis par des négociants-banquiers comme les Bacri et les Busnach : de là des compromissions d'où naîtra, en somme, l'expédition française de 1830.
       L'administration turque ne répara pas les dégâts causés en Algérie par l'invasion hilalienne et les luttes incessantes qui suivirent ; la prospérité, puis la décadence d'Alger ne touchèrent en rien Berbères et Arabes. Seulement, la commune oppression atténua les divergences entre les deux races et provoqua une fusion, en certains cas, assez intime. Mais, en dépit d'un gouvernement réputé unique (et en fait divisé), il ne se constitua pas une âme algérienne. Ce qui subsista, ce fut l'islamisme. Toute prospérité, toute civilisation vivante, a disparu. Il ne reste que des aspirations religieuses mal définies, incapables de produire une évolution vers le progrès, mais douées d'une considérable force de résistance. Les anciens cadres locaux ont disparu, au profit de la classe religieuse des Marabouts.



A SUIVRE

NOS BUVARDS D'ANTAN
Envoyé par M. Jean Pierre PEYRAT


Source : collection personnelle de M. Paul Rost de Constantine.



La pensée du jour.....
Envoyé Par Chamaloo

          Maître Kong a dit :
          Si tu choisis l'incinération, sache que ce sera ta dernière cuite...
          Tandis qu'enterré, tu auras toujours une chance d'avoir un petit ver dans le "nez"



NOTES
Bulletin de l'Algérie
N° 6, février 1856

VARIÉTÉS.

Création de trois centres de population.

       - Sur le rapport du ministre de la guerre, en vertu d'un décret impérial du 23 décembre 1855, il est créé dans la province d'Oran, sur la route d'Oran à Tlemcen, au lieu dit Aïn-Kial, un centre de population de soixante-huit feux, qui prendra le nom d'Aïn-Kial.
       Un territoire agricole de 3,135hectares 95 ares 60 centiares est affecté à ce centre de population.
       Par un deuxième décret du 15 janvier 1856, il est créé dans l'arrondissement de Constantine, à 15 kilomètres de cette ville, sur la route de Philippeville, au lieu dit El Hadjar, un centre de population de vingt feux, qui prendra le nom de Bizot.
       Un territoire agricole de 464 hectares 95 ares 54 centiares est affecté à ce centre de population.
       Par un troisième décret, aussi sous la date du 15 janvier, il est créé dans la subdivision d'Oran, sur la route d'Oran à Tlemcen, au lieu dit Bou-Rehach, un centre de population de soixante-dix feux, qui prendra le nom de Lourmel.
       Un territoire agricole de 3,684 hectares est affecté à ce centre de population.

De la pèche de la sangsue.

       - La plupart des marais de l'Algérie renferment des sangsues en quantités considérables. Convenablement exploitées, ces ressources constitueraient une branche permanente et très lucrative de l'industrie coloniale, en même temps qu'elles permettraient à la France de s'affranchir du tribut important qu'elle paie chaque année pour ses approvisionnements à l'étranger.
       Malheureusement les indigènes sont presque les seuls qui se livrent à la pêche de ces annélides, et n'y apportent guère le discernement et les soins qu'elle réclame; il en résulte que le dépeuplement arrive peu à peu. Comme cause principale de cette situation, ou peut citer la méthode vicieuse de recueillir indistinctement toutes les sangsues, grosses ou petites, et de les porter ensemble sur les marchés, au lieu de restituer à leur élément celles qui sont impropres à l'usage médical, ainsi que cela se pratique en Hongrie et dans les autres pays producteurs.
       Cet état de choses a attiré l'attention de l'administration supérieure, qui vient de prescrire l'étude d'un règlement à établir en vue de régulariser l'hirudiculture en Algérie. (La Colonisation.)

Faits divers.

       - Le ministre de la guerre vient d'acheter treize béliers mérinos provenant du troupeau de Rambouillet, pour contribuer à l'amélioration de la race ovine en Algérie. On élit que ces treize béliers représentent une valeur considérable, et qu'ils doivent être expédiés sur Laghouat, où il existe, comme on sait, un magnifique troupeau dont la création est due à la sollicitude de M. le gouverneur général.
       La question de l'amélioration rie la race ovine en Algérie prend chaque jour plus d'importance, L'achat et l'envoi de ces treize béliers attestent le vif intérêt que M. le ministre de la guerre attache à cette question.
       - Le Bulletin des Lois publie un décret en date du 5 décembre qui, attendu que les circonstances qui s'opposaient à l'installation à la Guyane des individus susceptibles d'y être envoyés n'existent plus, et considérant, d'un autre côté, qu'il importe de laisser à l'autorité toute latitude pour continuer à diriger sur l'Algérie, en cas de nécessité, les individus qui ne pourraient être transportés à la Guyane, abroge les dispositions du décret du 23 décembre 1853 qui ont suspendu la transportation à la Guyane.
       La section disciplinaire de l'établissement de Lambessa, en Algérie, est maintenue et continuera de recevoir les individus qui ne pourront être transportés à la Guyane.
       - Une correspondance parisienne, adressée à l'Indépendance belge, annonce qu'on vient de prendre, en Algérie, une excellente mesure.
       Les Arabes condamnés à la prison subissaient leur peine dans les prisons de la France, oit la rigueur du climat aggravait, et parfois mortellement, la rigueur de la pénalité. On vient de construire pour eux une maison spéciale en Algérie, dans la Mitidja, sur les bords de l'Harasch.
       - Nous apprenons que la compagnie des messageries impériales prépare un service de deux départs par semaine entre Marseille et Alger, et que de grandes améliorations auront lieu dans le service des correspondances entre Alger et Oran, et entre Alger et Bône. La compagnie attend, pour exécuter ce projet, l'arrivée de quelques bâtiments achetés par elle à l'étranger, et la mise à l'eau de ceux qui sont sur le chantier.
       Ce sont là d'excellentes nouvelles pour le commerce, pour l'industrie et pour l'agriculture. Nous voyons avec plaisir se multiplier nos communications avec la France et les ports du littoral. La compagnie des messageries impériales, en contribuant, comme elle l'a fait, à réaliser cos progrès, mérite bien de l'Algérie.
       - On écrit de Mogador (Maroc) :
       Le délai d'une année accordé par le gouvernement marocain pour l'exploitation des huiles étant expiré, les négociants de Mogador avaient adressé à l'empereur Abder-Raman une demande à l'effet d'obtenir de nouveau l'autorisation d'exporter cette denrée.
       Le sultan a accueilli cette demande, et la sortie des huiles est, en conséquence, permise pendant une nouvelle période d'un an, à partir du 19 octobre dernier.
       - M. le ministre de la guerre vient de mettre à la disposition de la Société de géographie la subvention qu'il a bien voulu lui accorder pour accroitre le prix institué par cette société savante en faveur du voyageur qui aura réussi à pénétrer du Sénégal en Algérie, en passant par la ville de Tombouctou.

Tombeau de la Chrétienne.

       - Il existe sur notre littoral de l'ouest, entre Tipasa et Bou-Ismaël, sur un point culminant du Sahel, un majestueux monument, véritable montagne de pierre du plus haut appareil, dans laquelle l'œil curieux d'aucun antiquaire n'a pu pénétrer jusqu'ici. C'est la sépulture des rois de Mauritanie, dit le géographe Pomponius Mela, qui écrivait vers l'an 43 après J.-C. On le connaît aujourd'hui sous le nom de Tombeau de la Chrétienne, et aussi de Tombeau de la Reine. Cet édifice octogone, à colonnade d'ordre ionique, surmonté d'un cône tronqué à gradins, présente une hauteur de quarante-deux mètres soixante centimètres sur soixante mètres de base. Ce qu'il peut recéler à l'intérieur est un mystère pour nous depuis un quart de siècle, et l'a peut-être été également pour les Turcs et pour les Arabes. M. le gouverneur général a décidé récemment que des recherches seraient commencées dans le Tombeau de la Chrétienne, et il a chargé M. Berbrugger de diriger cette opération. Nous apprenons que notre conservateur, parti depuis le 25 du mois dernier pour cette destination, est de retour en Algérie. On saura sans doute bientôt quels résultats ont été obtenus dans ces premières investigations
       (Akhbar.)
       Dans un prochain numéro du Bulletin de l'Algérie nous publierons, sous forme de notes, sur le Tombeau de la Chrétienne, un travail qui nous a été adressé par M. le baron Henri Aucapitaine.
       (Note du Rédacteur.)

Un jugement arabe. - La femme à deux maris..

       - Une Mauresque, des environs de… avait à la fois pour maris deux Arabes. Cette digne fille d'Eve avait su, d'ailleurs, si bien prendre ses mesures, que nul ne se doutait du manége, les deux Arabes moins que tous autres. Elle recevait l'un pendant le jour, l'autre pendant la nuit.
       Bientôt cependant elle devint enceinte et mit au monde en enfant mâle. Grand embarras !
       Les deux pauvres maris se rencontrèrent ; force fut à la femme d'avouer sa faute. Tout s'arrangea pourtant sans effusion de sang. Restait à savoir auquel des deux époux appartiendrait l'enfant, et chacun le voulait.
       Il fut convenu, d'un commun accord, qu'on porterait le débat devant le cadi.
       Celui-ci, parties ouïes, décida que l'enfant, s'il était né pendant le jour, devait échoir à l'homme du jour, ou à l'homme de la nuit, s'il était né durant la nuit. Mais, pour surcroît d'embarras, la mère déclara que le marmot était né à l'heure du crépuscule, ou, comme nous dirions, entre chien et loup.
       Allah permit qu'un vieux marabout passât par là. Il se fit conter l'affaire, réfléchit un instant, puis demanda des oeufs de poule et une paire de balances. II cassa les oeufs par le milieu, les vida, et pesa avec le plus grand soin trois coquilles vides, de sorte qu'elles eussent chacune exactement le même poids. S'approchant ensuite de l'enfant objet du litige, il lui fit à un bras une légère incision et recueillit son sang dans une des coquilles d'oeuf. II pratiqua la même opération sur chacun des deux Arabes. Lorsque les trois coquilles furent également pleines, il pesa, toutes deux ensemble, celles qui contenaient le sang des pères présumés. Une d'elles pesait plus, l'autre moins. L'homme du désert prit alors la coquille où était le sang du nouveau-né, la posa dans un des plateaux de la balance, comme terme de comparaison, et recommença à peser avec elle, niais cette fois séparément, chacune des deux autres coquilles. Une de ces dernières se trouvant juste égale en poids à la coquille de l'enfant, le nouveau Salomon déclara que celui-ci appartiendrait à l'Arabe dont le sang avait la même pesanteur, signe manifeste qu'il en était le père.
       (Journal de Tlemcen.)

Mort du chérif Bou-Hamara.

       - Le chérif Bou-Hamara le propriétaire de l'ânesse), qui fit son entrée en Kabylie il y a quelques mois, vient de trouver la mort, le 29 décembre dernier, dans la vallée du Sebaou. Cet heureux résultat est dû aux mesures vigilantes et à l'incessante activité de M. le capitaine Beauprêtre, chef du bureau arabe d'Alger, commandant le poste de Tizi-ouzou.
       Les Beni-Raten, de plus en plus contenus dans les limites de leur montagne grâces à l'intelligente surveillance organisée du capitaine Beauprètre, appelèrent chez eux le chérif Bou-Hamara, espérant obtenir, par la puissance de ce personnage, l'agrandissement du cercle étroit clans lequel ils étaient resserrés d'une manière gênante. Le chérif se rendit à leur appel, et, suivi de son père, Si-Kouïder-el-Titeraoui, il voulut commencer ses opérations. Dans la nuit du 28 au 29 décembre, il se porta près de Tazazerit, à petite distance et au sud-ouest de Moula, dans l'intention de couper la communication et d'arrêter les Ameraoua qui se rendaient au marché de Tizi-ouzou.
       Au point du jour, un poste (garde de nuits des Ameraoua aperçut, dans un bouquet de figuiers, un mouvement qui lui parut extraordinaire. Il s'avança pour mieux observer et reconnut promptement que deux hommes de Mokla venaient d'être capturés par l'ennemi. Les Ameraoua n'hésitèrent pas un instant et chargèrent vigoureusement ce groupe de maraudeurs pour délivrer les prisonniers. Dans le choc, un cavalier des insoumis tomba blessé : c'était Si-Kouïder-el-Titeraoui. Le cheval d'un autre eut la jambe cassée : c'était celui du chérif Bou-Hamara, qui, au même instant, recevait une balle, tandis que deux de ses cavaliers étaient tués, ainsi que leurs chevaux. Si-Kouïder reçut ensuite deux coups de feu dans le corps, et fut dépouillé.
       Les Ameraoua tranchèrent la tête du chérif et se retirèrent à la hâte, car ce combat, presque aussi rapide que la pensée, avait lieu sous les yeux et à portée des balles d'un fort parti des Bcni-Raten placé sur une éminence voisine pour protéger la retraite du chérif. Dans la mêlée, les Ameraoua ont eu deux hommes blessés, l'un d'un coup de feu, l'autre de huit coups de sabre, et deux chevaux tués. Cinq de leurs fusils ont été brisés par les balles.
       Le véritable nom du chérif Bou-Haanara est Si-Mokhtar-ben-Si-Kouïder-el-Titeraoui. Son influence n'était pas encore bien établie clans les tribus insoumises du Djurjura; mais il aurait pu grandir et devenir dangereux. C'était un jeune homme, d'une belle physionomie, ayant de l'instruction et ne manquant pas d'éloquence ; il n'avait cependant pas la parole entraînante de Si-Kouïder, son père.
       La famille du chérif, en raison de son ancienneté, mérite quelque attention. Elle fait partie de la fraction des Chourfa, des Enfatah, cercle de Boghar, et on la désigne par le nom de Ouled-el-Bokhari. Son premier chef connu se nommait Mohammed ben-Ferhat-ben-el-Bolchari; il vint en 144 de l'Hégire (761 ans de J.-C.), à l'époque où le khalife Abou-Djafar-el-Mansour envoya Mohammed-ben-el-Achat-el-Khozaï, à la tête de 40.000 cavaliers, reprendre à Kairouan le gouvernement de 1'Ifrikia, dont le berbère Abou-el-Khettab s'était emparé. Le premier lieutenant de El-Achath, désigné par le khalife El-Mansour lui-même, était El-Aghleb-ben-Salem, de la tribu de Temîm, dont le fils, Ibrahim-ben-el-Aghleb, fonda plus tard, en 184 (800 de J-C.), sous Haroun-el-Rechid, la dynastie des Aghlebites.
       Pendant les cent douze ans d'existence de cette dynastie, la famille de Mohammed-ben-Ferhat-ben-el-Bokhari occupa toujours, près des gouverneurs de Kaïrouan, des emplois importants. A la chute de Ziadet-Allah, dernier prince aghlebite, en 296 (908 de J.-C.), les Ouled-el-Bokhari vinrent s'établir sur les derniers contreforts du Tell, au-dessus de Boghar. Ils y restèrent depuis, à l'exception de quelques membres qui allèrent, à diverses époques, se fixer près des rois de Tlemcen et des souverains du Maroc.
       La famille du jeune chérif Bou-Hamara a toujours prétendu descendre du prophète; mais cette origine élevée ne lui appartient pas. A ce titre, cependant, elle a pu souvent réunir auprès d'elle, dans les moments de troubles, plusieurs tribus voisines et s'en faire un soutien, Elle a toujours montré un grand esprit d'indépendance, allant jusqu'à l'insoumission.
       Si-Kouïder, son chef dans ces derniers temps, homme d'intrigue et d'action, avait largement hérité de la turbulence de ses ancêtres. Il porta ombrage à l'émir Abd-el-Kader lui-même et devint le conseiller et le khalifat de Si-Moussa. Ce dernier, après avoir voulu relever la nationalité arabe, eu se faisant proclamer sultan, fut obligé de se retirer en Kabylie et, plus tard, alla se faire tuer à Zaatcha, en prêtant à Bouzian le secours de son bras et de sa farouche intelligence.
       En 1843, Si-Kouïder fut pris par nos colonnes et envoyé en France, où il séjourna cinq ans. En 1818, son fanatisme le conduisit chez les Zouaoua insoumis. Il se fit d'abord le lieutenant de Bou-Baghla, puis ensuite son compétiteur. Après la mort de ce dernier, Si-Kouïder pensa sérieusement à prendre lui-même le rôle de chérif ; mais, trop connu dans la montagne, il n'aurait pas eu pour lui l'avantage de cet incroyable prestige qui, aux yeux des musulmans, s'attache aux gens dont l'origine est ignorée. Il y prépara donc son fils et le présente comme le descendant du prophète, dont la venue prochaine lui avait révélée. II faisait ainsi servir à ses projets sa position de famille et l'intérêt qui ne pouvait manquer de se produire en faveur d'un individu jeune, beau, intelligent, annoncé d'avance, qui devait apparaître subitement dans la montagne et prendre d'une main ferme la cause de l'islam pour chasser bientôt les chrétiens.
       Le jeune Si-Mokhtar, au mois de septembre dernier, s'échappa de la tente de son oncle et alla rejoindre son père.
       C'est en essayant de fonder sa réputation de bravoure et son influence sur les Kabyles qu'il vient d'être tué dans la vallée du Sebaou.
       Cet heureux résultat démontre avec quelle sage prévision M. le gouverneur général a extrait du cercle de Dellys, dont l'action était trop éloignée, pour les placer sous la direction immédiate et énergique du capitaine Beauprétre, les tribus kabyles qui forment le Bach-Agalik du Sebaou.
       (Moniteur algérien.)

Les Souvenirs militaires
de M. le Colonel Henri Fabre-Massias

VOYAGE AUX ZIBANS (1848)

CHAPITRE IV
LE SAHARA.


       Un chemin creusé dans le roc par les Romains, élargi jusqu'à la voie d'une voiture et flanqué d'un parapet par les soins du génie français, conduit du pont aux maisons de l'oasis. Ces maisons sont, comme celles des oasis en général, bâties en torchis et couvertes de terrasses soutenues par des charpentes en bois de palmier. Nous en vîmes peu, et malgré l'insistance des cheiks accourus pour nous faire accueil, nous n'entrâmes pas dans le village. J'avais formé mon petit camp au bord de la rivière, en face des jardins, et j'y reçus les dignitaires du pays. Nous échangeâmes force politesses : mais je préférai le plein air et la libre vue à l'asile que le cheik du village nous offrait dans sa maison pour mettre, disait-il, sa responsabilité à couvert vis-à-vis du commandant de Saint-Germain. Je le rassurai complètement sur ce point, lui disant que des précautions excellentes pour des hommes isolés étaient inutiles pour un détachement comme le nôtre. J'ai presque toujours campé ainsi en ordre et, autant que je l'ai pu, en rase campagne. La discipline et la poésie y gagnaient également.

       Les deux journées suivantes furent sans fatigues et sans incidents. Mentionnons seulement une source chaude et la montagne de sel aux couleurs irisées qu'on longe avant d'arriver à El-Outaïa (la plaine). Celle-ci, que ne protége pas, comme El-Kantara, le voisinage immédiat des montagnes, n'a pas ou n'a plus de palmiers; ce n'est qu'une bourgade servant de dépôt et de magasin aux tribus nomades qui campent sous ses murs; c'était une station romaine. Je la visitai et fus reçu dans la maison du cheik ; j'y vis même ses femmes, qui se retirèrent sans affecter la terreur dont semblent saisies les femmes du Tell à l'aspect d'un Européen. L'une d'elles, d'une très grande stature, eut passé partout pour belle. Mais le teint des habitants des maisons est blafard et semble maladif, quand on le compare à celui des nomades qui campent sous les murs d'El-Outaïa. Ceux-ci sont très bruns et paraissent animés d'une vie plus pleine et plus ardente. Ce fut l'un de ces hommes des tentes, Daine, chef du goum des Saharis (c'est la tribu dont le territoire s'étend d'El-Outaïa à l'Aïn-Berika), qui nous fit les honneurs -de cette halte. C'est un homme de cinquante ans, boiteux, grand cependant et beau cavalier, aux traits doux et bons. Il me joignit plus tard.

       Le 30, vers une heure, nous trouvâmes, au delà d'un détour de la rivière, encore une barrière de rochers. Nous la gravîmes en quelques minutes : arrivés au col (col de S'fa), nous eûmes sous les yeux un spectacle moins pittoresque, moins saisissant peut-être, mais bien plus imposant que celui d'El-Kantara : c'est la vallée de l'Oued-Djedi, c'est le Sahara " semblable à la mer " , comme nous le disait, dans son poétique langage, Ali-Bel-Loul, le grand voyageur, quand, à Koléa, en 1810, le colonel Lamoricière l'interrogeait sur les chemins de Taza et de Tekedempt. " Semblable à la mer " : il avait dit vrai ! La légère brume du milieu du jour supprimait toute différence apparente, et, sur cette immense étendue, l'oeil, plongeant sans obstacle, s'étonnait de ne pas trouver la voile de quelque pêcheur. La sensation de l'espace n'est pas plus profonde pour qui voit la mer immense; elle est pour les habitants du Sahara le principe d'un patriotisme exclusif, dont je compris quelques jours plus lard les aspirations et les plaisirs.

       Biskra est à l'entrée du désert. C'est un bois de 8 kilomètres de tour, formé de 135,000 palmiers à l'ombre desquels s'abritent les eaux, les maisons et les arbres fruitiers de moins haute stature. Elle est percée d'un nombre infini de canaux, découpée par des murs de jardin, incessamment parcourue par une population laborieuse et intelligente, qui se répartit en trois villages, dominée enfin par le minaret de la mosquée principale, placée elle-même sur un terrain élevé de quelques mètres. Par suite des continuels échanges qui se font entre le Tell et le Sahara, cette ville, qui touche d'un côté au dernier gradin de l'Atlas, et s'ouvre de l'autre sur le pays des oasis, a pris une importance considérable. Elle est la capitale des Zibans, vaste contrée qui comprend, dans la vallée de l'Oued-Djedi, la valeur de deux de nos départements. C'est un poste très bien choisi pour dominer le pays.

       J'y fus guidé par le sous-officier Manès, qui commandait à Biskra un détachement de ma batterie J'y trouvai un air de richesse, des habitudes de politesse bienveillante, auxquels les indigènes du nord ne m'avaient pas habitué. Les murs, les chemins étaient bien entretenus. Les maisons étaient, comme celles d'El-Kantara et d'El-Outaïa, en torchis et palmier; quelquefois des pierres romaines, portant encore une inscription votive ou funéraire, en soutiennent l'encoignure. Quelques constructions plus grandes et mieux établies servent de mosquées ou d'écoles.
       La casbah est située sur le petit plateau qui porte la grande mosquée. Elle domine donc aussi l'oasis, et la vue peut, de ses terrasses, dépasser les palmiers. C'est un bâtiment en fer à cheval, comprenant plusieurs cours et (les pavillons on logeaient l'état-major et la petite garnison française. La constitution lamelleuse et molle du bois de palmier ne permet pas de donner de grandes portées aux charpentes : les salles sont petites. Cependant le commandant de Saint-Germain avait réussi à se donner les moyens d'exercer chez lui une hospitalité que rien ne trouvait en défaut. En son absence, les traditions de ce petit palais furent suivies avec une grâce parfaite par le capitaine Touchet et le lieutenant Dubosquet, chef du bureau arabe de Biskra. Celui-ci eut la complaisance de nous faire en détail les honneurs de l'oasis et de préparer notre voyage en recueillant devant nous les renseignements qui pouvaient nous être utiles. Il nous montra le jardin du commandant supérieur, séquestré, je crois, sur l'ordre de Bel-Hadj, le chef actuel des opposants du Sahara, l'auteur du meurtre des Français laissés à Biskra en 1844. Le commandant Saint-Germain songeait à tirer de ce jardin d'importantes utilités. Pendant le voyage qui, à ce moment même, le tenait éloigné de son commandement, il avait conféré à Alger avec M. Hardy, le savant directeur du jardin d'essai, des cultures qui pourraient être entreprises à Biskra Ce n'est guère que là, en effet, qu'il peut être question de canne à sucre, de café, etc. Jusqu'à Biskra le climat de l'Algérie diffère peu de celui d'Hyères, et surtout du climat de Grenade et de l'Andalousie.

       Nous assistâmes à la récolte des dattes : elle se fait peu à peu et dure longtemps. Nous vîmes les jardiniers grimpant aux arbres au moyen des saillies régulières que laissent sur toute la longueur du tronc les feuilles tombées des végétations successives. C'était aussi le moment où l'on plantait les drageons qui doivent remplacer ou étendre les cultures actuelles. Le commandant avait essayé avec quelque succès des semis de plantes fourragères.
       Dans tous les Zibans, au reste, les dattes communes sont beaucoup plus abondantes que les Deglet-Nour ou dattes fines. Les meilleures que produise l'Algérie paraissent être celles des oasis de Souf, au sud du lac Melghrir.
       L'oasis donne encore des olives, des figues, quelques oranges et les autres fruits du nord de l'Afrique : tout cela vient à l'ombre des palmiers. Le poivre long, dont la cuisine indigène fait universellement usage, m'a paru être le seul légume généralement cultivé.
       Le génie a fait construire au Ras-el-Ma (tête de l'eau), en dehors de l'oasis et sous l'influence des vents, un grand bâtiment destiné à remplacer la casbah et à maîtriser les villages en leur coupant l'eau au besoin. Cette fois enfin nous avons renoncé à l'affreuse architecture de nos casernes, et suivi de très loin les errements des constructeurs du Midi : la disposition des bâtiments et des cours indique quelque souci du soleil et des vents, et une glorieuse indépendance des règles faites pour la Flandre on la Bretagne. Une belle et large route, ouverte à travers les palmiers, conduit de l'ancienne à la nouvelle casbah.

       Nous ne passâmes qu'un jour à Biskra, complétant notre matériel et surtout les indications relatives à la route. Pendant cette journée du 31 octobre, quelques gouttes d'eau, chassées par un vent violent, tombèrent sur l'oasis.
       Le 1er novembre nous partîmes pour Lions, le premier gisement de salpêtre qui nous eût été indiqué. Il m'avait souvent semblé reconnaître le goût du salpêtre dans les efflorescences que laissent chaque été les lacs des plateaux, et notamment dans celles d'un lac que l'on rencontre en allant de Khenchela à l'Aïn-Zouï, à peu près à moitié chemin. Je ne doute pas que les gisements de salpêtre ne soient en très grand nombre ; mais il était impossible de reconnaître dans cette course les ressources du pays sous ce rapport. Nous n'avions à voir que les exploitations en exercice dont les produits constatés pouvaient être utilisés au profit des relations de la France avec le Sahara, et peut-être au profit du pays et du budget.
       M. Dubosquet nous avait donné six hommes d'escorte commandés par Lârbi, qui devait aussi me servir d'interprète. Les dix canonniers et le brigadier de ma batterie que j'avais pris à Batna m'accompagnaient. En comptant les deux capitaines, leurs ordonnances et leurs montures, la caravane se composait de vingt-deux hommes et vingt et un chevaux ou mulets. Je n'ai pas à parler de mes canonniers, que je trouvai pendant toute la route disciplinés, pleins de zèle, toujours prêts à tout faire avec un empressement affectueux qui rend le commandement facile et agréable à exercer. Leur histoire sera complète quand j'aurai dit que pas un homme ne s'attira une réprimande, que pas une bête ne fut blessée ou ne parut souffrir pendant ce petit voyage. Les canonniers s'y intéressèrent du reste, comme il arrive toujours à nos soldats ; Caby, mon vigoureux brigadier, allongeait ses étapes pour chasser, et pêchait à l'arrivée.

       Je pensais - mais mes propositions dans ce sens ne furent pas acceptées au ministère - qu'on pourrait laisser, sous notre surveillance, la préparation du salpêtre dans les mains des Arabes, en organisant cette industrie à peu près comme celle des tabacs, et réservant au gouvernement le monopole des produits, - ou bien toucher l'impôt en salpêtre.
       Notre caravane comptait quinze Français et sept hommes d'escorte. Celle-ci était quelque chose de tout a fait nouveau pour moi. Elle était fournie par la nouba de Biskra, espèce de gendarmerie de milice, recrutée parmi les six tribus principales qui obéissent au commandement supérieur de Biskra

       Lors de la migration du printemps, chacune de ces tribus laisse au désert dix hommes (les mêmes hommes peuvent rester plusieurs années) qui sont chargés, sous le commandement d'un maréchal des logis et de brigadiers nommés par le commandant supérieur, de la police des Zibans. Lârbi, le chef de cette brigade de sûreté, que M. Dubosquet nous avait donné pour guide, a lui-même une intéressante histoire. Il est né sur les bords de la Dora-Baltea, et, tout jeune, est venu servir dans la légion étrangère. Il déserta, je ne sais pourquoi, par désir seulement, je crois, de voir des pays et des hommes nouveaux. Il vint parmi les Arabes, apprit leur langue, et s'appropria leurs moeurs jusqu'à un certain point. Mais, dans ce pays tout aristocratique, il eut à mener une rude vie sans honneur, sans richesse, sans famille, et en vint à se repentir d'avoir rompu avec les Français. Cependant il ne pouvait revenir à eux sans danger pour sa vie qu'en rendant un grand service qui lui valût l'indulgence. Ce fut l'objet d'une négociation avec l'autorité française, et Lârbi s'engagea à livrer Si-Zerdoud, le grand agitateur de la province de Boue en 1845. Sur ses indications, Si-Zerdoud fut en effet atteint et tué dans le cercle de Philippeville, et Lârbi retourna à Biskra, non plus en exilé, mais en agent des Français. Il parlait un français bizarre, celui des casernes, abondant en figures et en tropes repoussés par l'Académie, mais auxquelles l'absence d'intention de violence ou d'insolente énergie donnait une physionomie étrange et naïve. Son arabe était, je crois, à peu près aussi incorrect, mais il se faisait très bien comprendre dans l'une et l'autre langue. Il paraissait extrêmement dévoué au commandant Saint-Germain, qui l'avait souvent chargé de missions importantes. Il a tout à fait le costume et les habitudes du pays et nous donnait souvent, pendant la route, le spectacle d'une fantasia. L'un de ses hommes partait à toute course, et Lârbi le poursuivait le fusil à la main. Le fugitif donnait tous les signes de l'effroi et du désespoir; le vainqueur le poursuivait plein d'insolence et d'ardeur, le fusil en joue, la bride passée dans la main gauche, les éperons au flanc du cheval. C'était une course à fond de train à travers les inégalités du sol. Puis enfin Lârbi lâchait son coup de fusil en tirant à terre, jetait l'arme dans la main gauche, et, mettant le sabre à la nain, continuait un instant la poursuite. Puis tous deux tournaient bride et revenaient au petit galop, prêts à recommencer avec une résignation parfaite d'une part, une ardeur remarquable de l'autre, et beaucoup d'entrain chez les quatre acteurs de cette petite scène.

       Nous remarquâmes, en quittant Biskra, les traces d'un vent violent auquel avait la veille succédé une petite pluie. Derrière chaque touffe de thym ou de jujubier s'allongeait une petite masse de sable fin de forme analogue à celle de la neige projetée derrière un obstacle. De plus, quelques grains de sel marin à saveur très prononcée blanchissaient la surface du sable.
       La direction qui résultait de ces indices était celle d'un vent d'est, et je sus plus tard que le même jour un siroco très violent avait soufflé à Philippeville. L'histoire météorologique du Sahara et des pays barbaresques est à faire et sera pleine d'intérêt.
       Le sol est formé d'un sable très fin dont l'agrégation est facile à détruire. En général il est uniforme, élastique, et la marche y est facile el prompte. Aussi les journées de voyage sont-elles longues au Sahara, même indépendamment de la constitution sèche et vigoureuse des habitants. De temps à autre seulement on se trouve au milieu d'arâg, ou vagues de sable mobile, de hauteur variable entre 2 et 6 pieds ; la marche devient alors très fatigante. Mais les arâgs ne durent en général que peu de temps ; nous les avons trouvés de 1 à 6 kilomètres en général. Une seule fois, entre Tolga et Sersous, il nous a fallu parcourir 12 à 15 kilomètres de sables.
       Vers 10 heures, nous traversâmes une partie assez marécageuse où le sol était noir. Lârbi nous expliqua que c'était l'ancien lit de la seghia d'Oumach. (Une seghia est un canal d'irrigation destiné à alimenter une oasis.) Oumach était en vue à une lieue à notre gauche ; comme ce canal portait à Oumach des eaux sales et malsaines en été, les habitants, sur le conseil et sous la direction du commandant Saint-Germain, avaient détourné la seghia jusqu'aux sables, qui depuis un an la laissaient arriver propre et salubre ; elle sera ainsi jusqu'à ce que les détritus apportés de la montagne aient changé la nature du sol. A 1 kilomètre du premier lit, nous trouvâmes le lit actuel creusé au pied de petites collines un peu fixées par des tamarins et pouvant protéger le canal. Les bords de celui-ci sont verticaux, ce qui indique dans le sol un certain degré de ténacité. Nous déjeunâmes sur la rive droite, et l'un des hommes de l'escorte partit en avant pour préparer notre réception à Oughlal.

       Après douze heures de marche, nous traversâmes une oasis (Mlili) entre Mnela et les zaouïa de Mlili et de Bégou; elle parait riche, et sa mosquée, la principale de la tribu des Cheurfa, jouit d'un renom de sainteté. Nous avions laissé à trois lieues à droite Lichana, Farfar et Zatcha. Pendant une halte de quelques minutes à m'ai, on nous apporta l'eau d'une source meilleure que celle des seghia; puis nous passâmes outre. Lârbi nous expliqua que la bonne volonté des gens de Mlili était plus douteuse que celle des gens d'Oughlal ; et sans doute l'influence religieuse y était plus hostile aux Français. Toujours est-il que nous traversâmes l'étroit espace qui sépare les deux oasis, et après une marche de quelques minutes entre les palmiers, nous arrivâmes chez le cheik d'Oughlal.

       Prévenu par l'homme envoyé de la halte, il avait relégué ses femmes dans la partie la plus éloignée de sa maison, et nous reçut avec une politesse empressée dans la première pièce. Les mulets furent campés sur une petite place qui servait de marché; les canonniers dans une sorte de vestibule, et nous dans une grande salle éclairée par en haut au moyen d'un trou pratiqué dans la terrasse. Des tapis y avaient été préparés. On y apporta le couscoussou, et un cercle de cinq ou six grands de la tribu se forma autour de nous. Le plus communicatif était le cheik de la tribu des Cheurfas, vieillard de quatre-vingts ans passés, souple, intrigant, avide, ayant, j'imagine, les qualités et les défauts des rayas habitués à se ployer aux habitudes et aux exigences de maîtres divers. Sur un seul point, il était difficile de lui faire entendre raison et de le déterminer à adopter les moeurs françaises. 11 ne résistait jamais à 1a tentation de piller ses subordonnés et de tirer largement profit de ses fonctions de collecteur de taxes. L'année précédente, me conta Urbi, le vieux cheik ayant perçu 3,000 francs de plus que le tribut, le hasard avait fait découvrir la fraude au commandant Saint-Germain : celui-ci, outré d'indignation, avait fait venir l'infidèle mandataire, le menaçant de le châtier et de donner sa place à un autre. Mais le vieux chef avait si bien fait, à force de sang-froid, de plaisanteries, de belles paroles et d'ingénieuses explications, que le commandant s'était mis à rire, et l'en avait tenu quitte pour une restitution complète, qui lui avait bien fait saigner le coeur. Il faut dire, au reste, qu'il n'est pas très facile de destituer ces chefs, qui tiennent de leurs familles un pouvoir héréditaire. Ce pouvoir, dans les mains d'hommes nouveaux, n'obtiendrait que le respect imposé par la force, et chancellerait à la première faute ou au premier péril. - Le vieux cheik était presque aveugle: après avoir causé avec beaucoup de volubilité pendant une demi-heure, il s'excusa sur son grand âge et se retira. Nous restâmes avec mon hôte le cheik d'Oughlal et quelques-uns de ses parents et amis.

       Je les interrogeais sur le régime de la propriété dans les oasis, sur les effets de l'administration française. Une de leurs réponses me frappa singulièrement : a Autrefois, me dirent-ils, on ne voulait pas embellir son jardin. Si quelqu'un avait un jardin beau et riche, le cheik venait et disait : a Ce jardin est à moi. " Mais maintenant chacun cultive et embellit de son mieux ce qu'il possède : il sait que le commandant Saint-Germain fera respecter sa propriété ! n Cela résumait une partie des bienfaits que le pays devait à l'administration française telle qu'elle était exercée depuis quatre ans par l'homme d'État distingué dont la carrière fut si malheureusement arrêtée l'année suivante. Ainsi il avait rétabli la police et la probité dans l'administration communale des oasis. Plus loin, nous trouvâmes des résultats de même nature obtenus dans I'administration générale et d'heureux témoignages du rétablissement de la sécurité publique.

       Des lignes d'étapes avaient été disposées dans tous les sens à travers les Zibans, et les agents du gouvernement français voyageant dans l'intérêt du service devaient être accueillis et nourris selon leur rang dans les oasis. On nous devait des prestations de toute nature, et notre escorte veillait à ce que la nature et la quantité des objets fournis à notre caravane fussent convenables. Ordinairement nous recevions un mouton et quelques volailles. En outre, le couscoussou nous était offert ; mais ce mets national était tellement relevé de poivre long qu'ordinairement, après deux ou trois bouchées prises en évitant de toucher à la sauce (magma), je mettais la main sur mon coeur pour remercier le plus gracieusement possible, et je refusais de toucher à cette brûlante nourriture. Une fois, à M'Gaouç, mes hôtes s'inquiétèrent de cet apparent dédain, et je fus obligé de leur expliquer que j'étais habitué à une autre cuisine et que leur couscoussou me brûlait les lèvres comme du feu. Cette explication les rassura, et ils firent apporter un couscoussou au sucre, mêlé de graines de grenades, friandise à laquelle je fis convenablement honneur. En échange, nous les invitions à prendre le café, ce qu'ils faisaient avec grand plaisir.
       La conversation n'alla pas, comme à El-Kantara, jusqu'à une extrême fatigue. J'avais demandé à M. Dubosquet le moyen de mettre fin aux politesses beaucoup trop prolongées de mes hôtes sans les offenser, et il avait bien voulu me donner un talisman que j'employais souvent. Quand je désirais rester seul, je disais à mes hôtes la main sur la poitrine et du ton le plus poli possible : Rôh bes slama (va-t-en avec la paix) ! Ils se levaient, faisaient les compliments d'adieu, et nous nous séparions les meilleurs amis du monde.
       Le plus grossier des escaliers montait de la pièce où nous étions sur la terrasse de la maison où était établie notre cuisine. Nous y passâmes la soirée avec plaisir. Mais la crainte d'inspirer quelque inquiétude à notre hôte gênait beaucoup nos mouvements, et je me promis de m'enfermer dorénavant le moins possible.
       Nous partîmes le 2 au matin, après avoir dit adieu à nos hôtes et leur avoir laissé pour le bureau arabe une attestation de notre satisfaction. La grande fête (ayd et kebira), la pâque des musulmans, allait commencer, et nous avions laissé notre offrande aux nègres de l'oasis, qui étaient venus dans cette vue nous donner une sérénade - quelle musique, bon Dieu 2 - à la maison du cheik.
       Nous nous dirigions droit sur l'Oued-Djedi dont nous étions alors à 6 kilomètres environ; nous laissâmes à droite Ben-Tious, dont les dattes sont célèbres. Lârbi nous montra un palmier qu'on appelle le palmier d'Ouargla, parce qu'un homme d'Ouargla serait, par suite d'un pari, venu d'une seule traite d'Ouargla cueillir une branche à fruits à ce palmier, et serait ensuite, sans donner plus de repos à son méhari, retourné immédiatement à Ouargla. C'était une 'course de plus de quatre-vingts lieues.
       A cinq minutes de distance de Ben-Tious, coule (quand il coule) le grand fleuve du Sahara, le fleuve Triton des anciens, l'Oued-Djedi, qui parcourt 1.000 kilomètres depuis le Djebel-Hamour jusqu'au lac Melkhir, l'ancien lac Triton. A Ben-Tious, le bassin dont il parcourt le thalweg semble avoir 25 à 30 lieues de largeur. Sans doute, si des arbres couvraient cette immense étendue et y retenaient l'humidité, elle serait tout entière riche comme les oasis. ]dais le lit de l'Oued-Djedi est presque toujours à sec, et les affluents de sa rive gauche, qui n'ont à parcourir qu'une quinzaine de lieues depuis les montagnes, entretiennent seuls un peu de vie dans sa vallée. Sur l'autre rive, les oasis sont rares comme les sources qui les alimentent. Plus loin, des couches de terrain perméables aux pluies apparaissent à la surface du sol, et des nappes souterraines s'étendent sous une province entière, l'Oued-Rouari, qu'alimentent des puits artésiens. Plus loin encore, des montagnes inexplorées, des forêts inconnues, attirent les nuages et donnent naissance à d'autres sources, à d'autres cultures. Mais l'Oued-Djedi s'appauvrit quand vient le printemps ; puis son lit n'est plus qu'un long marais où restent quelques flaques d'eau saumâtre et qui aboutit au lac Melkhir, marais immense à travers lequel le hasard a fait découvrir des passages, et qui recèle des abîmes et des terrains mouvants. La surface de ce lac et la partie inférieure du cours de l'Oued-Djedi sont au-dessous du niveau de la mer.

       Quelques auteurs ont pensé qu'il n'en avait pas toujours été ainsi : s'il faut les en croire, dans un temps que bien des siècles séparent de nous, le fleuve coulait jusqu'aux Syrtes, ou la mer pénétrait au loin dans ces contrées. Elle fut refoulée par la niasse d'eau que le fleuve Triton roulait en hiver : une barre se forma, et le fleuve, cessant de se rendre à la mer, s'étendit en lacs qu'épuisa le soleil de chaque été. La même cause aura agi plus d'une fois, et plusieurs lacs isolés marquent, seuls aujourd'hui, la continuation de la grande vallée jusqu'à la mer qui sépare Tunis et Tripoli. La hauteur des terres qui séparent ces lacs ne serait pas suffisamment expliquée par cette hypothèse.
       Autrefois, disent les Arabes, des chrétiens habitaient ces contrées : elles étaient couvertes de verdure, et des fleuves magnifiques roulaient leurs eaux à la surface de la terre. Ces chrétiens, enflés par la prospérité, se livrèrent à tous les péchés qu'enfantent la richesse et l'orgueil, et le Seigneur, irrité contre eux, enfonça sous le sol les fleuves qui le fertilisaient ; les arbres, la verdure se flétrirent, et la faim détruisit les populations condamnées. Mais un jour des chrétiens aimés de Dieu doivent revenir sur cette terre, et rappeler à sa surface les fleuves qu'a fait disparaître la colère céleste : alors recommencera, pour cette contrée, une ère de bonheur et de prospérité.

       Pourquoi ne serions-nous pas les chrétiens de la légende ? En interdisant le parcours indéfini aux moutons et aux chameaux, ne pourrons-nous faire reparaître les forêts ? En maintenant la paix dans le pays, ne pourrons-nous pas faire naître, dans les intervalles désolés qui séparent les oasis, des moissons qui rafraîchiront le sol ? Enfin nos puits artésiens, plus habilement et plus utilement creusés que ceux de Touggourt, ne réaliseront-ils pas, presque à la lettre, les promesses du Prophète ?
       Je me détournai de la caravane pour courir goûter l'eau et voir le lit du grand fleuve. L'eau était rare et détestable. Le lit, large d'une cinquantaine de mètres, emprunte, chaque hiver, une demi-lieue à chacune de ses rives. Je compris bien tout l'enthousiasme de Mungo Park découvrant le majestueux Niger. L'Oued-Djedi ne peut pas l'inspirer, et sa vaste vallée est seule imposante.
       Vers neuf heures, nous étions à Lioua, l'un des points où se fabriquent la poudre et le salpêtre. Là commençaient, par conséquent, nos opérations officielles. Nous allâmes camper à l'extrémité du village près de laquelle sont les ateliers, aujourd'hui fort réduits par l'administration française. C'est, en effet, une misérable industrie que celle-là. Elle est, à bon droit, en état de suspicion, et les rares ouvriers qu'elle emploie tremblent toujours pour la seule pièce un peu précieuse de leur matériel, la bassine en cuivre où ils font bouillir l'eau salpêtrée. Ils sont protégés, en dessous main, par l'autorité locale ; .mais ils n'auraient nul recours, au cas où on leur déroberait ce gagne-pain, à la police française. Quant au reste de leur matériel, il est d'une simplicité primitive. Leurs cuviers sont des bassins en terre revêtus d'un mastic imperméable; la terre à laver est celle même de l'atelier, que le vent se charge de restaurer en quelques semaines quand elle a été une fois exploitée. Le vent, qui remue du sel marin à Biskra et jusqu'à Ben-Tious, se charge désormais surtout de nitrate.

       Nous fîmes rassurer les ouvriers sur nos intentions : nous n'étions pas chargés, leur fis-je dire, de poursuivre leur industrie, mais de l'étudier et de voir si le gouvernement français ne pourrait pas devenir leur client, à leur grand intérêt. Ils nous montrèrent, sans grand empressement, mais sans mauvaise volonté, tout ce qu'on pouvait voir en deux heures de leurs opérations. Je me proposais de m'arrêter davantage à Doucen, où se fait, m'assurait-on, le salpêtre d'élite.
       A 3 kilomètres sud-ouest de Lioua, et à gauche de la route directe qui mène à Doucen, j'allai visiter avec un des guides deux ateliers de salpêtre. Ils ont bouleversé de vastes ruines romaines, et contrairement à l'habitude du pays, la ville ou le bourg antique n'est pas resté Ià comme il était tombé. Les ruines romaines qu'on rencontre si fréquemment dans ces contrées se ressemblent toutes : les voûtes et les planchers ont disparu ; la poussière apportée par les vents a rempli les intervalles des murailles. Mais on peut suivre la trace des murs et reconnaître le plan des rues et des maisons. Dans les oasis, il n'en est plus tout à fait ainsi, et souvent on peut lire quelque inscription latine ou païenne sur les jambages d'une porte de mosquée. Là où nous étions alors, à kebabia, aux bords de l'Oued-Doucen, l'industrie a cherché sous les pierres romaines la terre que leur contact avait enrichie. Nous rejoignîmes la caravane à travers des arâgs, et ce petit écart nous prouva deux choses : l'une, qu'on se perdrait très aisément sur ce vaste espace ; l'autre, que nos Arabes possédaient une vue perçante que nous n'égalions pas, même armés de nos lunettes.

       Cette excursion nous avait fait perdre une demi-heure environ. Il faisait chaud : la marche dans les arâg nous avait fatigués. Je suivais l'Oued-Doucen, indifférent en ce moment au paysage, et cherchant de l'eau pour la caravane. Enfin je me décidai à faire halte dans un endroit qui n'offrait que de l'ombre. Au bout de quelques instants, Lârbi vint me dire qu'au rapport d'un des guides nous n'étions qu'à un quart de lieue des puits du Bou-Adam. On se remit donc en marche : hommes et bêtes souffraient un peu de la soif, et les gourdes étaient épuisées. Les bords de l'Oued-Doucen sont loin d'être riches comme ceux de l'Oued-Biskra et des canaux qui en dérivent. L'horizon n'avait plus les nombreuses oasis qui l'égayaient la veille.
       Aussi descendit-on avec empressement au bord de l'étang assez vaste que forme le Bou-Adam. C'est un puits artésien au fond du lit de l'Oued-Doucen. Il est assez profond et m'a semblé n'être pas sans analogie avec la fontaine de Nîmes. Mais quelle différence dans les accessoires et les entours !
       Presque partout on trouverait de l'eau, je pense, en creusant le lit des fleuves. Ici, la croûte imperméable qui en forme la surface, crevée en quelques points, laisse surgir quelques jets qui tachent en noir les bords de leur trou et retiennent, à leur sortie de terre, quelques bulles sulfureuses. On les reconnaît au fond du petit étang qu'elles forment et qui repose sur un sol déclive comme une coquille marine. Des deux parts, les berges s'élèvent abruptes à une dizaine de mètres de hauteur. On s'y trouve donc dans un trou caché au reste de la plaine, et l'on s'y repose avec un sentiment du chez-soi que ne permettrait pas un espace plus ouvert.

       Les chevaux furent débridés, les mulets déchargés. Tous, conduits avec précaution, burent à longs traits cette eau, dont la masse a perdu au grand air la légère odeur qui caractérise les sources.
       Après cet indispensable préliminaire, chacun attacha son mulet à l'ombre; les chevaux des indigènes furent libres comme d'habitude de chercher leur pâture, puis j'allai m'asseoir près de Lârbi. Il causait volontiers, et je l'écoutais avec d'autant plus d'intérêt qu'il était au besoin d'une discrétion parfaite.
       " La dernière fois, me dit-il, que je suis venu ici, j'y ai été moins tranquille. Les Ouled Djellal ayant volé les Bou-Azid, le commandant Saint-Germain m'envoya avec dix-huit cavaliers de la Nouba pour les razzier à leur tour, et les forcer ainsi à restitution. C'était pendant le ramadan, les journées étaient cruellement chaudes et longues. Je tombai sur mes maraudeurs le matin, comme ils commençaient à s'endormir ; je leur enlevai deux ou trois cents moutons et je repartis pour les Zibans, mes hommes poussant leur prise devant eux. J'étais au Bou-Adam vers une heure de l'après-midi, et nous y arrivâmes accablés par la fatigue, la chaleur et la faim. Je ne pus empêcher tout mon monde de se précipiter ici ; les bêtes burent l'eau des sources, les hommes s'étendirent à l'ombre des berges. Tout à coup les coups de fusil éclatent au-dessous de nous, les 0. Djellal nous avaient suivis et atteints. Heureusement ils attaquèrent par la rive droite qui nous abritait. Chacun de nous sauta sur son cheval et partit au galop. Le butin fut perdu avec quelques pièces d'armes ou de sellerie. Nous étions tous perdus si nos chevaux eussent été à la chaîne comme ceux des Français. M

       Vers deux heures, nous repartîmes. J'avais, depuis Biskra, chargé un mulet de 2 tonneaux de 60 litres qui pouvaient transporter l'eau nécessaire aux hommes de la caravane. Celte précaution assurait toute indépendance à nos bivouacs. Il suffisait que les bêtes eussent à boire une fois vers la fin du jour : on formait le camp en belle vue en se réservant seulement, avant la nuit, le temps de faire la soupe et de laisser reposer les mulets avant de les débâter. Nulle autre considération ne devait nous arrêter et diminuer nos étapes.

       Mais il n'y a qu'ennui et chaleur incommode à attendre quand on s'arrête trop tôt. Cette fois, je fis monter mes hommes à mulet, je restai seul à pied au grand étonnement des Arabes, qui ne comprennent pas qu'on n'aille pas à cheval quand on le peut, et qui venaient m'offrir leurs montures; après 7 kilomètres environ, nous nous trouvâmes au Maader-bou-Melleh, sous le Kef-el-Khredim. Un maader est une plaine humide ou seulement un peu plus fraîche que le sol qui l'environne. Ici par exemple le lit de l'Oued-Doucen se couvrait sur une lieue de longueur d'une herbe fine et assez serrée que paissaient de grands troupeaux de moutons. Quant au Kef-el-Khredim, c'est la ligne de collines qui marquent la rive droite en cet endroit. El Khredim (la négresse, la servante) est une goule (Goula-edj-Djouira) qui habite ces collines et joue de mauvais tours aux voyageurs qui ne sont pas en état de grâce. Ainsi Lârbi et le cheik Sliman des Bou-Azid, qui nous avait rejoints pendant la dernière marche; me racontaient l'histoire d'un homme du pays, saisi à la gorge par et Khredim et étranglé pour l'avoir voulu braver en insultant au pouvoir des génies. Une autre fois un Arabe; pressé d'achever son voyage, pousse son chameau dans la plaine où nous sommes sans prendre le temps de réciter ses prières, d'invoquer Allah et le Prophète, et de conjurer la négresse. Tout à coup son chameau parait s'effrayer et commence à fuir en poussant ce cri affreux que nous connaissons pour l'avoir maudit cent fois. L'Arabe essaye en vain de le retenir, cherche la cause de son effroi, et aperçoit derrière lui la négresse qui, sans paraître faire de mouvements, se rapproche sans cesse ; alors l'infortuné excite à son tour la malheureuse bête ; mais quand il se retourne pour voir s'il a gagné du terrain, il voit la goule pendue à la queue même de sa monture. Dès lors il abandonne la conduite du chameau, implore Mahomet et cache son visage dans son burnous. Le chameau court, court encore ; son haleine devient stridente, et la terreur accélère son allure. Enfin, il tombe épuisé ; le lendemain, on trouva l'homme évanoui à côté du chameau mort.

       Toutefois les démons du Sahara sont, en conscience, de meilleure composition que les nôtres. La Khredim se contente en général d'effrayer de son apparition ses visiteurs, surtout quand ils n'ont pas fait d'offrande aux arbres marabouts. Nous avions en effet rencontré çà et là quelque grand jujubier chargé sur toutes ses branches de chiffons de toutes étoffes et de toutes couleurs. Sliman, supposant avec raison que nous n'avions rien ajouté à cette profusion d'ex-voto, nous recommanda avec une amicale sollicitude de prendre garde à la goule. Mais l'hospitalité de la Khredim fut pour nous exempte de niai et d'effroi.

       Ce digne Sliman avait rencontré à Lichana, sur les limites de ses domaines, M. Dubosquet, parti en même temps que nous de Biskra ; M. Dubosquet lui avait fait part de notre voyage et de son objet. Sliman était parti sur le champ avec un chameau chargé de provisions et deux femmes pour faire la cuisine. Il avait fait neuf lieues pour nous joindre, justifiant une fois de plus l'assertion des habitants du désert que les distances qui excéderaient le courage d'un homme du Nord ne sont rien pour eux. Il avait fait fausse route, pensant que nous coucherions à Lioua, ou du moins à Bou-Adam, et nous avait découverts ensuite, grâce à la finesse de sens qu'exerce l'habitude de parcourir ces solitudes. Sa smala s'était jointe à la nôtre, et des fantasias plus compliquées avaient animé la fin de notre étape.
       Nous fûmes promptement amis. Sliman avait saisi avec une grande vivacité d'esprit les chances de commerce que notre voyage pouvait donner à sa tribu. 1l commença par nous faire fête, il nous envoya des espèces de galettes qui remplacent le pain dans les festins des grands, une sorte de crêpe faite par les femmes qu'il avait amenées, des pastèques et l'inévitable couscoussou. J'ajouterai, et l'on me pardonnera ces détails, que mes canonniers et les hommes de la Nouba eurent les moutons les plus gras qu'ils eussent mangés pendant le voyage. Mes canonniers préparèrent simplement le leur à l'européenne. Les indigènes creusèrent un trou en terre, mirent de grosses pierres au fond et y firent brûler plusieurs fagots. Puis le mouton fut mis, vidé, mais entier du reste, sur les pierres et chargé de broussailles et de terre. Au bout de deux ou trois heures, on le retira, et il fut mangé avec des cris de joie. Lârbi insista beaucoup pour que j'y goûtasse ; mais je venais d'achever mon repas, et je n'étais nullement en disposition de recommencer.

       Cette nuit fut une des plus agréables que je me rappelle. Le temps était magnifique, et les étoiles brillaient d'un vif éclat. Dans les broussailles près du Redir, l'éclat du feu des guides criait au milieu des teintes si douces d'une belle nuit. De temps en temps, l'un des leurs jouait sur une façon de flageolet des airs d'une harmonie simple que notre école lyrique n'eût pas avouée, mais à laquelle on s'habituait. Notre tente était à soixante pas en avant avec l'espace librement ouvert devant nous. Nos chevaux étaient couchés à gauche, fatigués de la journée et repus d'écorces de pastèque ; puis venait la corde des mulets, et derrière eux leurs bâts et leurs caisses parfaitement en ordre, puis les quatre tentes bien alignées où couchaient les canonniers. L'un d'eux veillait, le mousqueton à la main. Au loin, la lumière des tentes de Sliman peuplait seule la solitude. Du reste, aucun bruit, rien qui arrêtât l'oeil. C'était la première fois que je jouissais pleinement du désert; je ne l'avais vu jusque-là que d'un camp où vous enferment les exigences de la discipline, ou dans le voisinage des tentes de quelque tribu.


A SUIVRE

La mort du poisson.....
Envoyé Par Chamaloo

          La petite Nathalie (7 ans est dans le jardin en train de remplir un trou.
          Lorsque le voisin l'aperçoit par-dessus la clôture :
          - Que fais-tu là Nathalie ? »
          Elle lui répond, sans lever la tête, que son poisson d'aquarium est mort et qu'elle l'enterre.
          Le voisin quelque peu curieux lui dit : « C'est un très gros trou pour un petit poisson ne crois-tu pas ? »
          A ce moment, Nathalie termine la dernière pelletée en la tapant délicatement et lui répond :
          - C'est parce qu'il est à l'intérieur de ton putain de chat. »



« Le Pavois »
de Paul Landowski
Envoyé par le Webmaster : Tarik OUAMER ALI

Cachez-moi cette œuvre que je ne saurais voir !

« Où donc l’œuvre d’art est-elle chez elle ? ; En tant qu’œuvre, elle est chez elle uniquement dans le rayon qu’elle œuvre elle-même par sa présence [...]. Être-œuvre signifie donc : installer un monde » Heidegger

Le monument ; aux morts d’Alger supposé englouti dans un amas de béton…survis dans un sarcophage « protecteur » soigneusement réalisé par un groupe d’artiste à leur tête Issiakhem M'hamed. Le pavois est le monument aux morts d’Alger, une immense sculpture, commandé par la ville d’Alger, qui cherchait à l’époque de montrer l’étroite relation qui unissait les populations d’Europe et d’Afrique : ce qui est particulièrement visible dans le groupe qui s’inscrit dans le dos du monument, « les deux femmes, les deux vieillards, l’Européen et l’Arabe s’appuie l’un sur l’autre. L’unité de sentiment a conduit à l’heureux effet plastique », écrit Landowski dans son Journal en 1921. Malheureusement, le destin de la sculpture « le pavois » ne connaîtra pas celui du Christ rédempteur de rio de Janeiro (Brésil) du même auteur.

  

Ainsi et à la veille de l’organisation des jeux Africains de 1978, « le pavois » de Paul Landowski ne devait plus être une gêne pour le regard, cette magnifique œuvre qui a survécu aux années 60/70, ne surplombera plus la baie d’Alger et le monument de la grande poste (1906) de l’architecte Henry Petit, ainsi que d’autres monuments, notamment le siège du journal la Dépêche Algérienne occupé aujourd'hui par le RND (Rassemblement National Démocratique) et celui du siège de la Préfecture d’Alger, qui a gardé sa fonction initiale puisqu’il abrite les services de la Wilaya d’Alger.

La suppression des signes de l'Ancien « colonisateur », n’est pas un fait nouveau dans l’histoire : la révolution française et la chute de la monarchie en 1792, l’occupation de l’Irak en 2003, et la dictature des Talibans en Afghanistan sont marqués par le pillage des musées, la destruction des mausolées et monuments...

Et c’est suite à plusieurs tentatives de réoccupation de l’esplanade... ou est érigé « le pavois »... par... « autre chose » qu’Issiakhem M'hamed et ses collaborateurs ( Kerbouche Ali, Bourdine Moussa, Oulhaci Mohamed, Nadjar Mohamed, Bouarour Said, Ould Aîssa Ali, Filali Mustapha, Tadjer Mustapha, Bendaoud Youcef, Chaîb Salah, Ziraoui; El Hadi, Ould Aîssa Raouf) ont ingénieusement créé une œuvre sarcophage afin de protéger le monument, non sans la colère de « Momo » qui de la grille du jardin de l’horloge florale (actuellement) vociférait sa colère pensant au pire pour l’œuvre.
L’une des œuvres majeures de Paul-Maximilien Landowski survie effectivement à l’intérieur de ce parement rigide, enveloppé dans un film polyane, une grille, de la filasse, une structure en bois et du ciment pour Revêtements. Le polyane et la charpente en bois sont visibles actuellement au sommet.

Embaumée depuis plus de trente deux ans, la sculpture attend peut-être sa prochaine libération, à l’image des deux poignées libérées de leurs chaînes en bas relief sur le sarcophage…

Tarik OUAMER ALI


le sarcophage abritant "le pavois" - 2010



le sarcophage abritant "le pavois" - 2010



le sarcophage abritant "le pavois" - 2010


Paul LANDOWSKI

Paul Landowski naît à Paris le 1 juin 1875. Il effectue ses études secondaires au collège Rollin. Elles lui donnent l’occasion de se donner une large culture littéraire. Il découvre les auteurs qui ne cesseront d’être ses références héroïques, Eschyle, Shakespeare, Hugo, mais aussi Plutarque, Longus, l’autre visage, fantaisiste et sensuel, de l’antiquité, et encore Flaubert, qui incarnera dans son panthéon personnel l’acharnement au travail qui constitue à ses yeux la morale de l’artiste. Il excelle en philosophie. Il projette d’écrire des drames en vers. En hypokhâgne, en 1892, il rencontre Henri Barbusse, dont il restera l’ami et dont il partagera, sinon l’engagement politique, du moins l’humanisme militant.

Il dessine aussi, sans aucun doute, de plus en plus à mesure que sa vocation se précise. C’est chose faite en 1893, quand il entre à l’Académie Jullian et suit les cours de Jules Lefebvre, peintre savant et professeur exigeant auquel Paul devra peut-être en partie sa maîtrise particulière des portraits et des nus. Parallèlement, chargé par le professeur Faraboeuf de dessiner les planches anatomiques qu’il utilise pour son cours à l’École de médecine, il assiste quotidiennement aux dissections. Au faîte de sa notoriété, Landowski sculptera pour la faculté de médecine une statue de lui qui sera une sorte d’hommage reconnaissant. Toujours est-il qu’il y acquiert cette connaissance extrêmement précise de l’anatomie, qui constituera toujours à ses yeux le fondement de l’art du sculpteur, l’inspiration, les souffles, l’imagination créatrice ne s’actualisant, selon sa constante conviction, que dans et par un savoir technique irréprochable.Ces études n’absorbent pourtant toute l’énergie de ce jeune homme fasciné par la puissance de la vie. C’est à la boxe qu’il voue l’intérêt passionné qui se coulera plus tard dans le bronze, avec Le pugiliste ou boxeur tombé. Il entre en 1895 à l’École des beaux-arts, dont il sera l’élève jusqu’en 1900, avec le sculpteur Barrias pour maître. Les honneurs débutent tôt pour Landowski.

En 1900, un David combattant lui vaut le Premier Grand Prix de Rome de sculpture et quatre années italiennes à la villa Médicis, qui le confirment dans son option classicisante. Dans cette œuvre d’un jeune homme de vingt cinq ans se trouvent déjà des traits qui jalonneront l’œuvre sculpté : l’image du héros où s’exprime la légende des siècles, ici imprégnée de la tendresse qu’inspire la fragilité apparente de la jeunesse et proche d’Aymeri de Narbonne de la Légende des siècles, « David frondeur dans tous les sens du mot » écrit Jules Romains, « et qui apparaît déjà comme un défi de jeunesse ». Et aussi une maîtrise du mouvement qui fait de ce David, dans un autre registre, un grand frère du célèbre petit Voleur d’oranges que Landowski rapportera bientôt d’un voyage en Tunisie.

Les quatre années passées à la villa Médicis se partagent entre le travail, la découverte de l’Italie antique et renaissante, un voyage en Tunisie où il découvre avec émerveillement une permanence de l’orient antique. Outre le Voleur d’oranges il en rapportera plusieurs bronzes, Le Fakir, La bédouine à la cruche, Les porteuses d’eau aveugles, dont la marche lente et courbée vers le puits constitue curieusement, dans un autre registre ici encore, un curieux écho aux trois géants antiques courbés vers l’avenir qui vont bientôt assurer sa notoriété.

Déjà, pour l’artiste, le « grand-œuvre » est commencé et ne s’éteindra qu’avec lui. Car c’est un temple que Landowski veut construire. Un temple à la gloire de l’homme, avec ses luttes et ses victoires. Paul Valéry, ami du sculpteur, lui donne un nom : Le Temple de l’homme. L’ambition est à la mesure de l’idéal. Elle relève de la grande tradition, celle de la noblesse de l’art où esthétique et éthique intimement mêlées, justifient la fonction de l’artiste, où la forme doit se soumettre à l’idée, pour être accessible à tous. C’est déjà dans cette perspective entrevue qu’il conçoit Le rhapsode, son envoi de Rome de l’année 1905, dont il fera l’année suivante la figure centrale du groupe des Fils de Caïn, qu’il expose en 1906 au Salon des artistes français. L’accueil de la critique est enthousiaste et font de ce jeune homme de trente et un ans un artiste célèbre. C’est qu’au cours de ces premières années romaines, il a aussi conçu cette idée qui va l’accompagner tout au long des vingt ans qui viennent, celle de jalonner son œuvre de figures qui symboliseraient la marche de l’homme depuis les mythes antiques jusqu’aux continents de l’avenir, et constitueraient ainsi sorte d’épopée nourrie de Lucrèce, de Michelet et d’Hugo, à la gloire de l’humanité. Le vaste projet se matérialise partiellement dès 1906. Prévus pour le parvis du temple, Les Fils de Caïn remportent un vif succès au salon et sont achetés par l’Etat (ils sont actuellement placés dans les jardins des Tuileries).

Tout en poursuivant l’œuvre de sa vie, Landowski fait face aux multiples commandes publiques. Mais c’est toujours le même esprit de grandeur qui le guide, quand débutent les réalisations monumentales : L’Architecture de Reims, le Monument aux Artistes inconnus au Panthéon à Paris, le Monument de la Réformation à Genève, exécuté avec Henri Bouchard. Puis c’est la guerre. Landowski en revient et témoigne à sa façon : une longue suite de monuments aux morts dont la sobriété écarte toute grandiloquence. Dans l’Aisne, sur la butte de Chalmont, il taille dans le granit huit géants hauts de 8 mètres, Les Fantômes, qui se redressent de la plaine mortifère. Jalons de l’Histoire aussi que le Monument aux morts érigé à Alger et celui de La Victoire, à Casablanca, les trois allégories en pierre pour le palais Piratini à Porto Alegre, au Brésil, dont la réussite lui vaudra, vingt ans plus tard, la commande du Christ de Rio de Janeiro, Les artistes dont le nom s’est perdu pour le Panthéon, à Paris.

Au cours des huit années qui suivent, l’activité du sculpteur est infatigable. Elle se partage entre des commandes privée de bustes, de statues, des pierres funéraires, des figures de genre : La Bédouine à la cruche, la Danseuse aux serpents (1914), une sculpture, l’Hymne à l’aurore, qu’il destine à son grand projet, des commandes publiques enfin, en France et à l’étranger.

Dès les premiers jours de la paix, le pays se couvre de monuments aux morts. Landowski reçoit de très nombreuses commandes et en accepte un grand nombre. Peut-être, en raison en partie des contraintes imposées par les commanditaires, cette dizaine d’œuvres est-elle de valeur inégale. Mais c’est surtout pour lui l’occasion de développer, de façon originale, un certain nombre de thèmes fondamentaux dans son oeuvre : l’héroïsme, dans les deux monuments érigés au Maghreb, le Monument de la victoire à Casablanca (1921) et Le Pavois, monument aux morts d’Alger (1928) ou la course au flambeau, par exemple, image de la marche en avant de l’humanité héroïque, dans Monument aux morts de l’École Normale Supérieure. Mais aussi, de façon plus originale dans un monument aux morts, le thème tendre de la mère et de l’enfant, qui trouvera son aboutissement, bien plus tard, en 1956, dans Le Retour éternel du Columbarium du Père Lachaise. Il prend forme à l’époque, dans les monuments de Boulogne-sur-mer et de Fargniers, et dans le monument de Schaffhouse (À la Suisse consolatrice la France reconnaissante) de 1922, où la tendresse se colore de la gravité tragique que traduit l’inclinaison des corps. Ce qui en fait comme un écho en mineur du sublime groupe en granit des Fantômes sur la butte de Chalmont,qu’il a entrepris deux ans plus tôt, mais qui ne sera inauguré qu’en 1935. Il sera alors précédé, en contrebas, au bord de la plaine, d’une figure de La France, d’une sobriété majestueuse qui évoque le style sévère de l’art grec. L’effet est saisissant.

Mais au tragique de la guerre s’oppose l’exaltation de la puissance de l’homme et de la vie. L’époque célèbre les grands exploits : plusieurs monuments de cette période exaltent la conquête du ciel, où se conjuguent l’héroïsme éternel et la modernité, notamment le Monument à Wilbur Wright et aux précurseurs de l’aviation, érigé au Mans en 1920, le monument à Clément Ader. Le sport a aussi sa place avec Le boxeur tombé (le Knock down) ou Le pugiliste, où se mêle la représentation d’un champion moderne, Georges Carpentier, et une référence implicite à l’antiquité. De même, pour la coupe internationale de ski proposée par l’office du tourisme suédois en 1922, il choisit curieusement de sculpter une figure d’Héraklès et la biche aux pieds d’airain où se lit en filigrane une sorte d’hommage à l’archer de Bourdelle.

Pendant ce temps à l’ombre des commandes, le Temple de l’Homme a progressé et en 1925 à l’exposition des Arts Décoratifs, Landowski en expose plans et maquettes : quatre murs entièrement sculptés qui content l’histoire de l’humanité . A Prométhée enchaîné, répond le Christ crucifié. Aux luttes et victoires du Héros, s’oppose l’apaisement des chants sacrés : les Védas hindous de l’Hymne à l’aurore, ou encore le Cantique des créatures de Saint-François. Vaste programme iconographique qui est un hommage aux grands chantiers antiques et médiévaux. Car rendre à la création artistique sa vocation sociale est le but recherché. Landowski renoue avec la tradition du bas- relief monumental, dont le succès s’affirme dans les années 30. Le Temple restera malheureusement à l’état de belle utopie et cet échec sera douloureusement ressenti par le sculpteur.

Mais commandes et fonctions le demandent ailleurs. En 1926, Landowski est entré à l’Institut et dans son atelier défile désormais ce que l’entre-deux guerres compte de célébrités et dont il laissera une impressionnante série de portraits. Durant l’entre-deux guerres, les grandes réalisations se sont succédé: Paris, qui lui avait commandé, en 1928, la statue de Sainte Geneviève sur le pont de la Tournelle, lui fera exécuter successivement la statue de Montaigne de la rue des Écoles (1934), les bas reliefs des Fontaines de la porte de Saint Cloud, Tombeau du maréchal Foch. Sa réputation est internationale. Après la statue de Sun Yat-Sen pour son mausolée des Monts pourpres près de Nankin qu’il avait sculptée en 1928 à la demande du comité exécutif du Kouo-Min-Tang, il sculpte, à la demande du Brésil et de Silva Costa, auteur de la structure architecturale, le Christ rédempteur, qui est sans doute son œuvre la plus célèbre. Il occupe des fonctions officielles : nommé directeur de l’Académie de France à Rome en 1933, puis directeur de l’Ecole des Beaux-Arts en 1937 , il y institue l’enseignement simultané des trois arts, mesure qui répond aux besoins contemporains d’une sculpture monumentale. Décision qu’il commente ainsi : « Ce travail fait prendre obligatoirement conscience à l’architecte de sa responsabilité de maître d’œuvre ; il révèle aux peintres et aux sculpteurs que la fantaisie sans frein ne donne pas toujours la plus grande joie créatrice…. Tous acquièrent un sentiment élevé de leur interdépendance mutuelle et se préparent aux travaux de grande envergure qui constituent en définitive une des fins les plus importantes, sinon la plus importante des arts plastiques ».



Le jardin de Paul Landowski


WEB TOUR :
Le musée Paul Landowski

Le musée Paul Landowski est situé là où s’élevait l’atelier du sculpteur (1875-1961) et où il travailla jusqu’en 1961. Après l’obtention de son Grand prix de Rome de sculpture en 1900, Paul Landowski s’installe en 1905 à Boulogne-sur-Seine où il vit et travaille jusqu’à sa mort, en 1961.

Le fonds conservé est exceptionnel et représentatif de l’art de Landowski, qui connut une renommée mondiale durant l’entre-deux-guerres, auteur entre autres du célèbre Christ rédempteur qui domine la baie de Rio de Janeiro. La petite statuaire rend compte de l’art intimiste (thèmes, anecdotiques, orientalistes, portraits) et des maquettes de monuments témoignent de l’ampleur de la statuaire monumentale (monuments, commémoratifs, Montaigne, tombeau du maréchal Foch, fontaines de la porte de Saint-Cloud). Un ensemble essentiel, présenté à l’Exposition des arts décoratifs de 1925, concerne le Temple de l’Homme, et restitue ce qui fut son «grand-œuvre », sorte de Légende des siècles sculptée dans la pierre.

Le jardin, qui ouvre sur le Prix de Rome, David Combattant, est aménagé à l’image de la vaste réflexion humaniste qui est au centre de l’œuvre. Le plâtre original de la Porte de la faculté de médecine de Paris, qui conte le thème, toujours récurrent, du progrès humain à travers les mythes et les légendes, introduit à un espace clos, conçu comme un cloître. Là sont présentés, des éléments, grandeur réelle, du Temple de l’Homme. Des bancs de pierre invitent à la méditation. Un ensemble de dessins, concernant Le Temple de l’Homme, une série sur l’Enfer de Dante, des projets de monuments, permet d’étudier l’élaboration de la sculpture. Le plâtre original de la Porte de la faculté de médecine de Paris, actuellement en restauration, sera prochainement présenté dans la nef de l’espace Landowski.


14, rue Max Blondat – 92100, Boulogne-Billancourt (France)
Tél. 33 (0) 1 46 05 82 69 / - (0) 1 55 18 46 42
http://www.boulognebillancourt.com/



«Le pavois» de Landowski :
« Exhumer l'histoire, la ressusciter»
par Ammar Allalouche

Si de pareilles murailles ont jadis existé, il est impossible qu’elles aient été entièrement détruites. Elles sont enfouies sous la poussière et les débris millénaires. Si le monument « aux morts » érigé par le sculpteur Paul Landowski a jadis existé, il est impossible qu’il ait été détruit. Il est momifié dans une masse de « béton » en guise de sarcophage pour échapper à ce verdict inquisiteur. Cachez-moi cette œuvre que je ne saurais voir.


LE PAVOIS
source  : http://www.paul-landowski.com/

Autant d’emblée, aucun jeune de cette génération ne soutient qu’il existe un monument dans ce sarcophage et qui fait partie de l’histoire d’Algérie. Ce Jeune aura plus de chance de découvrir la vérité une fois que ce monument est dépouillé de son déguisement qui lui a été imposé en 1978 dans le but d’occulter l’histoire.

S’interroger sur ce monument revient à s’interroger sur notre histoire qu’il fallait écrire avec le témoignage et l’œil de la vérité et toute justice de l’objectivité qu’appel l’histoire. Et à ce propos, il importait de veiller à ce que certains enjeux politiques et religieux n’aient pas une quelconque influence sur une entreprise aussi salvatrice que l’écriture de l’histoire.

Si nous l’avions fait nous ne serions aperçus de la dimension algérienne que comporte notre identité. Nous y aurions découvert une partie de notre être. Quelque soit le message qu’il véhiculait, ce monument demeure aujourd’hui une valeur de la singularité de notre patrimoine.

Il reste maintenant à procéder à la réhabilitation de ce monument qui n’a rien à voir avec les histoires mais avec l’histoire : l’histoire de l’Algérie profonde. Cela demande l’implication de tout le monde à commencer par les artistes, les amis défenseurs du patrimoine, les historiens et les hommes de culture et tous ceux qui veulent que l’Algérie est grande et tolérante.

Ammar ALLALOUCHE
Horizons Modernité
email : allaloucheammar@yahoo.fr
Tunis - Novembre 2010



BULLETIN        N°11
DE L'ACADÉMIE D'HIPPONE

SOCIÉTÉ DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES
ET D'ACCLIMATATION


DÉCOUVERTE D'INSCRIPTIONS

AÏN — KEBIRA

Par M. VINCENT, lieutenant au 33° de ligne,
adjoint au bureau arabe de Takitount,
membre titulaire non résidant.

A environ 30 kilomètres de Sétif, au milieu d'un pays fertile, se trouve une ancienne ville romaine connue sous le nom arabe d'Aïn-Kebira.
Aïn-Kebira a été visitée en septembre 1871 par M. le Dr V. Reboud, qui y a copié quelques inscriptions et de beaux fragments impériaux, et, en outre, deux autres grandes inscriptions presque entières, mais tellement frustes, que ses efforts pour en tirer parti ont été sans résultat.
A en juger par les énormes masses de pierres disséminées çà et là, par les colonnes brisées, les chapiteaux et les vastes bassins que l'on rencontre à chaque pas, cette ville a dû être considérable. On y a recueilli un grand nombre d'inscriptions.
Un fort dont on voit encore les remparts est situé sur un mamelon d'une altitude de 300 mètres et protégeait cette ville contre les invasions du midi. Quatre cents marches taillées dans le roc conduisent au sommet.
Deux vastes cimetières, situés l'un à l'est et l'autre à l'ouest des ruines, contiennent un grand nombre de sarcophages en pierre dans lesquels j'ai trouvé des squelettes entiers assez bien conservés.
Aux environs d'Aïn-Kebira on voit de jolis jardins où se rencontrent encore des vestiges d'anciennes habitations romaines qui devaient être des maisons de campagne, si l'on en juge par les arbres et les fontaines qui les entourent.
N'est-ce point à Aïn-Kebira que l'oued Endja prend sa source pour aller se jeter dans l'oued El-Kebir, au-dessous de Milah ?

A peu de distance passe la route de Sétif à Djidjeli, qui longe les ruines de Zaroura et d'Oghrar. Ces trois points sont reliés entre eux par plusieurs ksars et des restes d'habitations romaines situées à droite et à gauche de la vallée de l'oued El-Kebir.
(1) Aïn-Kebira est située à 36° 48' de longitude ouest, et 3° 10' 20" de latitude nord. (Carte de l'état-major. 1869)
(2) Pendant les loisirs que me laissait la mission dont j'étais chargé, je me suis empressé de recueillir et de relever des inscriptions. Vingt ont été mises à l'abri dans un local construit à cet effet.

J'ai fait opérer quelques fouilles, et j'ai eu la bonne fortune de découvrir, à une profondeur de 3m60, un temple qui présente une surface rectangulaire de 16 mètres sur 12. Des colonnes reliées deux par deux forment une galerie intérieure. Sur l'une d'elles, celle du milieu à gauche, est gravée l'inscription qui porte le n° 13. La pierre n° 14, portant une dédicace à Bacchus, a été trouvée à droite, non loin de l'escalier construit pour entrer dans ce temple.
Des fresques couvraient les murs intérieurs de cet édifice. Malheureusement je n'ai pu en sauver qu'un fragment que je vous envoie, avec quelques autres objets recueillis çà et là dans le temple.
La collection d'inscriptions recueillies par M. Vincent paraît avoir un grand intérêt. L'une d’elles, le n°2, donne le nom ancien d'Aïn-Kebira, Sataffi, restitué à cette localité par M. Poule, l'un de nos membres correspondants.
Voici ces inscriptions, avec nos essais de lecture que nous donnons sous toutes réserves.

No 1.
Trouvée sous terre, dans les ruines.
Hauteur, 1,10m ; largeur, 0,44 ;Hauteur des lettres. 0,06m.
G.  M.  S.
MARTI
AVG .  CON
SERVATo
RI  SALVTIS

Genio municipii Sataffensis ? Marti Auguste conservatori salutis.
M. Papier pense que ce nom est un nom d'homme qui aurait eu une charge de préfet ou d'agent de la salubrité publique (?). Tel n'est point l'avis du rapporteur de la commission.

No 2.
Trouvée dans un jardin.
H 0,85m ; l. 0,40m. ; Lettres, 0,05m.
GENIO   MV
NICIPII   SA
TAFFENSIS
EX   TESTA
MENTO
C  .  STAFULE
NI   MARTIA
LIS   FL .  PP
C  .   STATVLENI
VS   VITAIS   HE
RES
L .   MIL .   N
CONSTIT
DD

Genio municipii Sataffensis (Sataffi) ex testamento Caii Statulenii Martialis flaminis perpetui. - C. Statulenius Vitalis ? Hœres L mil N constituit decreto decurionum.

Sataffi est le nom ancien d'Aïn-Kebira. Dans les anciens itinéraires (Iter Saldis Igilgili), Sataffi est distant de 95 milles de Saldæ (Bougie) et de 64 de Igilgilis (Djidjeli); il figure aussi dans la liste des évêchés de la Mauritanie Sitifenne. C'est la première fois qu'on le trouve sur les monuments.
Il est â regretter que la fin du texte, tel qu'il est sous nos yeux, laisse à désirer. C'est une dédicace au Génie du municipe de Sataffi (Mars conservateur de la santé) par C. Stafulenius (ou Statulenius), flamine perpétuel martialis, ou prêtre de Mars.
A la douzième ligne, les lettres L et N sont séparées de MIL par des coeurs.

N° 3.
Découverte dans les jardins.
H. 1,20m ; l. 0,47m ; Lettres 0,05m
D  M  S
VICTOR  V
A  XXXV  H  S  E
MAXIMVS
FRATRI
POSVIT

Dis Manibus sacrum. Victor vixit annos 35. Hic situs est. Maximus fratri posuit (monumentum ?).

N° 4.
Trouvée dans les ruines.
H. 0,60m ; l. 0,50m ; Lettres 0,06m.
D  M  S
PLVRIVS
P  FIL PRIMVS
IVNIOR  V  A
XIV

Dis Manibus sacrum. Plurius P. filius prirnus junior vixit annos 14.
A la troisième ligne, M et V sont liés, de même que V et N de junior à la quatrième.

N° 5.
H. 0,65m ; l. 0,55m ; Lettres, 0,04m.
 PATRIS           ET  FILII
 SERVVS       PLENVS
    EXIVIT            ARATOR
V  A   VNO   M  X  D   VI

Cette inscription, dont le sens des trois premières lignes nous échappe, a dû être relevée. Ne serait-elle pas, d'après M. Doublet, la partie inférieure d'une inscription chrétienne commençant par ces mots : In nomine ? La première ligne est coupée en deux par un croissant dont les cornes sont en haut; la deuxième l'est par une rosace à six feuilles renfermée dans un cercle. Un croissant tourné en bas divise aussi en deux la troisième ligne. Entre les lettres de la qua­trième ligne sont intercalés trois coeurs et une sorte de feuille. Nous proposons de cette ligne la lecture suivante : Vixit anno uno, mensibus X, diebus VI.

N°6.
H. 0,59m ; longueur, 1,10m ; Lettres, 0,20m.
Brisée aux deux extrémités. A dû être relevée.
 I I P .   R O C

N°7.
H. 0,50m ; longueur, 1,20m — Lettres 0,20m.
Cette pierre, comme la précédente et les deux suivantes, sont brisées à leurs extrémités. Les textes en ont été relevés.
X  I  C  O  S  L
Undecim consul ?

N°8.
H. 0,40m ; longueur, 0,80m. -- Lettres 0,05m.
LIO  ANTO

Coelio ou Publio ; Antonio ?

N° 9
H. 0,40m; longueur, 1,50m. — Lettres, 0,20m.
ITO   SEVERO   PIO
Tito? Severo Pio ?

N° 10.
Déjà relevée. Brisée sur les côtés.<
H. 0,50m ; largeur, 0,40m. ; Lettres, 0,07m.
ROSAE   FETII
M   CORDIVS
TE   SVA  PECVNIA

Rosae Fetiæ ? M. Cordius de ? sua pecunia (fecit).

11.
Découverte dans le temple.
H. 0,46m ; 1. 0,56m ; - Lettres, 0,03m.D  M  S
HONORI   ET
MEMQRIAE
APERTI   NM
FAMONIS   MI
LITIS  .  COH
VRS

Dis Manibus sacrum. Honori et memoriæ Aperti Nam famonis ou Namphamonis (nom vulgaire indigène) militis cohortis  urbanæ
A la fin de la quatrième ligne, N et M sont liés.

N° 12.
Cette inscription, dont la fin des lignes est brisée, a été relevée.
H. 0,55m ; l. 0,54m ;-Lettres, 0,05m.
D    M
AELIA    VRBA
ANTEIANA   V

Dis Manibus (sacrum). Ælia Urbana Anteiana vixit....

N°13.
H. 0,60m ; L. 0,80m - Lettres, 0.05m
Découverte gravée sur une colonne du temple, à 3,70m de profondeur sous terre. Cette belle inscription demanderait un bon estampage.
MANNVS
SACERDOS
FORPMCV  ?
RATOREBS  ?
PVNCTR  ?
CONCHAS   DE
SVO .  T  .  POSVIT

Mannus, sacerdos.... curator.... de suo testamento posuit.
A la fin de la sixième ligne, DE forment sigle.

N° 14.
Trouvée à 3 mètres 60 de profondeur dans le temple.
H. 0,75m ; longueur, 0,38m — Lettres, 0,05m.
LIBERO
PATRI
DE   SVO
MEMORI
V   S

Libero (Liber, un des noms de Bacchus) Patri de suo Memorius (fecit). Sous les lettres VS est gra­vée une feuille de vigne.
M. Papier propose une autre interprétation : A son père (qui a été) affranchi (il a fait élever) à ses frais (ce monument) commémoratif. Il a accompli ce vœu (votsum solvit).

No 15.
Trouvée sous terre. L'extrémité des lignes est brisée. Un bon estampage permettrait, sans doute, d'en découvrir le sens.
H. 0,55m ; largeur, 0,50m ; — Lettres,  0,06m
CDS  . I . VC . PPM
EINE    SVO    OBLA
BIESITAEBRE
IOVOTMOI

N°16.
Trouvée près d'un cimetière et déjà relevée par M. Reboud. L'extrémité des lignes se trouve brisée.
H. 0,55m : largeur. 0,57m :  Lettres, 0,05m.
MARTIALIS
MVROR
E    SVO    FECIT

N°17.
Trouvée au cimetière. Extrémité des lignes brisée.
D   M
 SITTI
VRBA
IVNI
V  A X V

Dis Manibus... Lucio Sittio Urbano juniori ? Vixit annos - X V.

N°18.
Sans indication de dimensions et de localité.
DAMS                  P M 
HELVI                  CLORI
      ASRBI               EVS V  XX
NPVI                          V
S R AN                 CLIMV
      L                      VARIVS
                              V  XXV

Ces deux textes présentent de grandes difficultés d'interprétation. Faut-il lire, à la première ligne du texte de gauche, D. M. S., Dis Manibus sacrum ? puis Helvia, urbina ? pius ou pia ? vixit annos L (50) ? Nous n'osons nous prononcer. --- Le texte de droite n'offre pas moins de difficultés. D. M. S. ? Cloritus ou Clorieus ? vixit XX (annis). Clinius ? Varius vixit (annis) XXV. A la première ligne de l'inscription de gauche, la lettre M est figurée par A et V superposés. Dans le texte de droite, à la cinquième ligne, entre les lettres L et I se trouve à leur tête une barre ho­rizontale. Une barre semblable est tracée sous I. A la même ligne, M ou N et V sont liés. Un petit L sur l'ouverture du V.

N° 19.
Point d'indication de localité, point de dimensions. La partie à droite est brisée, et, par conséquent, très incomplète. Elle doit être intéressante.
Q S F V
O  U   V   I
NA   RAT   FECIT

 N (umidiœ) ? RAT (ionalis) ? fecit.


GRAVURES et PHOTOS Anciennes
De BÔNE
Envoi de M. Cinobatti





   LA BASILIQUE SAINT AUGUSTIN   
Envoyé par Cyrille Rochas

SOUVENIRS
Pour nos chers Amis Disparus
Nos Sincères condoléances à leur Familles et Amis


Décès de Mme Sinagaglia Jeanne

"Chers(es) amis (es),

       Bonjour à tous,
             
             C'est avec beaucoup de peine que je vous annonce que Jeanne nous a quitté le jeudi 18 novembre 2010.
             La cérémonie religieuse aura lieu lundi 22 novembre à 15 H à l'église de Monségur 33580.
             De l'avoir connu, aura été pour moi quelque chose de trés beau.
Sylviane Leplus

================

             Notre chère Bônoise Centenaire dont nous avons relaté dernièrement la célébration de ses 103 ans nous a quitté pour un départ vers l'éternité.
             On se doute bien que d'avoir été pendant longtemps à ses cotés pour la choyer, Sylviane était attachée à son agréable personne et que cela restera une magnifique tranche de vie.
             Il n'y aura personne mieux placée que Sylviane pour lui rendre l'hommage qu'elle mérite.

             Encore une fois, mille merci pour ce que vous avez fait pour elle au cours de ses années passée dans "sa maison".
             Pour notre part, cela a été un grand moment d'émotion que d'avoir été présents pour ses cent ans au milieu de tous ces retraités et de ce personnel très attentif et prévenant. Merci à vous tous.
             Les lecteurs de la Seybouse se joignent à moi pour vous remercier de nous avoir fait partager ces dernières années de sa vie, et pour vous présenter ainsi qu'à sa fille et à sa petite fille toutes nos chaleureuses et fraternelles condoléances.
             On vous embrasse de tout coeur
J.P.B.

Décès de M. Jean-François Palomba

"Chers(es) amis (es),
Bonjour
             J'ai la tristesse d'annoncer le décés d'un cher ami, Jean-François Palomba, parti le 31 octobre 2010.
             Il était âgé de 42 ans.
             Entourée de ses enfants, familles et nombreux amis qui lui ont rendus un dernier et vibrant hommage, ses obsèques ont eu lieu le 3 novembre 2010 au cimetière du Haut Vernet à Perpignan.
             Repose en paix, Jean-François
J.P.B.
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MESSAGES
S.V.P., Lorsqu'une réponse aux messages ci dessous peut, être susceptible de profiter à la Communauté, n'hésitez pas à informer le site. Merci d'avance, J.P. Bartolini

Notre Ami Jean Louis Ventura créateur d'un autre site de Bône a créé une rubrique d'ANNONCES et d'AVIS de RECHERCHE qui est liée avec les numéros de la seybouse.
Pour prendre connaissance de cette rubrique,
cliquez ICI pour d'autres messages.
sur le site de notre Ami Jean Louis Ventura

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De Mme Segonds

Bonjour
je suis née en algérie en 1959 et j'ai fété mes 3 ans en france, pendant mon enfance j'ai entendu les fables de la Fontaine en pataouète sur un disque et j'aimerais en retrouver au moins un exemplaire sonore pour que la mémoire des rapatriés ne se perde pas.
Pouvez vous m'aider ?
Merci d'avance
Cordialement, Mme segonds
Mon adresse : yannick.segonds@orange.fr
P.S. : Je pense qu'il n'y aurait des enregistrements de ces Fables de la Fontaine mais plus en Sabir qu'en Pataouéte par Jacques Bedos chef des programmes à radio Alger France V de 1950-1961, écrivain, producteur, et interprète des sketches Sabir et Pataouète.
Il a enregistré ces Fables aux Editions DECCA dont voici les références de certains disques, il y en aurait d'autres.
La Fontaine en sabir DECCA 455671
La Fontaine en Sabir DECCA 451039
La Fontaine en Sabir DECCA 451181

Moi aussi, je serai preneur, même pour une copie personnelle, bien que je préférerai des originaux.
J.P.B.
Mon adresse : jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr

De M. Pierre Jarrige

Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
Diaporama 30                                           Diaporama 31
Diaporama 32                                           Diaporama 33
Diaporama 34                                           Diaporama 35
Diaporama 36
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : pjarrige@orange.fr

DIVERS LIENS VERS LES SITES

M. Gilles Martinez et son site de GUELMA vous annoncent la mise à jour du site au 1er Septembre 2010.
Son adresse: http://www.piednoir.net/guelma
Nous vous invitons à visiter la mise à jour.
Le Guelmois

M. Antoine Martinez vous annonce la mise en service du nouveau site sur l'EXODE de 1962.
Son adresse: http://www.exode1962.fr/
Nous vous invitons à visiter ce site pour se rendre compte ce que fut cet exode.

Bonjour
Je artiste Pied Noir et je suis né en 1946 au Hamma à Alger
Après un passage dans le show biz sous le nom de Robert Carpentier, je continue ma carrière de chanteur.
J'ai écrit une chanson, Ma Ville Blanche (montage vidéo) que je mets en lien sur ce site avec la chanson que vous écoutez.
Voici le lien pour voir la vidéo.

Cordialement, Robert Guille
Vous pouvez aussi visiter mes sites perso à ces adresses :
http://robertcarpentier.com
http://studiokorigan.com
Mon adresse de courrier = robertguille@orange.fr

Chers amis,
Pour des raisons techniques, indépendantes de notre volonté, Skikdamag a migré vers WordPress.com. Ce n'est pas de gaieté de cœur mais nous y étions contraints faute de quoi votre blog aurait dû quitter définitivement la toile. Nous continuerons cependant à vous faire vivre de bons moments en vous rappelant de biens bons souvenirs en publiant, comme auparavant ; contes, anecdotes, photos, diaporamas, vidéos… pour l'heure il faut batailler pour récupérer l'essentiel de nos publications mais nous sommes déterminés et même si la tâche n'est pas facile, nous y parviendrons.
Pour le moment, pour accéder au site, vous pouvez conserver l'ancien lien à savoir : http://spaces.msn.com/members/skikdamag/ (une " passerelle " permettant la migration vers notre nouvel espace). Toutefois, n'ayant pas la certitude qu'à terme cette procédure soit maintenue, nous vous invitons, dès à présent, à utiliser la nouvelle adresse dont voici l'URL : http://jakcol6478.wordpress.com/
En nous excusant pour ce désagrément nous vous adressons toute notre amitié et espérons que vous resterez fidèle à SkikdaMag.
Jacky Colatrella et Claude Stéfanini

jpp-lecteurs de Flash-15-10-2010
Chers amis, Nous sommes le 15 du mois d'Octobre.
56 ans plus tard et Comme depuis 1 AN, chaque 15 du mois PENDANT l'année scolaire.
'' FLASH'' le Journal des Etudiants Constantinois revient avec son N°9 d'Octobre 1955.

Vous pouvez continuer à revivre l'aventure FLASH - en visitant Le site d'André ADMENT. QUI n'a pas raté Ce rendez-vous http://www.constantine.fr.
- ou en utilisant le lien (s'il fonctionne)
http://www.constantine.fr//pages_perso/peyra_flash/flash9-oct1955.pdf
Pour cette reprise 2ème année, 2ème équipe de rédaction, 6 pages grand format, vous REtrouverez les articles de Christian ARRIGHI, Michèle CARRON, Paul CLEMENTI, Guy COSTA, Jacques DESBOURDES, Gustave DESGRANDCHAMP, Jean-Pierre HASSAM, Jacques NOUCHY, Jacques RIVA, Guy SULTAN, Luc THIERY, et d'autres signataires plus ou moins anomymes dont C. C . (Hum !), Double Zéro ( ? ), le technicien de service pour la rubrique Photo (qu'il se signale si nous ne nous trompons pas), un ancien (déjà), une envoyée spéciale à Paris (Mode oblige),….

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Bonne lecture et au prochain numéro
Amicalement : jean-pierre peyrat
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Le Puits
Envoyé par Chantal

      A l'école, la maîtresse demande aux élèves de raconter un événement inhabituel qui leur est arrivé récemment.
      Plus tard elle demande à quelques élèves de lire leur texte. Arthur se lève et commence :
      - La semaine dernière, papa est tombé dans le puits au fond du jardin.
      - Doux Jésus, s'exclame le maîtresse, il va bien au moins ?
      - Je suppose répond Arthur. Il a arrêté d'appeler à l'aide hier. »



Vous venez de parcourir cette petite gazette, qu'en pensez-vous ?
Avez-vous des suggestions ? si oui, lesquelles ?
En cliquant sur le nom des auteurs en tête de rubrique, vous pouvez leur écrire directement,
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D'avance, merci pour vos réponses. ===> ICI


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