Aprés les documents d'archives ci-desous :
- les télégrammes
- le rapport du général Martin
- le colonel Monniot
- le capitaine Morache


SYNTHESE sur le 8 mai 1945 à GUELMA
trouvée aussi dans les archives

          En mai 1945, que s'est-il passé à Guelma, ville de 16000 habitants dont 4500 Européens?

          Les documents classés par ordre chronologique, dont nous donnons copie, éclairent d'un jour nouveau l'affaire de Guelma.

          Après les, troubles mineurs du 8 mai, la ville et les centres de colonisation avoisinants sont attaqués du 9 au 14 mai, l'armée ne dégageant Guelma qu'à cette dernière date, Dans son rapport du 4 juin 1945, le colonel Monniot, commandant la subdivision de Bône, note la tentative de liaison des insurgés de l'arrondissement de Guelma avec d'autres zones du Constantinois. Il y voit la preuve d'une insurrection générale préparée à l'avance, n'ayant pu s'exprimer que dans la région de Guelma. Comme les généraux Martin et Duval, et le colonel Bourdila, le colonel Monniot souligne le caractère de " guerre sainte " de la lutte menée par les musulmans.

          Ainsi, pendant, plus de cinq jours, Guelma et ses environs sont isolés, voie ferrée et lignes téléphoniques coupées. Faut-il parler d'un " siège de Guelma " comme le fait le ministre de l'intérieur, Adrien Tixier, à la tribune de l'A.C.P., le 18 juillet 1945 ? On retrouve à ce propos un réflexe spécifique à l'Algérie coloniale. Le 26 avril 1901, une centaine de musulmans de la tribu des Righa attaquent: le village de Margueritte.. Six européens sont massacrés. Immédiatement, les maires des communes de Miliana, Marengo et Cherchell croient leurs villes assiégées. (cf. Charles Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, p. 67), Selon Gilbert Meynier, en 1916-1917, la même hantise de la submersion par une masse de musulmans pèse sur les centres de colonisation du Constantinois. Cette peur endémique accompagne les lendemains de la Grande Guerre en raison de " l`arabisation progressive des campagnes due à l'extension des grandes propriétés plus rentables, et le rachat des terres des petits colons par des paysans " indigènes ", dont le niveau de vie augmente. Ce bref rappel historique permet de comprendre les atrocités de la guerre d'Algérie. A une majorité musulmane désireuse, lorsque l'occasion s'y prête, de se débarrasser par tous les moyens de la présence du colonisateur, répond par la terreur une minorité européenne inquiète de sa faiblesse démographique, Guelma en est l'illustration.

          Le 9 mai, le sous-préfet Achiary se méfie de la garnison de la ville - trois compagnies de tirailleurs algériens insuffisamment encadrées. Pour maintenir l'ordre, il fait appel à la vingtaine de policiers dont il dispose, ainsi qu'à une douzaine de gendarmes. La faiblesse de ces effectifs est à l'origine de la levée de la milice de Guelma, ou garde civique, forte de 250 hommes armés, précise le ministre de l'Intérieur, de 66 fusils (18 juillet 1945, A.C.P. Journal officiel, p. 1404). Aidée par la gendarmerie, la milice livre ses combats les plus meurtriers les 10 et 11 mai, bien que, dés le 9 mai, l'autorité civile délègue aux militaires ses pouvoirs pour rétablir l'ordre dans l'arrondissement de Guelma, ville exceptée. Plutôt qu'un siège, Il conviendrait d'évoquer un investissement au tissu plus ou moins lâche, l'armée, le 14 mai, n'ayant pas à livrer bataille pour dégager définitivement Guelma.

          L'existence de cette Milice pose un certain nombre de questions. Dans le Constantinois, la levée des miliciens de. Guelma, mais aussi de ceux de Bône, de Saint-Arnaud et de Fedj M'Zala est l'adaptation conjoncturelle d'une législation propre à l'Algérie. La loi du 10 novembre 1875 sur le régime des obligations militaires des citoyens français d'Algérie grosse de ce climat de suspicion régnant entre les communautés depuis la grande révolte kabyle, reconnaît le droit à l'autodéfense des petits centres de colonisation et des fermes isolées. La constitution des milices est précisée par la loi du 27 avril 1881, adoptée l'année même de la révolte du Sud Oranais, Une ordonnance de novembre 1944 du gouverneur général de l'Algérie en rappelle la nécessité en cas de troubles graves. Enfin, le 11 mai 1945, le général Henry Martin ordonne : " La mise en place des gardes territoriaux et des groupes de défense " partout où l'autorité préfectorale responsable le jugerait utile. A Guelma, la levée de la milice précède cet ordre, à l'inverse de ce qui se passe pour la formation, à titre préventif, des gardes civiques, des villes des départements algériens autres que le Constantinois (voir fiche du Troisième bureau du 23 mai 1945). La situation de la milice de Guelma est " régularisée le 27 mai 1945 par intégration dans le corps des gardes territoriaux.

          La question principale concernant Guelma est bien l'action de nos milice avant l'arrivée des troupes régulières, et, ensuite, dans la répression. Tout d'abord, il convient de se référer au Journal officiel, mémoire oubliée de la République que trop de chercheurs négligent. Le 10 juillet 1945, le sénateur Paul Cuttoli, devant l'A.C.P. reconnaît que : " Les indigènes incarcérés à la prison de la ville auraient été arrachées à leurs gardiens et fusillés " (Journal officiel, p. 1348). Huit jours plus tard, devant la même Chambre, au cours d'un débat houleux, Adrien Tixier fait référence aux " exécutions illégales dues à la milice " et déplore certaines représailles collectives " (Journal officiel, p. 1404). De son côté, le docteur Bendjelloul dénonce, le même jour, la sauvagerie de la répression menée par le sous-préfet Achiary, par ailleurs félicité par ses administres pour sa fermeté.

          Les sources militaires confirment ces allégations. Dans un rapport du 14 mai 1945, le capitaine de frégate Morache, commandant la marine à Bône, estime qu'à Guelma : " La répression fut certainement très dure ". Le 1er mai, dans une lettre au général Duval, le commandant Gobillot, chef du G.U.R. à Oued-Zénati, mentionne le soulagement des familles des meneurs " indigènes " arrêtés, lorsque ceux-ci, placés sous la protection de l'armée, sont conduits vers Constantine pour comparaître devant la justice militaire : - Car ils redoutaient d'être dirigés sur Guelma, où la répression sévit impitoyablement ". Enfin, le 30 mai, le colonel Schmidt, commandant le groupe mobile d'intervention de Guercif, dans une lettre au chef de la subdivision de Bône, confirme les exécutions sommaire dues à des civils européens. Plus tard, écrivant le 25 mars 1968 à Claude Paillat, Schmidt évoque "les horribles atrocités " dues à " l'emploi affreux " que les civils faisaient de leur armes (le Guêpier, p, 43).

          Les rigueurs de la répression à Guelma suscitent la constitution de deux commissions d'enquête. La première, conduite par le commissaire de police Bergé, à son arrivée à Guelma le 23 mai, note toutes les irrégularités commises et recueille de nombreux témoignages. Mais le rapport Bergé, pourtant commandé, par le gouverneur général de l'Algérie, sombre dans les oubliettes, constate Annie Rey-Golzeiguer (article cité, p, 350-353). Même sort pour le rapport du général de gendarmerie Paul Tubert, membre de l'A.C.P. comme représentant de l'Algérie. Claude Paillat a, publié dans le Guêpier, pages 66 à 76, l'essentiel des conclusions de cette enquête administrative n'ayant pu être menée à terme, Au chapitre IX traitant de la répression, le général Tubert note en effet : " La commission a reçu l'ordre d'interrompre ses travaux, alors qu'elle s'apprêtait à partir pour Guelma " ( ibid, p. 70). Le rapport Tubert donne toutefois une estimation, non vérifiée, sur le nombre de victimes de la répression : " 500 à 700 jeunes indigènes ", selon les " milieux musulmans ".

          Avant l'ouverture des archives préfectorales, on peut se demander si les commissions Bergé et Tubert n'ont pas échoué en raison de la personnalité du sous-préfet Achiary. Ancien commissaire de police, en 1942 Achiary milite activement au sein du " Groupe des Cinq " pour préparer le débarquement allié en A.F.N. Opposant à Vichy, connu pour son action en faveur du gaullisme, Achiary, en novembre 1943, est décoré de la médaille de la Résistance française (cf. Claude Paillat, L'Échiquier d'Alger, tome. II, p. 22 et 352). En récompense de son efficacité, on lui offre une carrière dans le corps préfectoral. Avec la plus grande prudence, on peut se demander si la publication des actions illégales couvertes par le sous-préfet de Guelma dans la répression n'était pas, en 1945, politiquement dangereuse, dans une Algérie, où, rappelons-le, l'administration n'a pas été véritablement épurée ? Le pouvoir politique pouvait-il prendre le risque de voir compromettre un des plus éminents représentants de la Résistance algérienne ?

          La clef des accusations outrancières portées à l'encontre du général Duval, dont un ne peut nier cependant la fermeté, n'est-elle pas à rechercher à Guelma ? Désigner le commandant de la division de Constantine comme principal responsable de la répression, en sachant que sa fonction l'oblige au silence, n'est-ce pas un moyen d'éviter de mettre en cause Achiary? Enfin, n'y a-t-il pas trace à ce propos, de la vieille rivalité opposant la Grande Muette à l'administration civile, lorsque celle-ci se sent protégée par l'autorité politique? Ce genre de conflit accompagne le déroulement de la guerre d'Algérie, avec ses périodes d'union, de suprématie d'un des pouvoirs sur l'autre, avant le rappel à l'ordre de la V° République.


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