Le tournant
Soudain, en Algérie, le conflit prend un tour inexpiable. Le 24 mai, alors qu'il se rendait à Tébessa, l'administrateur Maurice Dupuy et plusieurs sous-officiers sont tués dans une embuscade. La vue du corps criblé de balles de celui qu'on surnommait le " Foucauld laïque ", l'humble fonctionnaire avec lequel il avait tant sympathisé quelques jours auparavant, inspire à Soustelle des sentiments d'horreur et de colère. Le 20 août à midi, tout au long d'un arc de cercle qui part de Collo et de Philippeville sur la mer, pour gagner les montagnes de Gounod par Saint-Charles, El Arrouch, Constantine, des bandes de rebelles sortent du maquis. Poussant devant eux des fellahs terrorisés, les tueurs de l'ALN se ruent sur les Européens, les Juifs, les Musulmans fidèles à la France. Cette vague d'hystérie collective laisse dans son reflux des morts par dizaines, des blessés au nombre d'un millier.

On date souvent de ce jour le " virage " qui ferait de Soustelle, selon le mot de Monteil, non plus " l'homme de la justice avant tout, mais l'homme de l'ordre d'abord ". Il n'en est rien. Si le Gouverneur a compris ce qu'une politique de clémence assortie d'un projet de réconciliation avec l'aide modérée de la dissidence peut avoir de chimérique et partant de criminel, il n'en abandonne pas pour autant le vaste plan de réformes dont les lignes de force ont été arrêtées dès le mois de mai. Seuls changent les hommes chargés de l'appliquer. Exit l'entourage mendésiste. Une autre équipe s'installe où domine la personnalité d'Henri- Paul Eydoux, conseiller pour les affaires de sécurité, entouré du procureur général Susini, de l'ex-résistant Achiary, d'Alain de Sérigny enfin qui par ses éditoriaux dans L'Echo d'Alger s'emploie désormais à rallier la communauté européenne à faction du GG. Non sans heurts ni sans difficultés, d'ailleurs. C'est que le maître mot du plan Soustelle, l'intégration, charrie bien des équivoques au point de susciter une véritable levée de boucliers tant à la Fédération des maires d'Algérie que préside le populaire Amédée Froger que chez les ultras de la colonisation.

Patrick Buisson
" Algérie française " Philippe Heduy editions SPL

Obsèques au cimetière de Philippeville des 171 Français tués lors des massacres du 20 août 1955 à EI-Halia et dans le Nord-Constantinois.

Cette photographie tragique, et comme voilée dans le deuil malgré la lumière de l'été, montre une foule calme et atterrée. Peu après, ce sera la fureur. Le maire Benquet-Crevaux donnera lui-même l'ordre de piétiner les fleurs officielles.


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Mis en ligne le 20 août 2005